Au Tetalab Hacker Space Factory, le courant alternatif passe
OWNI était au Tetalab Hacker Space Factory (THSF), le festival du hackerspace toulousain. Nous avons rencontré des gens qui, à leur petite échelle, démontrent qu'un autre monde est possible, au quotidien. Just do it, une merguez à la main.
Nous sommes revenues cramées du Tetalab1, le festival du hackerspace toulousain. Pourtant, nous ne sommes restées que le samedi. Le réveil à 5 h 30 et la jolie chaleur qui régnait sous le hangar du collectif d’artistes Mix’Art Myrys qui accueillait l’événement n’étaient pas les principaux coupables: non, ce qui nous a exalté, happé, épuisé, c’est le bouillonnement politique qui émanait de cette seconde édition placée sous le signe du Do-It-Yourself (DIY).
Pas politique au sens partisan, mais au sens de : quelle société je veux ? Une société de consommation passive ou je gobe du produit tout prêt, d’un coup de carte bancaire ? Ou ne vaut-il mieux pas se réapproprier les outils de production, apprendre à fouiner dans les objets pour les adapter, les réparer, les récupérer ?
À l’heure où la révolution gronde dans la proche Espagne, lassée du «système», le THSF, le temps d’un atelier de soudure ou d’une conférence sur Arduino, la fameuse plate-forme électronique open source, apportait une solution aussi tangible que les objets conçus durant ce week-end à l’aide des imprimantes 3D.
Les conversations avec les participants sont denses et vivifiantes, à l’image de leurs parcours. Des festivaliers qui dans l’ensemble n’ont rien de vieux nostalgiques du Larzac: on tourne plutôt autour de 35 ans de moyenne d’âge, et à voir les ados et les enfants galoper entre un vieux fauteuil et un robot tout droit sorti de Metropolis, il est permis de croire que le courant alternatif continuera de passer.
Pour rendre compte de cette effervescence, voici une série de portraits-rencontres expresses, comme autant de mini-révolutions incarnées. Une lecture qui rendra définitivement détestables nos appartements peuplés de meubles IKEA.
Jérôme, hackable-devices: vivre de la technique éthique
La boutique en ligne de hardware open source hackable-devices (HD) est un peu aux festivals hacker ce que Renault est aux salons auto: un incontournable. John, son fondateur, était déjà venu l’année dernière lors de la première édition du THSF. Il est maintenant secondé par Jérôme, coordinateur développement.
Comme John, qui a quitté son bourgeois et lénifiant métier d’opticien, Jérôme a un parcours atypique: après un passage dans le commerce équitable, il y a vingt ans, avant que la grande distribution ne mette le grappin dessus, il a fait un tour du côté de la technique «pure et dure, Windows certifiée». Aujourd’hui, il parvient enfin à faire la synthèse en faisant de la « techno éthique, écoresponsable ».
Petite entreprise, HD espère bien évangéliser au-delà du noyau dur des hackers, Jérôme s’active dans ce sens. Aux côtés du shop virtuel, HD est en train de développer une activité de consulting en B to B.Jérôme:
Nous nous rapprochons des industriels, des collectivités locales et d’un public élargi en général.
HD se dirige vers des collaborations avec des villes en Bretagne et en Île-de-France sur la décroissance énergétique, avec des outils de monitoring de compteurs électriques. Négawatts plutôt que mégawatts. HD s’est associé sur ce projet avec les jeunes Toulousains de SnootLab, L’Internet des objets, c’est-à-dire la connexion au Net des objets du quotidien, est aussi un axe important de travail. La rentrée de septembre devrait être active…
En écumant les events hackers, Jérôme cherche à mieux connaître la communauté hacker au sens large du terme. Dans l’optique du développement de sa boîte, les Fab Labs, ces usines miniatures proposant des machines-outils pilotées par ordinateurs, sont un terrain fertile. « Nous voulons passer du stade du prototype à celui de la création digitale », explique Jérôme.
En clair, permettre aux gens de fabriquer eux-mêmes les objets en leur fournissant un «patron numérique» open source, avec cette idée primordiale de redonner aux consommateurs passifs le contrôle de la production. Le processus de fabrication passe par un décloisonnement des métiers, artisans, designers, techos, il insiste sur le mixage des compétences.
Pour conclure le programme aussi chargé qu’exaltant de Jérôme, on rajoutera la création de boutiques réelles, associant magasins et ateliers. Faire plutôt que faire faire, encore et toujours. Le stand de Jérôme est d’ailleurs entouré de MakerBots, ces imprimantes 3D open source et d’ateliers de soudure. Lui-même s’y essaye, il n’avait pas mis la main au fil d’étain depuis sa scolarité…
On fait un parallèle, en mode Cassandre, avec le commerce équitable: le DIY ne va-t-il pas se faire rattraper par le système ? Jérôme souligne une différence essentielle : acheter une tablette de chocolat équitable n’engage à rien. C’est un geste de deux secondes. Le DIY est une pratique, un mode de vie au quotidien. Nettement plus difficile à récupérer.
Massimo Banzi : « Everything has to be hackable »
Massimo Banzi [en], co-créateur des circuits imprimés Arduino [en], a un background assez étrange, selon ses propres mots : « J’ai commencé par étudier l’ingénierie électronique, et j’ai travaillé dans le logiciel pendant plusieurs années à l’international. ». Rien ne le prédestinait à être enseignant mais la proposition d’un ami au début des années 2000 lui fait sauter le pas. C’est à l’Institut d’Interaction Design d’Ivrea en Italie que Massimo Banzi se frotte à l’enseignement et à la pédagogie, et c’est là que naît le projet Arduino, en collaboration avec quatre enseignants développeurs et une bonne centaine d’élèves cobayes qui ont indirectement contribué à sa création.
Le succès d’Arduino aujourd’hui tient beaucoup à ce fondement pédagogique. Tout est basé sur le «faire». La théorie est bannie, la pratique est reine. Explication de Massimo pendant sa conférence au THSF:
Nous voulons que les gens mettent les mains dans le camboui. Nous avons conçu les circuits Arduino avec l’idée qu’un enfant pourrait s’en emparer.
Autant que les hackerspaces, beaucoup d’écoles se servent de ces circuits pour monter des projets. L’éducation, un créneau dans lequel Massimo et ses collaborateurs ont décidé d’investir. Ils lancent le 18 juin une plateforme d’échanges pédagogiques multilingue destinée aux personnes qui utilisent les circuits Arduino pour enseigner. Objectif affiché : collecter le maximum de tutoriels écrits dans un langage pédagogique, éloigné de celui des ingénieurs. Et surtout, continuer à travailler avec des écoles dans le monde entier.
Un autre atout d’Arduino est son modèle open source et sa philosophie DIY. « Ce modèle est fondamental. C’est ce qui nous a permis d’évoluer et d’embaucher aujourd’hui trois personnes à temps plein et d’autres pour des missions. » Ces circuits sont clonés dans le monde entier, de l’Inde en passant par la Chine.
Mais, selon Massimo Banzi, le géant Google ne se gêne pas non plus pour reprendre leurs inventions, comme dans le cas du Mega ADK . Tout cela ne l’inquiète pas, lui qui croit aux vertus de l’émulation et de la créativité que seuls peuvent apporter les projets sous licences libres. Pendant la conférence, Massimo présente plusieurs projets non dénués d’humour, réalisés à partir d’Arduino, comme la « tweeter plant » qui vous envoie un tweet pour vous dire qu’elle a besoin d’être arrosée… Il donne en exemple la création d’un autre module dont 80 % est en open source et le reste sous format propriétaire :
Je suis confiant en la communauté des utilisateurs. Dans moins de trois ans, le module sera à 100% open source. À chaque fois que nous enlevons des pièces sous propriété intellectuelle, les gens deviennent plus créatifs. Tout doit être hackable.
Un discours qui n’est pas sans échos avec la récente intervention de John Perry Barlow à l’eG8 forum [en] à Paris.
Massimo nous confie que c’est la première fois qu’il est invité dans un festival de hackers, bien qu’il côtoie assez régulièrement cette communauté. Tom Igoe [en], l’un des co-fondateurs d’Arduino est un membre reconnu du hackerspace new-yorkais NYC Resistor [en]. Et ajoute-il, le sourire en coin, « je ne refuse jamais un voyage en France ». L’autre date importante pour Massimo en 2011 est l’Open Hardware Summit [en] qui se tiendra à New York le 16 septembre pour lancer la version 1.0 d’Arduino et dévoiler plusieurs projets en cours…
Emmanuelle Roux : hacker l’université
À la rentrée, l’université de Cergy-Pontoise accueillera FacLab, un Fab lab qui servira d’outil pédagogique, dans le cadre d’un diplôme universitaire. Le nom résume bien la philosophie d’Emmanuelle Roux : changer le monde est à portée de mains, un discours qu’elle martèle à ses élèves, trop passifs selon elle. Comme Laurent Ricard, avec qui elle a porté le projet, cette femme qui se définit comme «sympathisante hacker» présente un profil atypique dans le milieu universitaire.
Côté pile, elle est entrepreneuse, à la tête des Clés du Net, une web agency vendéenne: un aboutissement logique quand on est tombée dans la bidouille informatique à dix ans. Côté face, elle est vacataire universitaire, en charge d’une licence développement web et web mobile à Cergy. Pas une chercheuse pur jus.
Cette passionné de l’Internet des objets a fait une heureuse rencontre voilà un an, sur les conseils de son entourage: Arduino. Elle cherchait alors à « sortir de l’écran, qui enferme ». Le lien est fait. Emmanuelle fait l”apprentissage de la plate-forme électronique, et, dès cette année, met en place un cours sur le sujet. Pas courant en France.
Elle se heurte au cloisonnement du milieu, peu habitué à la transdisciplinarité, qui lui rentre dans le choux. « J’avais besoin d’étain, il n’y en avait pas chez nous, j’ai dû aller en chercher à l’étage en dessous en robotique, je l’ai découvert à cette occasion, on n’aurait pas eu l’idée de nous mettre en relation…» Encore balbutiant, ce cours a déjà abouti de façon concrète: les élèves ont connecté un objet à un programme en Flash.
Preuve que le milieu universitaire n’est tout de même pas si fermé, «on est financé par une faculté, c’est bien qu’on a convaincu. J’ai eu de la chance de tomber sur la bonne personne qui nous a montré de bonnes personnes», avance-t-elle pour expliquer ce que l’on pourrait appeler un hack d’université.
Si Emmanuelle est venue THSF «pour le plaisir», ses MakerBots sous le bras, les discussions avec les acteurs du milieu lui permettent de repérer au passage des intervenants pour sa licence. «Ils sont là, sous le hangar» : loin des théoriciens, elle cherche des praticiens, aux marges du système actuel. «John, typiquement, ferait un intervenant intéressant.» De là à voir se multiplier ce type de projet… La France attend encore son Neil Gershenfeld, on est en retard, « bien sûr », conclut-elle dans un sourire.
Heureux qui comme Alexandre Girard a fait la connexion entre Paris et l’Espagne
Lorsqu’il a créé le Tetalab en 2009, Alexandre Girard, un jeune développeur web, voulait montrer qu’entre les hackerspaces parisiens et ceux d’Espagne, il existait aussi des fans de bidouille. La première édition avait été placée sous ce signe franco-espagnols. Deux ans après, la connexion est définitivement faite, comme en témoigne la présence notable d’Espagnols, dont Lord Epsilon et d’Alex, les fondateurs du réseau social alternatif LOREA (voir ci-dessous). Créer très vite un festival était une évidence: après être allé au PHSF, le festival du premier hackerspace français le Tetalab, le Tetalab a appliqué « le principe du copié/collé », explique-t-il. Soit des ateliers, des conférences, des concerts, des performances et de la tambouille maison.
Du bar où il officie, Alex voit défiler le monde, déjà plus que l’année dernière. On trouve bien sûr la vingtaine de membres du Tetalab, dont les hommes sont pour l’occasion reconnaissables à leurs moustaches dignes des joueurs de foot de feu la RDA, ce sera du feutre pour les filles. « Nous comptons pas mal de jeunes, dont des pères de famille, précise-t-il. Par exemple ce soir, le fils de Sylvain fera du vidéomapping sur la façade. Il y a aussi des geeks, venus en famille. » Les autres hackerspaces français ont aussi fait le déplacement : le tmp/lab leur a rendu la pareille, Alex Korber et Ursula sont ainsi venus avec leur usinette, et un début de fraiseuse numérique, faite maison, une sorte de IKEA-killer ; le jeune ElectroLab, etc ; et de l’autre côté des Pyrénées, donc, entre autres, Hacktivistas [es].
Le mètre quatre-vingt-dix affable, Alex représente bien cette nouvelle génération de hackers, qui ne rechigne pas à sortir de l’ombre pour échanger sur la philosophie qui anime le groupe. Qu’ils fassent autant de travaux en lien avec l’art illustre bien cette tendance : «on a envie de montrer ce type de projet». Mais de là à s’institutionnaliser, il y a un pas que ces pieds chaussés de Vibram Fivefingers n’est pas près de franchir.
Lorea: «Les réseaux sociaux doivent être libres et non commerciaux»
Face aux géants des réseaux sociaux Facebook et Twitter, le positionnement et la philosophie de Lord Epsilon et Alex, fondateurs de Lorea sont clairs : « Les réseaux sociaux et Internet, c’est nous : la société civile doit se les réapproprier. Le réseau social est un outil qui vient de la société civile. » Lorea[en] est un réseau social libre créé en Espagne en 2008 par une communauté de hackers dont Lord Epsilon, 1m90, habillé de noir et la tchatche facile, et Alexandra, dite Alex, petite blondinette à l’air sérieux. Sur la scène du Tétalab, nous sommes loin du discours langue de bois de Mark Zuckeberg à l’eG8.
Lorea est un outil non commercial, à l’opposé de Facebook, fait par et pour la communauté et dont le but n’est pas de faire de l’argent ou de collecter des données pour les revendre à des tiers.
Les réseaux sociaux commerciaux ne respectent pas la vie privée, leur fonctionnement est opaque, ils bénéficient d’une certaine impunité juridique et leur culture de « l’honnêteté »2 par opposition à l’utilisation des pseudos rappelle fortement 1984 d’Orwell, résument nos deux activistes espagnols.
Alex et Lord Epsilon militent depuis des années pour un web social libre, dans la veine de l’open source et du respect de la neutralité du réseau « Actuellement, il n’est pas possible d’échanger entre MySpace et Facebook », s’agace Alexa sur la scène du Tetalab. En effet, pour échanger avec sa communauté, ses amis ou sa famille, il faut se créer un profil sur chacune des plateformes de ces réseaux sociaux, commerciaux.
Epsilon s’enflamme : « Lorea signifie “fleur” en basque, et nous espérons construire un champ du savoir entre les communautés, comme les abeilles qui viennent butiner de fleurs en fleurs, pour le disséminer à travers les cultures et les réseaux. Métaphoriquement, nous sommes un rhizome. » Applaudissement dans la salle. Ils restent lucides et prudents, admettent jouer le jeu de Twitter ou Facebook en les utilisant à fond dans certains cas, comme récemment, pendant les événements de la #spanishrevolution. Cependant, il se passe d’autre chose, ailleurs sur le web, où la résistance s’organise contre les ennemis de la neutralité du Net. Le petit réseau social alternatif a gagné des dizaines de milliers d’adhérents depuis les manifestations du 15 mai en Espagne.
Lorea sera de tous les rassemblements de hackers cette année et participera au Federated Social Webforum [en] de Berlin début juin où le thème des réseaux sociaux libres sera débattu. Organisé par le consortium W3C, ce dernier a récemment ouvert un groupe de travail sur l’interconnexion entre les réseaux sociaux, à la grande satisfaction d’Alexa et de Lord Epsilon.
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Photos : Ophelia Noor [cc-by-nc-sa–] /-)
Affiche en Une de Stéphane Jungers téléchargez-la !
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