L’Open Data: une idée de gauche?

Le 4 octobre 2010

Le mouvement d'ouverture des données publiques peut-il être situé sur l'échiquier politique classique? C'est la question à laquelle cet article essaye de répondre.

L’ouverture des données publiques est un sujet d’actualité, en particulier à l’heure où des collectivités comme Rennes Métropole se lancent dans des projets concrets. Le sujet reste pourtant souvent traité sous l’angle technologique, juridique (licences) ou économique. On pourrait laisser croire que l’Open Data n’est pas une question politique, qu’elle ne relève d’aucune idéologie. Qu’en est-il véritablement ? L’Open Data est-il plutôt une idée de gauche ou de droite ? Peut-on placer cette idée sur l’échiquier politique ?

Pour comprendre la dimension politique de l’Open Data, il faut aller de l’autre côté de l’Atlantique. L’ouvrage collectif  “Open Governement : collaboration, transparency and participation in practice” regroupe les contributions des penseurs de ce mouvement, issu de la sphère Internet et technologies. Ils ont profondément inspiré la campagne présidentielle d’Obama.

Une contribution majeure « Government as a platform » est rédigée par Tim O’Reilly, l’éditeur-auteur-penseur américain à qui l’on doit le terme de Web 2.0.

Pour résumer son propos : l’Open Government – dont l’Open Data est l’un des piliers – ce n’est pas utiliser les techniques du Web 2.0 (participation, réseaux sociaux, …) pour gérer les affaires publiques, c’est avant tout une démarche de ré-invention et de retour aux sources. Il propose une analogie avec le web des années post-bulle Internet, où le secteur paraît dévasté et incapable de se relever. A l’époque, la Silicon Valley opère un retour aux fondamentaux de l’Internet, à son « ADN primitif » c’est à dire un réseau d’égal à égal, avec une certaine symétrie entre  « producteur » du contenu et « consommateur » (d’où aussi l’expression de Read/Write Web).

Ré-inventer l’action publique

Ce qui définit l’Open Government ce serait donc d’une part le constat d’une défaillance du mode de gouvernance (le fameux »Washington is broken » d’Obama) et d’autre part le nécessaire travail de ré-invention de l’action publique. Or, poursuit O’Reilly, l’Etat trouve sa légitimité dans le fait qu’il  y a des problèmes qui sont mieux traités au niveau collectif plutôt qu’individuel. Il cite d’ailleurs l’un des pères fondateurs de la nation américaine qui voulait faire de chaque citoyen américain un participant à l’action politique « tous les jours et pas uniquement le jour de l’élection ». (Sur l’influence toujours présente de la pensée des pères fondateurs dans le débat américain, lire aussi l’ouvrage de la correspondante du journal Le Monde Corinne Lesnes « Aux sources de l’Amérique »).

L’Open Government a pour programme d’appliquer aux affaires publiques les principes au coeur du mouvement Open Source (ouverture, collaboration de pair-à-pair vs. hiérarchie, …). Le mouvement Open Government a profondément influencé la campagne d’Obama que l’on présente d’ailleurs parfois comme le premier « We President ».

Alors, pour revenir à notre question initiale, l’Open Data, en France, est-il plutôt une idée de gauche ou de droite ?

De la gauche, l’idée d’Open Data reprend la notion de démocratie participative, de capacité du citoyen à participer à la décision publique, de notion de bien commun, de décentralisation. De la droite libérale, l’Open Data reprend la volonté de ne pas laisser à l’Etat (sous toutes ses formes) le monopole des questions et des »réponses » publiques. On retrouve aussi la croyance en la capacité du marché et du secteur privé à assumer certaines fonctions de l’État – et de quoi parle-t-on lorsqu’on donne la possibilité au secteur privé de développer des applications et services que la collectivité ne peut ou ne souhaite pas développer ?

L’Open Government donne des outils – au premier rang l’open data – pour mesurer l’efficacité de l’action publique. On connait l’exemple du site See, Click, Fix qui permet de signaler un problème de voirie par exemple. Comme le soulignent les auteurs de la contribution « The Dark Side of Open Government » dans l’ouvrage précité, cette transparence et cette exigence de rendre des comptes (accountability) surexposent mécaniquement les défaillances et les limites de l’action publique, plutôt que les réussites ou le travail réalisé. Autre point-clé, l’open data concerne aujourd’hui essentiellement les données issues du secteur public. C’est donc sur le secteur public que la pression de la transparence est mise. Et quid de l’influence du secteur privé sur nos vies quotidiennes ? Les entreprises ne détiennent-elles pas des données dont le partage serait profitable à tous ? Les opérateurs de télécommunications par exemple, disposent de données anonymes précises sur la fréquentation des quartiers de la ville, sur le trafic sur les grands axes routiers, … Autant d’éléments pour mieux comprendre et améliorer la ville. On pourrait se poser les mêmes questions  concernant les fournisseurs d’énergie, les entreprises de collecte des déchets, …

Un Nicolas Hulot pour l’Open Data français ?

J’ai entendu récemment qu’il manquait à l’Open Data en France une figure politique majeure, quelqu’un qui s’empare du sujet et en devienne le porte-drapeau. Que cette « incarnation » soit indispensable à la prise de conscience politique, on peut en débattre. Le risque de voir la démarche associée à une couleur politique est-il moins fort que les gains à attendre ? L’exemple de la Grande-Bretagne est intéressant. Sous la pression du lobbying public – initié notamment par la campagne du Guardian – les principaux candidats aux dernières élections législatives se sont engagés en faveur de l’ouverture des données publiques.

Force est de constater pourtant que la notion de participation citoyenne n’est pas en ligne avec la volonté affichée au niveau national d’un pouvoir et d’un État fort et centralisateur.

L’Open Data est peut-être un objet politique non identifié au milieu des traditionnels clivages droite/gauche. Cela pose en fait la question du troisième acteur qui n’est ni l’État, ni le marché : le citoyen.

Le citoyen est-il jugé assez « compétent » pour prendre part à la décision et, in fine, à l’action publique ? L’Open Data pourra-t-il contribuer à l’émergence d’un nouveau rapport au politique ? En a-t-il l’ambition et les moyens ?

@schignard

Article initialement publié sur le blog de l’association Bug

Illustration CC FlickR opensourceway


Laisser un commentaire

Derniers articles publiés