Picnic de geeks à Amsterdam
Stéphane Distinguin, fondateur de faberNovel, et Maxime Coupez, qui travaille avec lui, font un retour sur le PICNIC festival, événement annuel qui a eu lieu cette semaine à Amsterdam. L'objet de la manifestation ? "Concevoir le monde de demain".
Un millier de personnes dans une usine désaffectée du début du 20e siècle, la Westergasfabriek. Éclairages tamisés, chaises de designer. Micro à la main, Jeff Jarvis, pape de l’Internet, bloggeur, professeur vénéré de la New York University, livre à la foule médusée sa vision du futur du journalisme.
Nous sommes à Amsterdam pendant le PICNIC festival, événement annuel proposant modestement à ses participants de “concevoir le monde de demain”. On ne déjeune pas sur l’herbe (et je vous mets au défi de bien manger dans la capitale batave), mais le café y est délicieux.
Au programme, trois jours de conférences et d’ateliers animés par des spécialistes du design, de l’architecture, des biotechnologies, des médias, etc. Des stars du moment (Dennis Crowley, co-fondateur de Foursquare) mais aussi des monstres sacrés, Steve Hayden, directeur artistique de l’agence de pub Ogilvy, Tim Kobe, fondateur de l’agence Eight (qui a créé l’Apple Store de Manhattan), Jeff Jarvis donc, mais aussi des entrepreneurs venus présenter leurs projets et des universitaires.
PICNIC, c’est Amsterdam, la Hollande, l’autre pays du fromage et celui du « Red Light District » : on y est détendu, très ouvert, mais dans des limites claires pour les seuls initiés, partout on observe un souci porté à tous les détails, ce besoin évident d’optimiser l’espace sans le « dénaturer » qui est une contrainte permanente. PICNIC comme Amsterdam, c’est un mélange surprenant de « cool » et de « formal » : en tant que Français, on est un peu décontenancé tant nous sommes presque l’inverse, formel avant d’être décontracté, un premier rappel que, dans notre milieu, notre dénominateur commun est plus californien qu’européen, on se sent plus éloigné d’un confrère hollandais ou allemand.
La référence en Europe
De l’avis de beaucoup, PICNIC est la meilleure conférence sur l’innovation en Europe, une expérience à vivre, une “source d’inspiration”, un rendez-vous incontournable. On paie cher et on vient de loin pour y assister. C’est sans doute ce qui se fait de plus « œcuménique » : la conférence LeWeb, c’est le web, bien sûr, mais le business d’abord, un peu le Davos de l’Internet à Paris en décembre, Lift est plus « intello », on remarque ses affiches, la signalétique (les meilleures !) mais Genève comme Marseille ont du mal à vibrer vraiment sur nos sujets (et pourtant quel potentiel !), le Chaos Communication Camp à Berlin dans un aéroport désaffecté tous les quatre ans (décalé de deux ans avec son événement frère : Hacking at Random à Vierhouten, en Hollande aussi), c’est la concentration des hackers du monde entier comme on pourrait parler de concentration de bikers. PICNIC est un peu au milieu de tout ça, on lui reproche (trop « commercial » pour certain, trop « fumeux » pour d’autres) mais c’est tout son charme, son intérêt. Sur trois jours, PICNIC est sans doute ce qui s’approche le plus de la référence absolue : le festival SXSW réunissant pendant deux semaines les communautés de la musique, du cinéma et de l’ « interactif » à Austin, Texas, chaque année en mars. C’est à SXSW par exemple que Twitter ou Foursquare ont vraiment émergé.
Les conférences PICNIC sont d’excellente tenue : intervenants passionnés, contenus pointus et échanges très riches entre les participants. Les thèmes sont volontairement variés, l’idée étant de faire parler des personnes de tous horizons culturels et professionnels sur tous les sujets. Des entrepreneurs ou des exécutifs de grandes entreprises partagent leur expérience du crowdfunding. Pour inventer de nouvelles méthodes de design, on invite un constructeur d’automobiles, le fondateur d’une grande agence de design ou d’un site d’e-commerce social et un professeur. Il y a aussi des conférences sur le futur de la médecine, sur les médias sociaux, sur les business models de l’industrie culturelle, sur l’urbanisme et l’architecture, un concours d’étudiants en design pour concevoir la rue du futur (organisé par les équipes de Cap Digital, dans le cadre du partenariat avec Futur en Seine), un atelier de réflexion sur l’école idéale…
Des ces trois jours animés, on retiendra par exemple1 :
- que l’avenir économique de la vieille Europe est peut-être entre les mains de ses jeunes designers (Andrew Bullen, président de l’European Street Design Challenge) ;
- que « designer » c’est dialoguer en permanence pour parvenir à un accord sur les besoins des utilisateurs et sur les moyens de les satisfaire (Paul Pangaro) ;
- que les journalistes du futur devront travailler en réseaux ultra-spécialisés et flexibles pour survivre (Jeff Jarvis) ;
- que les voitures de demain seront co-créées par des communautés de designers et produites localement dans des usines complètement modulables (John B. Rogers, fondateur de Local Motors) ;
- que Foursquare deviendra bientôt l’outil indispensable pour optimiser son expérience de la ville (Dennis Crowley, co-fondateur de Foursquare) ;
- qu’on ne continuera à vendre des livres que si on parvient à en faire des fétiches, des objets de désir et de collection (Cory Doctorow, écrivain).
Dans la forme, les conférences et ateliers ne révolutionnent pas le genre : intervenants au micro, présentations powerpoint en arrière-plan, questions-réponses à la fin des sessions.
Une conférence à l’ambiance geek
Mais on ne vient pas seulement ici pour les conférences : ce qu’on vient vraiment chercher, c’est un esprit particulier, une ambiance, une philosophie . Les participants de PICNIC appartiennent tous à la même tribu : ils tweetent comme ils respirent, lisent Wired ou TechCrunch sur leur iPad, mangent bio et tâchent de maîtriser leur empreinte carbone en se déplaçant à vélo. Ils cultivent avec subtilité l’art du négligé : tee-shirt de collection, baskets impeccables, montre digitale vintage…
Dans la vie ils sont architectes, designers, consultants, ingénieurs, publicitaires, journalistes, multi-entrepreneurs ou autodidactes. En quelques années, ils ont fait passer la culture geek de l’ombre des salles de jeux en réseau à la lumière des magazines branchés. Les ethnologues ne leur ont pas encore donné de nom mais ils savent qu’ils forment une caste de privilégiés, libres d’échanger, de créer et d’expérimenter, de voyager, de travailler avec qui ils veulent, et même – luxe ultime – d’échouer. C’est ce qui les rend plus intéressants que sympathiques et c’est sans doute là la limite de PICNIC, son côté « à la Monocle » branché…
PICNIC est sans doute l’événement qui incarne le mieux cette culture émergente. Le grand lounge peuplé de végétaux, de meubles en carton, de guirlandes lumineuses et de yourtes mogholes (où Microsoft et son stand tout en bois vous donne l’impression que vous allez vous faire « avoir » comme quand Mc Donald passe son logo en vert), est au moins aussi important que les salles de conférence disposées tout autour. Amsterdam, phare européen de la création et d’une certaine forme de culture underground est l’écrin parfait de ce festival atypique. On parle, on échange des cartes de visite et on dîne autour de grandes tables. La rencontre est le maître-mot : pour créer ensemble le monde de demain mais aussi et surtout pour se retrouver entre semblables.
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Stéphane Distinguin était à PICNIC pour lancer le Street Challenge entre jeunes designers européens pour inventer la « rue de demain » : « Ce challenge est le premier élément du partenariat initié avec Futur en Seine dont la prochaine édition se tiendra du 17 au 26 juin 2011. Depuis l’édition de 2009, avec le pôle de compétitivité Cap Digital, la région Ile de France et la ville de Paris, nous avons pour ambition de fédérer les énergies et les projets pour créer un festival d’envergure internationale, à la fois populaire et pointu, la grande fête de la ville et de la vie numériques. Nous cherchons toujours de bonnes idées, des bras et des têtes, n’hésitez surtout pas à me contacter s @ faberNovel.com ou twitter.com/fano. »
Photos by Maurice Mikkers sur FlickR CC PICNIC Cross Media Week
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