Loppsi: avec ou sans juge ?
Évacuée sans ménagement lors de la discussion de l'article 4, l'autorité judiciaire va-t-elle finalement faire son apparition dans la procédure de filtrage prévue par le projet de loi Loppsi ?
C’est sur un hémicycle désert (9 UMP, 5 gauche, 1 centre), que s’est ouvert avant-hier soir le débat sur l’article 4 de la Loppsi, qui instaure le blocage des sites présentant des “images ou représentations de mineurs à caractère pornographique”. Pointé pour son caractère inefficace et potentiellement dangereux, il s’est vu la cible d’une vingtaine d’amendements, dont la totalité, a été écartée.
Malgré la bonne volonté de Brice Hortefeux, qui a honoré la séance de sa présence, le temps n’était ni à l’écoute, ni, a fortiori, aux renversements de position. La discussion menée autour de l’article 4 a en effet été dominée par le va-et-vient incessant des mêmes recours rhétoriques, pour finalement aboutir à une version inchangée, qui ne fait mention ni du juge, ni de la Cnil, ni même d’un droit de regard du Parlement.
Dialogue de sourds
Du côté des irréductibles, “seuls trois députés ont parlé”, résume Laure de la Raudière. Les voix de Lionel Tardy (UMP) et Patrick Bloche (PS) sont venus en soutien aux prises de paroles répétées de la député de la majorité. Ces derniers ont de nouveau fait valoir l’inefficacité d’un dispositif de blocage dans le cas de contenu pédopornographique, “sur lequel on ne bascule pas en un clic”, a répété Lionel Tardy. Difficilement accessibles sur le web, voire même introuvables -car privilégiant le protocole peer-to-peer-, ces contenus risquent avant tout de se terrer un peu davantage dans le réseau sous l’effet de la Loppsi. Différents procédés, comme “le cryptage, ou l’anonymisation”, a rappelé Patrick Bloche, peuvent en effet facilement être mobilisés. Car, comme l’a avancé Lionel Tardy:
La population visée par la Loppsi, comme dans le cas de l’Hadopi, trouvera les moyens de contourner les mesures. Donc la loi n’apportera rien.
Pis, si le dispositif de filtrage est inefficace, aucune information précise n’a été donnée sur la technologie envisagée par le projet de loi. A trois reprises, Laure de la Raudière a tenté d’en savoir davantage en interpelant directement le ministre de l’Intérieur, qui s’est contenté de la renvoyer au décret à venir.
Mais quelque soient les solutions préconisées, celles-ci seront soit “inefficaces par rapport au but recherché”, dans le cas d’un blocage au niveau de l’adresse IP, soit “contraires à l’article 11 de la Constitution”, protecteur des libertés individuelles, dans le cas d’une dispositif placé en cœur de réseau, a plaidé la député.
Juge: aller, retour ?
Interrogée par Owni, Laure de la Raudière a également déclaré estimer “absolument essentielle” la présence d’un juge à chaque fois qu’une décision de blocage de sites Internet se présente. Mais une fois encore, ce point a été balayé d’un revers de main par le rapporteur du projet et Brice Hortefeux. Exprimant leur incompréhension face à une volée d’amendements visant un article “protecteur des internautes”, ils ont accusé les réfractaires au projet de voir le “malaise partout”, reconnaissant dans un même temps l’imperfection de l’article 4. “Il faut tenter toutes les solutions, même si elles sont imparfaites”, a ainsi lancé le gouvernement, creusant ainsi davantage l’incompréhension entre les deux camps.
Il faut éviter les faux-procès. Il y a un objectif: lutter contre la pédopornographie. En aucun cas restreindre Internet.
Eric Ciotti, rapporteur du projet à l’Assemblée Nationale.
Un véritable dialogue de sourds, qui a terriblement exaspéré les réfractaires à l’article 4, en particulier du côté de la majorité. En pleine séance, Lionel Tardy a lancé un rageur:
Encore une fois, on a tout faux.
Si elle avoue sa colère au moment des discussions, Laure de la Raudière relève pour sa part la connaissance limitée de ses collègues en matière numérique, rejetant l’idée que les députés aient pu sciemment adopter cet article pour bloquer davantage que le contenu pédopornographique. “Ils ne maîtrisent pas le sujet et ils écoutent le gouvernement et le rapporteur, ce qui semble normal. Mais j’ai bon espoir de les voir monter en compétences”, explique la député, qui précise réfléchir à l’organisation d’une journée au sein de l’Assemblée, consacrée au fonctionnement du réseau.
Moins loquace sur l’avenir de l’article 4, la député concède néanmoins que “les députés PS ont de nombreux arguments pour déferrer le projet de loi devant le Conseil Constitutionnel, au-delà de l’article 4.” Une intuition validée par les socialistes, pour qui l’adoption de l’article 4 sans juge est particulièrement inquiétante. “A partir du moment où le mécanisme existe et qu’il part du ministère de l’Intérieur, ça rend le filtrage d’autres sites possible”, dit-on du côté du parti, qui confirme vouloir déférer la loi devant le Conseil Constitutionnel, dès que celle-ci sera votée.
Sur le sujet, on en profite du côté du PS pour s’émouvoir du récent revirement de position de l’Élysée. Selon les propos rapportés par certains blogueurs conviés hier au palais, Nicolas Sarkozy aurait en effet considéré la possibilité de réintroduire le juge dans l’article 4. Badinages de circonstance ou réelle déclaration d’intention ? Les opposants au projet déclarent qu’ils suivront avec intérêt la suite des aventures de la Loppsi, manifestement loin d’être bouclées.
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Retrouvez le compte-rendu de la séance du 15 décembre sur le site de l’Assemblée Nationale
Illustration CC: steakpinball
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