Histoires iraniennes

Le 8 juin 2011

Iranian Stories est une plateforme trilingue de recueil de témoignages. Les témoins de la crise post-électorale de 2009 en Iran peuvent à raconter ce qu'ils ont vu, envoyer photos et vidéos, pour reconstituer un sombre pan de l'histoire iranienne.

Téhéran, dans la nuit entre le 12 et le 13 juin 2009. À quelques mètres de la place Fatemi, au centre de la capitale iranienne, une petite rue est noire de monde. La foule s’agite et bruisse d’une rumeur. En ce jour d’élection présidentielle, les partisans de Moussavi, candidat de l’opposition, ont la mine défaite devant l’un de ses QG de campagne. Il est minuit trente, la rumeur donne vainqueur le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad. Après une folle campagne, l’annonce assomme le groupe. Un religieux prend la parole. Il est écouté par la ruelle silencieuse, attentive, quoique nerveuse de colère. Le discours dure trois minutes. Il est acclamé par les slogans de la campagne, bientôt balayés par la première charge des forces de sécurité. En uniforme anti-émeute, un groupe de policiers fond sur les militants qui se dispersent immédiatement dans les ruelles sombres. La répression commence.

C’est ce genre d’histoire que la plateforme iranianstories.org entend récolter pour reconstituer les événements de l’été post-électoral iranien. Mise en ligne mi-avril, elle est officiellement lancée ce soir à l’hôtel de ville de Paris. Pour son fondateur, Thibault Lefèvre la révolte qui a suivi la réélection contestée d’Ahmadinejad est “la première à avoir été médiatisée massivement par ses propres acteurs”.

En plein blackout médiatique imposé par les autorités iraniennes, les manifestants ont diffusé informations et vidéos sur les réseaux sociaux. L’image la plus marquante, la mort de Neda Agha-Soltan le 20 juin, avait été filmée avec un téléphone portable avant d’être diffusée sur Youtube et reprise dans les médias du monde entier. Elle est devenue le symbole du mouvement de protestation et la figure du martyr.

Ils filment uniquement leur bouche

Iranian Stories se décline en deux modules, testify et watch, chacun disponible en html et flash. La version html est non seulement adaptée aux connexions lentes, mais elle est aussi plus sécurisée que la version flash. Et la sécurité est au coeur de la plateforme qui permet à des personnes en Iran d’envoyer leur témoignage par vidéo. Ils filment uniquement leur bouche avec un téléphone ou une webcam puis l’envoient via l’interface, disponible en français, en anglais et en persan. Ils sont aussi invités à joindre photographies, vidéos ou enregistrements sonores de l’événement qu’ils racontent.

Plus la plateforme recueillera de témoignages, plus les faits seront facilement vérifiables. Ils sont aussi recoupés par un comité d’experts composés de spécialistes de l’Iran et de journalistes iraniens. Iranian Stories propose en priorité certaines dates clés de la crise post-électorale : le 12 juin, jour du scrutin, le 15 et le 17 juin, jour des grandes manifestations etc.

Iranian Stories a obtenu 70 témoignages pour l’heure, dont 60 directement à l’issue d’une enquête. Shirin Ebadi, avocate iranienne prix Nobel de la Paix, et le célèbre blogueur Mehdi Saharkhiz ont accepté de livrer leurs analyses ou témoignages. Après vérification, validation et traduction, les témoignages apparaissent dans la rubrique Watch. Ils sont compilés dans une frise chronologique, appelée à être complétée avec les nouveaux témoignages.

Entre journalisme et activisme

Thibault Lefèvre, à l’origine d’Iranian Stories et journaliste à Radio France, a séjourné en Iran en avril et mai 2009. Il quitte le pays quelques jours avant l’élection présidentielle. À son retour en France, il compile les vidéos et cherche comment utiliser toutes ces sources brutes. Les militants pour les droits humains l’alertent sur les risques encourus pour ceux qui témoignent.

La démarche est à la croisée entre journalisme et activisme. En témoigne la composition de l’équipe:

Nous avons réuni différentes compétences autour du projet. Des journalistes, des traducteurs, des producteurs. Nous avons aussi été conseillé par des experts en sécurité informatique.

Le projet est ainsi porté par une société de production, la Boite à T, deux journalistes iraniens et deux traducteurs, l’un anglophone, l’autre persanophone. Le projet est financé par les partenaires d’Iranian Stories, parmi eux, la Ligue des Droits de l’Homme, Médiapart, Le Temps et la Fondation Beaumarchais.

La plateforme a vocation à être déclinée. En yemeni stories, iraqi stories ou syrian stories.


Crédits Photo FlickR CC by Hamed Saber

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