FN-Fdesouche: les liaisons heureuses
Depuis 2006, le site fdesouche.com est devenu incontournable dans la fachosphère. Il est maintenant largement convoité par les dirigeants du Front National et sert de relais à ses idées. Analyse de David Doucet.
« Fdesouche, c’est un média à part entière » confiait Marine Le Pen en début de semaine1. Et pour cause : en cinq ans, ce blog est devenu une véritable institution du Front National…
En arrière-plan de cette tête de gondole de la réacosphère française, une histoire fantasmée (de Vercingétorix le Gaulois à Brigitte Bardot) et une réécriture vindicative du présent. Les cyber-Français « de souche » ne se contentent pas d’investir la toile : ils cherchent à imposer leur « vision du monde »…
On ne présente plus François de Souche. C’est la vedette. L’étoile. La star.
Lorsqu’Emmanuel Ratier accueille le blogueur à Radio Courtoisie, il n’est pas avare de compliments. L’essayiste et animateur proche des milieux nationalistes n’est pas le seul à tenir en haute estime le cyber-gaulois. De Marine Le Pen à Bruno Gollnisch, tous les ténors de la droite nationale s’y référent.
Une institution
Rien ne prédestinait pourtant Fdesouche à devenir une institution de la mouvance nationale. Dans l’une de ses premières interviews, accordée à la RBN (webradio nationaliste), le blogueur explique qu’il s’agissait au départ d’un espace personnel, censé narrer « les pérégrinations d’un Français de souche dans le Paris occupé ». (Écoutez le fichier audio)
Le tournant a lieu en 2006, lorsque le blog s’attaque au « décryptage de l’actualité ». Au fil des années, son rythme élevé de publication et l’utilisation intensive de la vidéo font grimper en flèche l’audience du site (300.000 utilisateurs/mois selon Google Adplanner). Fdesouche devient une plateforme participative, dans laquelle tous les lecteurs sont amenés à devenir « acteurs de la ré-information ».
Multipliant ses relais sur le terrain, Fdesouche parvient à sortir plusieurs vidéos polémiques qui cristallisent l’attention des médias : l’agression d’un professeur à Porcheville, des vidéos d’incidents à la Techno Parade et surtout une scène d’agression dans un bus parisien en avril 2009. « Avec cette séquence, Fdesouche a forcé la porte des médias traditionnels » selon Bruno Larebière, directeur de publication de Novopress, l’autre gros site d’information de la blogosphère identitaire.
Fdesouche devient alors un catalyseur de buzz sur la toile, mais également une source d’inspiration pour les dirigeants du FN. Caroline Monnot, journaliste au Monde qui gère le blog Droite(s) extrême(s), explique que « Marine Le Pen utilise Fdesouche pour capter ce qui interpelle son électorat ». La preuve en est donnée en septembre 2009 lors de l’affaire Frédéric Mitterrand : Marine Le Pen réalise un gros coup médiatique grâce aux informations divulguées six jours auparavant par Fdesouche.
Qui se cache derrière ce blog ? La question continue d’agiter les médias, même si les enquêtes de Rue89 puis du Post ont en partie dissipé le mystère. Trentenaire et patron d’une entreprise de communication, cet ancien militant du Front National qui vit en région parisienne tient à conserver son anonymat. Je suis malgré tout parvenu à entrer en contact avec lui par téléphone. Visiblement surpris et plutôt inquiet, “François” m’invite à lui écrire un mail et m’indique qu’il ne souhaite pas « répondre aux questions personnelles, (…) Fdesouche étant un site collectif, participatif. (…) A l’inverse des thèmes que nous traitons, nos personnalités n’ont pas de raison de présenter un quelconque intérêt pour vous ».
Jean-Yves Camus, politologue et chercheur associé à l’IRIS, abonde dans ce sens :
Ce qui est intéressant sur Fdesouche, c’est moins son origine que les raisons de son succès.
Pour avoir écouté la totalité des émissions auxquelles il a participé sur Radio Courtoisie, je ne peux que souscrire à ce constat. “François” n’est pas un grand théoricien. Plutôt fier de son audience, il se contente de répéter en boucle l’histoire de son blog. Roule t-il pour le Front National ? Il serait bien difficile d’y répondre, même si, comme il le reconnaît en 2008, sa sympathie va en premier lieu vers le FN. (Écoutez le fichier audio)
Au Front National, le sujet est d’ailleurs tabou, et on dément tout « lien de filiation » avec le héraut nationaliste. Au téléphone avec Julien Sanchez, webmaster du site du Front National, ce dernier est plutôt gêné par mes questions et « refuse de commenter » l’éventuel passé de militant de “François”. Il reconnaît toutefois que « le Front lui envoie parfois des articles par mail qui peuvent l’intéresser ». Georges Moreau, membre du comité central du FN en charge de la communication interne, préfère quant à lui parler d’une « impersonnalité active et indépendante, qui diffuse la bonne parole nationale ».
Pour les primaires du parti, Marine Le Pen et Bruno Gollnisch passeront devant la caméra du blogueur, devenu incontournable. Plusieurs sources indiquent par ailleurs que François est souvent sollicité par des personnalités du FN, en raison de son expertise sur le web. Difficile d’obtenir plus de précisions, mais au fond l’important n’est pas tant de savoir si Fdesouche est téléguidé par le FN que de comprendre comment il a réutilisé les recettes du FN pour devenir le « premier blog de la diaspora des descendants de gaulois…»
Le tour de force politique de Jean-Marie Le Pen est d’avoir réussi à fédérer un ensemble hétéroclite de groupuscules nationalistes, autour d’une promesse simple : « celle d’un retour hyperbolique, celui du passé dans le futur. Donner à voir un changement possible, un refus à l’œuvre, un combat en cours » comme l’explique brillamment le sociologue Erwan Lecœur dans son livre consacré au Front National.
« Identité, insécurité, immigration »
Fdesouche emploie la même tactique en récitant une partition monochromatique : Identité, Insécurité et Immigration. Comme il le dit lui-même dans une interview accordée à Radio Courtoisie : « nous avons évité les sujets qui clivent ». Malgré la vision ethno-différencialiste qu’il développe, le blogueur ne prend jamais parti entre les différents courants de la mouvance nationale, et se contente de relayer les différentes tribunes des uns et des autres. Face à une droite nationale divisée sur le terrain politique comme sur la toile, Fdesouche a compris que l’islam était le dénominateur commun le plus efficace pour faire de sa gazette le navire amiral de la blogosphère identitaire et nationaliste. Sur d’autres sujets obsessionnels de l’extrême-droite, comme celui du sionisme, Fdesouche ne prend pas le risque de froisser son lectorat et préfère botter en touche, quitte à recevoir les foudres d’un Alain Soral qui juge le blog trop timoré.
À l’image du Front, qui représente aux yeux de nombreux militants frontistes une véritable famille d’adoption, Fdesouche n’est pas un simple blog : c’est une plateforme communautaire et participative. Le coté défouloir raciste mis à part, les commentaires sont l’occasion pour les visiteurs de retrouver leurs semblables, délivrés par la magie du réseau de tout sentiment de culpabilité. Quentin, lecteur assidu du blog, déclare ainsi :
Je suis arrivé sur Fdesouche non sans quelques réticences, voire avec de la culpabilité au début. Je suis aujourd’hui satisfait de constater que j’ai brisé les dogmes qui m’empêchaient de voir la réalité telle qu’elle est.
Le facteur d’émulation est très fort sur Fdesouche. Selon Bruno Larebière, ce blog répond à un besoin : il « sert de soupape de sécurité ». Il observe ainsi « beaucoup de discussions la nuit, beaucoup d’ennui aussi. Ils se lâchent dans les commentaires et les espaces de discussion. Ils pourraient le faire ailleurs ». Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême-droite, aboutit à la même conclusion lorsqu’il parle de « soupape de compensation ». Les différents animateurs du blog jouent de ce sentiment d’appartenance pour faire réagir la communauté. Depuis plus de deux ans, il n’y a quasiment plus de tribunes libres, l’éditorial a disparu, au profit d’une revue de presse biaisée et axée sur le triptyque : immigration-islam-insécurité. Il n’y a bien entendu aucune hiérarchie de l’information : une dépêche concernant une personne d’origine maghrébine suspectée de braquage sera par exemple traitée au même niveau qu’un débat sur le multiculturalisme allemand. (Écoutez le fichier audio)
Dans son déballage de faits bruts, Fdesouche cherche à se dé-responsabiliser, mais surtout à promouvoir sa pseudo-objectivité. C’est pour cette raison que le site recourt systématiquement au format vidéo, l’une des clés de sa réussite. François de Souche l’explique assez bien lors d’une émission à Radio Courtoisie :
Nous avons été les premiers à nous en servir politiquement à ce point là. (…) Les personnes rentrent du boulot, elles n’ont pas envie de lire des textes très compliqués ou de grandes thèses. Elles arrivent sur notre site et peuvent en dix minutes regarder les différentes vidéos. (Écoutez le fichier audio)
Fdesouche fait ainsi office d’observatoire de toutes les séquences concernant l’immigration ou l’islam, surfant sur la pensée « zapping » de sa communauté et sur ses vieux réflexes pulsionnels. L’objectif ? Formater les consciences, les doter d’une « nouvelle grille de lecture » afin qu’ils soient capables « de relire l’actualité autrement ». (Écoutez le fichier audio)
Comme l’explique dans son livre l’historien Marc Ferro, la vidéo est un « format idéal pour s’adonner à une contre-analyse de la société, puisqu’elle a pour effet de déstructurer ce que plusieurs générations d’hommes d’État, de penseurs avaient réussi à ordonner en un bel équilibre. (…) La caméra révèle le fonctionnement réel de ceux-là, elle dit plus sur chacun qu’il n’en voudrait montrer. Elle dévoile le secret, elle montre l’envers d’une société, ses lapsus. » Et si cela ne suffisait pas, Fdesouche tronque parfois les séquences vidéos comme pour mieux les formater. Le journaliste John-Paul Lepers avec son documentaire sur « la peur de l’Islam » en a récemment fait l’amère expérience.
Révéler la vérité dissimulée
Les médias justement, parlons-en. À défaut de pouvoir défiler dans les rues à l’instar du GUD, Fdesouche s’emploie à intimider des journalistes pour donner de la consistance à son action militante. Par mail, l’intéressé s’en défend :
Nous n’avons pas vocation à être des justiciers, et nous nous contentons de présenter à nos lecteurs des faits bruts.
Pourtant, l’adresse d’une journaliste a été jetée en pâture il y a encore quelques semaines, occasionnant des menaces téléphoniques.
Dans la novlangue « desouchienne », les médias sont les ennemis auto-désignés puisqu’ils n’ont de cesse de « cacher la vérité aux Français » (alors que Fdesouche la leur révélerait). Dans les faits, les blogueurs de Fdesouche tirent habilement parti de la frilosité des médias à s’emparer d’affaires qu’ils ont parfois eux-mêmes dénichées. L’affaire du bus en avril 2009 met ainsi plus de six jours à éclater dans les médias traditionnels. Pour celle concernant Frédéric Mitterrand, il faudra compter trois jours. Les blogueurs nationalistes profitent de ce « malaise médiatique » pour mettre en scène leur hagiographie. En réalité, comme l’explique Jean-Yves Camus :
Il n’y a pas de problème d’autocensure sur les thèmes touchant à l’immigration ou à l’islam. La campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 et les débats sur le voile ou sur l’identité nationale ont fait sauter les derniers tabous qui pouvaient subsister.
Le problème tient plus selon lui à « la représentation scientifique à la télévision, dans la mesure où les médias ont dû mal à retranscrire des analyses fines, qui en raison de leur complexité demandent du temps, comme sur les questions touchant à l’islam ou à l’intégration. »
Volontairement ou non, consciemment ou pas, Fdesouche est devenu un ballon sonde pour le FN. Ayant réussi à fédérer la mouvance nationale sur la toile, l’objectif est désormais de la dépasser. De proposer leur identité collective et communautariste comme une réponse à la « crise du sens qui touche notre société ».
Lors d’une interview accordée à RadioCourtoisie, François Desouche défend et justifie cette stratégie de normalisation devant un Emmanuel Ratier quelque peu déboussolé :
Nous, on ne se définit pas idéologiquement, on est dans un principe de revue de presse, de mise à disposition de l’information (…) On veut que ce soit nos lecteurs qui se fassent leur propre opinion. Donc plus ça va, moins on se définit idéologiquement. (Écoutez le fichier audio)
Dans une émission enregistrée un an plus tôt, le discours très policé du blogueur avait déjà fait pousser des cris d’orfraie au président du Club de l’Horloge Henry de Lesquen, qui avait eu cette phrase assez révélatrice :
Décidément, vous avez intégré le politiquement correct, vous !
Passage obligé pour « devenir un média capable de concurrencer les autres sites d’information » ?
En 2008, lors d’une soirée organisée par Fdesouche à laquelle assistait Marine Le Pen, le blogueur confiait vouloir transformer son blog en « Rue89 de droite ». Ce n’était pas une phrase en l’air puisque Fdesouche s’est beaucoup inspiré du « site d’information à trois voix » – approche participative, fidélisation de la communauté, essaimage : à l’instar d’Eco 89, Fdesouche possède également son site consacré à l’actualité économique, Fortune.
Quand elle est invitée à en parler, Marine Le Pen ne cache désormais plus son admiration. Selon Georges Moreau, membre du comité central du FN, le site a pris tellement d’importance que c’est désormais Marine Le Pen qui tente de séduire Fdesouche et non l’inverse.
Elle est habile, elle cite souvent Fdesouche à la télévision pour être reprise sur le blog et améliorer son capital sympathie.
Selon lui, Fdesouche est devenu un enjeu majeur pour le Front, « aujourd’hui, il n’y a pas un adhérent du FN qui ne va pas sur Fdesouche. (…) Le succès du Front et celui du blog sont intimement liés…»
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Article initialement publié sur Reversus sous le titre : “Fdesouche, la tête chercheuse du Front National”
Sources audio : Radio Courtoisie (2009-2010)
Crédits photo FlickR by-nc-sa louisa_catlover / by-nc-sa cfarivar
Retrouvez notre dossier sur la fachosphère :
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Crédits de Une : Marion Boucharlat et François Prosper
- ndrl : en octobre dernier. Cet article a été écrit le 28 octobre 2010, mais n’a pas pris une ride depuis [↩]
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