L’open data, made in Rennes
Comment peut-on utiliser les données libérées par Rennes? Quelques exemples sortis du concours de la communauté urbaine comme une appli pour aider les handicapés à se déplacer dans la ville ou une autre pour comparer les points forts des quartiers.
Le concours de développement de services et d’applications, initié par Rennes Métropole suite à l’ouverture des données publiques sur le territoire vient de s’achever. Un premier point d’étape s’impose sur les 43 applications et services qui ont participé. Au-delà des exemples de See.Click.Fix et de “Where does my money go?” – deux réalisations des pionniers anglo-saxons de l’open data-, quelles sont les réalisations ici, en France ?
A l’origine, c’est l’histoire d’un jeu de données, l’un parmi la centaine qui ont été mis à disposition des développeurs. Ce jeu de données s’appelle “emplacement des trottoirs surbaissés”. C’est un fichier de 80 000 points qui recense tous les trottoirs surbaissés de Rennes et leur emplacement.
Un trottoir surbaissé cela peut correspondre à une sortie de véhicule (“un bateau” comme on le nomme dans le langage courant), mais aussi à un passage piéton aménagé pour les personnes en fauteuil roulant. Ces données sont utilisées par les services techniques de la ville, pour les travaux de voirie notamment.
L’emplacement des passages piétons ne figure pas dans les jeux de données ouvertes. Deux développeurs indépendants ont toutefois pu déterminer l’emplacement de 4000 passages piétons, à l’aide des photographies aériennes (orthophotos) qui, elles, faisaient aussi partie des données libérées.
En combinant la donnée “brute”, un vrai travail d’enrichissement et en mixant ces données avec des points d’intérêt spécifique (arrêt de bus accessibles, surfaces podotactiles), ces développeurs ont pu proposer un service de calcul d’itinéraires pour les personnes à mobilité réduite. Leur service, handimap.org est accessible en ligne et sur mobile et figure parmi les lauréats du concours.
Cet exemple illustre – sous un angle différent de celui de See.Click.Fix – tout l’intérêt de la démarche d’ouverture des données: les usagers disposent d’un service qui n’existait pas – et qui n’aurait sans doute jamais vu le jour sans ce concours-, la collectivité voit sa donnée utilisée et enrichie par des tiers et les développeurs ont pu tester et mettre en Å“uvre une approche originale et prometteuse.
Une grande majorité des applications se sont concentrées sur la thématique du transport et de la mobilité urbaine; les données “vélo” ont été les premières ouvertes (bien avant le lancement du concours), les jeux de données comprennent un grand nombre de modes de déplacement (vélo, bus, métro, parcs-relais de stationnement, …), l’orientation “apps mobiles” du concours a par ailleurs dû contribuer à orienter les développeurs vers cette thématique.
Beaucoup d’applications sur la mobilité dans la ville – dont plusieurs lauréates du concours : Go2Rennes, Transports Rennes, EoCity, … – mais avec souvent des approches différentes: l’un aura privilégié la diversité des modes, l’autre fournira un calcul précis du Co2 économisé en utilisant le vélo (Vélo Rennes). Un dernier enfin (ParkingGuru) vise à faciliter le stationnement dans le centre-ville.
On peut aussi repérer des services à vocation touristique (promenades en réalité augmentée), récréative ou même sportive. Partager des itinéraires favoris, découvrir des lieux de sortie un samedi et les parcours d’entraînement pour les adeptes de la course à pied le dimanche …
Un open data ni de droite, ni de gauche
Lors d’une récente intervention à la Cantine numérique rennaise, Valérie Peugeot soulignait les deux grandes catégories d’arguments utilisés pro-open-data; une approche économique (facteur d’innovation, création de services, amélioration de la vie quotidienne, contribution à l croissance, création d’emploi, …) et une approche politique (faire émerger de nouvelles connaissances, et enrichir les biens communs de la connaissance, gagner en efficacité pour les administrations, la citoyenneté par la transparence et l’accountability, participer de la qualité démocratique, …).
Je m’interrogeais dans un article précédent sur l’orientation politique de l’open data. A première vue, on peut se dire que cet open data là , celui qui a été révélé par le concours, n’est ni de droite ni de gauche, il est utilitariste.
Ce foisonnement de services utiles pour les habitants de la ville et ceux de passage est de nature à rassurer les élus et les collectivités qui s’engagent avec plus ou moins de prévenance dans une démarche territoriale d’ouverture des données. Le bénéfice “usagers” est clair : en ouvrant les données on favorise l’émergence de services (utiles) qui n’existaient pas.
N’est-il pour autant jamais question de politique dans les services présentés ? Un contre-exemple est celui proposé par Urbanility.
Le site propose une autre approche de la ville: en tapant une adresse dans le moteur de recherche, vous trouverez une vision succincte des “points forts” et “points faibles” du quartier. La logique utilisée est celle de la proximité – existe-il un espace de jeux pour les enfants dans un rayon de 250 mètres autour de votre domicile ? Pour les commerces (donnée qui ne figure pas dans le jeu de données), le développeur a utilisé les annuaires de Yahoo Local France.
Le plus intéressant dans cette approche, et ce qui est aussi le plus politique, c’est le retraitement qui a été utilisé pour classer les points forts et les points faibles. Le service recalcule la distance moyenne de chaque point de la ville à un commerce particulier, par exemple une boulangerie. Si vous habitez à 85 mètres d’une boulangerie mais qu’en moyenne pour les adresses de Rennes possédant une boulangerie proche de chez eux cette distance est inférieure, Urbanility considérera que votre adresse est moins bien “fournie”.
Pourquoi est-ce politique ? Parce qu’en choisissant ces critères de classement, le développeur opère une mise en avant de la réalité de la ville, il utilise des données objectives et leur apporte sa propre subjectivité – il reconnaît d’ailleurs le côté “work in progress” de sa démarche. Une telle mise en lumière aurait d’ailleurs tout aussi pu s’opérer sur les données transport; aucun développeur par exemple ne s’est intéressé aux statistiques de fréquentation des stations de vélo en libre-service.
Peut-être que les jeux de données libérés n’orientaient pas vers un usage plus politique. La ville de Rennes et Rennes Métropole viennent d’annoncer la poursuite de leur programme open data avec les données budgétaires – nous pourrons voir prochainement le type de services et d’applications qui les utilisent.
Le retour de la figure du pro-am ?
Deux tiers des participants sont des particuliers. Ils sont lycéen, étudiant ou ingénieurs. Ils ont en commun de bien maîtriser l’outil informatique, par métier ou par passion. La plupart sont des salariés des grands groupes d’informatique ou de télécommunications, mais qui ont poursuivi un projet personnel – il est amusant de noter que peu d’entre eux développent des services mobiles dans le cadre de leur emploi. Ils ont plutôt des spécialisations autour des grands systèmes d’information ou des systèmes de facturation (billing & ticketing).
Les entreprises participantes vont de la start-up locale à la société de services en informatique. D’autres viennent de Paris, de Lyon … ou de Strasbourg – on voit bien une illustration du “first-mover advantage” pour l’organisateur du concours.
D’un point de vue technique, un tiers environ des services sont accessibles sur le web, un deuxième tiers pour les téléphones Android et un dernier tiers pour toutes les autres plate-formes dont l’iPhone. Une part importante d’Android à mettre en relation avec la forte participation des particuliers à cette compétition.
De l’open innovation plutôt que de l’open government ?
Il y a un intérêt dans la démarche, au-delà du résultat lui-même.
Toutes les parties prenantes du processus – les services de la collectivité, les élus, le délégataire de service public de transport, … – auront pu faire l’expérience concrète de l’innovation ouverte.
Les échanges furent nourris sur les forums de développeurs, avec souvent de l’entraide et du partage de connaissances. Les ateliers physiques ont permis de faciliter les rencontres entre les développeurs et ceux qui ont accepté de libérer leurs données.
Une rencontre qui aura aussi permis de confirmer l’une des bases de l’open innovation à savoir qu’il y a des gens hors de l’organisation (collectivité ou entreprise) qui sont capables d’apporter des bonnes idées et des propositions de réalisation. C’est peut-être aussi l’un des premiers bénéfices de cette expérience open data qui se poursuit aujourd’hui. Moins flashy que See.Click.Fix mais tout aussi intéressant…
Le concours n’était que la première étape d’une démarche qui est maintenant lancée, démarche qui a suscité des attentes aussi bien de la part des développeurs que des détenteurs de données. A suivre !
>> Montage Photo utilisant FlickR suzannelong et Christophe Porteneuve
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