Sur le web, l’insurrection qui baille
Le militantisme est-il soluble dans les réseaux sociaux? Régulièrement, la question revient sur la table. Jusqu’à ce que le tropisme du web libérateur se heurte à la réalité de 2010.
Avant, pour participer à une campagne anti-establishment, on apposait son paraphe au bas d’une pétition qui circulait de main en main. On boycottait des produits Nestlé. On marchait avec Martin Luther King sur le National Mall de Washington D.C. Parfois, au nom d’une cause un peu floue, on tombait dans la violence aveugle, comme pendant les émeutes de 1992 à Los Angeles. Aujourd’hui, ces manifestations de la lutte sont entrées dans la pop culture et les livres d’histoire, et tout le monde est sur Facebook.
Le rapport?
Si notre capacité d’indignation est intacte (c’est le substrat de l’action politique), nous sommes devenus fainéants, tant et si bien que les anglo-saxons ont inventé un terme pour caractériser ce militantisme aux doigts gourds: slacktivism. Contraction de slacker (flemmard, mais aussi déserteur dans le jargon militaire) et d’activism, ce mot valise désigne toutes les intentions nobles qui fleurissent sur le web, des groupes de soutien sur FB aux avatars détourés et colorés en vert – pendant les émeutes en Iran de 2009 – en passant par les hashtags humanistes sur Twitter.
Leur dénominateur commun: un impact proche de zéro.
Soit des révolutionnaires de velours plus proches de la douceur du capiton que de Vaclav Havel. A force d’exiger d’un réseau commercial et mondialisé des compétences qui n’entrent pas dans ses prérogatives, bon nombre de militants retournent leurs critiques contre l’outil, dans ce qui ressemble à un syndrome de Stockholm inversé. Ces dernières semaines, plusieurs militants ont vivement exprimé leur mécontentement vis-à-vis de Facebook, après avoir vu leurs pages supprimées. Parmi eux, des activistes qui partaient en guerre contre la politique homophobe du géant de la distribution Target, mais aussi le groupe de soutien à Bradley Manning, le soldat américain suspecté d’avoir fourni à WikiLeaks des milliers de documents confidentiels. La plateforme de Julian Assange s’est souvent montrée suspicieuse à l’encontre du réseau de Mark Zuckerberg, et cette fois-ci, les administrateurs du groupe de soutien “officiel” à Manning se plaignent de ne plus pouvoir poster informations et liens sur le mur, qui rassemble quelques 10 000 “membres”. Avant de parler de conspiration, il serait peut-être temps de pondérer la croyance populaire selon laquelle le web 2.0 est un vecteur du bien-être social dans le monde réel.
Sauvez les dauphins
Interrogées par Politico, les équipes de modération de Facebook affirment que ces groupes violent les conditions d’utilisation du site parce qu’ils ne représentent ni des personnes physiques, ni des organisations réelles. Soit. Pendant l’été, déjà, un comité de soutien aux réfugiés palestiniens avait découvert que son intitulé comportait un terme soumis au filtrage… le mot “Palestine”. Dans la foulée, ils avaient reçu ce message:
“Notre système automatisé n’autorise pas le nom ‘Palestinian Refugee ResearchNet’. Il est susceptible de violer nos conditions d’utilisation, ou de contenir un terme bloqué pour éviter la création de pages officieuses ou non autorisées.”
Au même moment, c’est la très populaire page “Boycott BP”, forte de 750 000 membres, qui avait été supprimée “par erreur”, avant d’être rétablie, parce qu’elle “ne violait pas” les mêmes conditions d’utilisation. Selon Politico, “un porte-parole de Facebook a confirmé que le site ne vérifiait l’identité de l’administrateur d’une page qu’à partir d’une certaine taille, qu’il a refusé de spécifier”. Faut-il alors penser que l’impact politique des médias sociaux ne se révèle qu’à partir d’un certain seuil, en dessous duquel les messages sont condamnés à flotter dans le néant comme autant de bouteilles à la mer?
Ne nous y trompons pas, il est beaucoup plus facile de collecter des dons pour sauver les dauphins de la Mer du Japon que pour mener la fronde contre un géant de l’industrie. Pas (uniquement) parce qu’une entreprise comme Facebook est vendue au grand capital (même si elle n’est pas encore côtée au NASDAQ), mais aussi (et surtout) parce que les campagnes politiques aux bords plus francs (et plus polémiques) s’accommodent assez mal du slacktivism évoqué plus haut. Même quand la procédure se limite à cliquer sur un bouton “like”.
le mythe de la décentralisation
La question de la miscibilité des slogans dans les médias sociaux a déjà été posée. Des centaines de fois. C’est la raison pour laquelle il faut prendre le problème dans l’autre sens. Pour la chercheuse danah boyd, “Facebook essaie de devenir un service public”, au même titre que l’eau ou l’électricité, ce qui valide la thèse de sa régulation. Quand Jillian C. York, collaboratrice de l’OpenNet Initiative, évoque la “régulation du contenu dans la sphère semi-publique”, on touche au point clivant: l’environnement normé de Facebook (ses termes d’utilisation comptent plus de signes que la constitution américaine) l’a transformé en société civile muette, ou la parole se limite à la recherche du consensus.
Dans ces conditions, on peut légitimement s’interroger sur la place dévolue à des réseaux décentralisés tels que Diaspora, tout en se remémorant que la notion a été fragilisée, ironie du sort, par le premier réseau social décentralisé (à ses débuts): Facebook. Sans enterrer Diaspora dès sa version alpha, il faut se rappeler que le web de 2010 n’a plus grand chose à voir avec les portails grand ouverts de 1995. Aussi libéré des pressions commerciales soit-elle, l’alternative numéro un à Facebook devra évoluer selon les règles d’un écosystème plus large, celui des fournisseurs d’accès à Internet.
Crédit photos: Flickr CC Robin Iversen Rönnlund, Anonymous9000
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