Mediapart sous le feu nourri de l’UMP
L'UMP sonne l'hallali contre le site Mediapart à l'origine des révélations sur l'affaire Bettencourt, rivalisant de ridicule et de mauvaise foi. Pourtant, si l'affaire se confirme entièrement, ce sera le jour zéro du journalisme sur Internet en France.
C’est l’article publié lundi dernier par Mediapart (et traduit par OWNI), révélant un possible financement occulte de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, qui a mis le feu aux poudres.
Depuis hier, tous les responsables politiques de la majorité ont fait de Mediapart et d’Internet, la cible de toutes leurs attaques. Même si elles relèvent certainement d’une tentative désespérée de discréditer la source de l’information, technique aussi veille que le journalisme, elles n’en sont pas moins inquiétantes et révélatrices.
Éléments de langage
Le ministre du Budget François Baroin (pourtant ancien journaliste politique à Europe 1) a ainsi qualifié Mediapart de “blog”. Xavier Bertrand, pour sa part, a attaqué sur RTL “les méthodes fascistes” de Mediapart. Le ministre de l’industrie et maire de Nice Christian Estrosi a quant à lui fait joliment référence à “une certaine presse des années 30”. Mais la palme de la bêtise revient certainement au jeune Benjamin Lancar (président des jeunes UMP qui n’en est pas à son coup d’essai) qui est l’auteur d’une superbe fulgurance sur Twitter (vous savez, le lieu des ragots et des rumeurs) :
Du temps de Staline, il y avait les montages photo, en 2010, en France, il y a Mediapart, mené par… un trotskiste. CQFD.
Malheureusement, cet article ne sera jamais aussi complet et exhaustif que cet attendrissant livre d’or publié sur le site de l’UMP. Seul l’impayable Jean-Pierre Pernaut peut se targuer d’y arriver (attention, ça fait froid dans le dos) :
La revanche d’Internet
Jouant donc à plein sur l’idée encore tenace qu’une information publiée sur Internet est forcément sujette à caution (et comme si celles diffusées par les grands médias ne l’étaient pas), les cadres de l’UMP pourraient bien y laisser quelques plumes si l’histoire rapportée par Mediapart se vérifie de bout en bout. Et il sera alors extrêmement difficile à l’avenir de jouer la carte de la non-fiabilité d’Internet.
Ce qui est certain, comme le souligne Serge Faubert sur Electron Libre, c’est que la révélation de cette affaire par une publication en ligne “marque un tournant dans l’histoire médiatique de notre pays”. Car c’est un pure-player, né et vivant sur Internet qui (comme naguère Rue89 avec l’affaire du non-vote de Cécilia) fait son grand coming-out et impose son agenda aux grands médias généralistes. C’est d’autant plus rageant pour le camp UMP que les enregistrements divulgués par Mediapart avaient été proposés aux grand médias. Qui les avaient refusés. Peur des retombées politiques ? Auto-censure ?
En tout cas et heureusement, les médias anglo-saxons qui reprennent de plus en plus l’information, n’ont heureusement pas la défiance des pontes du parti présidentiel.
Le LA Times et CNN qualifient en effet Mediapart de “site d’investigation”, Vanity Fair de “site internet d’investigation” et le Telegraph d’un sobre “site d’information”. Le blog du World Editors Forum (sous-division de la très respectée Association Mondiale des Journaux) rappelle peut-être un peu exagérément que Mediapart est “bien connu pour ses investigations au coeur des scandales politiques français”. Éléments de langage…
Au delà d’une affaire d’Etat qui prend chaque jour plus d’ampleur et qui met en lumière les relations plus qu’incestueuses entre la politique et le monde des affaires, deux éléments se dessinent en filigrane. D’une part, une faiblesse croissante des médias traditionnels, incapables de sortir l’affaire comme le voudrait la déontologie du métier, affaiblis par la crise et dont la collusion avec le pouvoir apparaît de plus en plus évidente. D’autre part, cette affaire consacre la montée en puissance des médias en ligne.
Vers le sacre des médias en ligne ?
Mediapart sort évidemment gagnant de cette affaire (+ 5000 abonnés en quelques semaines), de quoi rassurer les banquiers du site, dont la trésorerie ne lui permettait pas une marge de manoeuvre supérieure à quelques mois. De quoi également être serein quant à l’avenir du site à plus long terme, si l’on en croit les dires de Vincent Truffy, journaliste à Mediapart interrogé sur Electron Libre :
Quand on lit les messages qu’ils [les nouveux abonnés] nous envoient, on se rend compte que les lecteurs viennent grâce à ces affaires, mais ils restent aussi parce qu’ils découvrent l’ensemble de notre contenu, notre différence. Nous vivons une véritable construction de lectorat.
Il y a en outre fort à parier qu’à l’instar du Daily Telegraph lors du scandale des notes de frais des parlementaires britanniques, le site va continuer à distiller au compte-goutte l’intégralité de ses informations.
On espère en tout cas que cette affaire va aider les médias sur Internet à se débarrasser de cette réputation de colporteurs de “ragots” et à prouver que s’y trouve l’avenir du journalisme, quoiqu’en pensent les politiques chagrins. Ce n’est à l’évidence pas l’avis de Nadine Morano, dans le 19/20 de France 3 du 6 juillet, qui nous donne une sublime leçon de journalisme :
On est arrivé dans une nouvelle forme de journalisme qui ne repose plus sur de l’information vérifiée, qui ne repose plus sur des témoignages vérifiés, sur des preuves, mais qui font seulement l’objet de calomnies, de mensonges, de ragots.
Car oui, l’article publié lundi par Mediapart repose sur un seul et unique témoignage, non-vérifié. De plus, la situation financière fragile du site laissait quelque place au doute. On pouvait alors arguer, à sa décharge, que ces déclarations avaient été faites avant l’article publié dans Le Monde de cet après-midi, qui annonce la découverte des carnets évoqués par la comptable et confirme le fait que 50 000 euros ont bien été retirés, comme expliqué par Claire T dans son témoignage à Mediapart.
Pourtant, Nadine en a remis une couche cette après-midi dénonçant avec l’élégance qui la caractérise “la collusion politico–médiatico-trotskyste”.
“Vous vous rendez compte dans quelle histoire on se trouve ?” demandait-elle dans Soir 3 mardi soir. Nous oui.. Elle ? J’en doute.
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Crédits Photo CC : Tragic Ending To A Beautiful Story, Ministère du Travail, UK Parliament.
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