La Suède, première “puissance musicale” du monde
Acteur majeur de l'industrie musicale, la Suède est pourtant inconnue du grand public et souvent omise par les professionnels. Martin Untersinger, qui y a vécu un an, a rapporté une enquête de fond. Voici l'introduction et une des interviews.
Article initialement publié sur OWNImusic. Retrouvez le dossier dans sa totalité sur 60ème parallèle, un blog créé pour l’occasion.
En 1996, un chercheur suédois montrait [en] que la Suède était, juste derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne, le troisième plus grand exportateur de musique du monde. L’année dernière, deux jeunes chercheurs américains se sont à nouveau penchés sur la question. Méthodologie différente, mais constat similaire [en] : rapportées à son PIB, les exportations musicales du pays font de la Suède la première “puissance musicale” du monde.
En 2010, un Suédois devenait [en] le premier compositeur à surpasser les mythiques Beatles, en plaçant simultanément quatre de ses chansons dans le top 100 du Billboard américain.
Depuis une petite dizaine d’années, des musiciens comme The Radio Dept, The Hives, Peter Bjorn & John, Lykke Li ou autre The Knife s’attirent les louanges tant de la presse musicale spécialisée que des blogs, et enchaînent de gigantesques tournées asiatiques, nord-américaines et européennes.
En 2002 naissait The Pirate Bay, site suédois de partage de fichiers “torrent”, devenu depuis la bête noire de tout ce que le monde compte de majors du disque. Quatre ans plus tard, c’était au tour de Spotify de voir le jour. Cette start-up de streaming musical est aujourd’hui en passe de réussir le pari fou : faire payer les internautes pour de la musique.
Ce ne sont que quelques-uns des nombreux indices qui m’ont poussé à aller voir de plus près ce qui se trame dans ce petit pays du Nord d’à peine 9 millions d’habitants. Le succès de la musique suédoise n’est-il du qu’au hasard ? À un effet de mode ? Comment peut-on expliquer un tel succès ? Est-il d’ailleurs si important qu’on le dit ?
La musique jette une lumière crue et singulière sur l’âme d’un peuple et d’une société. De toute part, on loue le modèle suédois, protecteur et efficace. Aujourd’hui, ce modèle se fissure : l’arrivée inédite de la droite au pouvoir, la montée du racisme et la remise en cause de l’état-providence sont autant de facteurs qui ébranlent ce qui faisait la Suède depuis 70 ans.
Durant deux semaines, j’ai plongé dans un pays parcouru de tensions et de soubresauts et tenté d’interroger le lien fertile entre une ville, un pays, et la musique de ceux qui les habitent. Quatorze jours d’immersion dans une des scènes musicales les plus vivantes et excitantes d’Europe, sous le 60e parallèle.
Lire le reportage dans son intégralité, sur le blog dédié.
Interview de Gunilla Norén, programmatrice musicale de l’Institut Suédois
Gunilla Norén, qui habite en France depuis 13 ans, s’occupe de tout ce qui relève de la musique à l’Institut Suédois de Paris, mais aussi des projets liés au design, ainsi que de la communication et des relations presse de l’Institut. Elle organise notamment le festival ÅÄÖ, une série de concerts parisiens entièrement dédiés à la musique suédoise.
Je coordonne le budget global et je gère la programmation en partenariat avec les salles de concert. On a fait la première édition fin septembre 2009. Le succès est allé en augmentant mais c’est normal, nos ambitions pour la première édition ainsi que notre budget étaient moindres. On a quand même eu 750 places vendues sur 900 possible. Pour la dernière édition on a demandé à deux nouvelles salles de participer, on a travaillé avec une agence de promotion, on a mis plus d’argent sur la promotion et sur la programmation. 1800 personnes sont venues en tout : 4 soirées étaient complètes, et la 5e, pourtant un lundi affichait une jauge de 280 places vendues sur 330 places possibles.
La Suède en général est en vogue depuis une dizaine d’années et les valeurs suédoises sont des valeurs qui commencent à exister en France. On trouve un miroir de la France dans la Suède. Je ne pense pas que ça va durer éternellement non plus, c’est un effet de mode. Mais depuis une dizaine d’années, la Suède est très appréciée par les Français, surtout pour sa culture contemporaine. Pas pour notre patrimoine, notre théâtre, notre architecture, on est pas comme l’Allemagne ou l’Italie qui peuvent jouer sur leurs patrimoines. Nous, nous misons tout sur la création moderne. On a certes de grands écrivains et de grands peintres, mais ils n’ont pas été aussi internationalement connus, parce qu’on était un petit pays du Nord. Aujourd’hui c’est différent, on voyage plus facilement. On était surtout un pays de paysans, avec une petite élite, une bourgeoisie très forte.
Les artistes suédois adorent Paris. La France en général, mais Paris c’est Paris! C’est très difficile de venir à Paris si on est pas soutenu. La France est connue comme un marché musical très compliqué à percer, contrairement à l’Angleterre et l’Allemagne ou on a beaucoup plus de facilité à pénétrer le marché.
Je vois que les artistes programmés en 2009 ce sont des artistes qui ont pu distribuer des CDs l’année suivante en France. Mon action n’est pas la seule raison, mais elle a participé. Ça a permis aux artistes de rencontrer des personnes importantes à Paris. Sinon il aurait fallu faire venir ces dernières en Suède.
J’ai l’impression qu’il y avait une certaine curiosité avant que je ne commence à m’occuper de la musique, il y a 3 ans. Après, ma stratégie c’est de faire de ce lieu un lieu où on sait qu’il y a une offre musicale de qualité et être un partenaire crédible pour les autres acteurs. Presque toutes les semaines il y a un concert d’artistes suédois à Paris !
Comment ça se fait qu’il y en ait autant ?
Je pense que c’est parce qu’il y a une qualité de l’offre. En Suède, on a vraiment de très très bons musiciens. La musique fait partie de notre quotidien, un peu différemment de la France. La musique est présente par tradition : à Noël, pour boire. Elle est très présente de manière générale : on est pas embarrassés si on chante mal. Les chorales à l’école, tout le monde y participait. On a des possibilités d’apprendre un instrument : tous mes amis, pourtant de classes moyennes, apprenaient un instrument. On a des cours de musique à l’école, pas seulement la flûte à bec : le piano, la guitare, la batterie, et on chantait les Beatles ! La musique fait partie de la culture en général.
En France il y a une culture générale très développée, plus développée comparativement, on apprend plein de choses. J’ai l’impression qu’en Suède on apprend plus à pratiquer. On a aussi des journées scolaires beaucoup moins longues, on a plus de temps pour les activités extra-scolaires, du coup on a le temps pour apprendre un instrument, monter son groupe de musique. Les Hives viennent d’une toute petite ville, ils disent que la raison pour laquelle on fait de la musique c’est qu’on ne voulait pas faire de sport, et dans notre ville c’était les deux seules options pour faire quelque chose.
C’est sans doute aussi parce qu’en Suède la classe moyenne est très répandue, il n’y a pas de différence entre ville et campagne comme en France.
Depuis les années 90 on a fait beaucoup de coupes budgétaires du début des années 90, notamment dans l’offre de formation musicale. Quand j’étais petite les cours d’instruments étaient totalement gratuits, maintenant ça coûte un petit peu.
Non c’est très difficile de tourner en Suède parce qu’il y a très peu de salles. C’est peut-être ça qui pousse les artistes vers l’extérieur parce qu’ils ne pourraient pas survivre avec les salles qu’il y a en Suède. On est élevés comme ça, on a l’habitude de prendre une année sabbatique à l’étranger après le bac, on part aux États-Unis pendant le lycée, on connait tous des gens qui l’ont fait. Deux ou trois de mes meilleur(e)s amis ont passé une année aux États-Unis au moment du lycée. C’est complètement normal pour nous de partir à l’étranger, découvrir le monde. Parce qu’on a pas comme la France, qui est un peu victime de son succès, les Alpes, la Côte-d’Azur, la Corse, les Pyrénées, l’Atlantique… Si nous on veut être sur d’avoir du soleil, on prévoit une semaine quelque part. Il y a cette curiosité par nécessité et aussi parce qu’on apprend des langues étrangères très tôt. On a des émissions anglaises, on a beaucoup de films d’autres pays, toute la société est axée sur l’export des produits, pour ça il faut une école adaptée.
Je ne pense pas que ce soit LE facteur, mais ça participe.
Oui bien sûr, mais par exemple, pour le Bureau Export France, il y a 50 personnes. En Suède, le même organisme n’emploie qu’une seule personne. Comparativement, on ne fait pas grand chose.
Si : je pense que le fait qu’il y ait beaucoup de musiciens, c’est en partie grâce à une politique étatique d’accès à la culture. Mais je ne pense pas que la Suède travaille beaucoup pour aider l’export. D’autres pays, c’est l’inverse, comme en France, qui aide davantage à l’export qu’à la pratique de la musique.
Peut-être. Parce que chez nous le chaos n’est pas apprécié, alors qu’ici on dit souvent que le chaos participe à la création.
C’est une question très difficile. Pour moi Phoenix est un groupe très français par exemple, mais il n’y a pas de son français. Daft Punk, c’est french-touch, mais ça pourrait aussi bien être américain ou anglais. C’est donc difficile à dire et surtout de généraliser parce que Anne Brun elle a des airs américaines, c’est très difficile à dire qu’il y a un air suédois. Si on les regroupe tous, on peut se dire qu’il y a un énorme attachement à la mélodie, qui a ses racines dans la tradition folklorique qui a toujours été très mélodieuses. C’est très attachant pour moi et on peut la retrouver dans la musique suédoise. Peut-être aussi un côté plus mélancolique, mais toute la musique suédoise n’est pas mélancolique ! Mais dans la folk ou la country américaine, c’est pas gai non plus !
Une autre caractéristique de la musique suédoise, c’est la forte présence des femmes leaders de groupe, qui est un peu plus prononcée qu’ailleurs.
Je pense que ça a fait ses preuves et que les femmes osent être celles qui créent. C’est un raccourci, je sais, mais je trouve qu’on éduque les petites filles à être celles qui prennent soin, et pas assez à elles, en tant qu’artistes, créatrices. Il peut y avoir quelque chose là dedans.
Une autre particularité qui me vient à l’esprit, c’est que il y a un créateur, une créatrice, et des musiciens autour qui changent : Nina Kinert, El Perro Del Mar, Anne Brun, Rebekka Karijord, tout ça ce sont des artistes dont le groupe change. Il y a aussi beaucoup d’artistes qui participent aux albums des autres : Ellekari, qui joue dans The Tiny, va aller chanter sur l’album d’Ane Brun, qui va aller chanter sur l’album de Nina Kinert. C’est une scène, un petit monde qui travaille ensemble.
On adore les tendances. On est très doués pour adapter, pour mettre en place quelque chose auquel on adhère. C’est très anglais aussi, quand quelque chose est hype, hop ! Tout le monde l’adopte. Alors qu’en France, c’est plus « rouillé ». mais l’effet est beaucoup plus long, c’est aussi pour ça que c’est difficile de rentrer dans le marché français. La Suède fonctionne un peu comme l’Angleterre, avec des choses très hype et la semaine d’après on est déjà passés à autre chose.
En Suède il y a un mot qui a une connotation très très positive, qui est « unsvensk ». Ça veut dire « non-suédois », ça veut dire que tu es quelqu’un de cool, de créatif, d’original. Tu sors du lot, c’est bien, quand il s’agit de ta déco, du fait que tu as un comportement qui est lié aux tabous, que tu oses dire des choses…
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Il y a quatre moyens de consulter ce reportage. Lire le long article principal, se laisser guider dans une Streetinterview ou consulter toutes les interviews réalisées…
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