91 pages de documents de la DGSE sur l’attentat de Karachi
OWNI publie près d'une centaine de pages de la DGSE dévoilant les enquêtes menées par les services secrets français sur l'attentat de Karachi du 8 mai 2002.
91 pages de notes, de télex et de rapports de la DGSE sur l’attentat de Karachi, publiés ici pour la première fois, permettront à chacun de se forger une opinion sur ce que les services secrets français savent de cette ténébreuse affaire. Permettant ainsi d’explorer l’une des questions de fond du dossier : celle d’un lien entre cet attentat du 8 mai 2002 contre les ouvriers français chargés de construire des sous-marins à Karachi (où onze d’entre-eux ont péri), et le contrat d’armement à l’origine de leur présence sur place, signé près de huit ans plus tôt, le 21 septembre 1994, par le gouvernement d’Édouard Balladur.
La lecture de ces 91 pages comblera les esprits soucieux de reconstitution factuelle. En particulier, elle leur permettra de découvrir, en détail, les violentes tensions provoquées au Pakistan par le niveau de corruption sur ce contrat. Mais elle décevra les partisans d’histoires vites résumées, défenseurs de thèses définitives. Ceux-là seront frustrés d’y découvrir que la responsabilité d’Al-Qaida n’a jamais été prise au sérieux par les premiers enquêteurs. Ou que la DGSE n’a jamais rédigé, le jour de l’attentat, une note établissant un lien entre cet attentat et un arrêt de commissions décidé par Jacques Chirac dans le cadre de rivalités propres à la scène française (nous y reviendrons plus loin).
Ces pages ont été déclassifiées en plusieurs fois, et adressées au juge Marc Trévidic en charge de l’instruction judiciaire, bien souvent sans soucis de cohérence. Nous avons décidé de vous les présenter en restituant l’ordre dans lequel elles ont été rédigées, entre 1994 et 2009. Et en les regroupant dans dix dossiers chronologiques, correspondant à dix moments importants de l’affaire.
1 – Du 5 mai 1994 au 24 octobre 1997: les premières tensions au Pakistan (11 pages).
La négociation du contrat pour la vente des trois sous-marins Agosta, signé le 21 septembre 1994, fait intervenir un important intermédiaire pakistanais, Amer Lodhi, correspondant local des industriels français de l’armement. Le schéma de corruption profite en particulier à Ali Zardari – époux du Premier ministre de l’époque Bénazir Bhutto, avant de devenir plus tard président du Pakistan. Dès 1997, ces circuits financiers posent problème au Pakistan.
2 – Du 26 juin 1998 au 1er septembre 2000: au Pakistan de multiples procédures contre les bénéficiaires de ce contrat (15 pages).
Sur fonds de rivalités politiques, les militaires ayant profité des schémas de corruption pour le contrat des sous-marins sont inquiétés et poursuivis par l’administration pakistanaise.
3 – Du 8 mai au 11 mai 2002: les télégrammes adressés à la DGSE juste après l’attentat (5 pages).
Dans ce lot de documents, des sources judiciaires ont évoqué la présence d’une note datée du 8 mai 2002 faisant le lien entre l’attentat de Karachi, perpétré le jour même, et l’arrêt du versement de rétro commissions à des bénéficiaires français décidé en 1995 par Jacques Chirac. En réalité, la note où les services secrets français formuleraient eux-mêmes un tel lien n’existe pas. En revanche, il existe quatre comptes rendus de discussions, envoyés au quartier général de la DGSE entre le 8 mai et le 11 mai 2002, où des responsables politiques ou religieux pakistanais formulent leurs propres hypothèses au sujet de l’attentat. Cette liasse se lit plutôt comme un état des lieux des rumeurs sur place, recueillies peu après l’attaque terroriste. Dans ces télégrammes, un sénateur et un ambassadeur, connus pour leur hostilité envers l’Inde, y voient la marque des services secrets indiens. Et, surtout, le responsable d’une fondation islamique, farouchement opposée au président Pervez Musharraf (alors au pouvoir), y voit donc un règlement de compte anti français en relation avec des opérations de corruption au profit du même Musharraf. Sans faire aucun lien avec un arrêt du paiement de commissions ordonné par Chirac.
4 – Du 14 mai au 3 juin 2002: les premiers temps de l’enquête antiterroriste (14 pages).
Les Pakistanais tentent d’accréditer l’idée que l’attentat est l’œuvre d’Al-Qaida, ou d’un groupe venu de l’étranger. Cependant la DGSE montre, dans ses notes, qu’elle privilégie un attentat commis par des Pakistanais.
5 – Du 19 septembre au 26 décembre 2002: la DGSE reçoit les preuves des falsifications (12 pages).
La police pakistanaise interpelle deux suspects dans le dossier de l’attentat du 8 mai. Les agents de la DGSE relèvent des incohérences et surprennent les Pakistanais en flagrant délit de falsification (voir la note au sujet de la carte grise d’un présumé jihadiste).
6 – Du 14 mars au 8 septembre 2003: une évolution dans l’enquête (11 pages).
À la veille du procès des deux suspects, des services secrets français doutent toujours de leur culpabilité et s’intéressent à un important chef pakistanais, à la tête de plusieurs groupes islamistes armés, Amjad Farooqi.
7 – 28 septembre 2004: la mort d’Amjad Farooqi (5 pages).
Le 26 septembre de la même année Amjad Farooqi est tué dans une opération de police. La DGSE le présente clairement comme le cerveau de l’attentat du 8 mai 2002, mais précise qu’il n’entretient pas de lien étroit avec Al-Qaida. Des mentions blanchies dans la note ci-dessous donnent à penser qu’Amjad Farooqi était considéré comme un supplétif d’une partie des services secrets pakistanais de l’ISI.
8 – Du 7 mars au 9 septembre 2004: l’apparition tardive de l’hypothèse Al-Qaïda (9 pages).
Les interrogatoires de lieutenants d’Al-Qaïda emprisonnés à Guantanamo relancent la piste de l’organisation d’Oussama ben Laden comme responsable de l’attentat du 8 mai 2002. Mais dans ces documents, la DGSE ne règle pas les contradictions qu’elle avait elle-même identifiées pour écarter cette hypothèse.
9 – 17 février 2006: l’agrégation d’éléments disparates (6 pages).
Dans cette synthèse d’étape, la DGSE continue de pointer la responsabilité d’Amjad Farooqi tout en rajoutant celle d’Al-Qaïda.
10 – 7 mai 2009: l’acquittement des principaux suspects (3 pages).
La DGSE maintient sa version mais prend acte de l’acquittement des deux principaux suspects pakistanais. Les rédacteurs de la note rappellent les contradictions des éléments matériels recueillis par la police pakistanaise.
Crédits Photo FlickR CC by-nc-sa MichaelMKenny
Image de Une CC Elsa Secco
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