Le vent (solaire) se lève

Le 22 juin 2011

Le 7 juin dernier, de superbes images d'une éruption solaire ont attiré l'attention sur notre étoile. Mais ces éruptions ne sont pas seulement jolies : les plus importantes pourraient avoir des conséquences pour l'espèce humaine.

21 décembre 2012. Le monde s’est éteint. A Paris, à New-York ou Bombay, le réseau électrique a cessé de fonctionner en moins de deux minutes. Le black-out total.

Et si l’on donnait du grain à moudre aux tenants des hypothèses apocalyptiques de 2012 ? Puisque les Mayas s’appuyaient sur les astres pour prédire leurs catastrophes, il serait logique que la fin du monde tel que nous le connaissons ait pour origine une étoile, en l’occurrence le soleil.

Si la prédiction des Mayas semble farfelue, celle du soleil comme origine de l’apocalypse est prise très au sérieux par la Nasa, comme en témoigne un rapport[en][pdf] publié en 2009. La faute à ces fameuses éruptions (ou éjections de masse coronale, de leur nom scientifique, CME en anglais), qui ont donné lieux à de superbes images le 7 juin dernier.


La vidéo est diffusée en accélérée.

Du plasma ionisé s’élevant dans l’espace pour revenir s’écraser à la surface du soleil. Le spectacle est superbe, et s’il a été autant relayé par les médias, c’est avant tout parce qu’il a été photographié et filmé sous de nombreux angles.

L’éruption avant la tempête… magnétique

A l’échelle du Soleil, cette éruption est relativement insignifiante. Mais ces CME ne sont pas sans conséquences pour la Terre. Constitué d’ions et d’électrons, un flux de plasma, nommé vent solaire, est projeté à travers l’espace. Des quantités monstrueuses de particules électromagnétiques, dispersées à une vitesse de 100 à 2500 kilomètres secondes, parcourent la distance qui sépare le soleil de la planète bleue en 2 à 4 jours.

Flickr Video
Des boucles magnétiques en spirale, observées grâce à une lumière ultraviolette.

L’éruption du 7 juin dernier a envoyé son lot de particules électromagnétiques à travers le vide spatial. Ce nuage magnétique, en atteignant la terre, est absorbé par le bouclier magnétique terrestre. L’interaction entre la ionosphère, où circulent les ondes radio, et cet orage magnétique n’est pas sans effets : les services météorologiques chinois ont indiqué que les communications radios par ondes courtes avaient été perturbées dans le sud du pays. Rien de bien méchant donc. Au pire quelques satellites ont connu des problèmes mineurs.

La tempête de Carrington

Cette tempête géomagnétique a été classée G1 sur l’échelle de météorologie spatiale des tempêtes magnétiques [en], du National Oceanic and Atmospheric Administration [en] (NOAA), c’est-à-dire le plus faible niveau sur une échelle qui en comporte 5.

Au niveau 1, les répercussions sont relativement insignifiantes. Au cinquième échelon, elles sont en revanche bien plus dommageables. On compte ainsi deux exemples qui, par le passé, ont prouvé à quel point les tempêtes magnétiques pouvaient être à l’origine de terribles dégâts.

L'échelle de risques des tempêtes magnétiques de la NOAA.

Le premier de ces exemples est l’éruption solaire de Carrington, du nom de l’astronome qui a observé en 1859 à l’aide d’un télescope la plus grosse CME jamais enregistrée. Selon un article de la NASA [en], des habitants de Cuba ou d’Hawaï ont pu observer, probablement pour la première fois de leur vie, des aurores boréales. Elles étaient tellement intenses qu’il était possible, de nuit, de lire un journal. À l’époque, le réseau électrique était quasi inexistant mais les courants générés dans le sol ont surchargé les pylônes télégraphiques : les utilisateurs ont subi des décharges chargées d’étincelles, qui ont mis le feu au papier du télégraphe. Même le système débranché, il était toujours possible de transmettre des messages tant les lignes étaient chargées d’électricité.

À ce jour, il s’agit de la plus violente tempête géomagnétique jamais enregistrée. La raison est simple : elle s’est déroulée en deux temps. Une première éruption a envoyé un nuage électromagnétique qui a nettoyé le chemin entre le Soleil et la Terre, créant une véritable autoroute pour… la tempête électromagnétique causée par une seconde éruption. Cette dernière a atteint la Terre en 18 heures au lieu de 3 ou 4 jours. 5 % de l’ozone atmosphérique auraient été détruit lors de la tempête.

Le deuxième exemple est bien plus récent. Une seconde tempête, pourtant bien moins violente, a engendré des catastrophes qui témoignent de la fragilité des infrastructures face à ce type d’événements, à l’heure où les réseaux sont de plus en plus interdépendants (Internet, etc.). En mars 1989, une éruption solaire a créé un black-out quasi total au Québec. Les transformateurs d’Hydro-Québec, la compagnie en charge du réseau électrique, ont grillé suite à une surtension : en moins de 90 secondes, plus de 6 millions de personnes ont été plongées dans le noir. Dans le meilleur des cas, 9 heures ont été nécessaires pour que le courant soit rétabli.

A l’inverse, des orages magnétiques plus récents et classés G5, n’ont causé aucun dommage sur Terre.  En fait l’hypothèse d’un black-out total et mondial est relativement peu probable, pour plusieurs raisons :

- L’éruption solaire doit avoir lieu en direction de la terre, envoyant ainsi la majeure partie du nuage de particules magnétiques directement vers l’atmosphère terrestre

- L’incidence de la tempête magnétique dépend pour beaucoup de l’inclinaison de la terre. Habituellement ce sont les pôles qui sont les plus exposés, d’où les aurores polaires. C’est ce qui explique que seules certaines régions du monde soient touchées par des tempêtes magnétiques. La Terre est plus exposée lors des équinoxes (22 mars ou 22 septembre), lorsque son inclinaison par rapport au soleil la rend plus vulnérable à l’arrivée d’une tempête magnétique.

Le bouclier magnétique terrestre absorbe le nuage électromagnétique.

Scénario catastrophe

Dans le rapport financé par la NASA [en][pdf] publié en 2009 par l’Académie nationale américaine des sciences (NAS), des chercheurs s’interrogent sur les dangers d’une éruption solaire de la même ampleur que celle de Carrington.

Outre les troubles de communications, le dysfonctionnement des satellites et des GPS, c’est surtout l’interdépendance des réseaux qui inquiète le Comité sur l’impact sociétal et économique des événements météorologiques spatiaux extrêmes (Committee on the Societal and Economic Impacts of Severe Space Weather Events) :

L’énergie électrique est la clé de voûte de notre société moderne, dont dépendent presque toutes les infrastructures et services

Dès lors, le réseau est particulièrement vulnérable aux conditions météorologiques spatiales :

Une répétition de la tempête de Carrington causerait d’importantes perturbations sociales et économiques.

Si certains problèmes pourraient être réglés dès la fin de la tempête (les transmissions radios à nouveaux possibles par exemple), plusieurs semaines ou mois seraient nécessaires pour réparer les centaines -voire milliers- de transformateurs électriques endommagés en raison d’une surtension électrique… Les appareils électriques branchés au mauvais moment seraient tout simplement hors d’usage.

En l’absence d’électricité, la situation deviendrait vite ingérable : absence de chauffage ou de réfrigération, manque de nourriture (dû à des défaillance de distribution de l’alimentation), et surtout absence d’eau potable, qui, dans les grandes villes, ne sera plus acheminée en haut des immeubles.

Paradoxalement, les pays moins développés s’en sortiraient mieux que les pays développés, du fait d’une faible dépendance à ce genre d’équipements.

Ce scénario catastrophe n’a pas grand chose à envier aux films apocalyptiques régulièrement diffusés sur nos écrans. D’où ce rapport, dont l’objectif est d’inciter à la mise en place d’infrastructures capables de résister à ces éruptions solaires. Mais en l’absence d’une menace concrète et prévisible, il est difficile d’inciter à de nouveaux comportements.

Deux fois tous les mille ans

Car le risque reste faible. Des éruptions de la même intensité que celle qui a provoqué la tempête magnétique de Carrington en 1859 n’ont lieu que deux fois par millénaire, lors des cycles d’activité du soleil. Notre étoile fonctionne en effet sur des cycles d’activité d’une durée de 11 ans. C’est lors de ces phases qu’on observe les tâches et éruptions solaires les plus importantes. Actuellement, l’activité de notre étoile va aller croissante jusqu’en 2014, avec des CME plus importantes que celles du 7 juin dernier.

Pas de panique cependant, le soleil devrait entrer prochainement dans une période d’hibernation, avec à la clé une très faible activité. Au point que des scientifiques se questionnent sur son influence sur le climat terrestre (une légère baisse de température en perspective, mais pas de quoi non plus contrecarrer le réchauffement climatique), faisant craindre un nouveau “Minimum de Maunder“, une époque où le climat d’Europe et d’Amérique du Nord a valu à cette époque le surnom de petit âge glaciaire. Cette période correspondait justement à une diminution du nombre de tâches solaires.

La météorologie spatiale, et plus particulièrement le soleil, a une influence non négligeable sur la Terre. Reste que cette science n’est pas encore capable d’estimer avec précision les évènements solaires à venir. Mais pas de panique, même les prédictions Maya ont été réevaluées : la fin du monde n’aurait pas lieu en 2012 mais en 2116. Qu’il s’agisse d’une éruption solaire ou non, cela laisse un peu de temps.


Photos Flickr CC Paternité par NASA Goddard Photo and Video, PaternitéPas d'utilisation commerciale par -AX-, Wikimedia Commons Magnetosphere rendition

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