Les jolies colonies de Chatel
Pour faire face à la violence à l'école, un nouveau dispositif va être mis en place, les établissements de réinsertion scolaire (ERS). Le milieu éducatif est dubitatif face à cette mesure.
Cela faisait partie des dispositions annoncées par Nicolas Sarkozy en mai dernier, à l’issue des États généraux sur la sécurité à l’école : la création d’”établissements de réinsertion scolaire” (ERS) accueillant des élèves de 13 à 16 ans particulièrement perturbateurs en internat, une mesure destinée à endiguer la violence scolaire. Une circulaire envoyée à la fin du mois de juin et publié au JO dans la torpeur du mois de juillet vient d’en préciser les contours.
Les ERS recevront des élèves du second degré qui ont fait l’objet de multiples exclusions, “qui ne relèvent ni de l’enseignement spécialisé et adapté” et qui ne peuvent pas non plus être placés dans le cadre pénal. Ils seront placés la plupart du temps dans des internats, par effectif de quinze à trente, sous la houlette “d’un encadrement renforcé et de l’appui de différents partenaires.” Les ERS seront placés sous la responsabilité du chef d’établissement public local d’enseignement auquel il sera rattaché. Les ERS pourront être situés dans des locaux annexés à l’établissement scolaire de rattachement, de préférence distinct du reste de l’établissement”. À l’écart, au propre comme au figuré ?
Le placement pourra se faire sans l’accord des parents
Le placement pourra se faire sans l’accord des parents : “Il est nécessaire que l’accord du jeune et de sa famille ou du responsable légal soit mentionné dans le dossier. Si cet accord ne peut être obtenu, une saisine du procureur peut être engagée par l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Éducation nationale, afin que puisse être étudiée l’opportunité de prononcer un placement en ERS au titre de mesure d’assistance éducative.”
Les ERS fixent quatre objectifs : “l’acquisition du socle commun de connaissances et de compétences, l’appropriation des règles du vivre ensemble, la définition d’un projet de formation ainsi que l’implication des familles.” La réinsertion se fera “dans un parcours de formation générale, technologique ou professionnelle.”
Sauf que la suite de la circulaire préempte une forte option pour les deux dernières, considérées comme des voies de garage en France. Ainsi, “des stages en lycées professionnels, en centre de formation des apprentis et en entreprises sont organisés” ; “Pour les élèves les plus âgés, des poursuites d’études sont envisagées, soit sous statut scolaire, notamment en lycée professionnel, soit par voie de l’apprentissage.” En sachant que ces voies protègent moins du chômage que l’enseignement supérieur…
Par ailleurs, l’obtention de différents certificats n’a pas un caractère obligatoire : “Afin de valider leurs acquis et de faire entrer les élèves dans une dynamique de réussite reconnue, il convient d’avoir un objectif de certification, chaque fois que cela est possible : certificat de formation générale (CFG), diplôme national du brevet (DNB), attestation scolaire de sécurité routière (ASSR), brevet informatique et internet (B2I), attestation de prévention de secours civiques (PSC1), jeunes officiels, brevets sportifs ou d’animateur, etc.”
Des enseignements seulement le matin
Les élèves auront un emploi du temps aménagé : le matin, enseignements, l’après-midi des activités “notamment des activités sportives à raison de deux heures chaque jour et des ateliers autour de la citoyenneté, de la santé, etc” ; et pour finir, en fin d’après-midi, “l’accompagnement éducatif”.
Le chiffre de dix ERS pour l’année 2010-2011 a d’abord été avancé dans la circulaire, le président Sarkozy a fixé comme objectif une vingtaine au cours du premier trimestre. On sait déjà qu’il y en aura un dès la rentrée à Nice : l’annonce en a été faite le 1er juillet entre autres par Eric Ciotti, député UMP et président du conseil général des Alpes-Maritimes. Ce dernier a récemment fait parler de lui pour avoir proposé «jusqu’à deux ans de prison pour les parents» d’un mineur délinquant qui n’aurait pas respecté le plan de probation sous leur responsabilité, en prenant faux exemple sur le Canada.
L’encadrement sera assuré par des enseignants et des assistants d’éducation. Le choix des enseignants se fera “sur la base du volontariat et sur poste à profil”. Sans que cela ait un caractère obligatoire : il est seulement “souhaitable que ces personnels aient une expérience d’enseignement devant des publics scolaires en difficulté et témoignent de leur motivation pour travailler sur un projet pédagogique et éducatif avec internat.” Ils seront éventuellement assisté de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), des éducateurs du conseil général, d’intervenants associatifs, de volontaire du service civique…
Parmi les partenaires, outre le ministère de la Justice et des Libertés, le ministère de la Jeunesse et des Solidarités actives, les associations agréées complémentaires de l’enseignement public et les fondations reconnues d’utilité publique…, on retrouve le ministère de la Défense, dont les compétences en matière d’éducation sont bien connues. Contacté entre autres pour avoir des précisions sur ce point, le ministère de l’Éducation n’a pas répondu. Ce choix semble somme toute logique lorsque l’on sait que les EMS (équipes mobiles de sécurité), un des quatre axes majeurs du plan de “sanctuarisation des établissements scolaires”, font appel à des ex-policiers et gendarmes.
Le texte ne précise pas ce qu’il sera fait de ces élèves s’ils ont dépassé l’âge limite. Il est juste mentionné les solutions en cas de réussite du processus de réintégration.
En parallèle et en toute contradiction, le gouvernement veut tailler dans les effectifs des professeurs dans les trois ans à venir, en application de la politique de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Il envisage ainsi la suppression des Rased (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), l’augmentation des effectifs par classe, une formation des enseignants revue à la baisse, prévoyant que les nouveaux professeurs seront directement affectés à un poste. Un programme qui a conduit les à commencer l’année scolaire 2010 par une grève. On rajoutera aussi que le plan banlieue a été vidé de sa substance.
“Il faudrait redonner à ces élèves un espoir”
Le détail de ces ERS ne fait pas l’unanimité parmi le milieu éducatif, curieusement. Le SNES est dubitatif : “Cela fait des années que l’on cherche une solution pour ce public très particulier, sans avoir trouvé la formule-miracle, je ne pense pas que celle-là résolve le problème, nous a expliqué Roland Hubert, co-secrétaire général Syndicat national des enseignements de second degré. Les ERS centrent leur approche sur le comportemental, cela ne suffira pas. De plus, la PJJ est partenaire, or elle a tendance à axer son travail sur la réparation et non la prévention. Il faudrait redonner à ces élèves un espoir, un sens pour qu’ils puissent se reconstruire. Il faut qu’il y ait une vraie réflexion sur les raisons de leur blocage. Là , c’est du dressage, on leur fait faire du sport pour les défouler, on leur apprend à être de bons citoyens pas gênant, aux détriments de l’apprentissage, qui est réduit. ‘Projet de vie’, ce sont des mots, nous serons attentifs à la réinsertion réelle.”
“Une fois de plus, face à un problème grave, on apporte une réponse qui s’apparente à un effet d’annonce, estime Dominique Hocquard, président de l’ACOPF (Association des conseillers d’orientation psychologue de France), faisant allusion à la force de proposition sécuritaire du gouvernement. Pour beaucoup, les chefs d’établissements ne sont pas dupes. Il existe déjà des dispositifs, comme les classes-relais, il faudrait mieux renforcer leurs moyens.” Les dispositions même des ERS sont mises en cause : “Alors que ces élèves sont placés, pour ne pas dire enfermés, comment peuvent-ils se projeter positivement ? Les enseignements seront basiques et réduits et on ne leur propose qu’une formation professionnelle à court terme”. Une formation professionnelle “dévaluée” du coup, souligne-t-il : tout juste bonne pour des perturbateurs. Il note enfin l’ambiguïté des ERS, “une pénalisation déguisée d’une certaine façon”, puisque le placement pourra être imposé.
L’UNSA-éducation souligne de son côté le manque de concertation sur ce projet : “Cela a surpris tout le monde, explique Patrick Gonthier, secrétaire général du syndicat. Aucune réunion n’en a fait état, c’est une annonce exclusive du président de la République.” Il craint que les critères de sélection n’amènent à réunir des profils très différents. La diminution de la part des apprentissages leur fait également peur. Surtout, c’est le choix d’une structure fermée, en extérieur, qui suscite le plus de crainte chez eux : “Il vaut mieux rester dans l’enceinte éducative, cette solution risque de produire un contre-effet, c’est-à -dire d’accentuer la démotivation et d’exclure à long terme les élèves. Peu de pays ont adopté des solutions externalisant autant”, détaille monsieur Gonthier.
Établissements scolaires ou pénitentiaires ?
s’interrogent carrément Les Cahiers pédagagiques. [...] Surtout la circulaire s’étend sur “la stricte discipline”. [...] On voit mal comment le socle commun peut être sérieusement préparé dans un cadre pareil.” [...] On est surpris de la naïveté du programme pédagogique des ERS qui prétend imposer le respect et faire apprendre dans un internat imposé. Tout enseignant sait bien que le respect se construit, il n’est pas du, et qu’on peut apprendre la contrainte, voire la soumission, mais pas apprendre par la contrainte. Mais on est aussi surpris du positionnement de ces ERS par rapport aux classes relais.” Et de conclure, rejoignant les critiques précédentes : “les ERS avec leur caractère semi clos, un dispositif où on voit bien que l’enseignement est secondaire face aux exigences comportementales risque plutôt d’accélérer la marginalisation des jeunes parqués dans des structures qui préparent plutôt à l’enfermement. Définitif ?”
Les ERS sont un exemple de la volonté du gouvernement de se focaliser sur la sécurité à l’école, alors que de l’aveu même du ministre de l’Éducation, “99% des élèves ne connaissent pas la violence”. Une position dénoncée entre autres par l’OZP (Observatoire des Zones Prioritaires) : “La violence à l’école – et sa répression – tendent à devenir le sujet qui envahit tout le discours sur l’école, comme s’il fallait persuader les familles que l’école publique est un lieu dangereux pour leurs enfants.”
Et si les fines huiles de la majorité donnaient des cours sur les valeurs ?
Pour finir en lolant, nous avons imaginer que les fines huiles de notre majorité interviennent en fonction de leur compétences et expériences sur quelques valeurs que nos jeunes en difficulté sont sensés intégrer. “Les pratiques sportives sont à développer tout particulièrement, pour les valeurs qu’elles portent” :
- “respect des règles” : Alain Joyandet, qui se permet de construire.
- “goût de l’effort” : Jean Sarkozy, qui a failli être président de l’Epad à 23 ans malgré son absence de diplôme. Comme dit si bien Patrick Devedjian citant Corneille, ““Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années”.
- “persévérance” : Christian Estrosi, dit “le motoditacte” en raison de la taille de son cerveau, propulsé ministre de l’Industrie.
- “esprit d’équipe” : David Douillet, qui soutient sans faille Rama Yade, la secrétaire d’État aux Sports.
- “loyauté” : Bernard Kouchner, retourneur de veste.
- “dépassement de soi” : Frédéric Lefebvre, qui n’en rate pas une pour soutenir Nicolas Sarkozy. Au choix, ici, là ou bien encore ça.
“L’éducation à la citoyenneté est privilégiée : des ateliers citoyens sont conduits, en collaboration avec des partenaires de divers ministères (Justice, Défense, Intérieur) et d’associations, afin de proposer un travail approfondi sur la nécessité du respect des règles :
- “de vie collective” : le fraternel Brice Hortefeux, si respectueux de ses camarades auvergnats en public.
- “de registre de langue” : Nicolas “casse-toi pauvre con” Sarkozy (Le Canard enchaîné nous rapporte aussi régulièrement en page 2 les fleurs de langage du petit Nicolas).
- “de comportements” : toujours le même, expliquera comment se comporter face à une personne importante : éteindre son portable, par exemple.
- “de tenue vestimentaire” : Roselyne Bachelot, porteuse de crocs roses.
Les jeunes peuvent s’engager également dans des actions auprès d’associations d’aide aux handicapés, aux personnes âgées, de lutte contre la pauvreté, etc.
-Eric Woerth parlera ainsi de l’amitié qu’il a nouée avec une vieille dame importunée par sa méchante fille et son trop plein d’argent.
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Image CC Flickr D.Reichardt et SpinAirR
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