La presse dans la cour de l’Élysée

Le 1 février 2012

Pour trinquer, rédacteurs en chef et vedettes de la presse se sont retrouvés à l'Élysée, où Nicolas Sarkozy recevait ce mardi soir les journalistes pour ses vœux aux médias. Entre courtisans à peine masqués, pâtisseries et éclat de joie pour la vente des avions de combat Dassault, le rendez-vous a viré à la belle comédie humaine Que nous avons suivie de l'intérieur.

“Je me suis bien amusée !” Sous les tentures, dorures et colonnades de la République, une journaliste introduite évalue la performance présidentielle. Dans la même salle que son interview multidiffusée de dimanche, Nicolas Sarkozy vient de recevoir 400 convives encartés “PRESSE” ce mardi 31 janvier 2012 au soir. Une réception fort chaleureuse, voire intimiste, en forme de reconquête des coeurs d’encre.

Bonjour veaux, vaches, cochons, couvés !

À 16h35, le jour est déjà tombé sur la rue du Faubourg Saint Honoré, que barre la police. En face de l’Élysée, les cameramen du Petit journal filment une voiture aux vitres teintées qui passe la grille. Une file d’attente de journalistes de tous médias est étranglée à la porte par les responsables du service presse, postés en amont d’un détecteur de métaux où personne ne s’arrête, on est ici chez soi. Passés aux vestiaires où six membres du personnel de l’Elysée en livrée à insignes dorées épuisent les stocks de cintres, les invités d’honneur traversent un couloir et atterrissent dans la salle des fêtes aux murs tendus de scènes de chasse délavées.

Au-dessus de la foule des retrouvailles et discussions, des iPhone flashent le décorum. “Je crois que nous sommes 0,5% de Berrichons ce soir”, plaisante un confrère de France 3. En plus de la presse nationale, les invitations sont parties tous azimuts direction les rédactions régionales de France Télévision. “Il faut le comprendre, sourit un collègue en pleine photo souvenir dans la cour, il y a une élection et nous, nous sommes les paysans, les retraités, les campagnards… les forces vives !” Selon un JRI d’une rédac France 3, l’initiative est neuve chez le chef de l’État :

Chirac invitait les télés régionales chaque année pour ses voeux à la presse. Sarkozy, c’est la première fois ! Par contre, les fichiers sont un peu datés : certains grands chefs ont été oubliés et d’autres, plus vraiment aux manettes, ont été invités.

Derrière les colonnes, sept écrans plats sont étalonnés sur le fond bleu roi de la tribune où va s’exprimer le chef de l’Etat. Le “pool vidéo” a été attribué à France 2, dont le logo figure sur le pied et la caméra. Une autre est dans la cour, pour filmer l’arrivée, celle à l’intérieur était même supposée préparer des “plans de coupes”.

Les chaises disposées sur les côtés sont quasi vides, à l’exception des journalistes d’agences, leur portable flanqué d’une clef 3G sur les genoux pour prendre en note la déclaration. Dans le peloton de premier rang, déjà serré aux barrières de velours rouges qui retiennent la presse, Jean-Pierre Elkabbach se masse le front d’impatience. Sa collègue d’Europe 1, Arlette Chabot, est neutre et discrète, près d’une colonnade, tandis que Guillaume Durand patiente, debout près des rideaux qui dissimulent le buffet. En costume de garde à cheval, un officier annonce l’arrivée du Président. Nicolas Sarkozy se poste à son pupitre emmené par un sourire qui ne le quittera pas une seule seconde.

Les conseillers en deuxième ligne

Les journalistes se pressent dans la fosse, prennent rarement des notes et font silence. Derrière les colonnes, les cravates sont plus sobres et les jeans rares : les permanents du “Château” ont pris place. À deux pas de François Lenglet de BFM qui était dimanche soir face au président, l’un des nouveaux collaborateurs clefs de Nicolas Sarkozy, Camille Pascal, en charge de la communication, a posté sa cravate rouge vif et ses lunettes attentives face à un écran. Dans les rangs circulent également Nicolas Princen, Xavier Muscat et autres conseillers. Certains ont croisé Geoffroy Didier, nouveau venu issu des proches de Brice Hortefeux. Les derniers arrivés ont interrompu Jean-François Copé, tandis qu’il improvise quelques remarques dans le hall d’entrée.

Nicolas Sarkozy ouvre son propos sur une métaphore : “comme dans un couple, lance-t-il en parlant de sa relation avec la presse, on va voir ailleurs, on rêve à autre chose“. “Mais vous êtes toujours revenus !”, coupe-t-il, soulevant quelques rires sincères. Une journaliste télé ne s’en étonne pas :

Qu’est-ce que vous vouliez qu’il dise ? Il a fait son grand oral dimanche, il est juste là pour le show. C’était très malin ce qu’il a fait, il a besoin de nous.

Le show continue et se termine sur quelques remerciements. Les applaudissements s’élèvent dans la salle, à la sidération de quelques-uns, dont des confrères de la presse étrangère et le rédacteur de ces lignes. Un journaliste de CNN remarque :

Vous avez des politiciens très intelligents en France (…) Un truc pareil aux États-Unis, c’est inconcevable, mais lui sait qu’il peut le faire et ça marche ! Il a raison de le faire, il a beaucoup progressé là-dessus depuis 2008. Et puis, il a besoin de la presse !

Comme pour un rappel, le Président remonte sur scène et reprend le micro, “s’il vous plaît ?”, il veut ajouter quelque chose. La France a remporté un gros contrat avec l’Inde pour la vente de Rafale, il mélange cette “bonne nouvelle” avec la situation internationale qui va marquer la campagne, à la crise de la presse frappée par la conjoncture économique. Instant patriotique. Le rappel terminé, nouveaux applaudissements, moins fournis, chez les journalistes. Impossible de voir si Serge Dassault a souri.

Car le patron du groupe aéronautique et propriétaire du Figaro marche parmi les invités. Il fait même partie des deux seuls invités ayant pu garer leur véhicule dans la cour. Avec également un cadre dirigeant de TF1, “Nonce Paolini, se hasarde un confrère. Les esprits taquins retiendront que Bouygues et Dassault peuvent garer leurs bagnoles à l’Elysée.

Des calvities

Les barmen circulent chargés de leurs plateaux argentés aux choix de Champagne, jus d’orange, de pamplemousse ou Perrier. La foule migre lentement vers le buffet que les rideaux tirés ont révélé dans le fond de la salle. “Avant, il y avait du foie gras à l’Elysée, peste une journaliste habituée de la sauterie. Maintenant, ils donnent de la mâche avec du Comté et des noix et on s’en met partout !” C’est-à-dire sur une robe rouge, bientôt tâchée de gouttes d’huile d’olive. Pour les becs sucrés, des pâtisseries épaisses comme le dernier Patrick Rambaud sont surmontées de médaillons en chocolat représentant la cour du Château cerclée de l’inscription Présidence de la République.

À l’arrière, Valérie Pécresse, veste orange vif, discute avec une poignée de journalistes économiques. Mais la masse est agglutinée autour d’une forêt de bras tendus, iPhone à la main visant une tête : Nicolas Sarkozy est descendu parmi les journalistes. Impossible d’entendre, un confrère tend son téléphone en mode magnétophone, aucun n’ayant de perche ou de micro sous la main. Au centre du cercle, le Président discute avec Jean-Pierre Elkabbach, Olivier Mazerolles et Gilles Leclerc. “La vieille presse, s’agace une journaliste web un pas à l’écart du magma. Il n’y a que des calvities autour de lui !”

Sorti du bain de foule, Olivier Mazerolles s’étonne qu’on lui demande de quoi il a parlé avec Nicolas Sarkozy. Mais il nous répond :

De tout, de rien, de la TVA…

Plus d’une demi-heure durant, le cortège piétine vers l’issue principale de la salle de réception. À l’approche du Président, les responsables de la sécurité bloquent les portes latérales pour l’exfiltrer par celle du milieu où il se glisse, accompagné de quelques assistants qui chuchotent déjà.

Quelques journalistes discutent au buffet : “Il a été très malin de ne pas prendre de questions. C’était plus humain ce format”, analyse-t-on au dessus des derniers plateaux de macarons. Des costumes-cravates maisons montent des assiettes dans les étages, pour qui n’a pas pu descendre voir le patron. En face de l’Élysée, dans le froid, le Petit journal arrête les derniers à partir pour leur demander leur avis sur la prestation présidentielle. La circulation a été libérée. La fête est finie.


Photos au téléphone mobile par Sylvain Lapoix, éditées par Ophelia Noor et remixées avec Instagram.

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés