La soif de simplicité : dans les médias, aussi…
Les journalistes passent-ils trop de temps sur les réseaux sociaux ? Certains, et pas des technophobes hostiles à l'évolution du métier, prônent la sobriété en la matière, rapporte Marie-Claude Ducas, blogueuse canadienne qui arrive sur la soucoupe. Le débat est ouvert !
Les journalistes passent-ils trop de temps sur les réseaux sociaux ? Certains, et pas des technophobes hostiles à l’évolution du métier, prônent la sobriété en la matière, rapporte Marie-Claude Ducas, blogueuse canadienne qui arrive sur la soucoupe. Le débat est ouvert !
À la fin de mon dernier billet, où je parlais des inconvénients de la complexité, je promettais de revenir sur le sujet, en abordant les implications qui ont trait aux médias. De la même façon qu’on voit se dessiner un « backlash » contre l’excès de choix et la complexité dans les produits, écrivais-je,  j’ai aussi l’impression de voir émerger un besoin de simplicité, de cohérence et de crédibilité en ce qui concerne les médias.
Or, la journée même, la directrice de la Grande Bibliothèque et ex-directrice du Devoir, Lise Bissonnette, se questionnait sur les effets pervers de la multiplication des blogues et l’omniprésence des réseaux sociaux, en tenant ces propos, rapportés par Le Devoir le lendemain : « Les énergies des meilleurs journalistes sont “dispersées” et “la communauté de placoteux” qui commente au bas des textes et autres entrées forme un “public gazouillant” qu’on prend à tort pour l’expression de l’opinion publique ». Dans son blogue, Nathalie Collard, depuis peu chroniqueuse médias à La Presse, a relancé la question : bien plus que la perte de temps, le vrai danger, estime-t-elle pour sa part, est que les journalistes dérapent, que leurs écrits dépassent leur pensée, et que leur objectivité soit remise en question. Ce qui est drôle, c’est de voir que  les commentaires sur le blogue de Nathalie Collard donnent plutôt raison à Mme Bissonnette, alors que ceux qui ont commenté l’article d’Antoine Robitaille dans Le Devoir se montrent dans l’ensemble assez critiques, lui reprochant entre autres son manque de connaissances et d’ouverture face aux nouvelles technologies, et aux changements qu’ils entraînent…
Ce genre de critique est toutefois plus difficile à formuler à l’endroit de quelqu’un comme Malcolm Gladwell, auteur, journaliste et conférencier que l’on s’arrache en tant que gourou ès tendances. Or, dans une entrevue publiée dans le Globe and Mail récemment , on soulignait que Gladwell lui-même ne « twitte » pas, n’entretient par de page Facebook, et n’a pas de blogue à proprement parler (enfin, techniquement, oui, mais il l’alimente 3-4 fois par an). Gladwell soulignait pour sa part que « il y a une limite à ce qu’on peut faire dans une journée » : « I have books, I write for the New Yorker. If I gave people any more, they’d get sick of me. » Il possède un Blackberry, mais le laisse de côté fréquemment. « Any innovation, at the end of the day, is usually a net good. But that doesn’t mean there aren’t significant and sometimes adverse consequences that we need to find another way to deal with. While we’re in the midst of the revolution, we need to stop and talk about its broader consequences », souligne-t-il aussi.
Ces propos recoupent, de façon frappante, ceux tenus par une autre personnalité qui fait aussi figure de gourou ès tendance, dans un registre un peu différent : Tyler Brûlé, éditeur, rédacteur en chef et fondateur de Monocle, ce success-story international aussi éclatant qu’inattendu dans l’univers des médias imprimés en général, et des magazines en particulier. Tyler Brûlé s’était auparavant fait connaître en lançant le magazine Wallpaper.
Et, attention, voici le scoop du jour : l’entrevue en question n’a pas encore été publiée. Elle le sera dans la prochaine édition du magazine Infopresse, celle de mai-juin, et dont la première distribution sera lors de la soirée de remise des Prix Média, le 28 avril prochain. Je n’ai pas l’habitude de me servir de ce blogue pour faire de l’ »autoplogue » à outrance, et je n’ai pas l’intention de commencer. Mais ici, vraiment, cela coule de source. Et franchement, je suis tellement enthousiasmée par cette entrevue, que j’ai envie d’attirer l’attention sur ce que l’on y dit, et sur ce que tout le monde dans les médias, tant gestionnaires que journalistes, peuvent en retirer. Le modèle d’affaires de Monocle, et la vision de Tyler Brûlé, sont un vrai vent de fraîcheur et d’optimisme, après ces temps de grisaille et d’insécurité qui ont sévi dans tout ce qui s’appelle média « traditionnel ». Voici seulement quelques-uns de ses propos les plus  frappants :
« En 2009, nous avons enrichi notre présence audio et vidéo, mais sans nous laisser distraire, sans essayer de suivre à tout prix chaque nouvelle tendance sur les réseaux sociaux. Nous n’avons pas essayé de transformer tous nos correspondants en blogueurs. Nos gens se concentrent sur ce qu’ils savent faire. Cela, je crois, nous a valu le respect de nos lecteurs et de nos annonceurs. »
« La discipline qui guide notre entreprise, au départ, est celle de l’imprimé. Et cela influence tous nos produits, même audio et vidéo. »
Lui non plus ne tient pas de blogue : « La dernière page du Financial Times, où je signe une chronique chaque semaine, constitue un endroit beaucoup plus intéressant où se trouver. Les gens n’ont pas besoin d’entendre parler de moi tous les jours ; pas plus qu’ils n’ont besoin d’entendre parler tous les jours de nos directeurs de rédaction ou de nos journalistes. (…) Lors des Olympiques de Vancouver, les correspondants de la BBC bloguaient constamment… Je n’ai pas le temps, comme consommateur, de m’engager là -dedans. Je veux connaître les résultats ! Je n’ai pas besoin de tout le bavardage entretemps. Le monde a besoin de moins de bavardage. Pas d’en ajouter. » Et cela ne donne qu’un faible aperçu du contenu de l’entrevue, qui fait plusieurs pages.
L’autre lien entre ce blogue et le magazine, c’est que ce billet et celui que j’avais publié il y a trois jours me servent en quelque sorte à décanter la matière de ma prochaine chronique : je veux revenir, en arrivant à la synthétiser, sur cette notion d’un plus grand besoin de simplicité, de fiabilité, de références communes. Qu’est-ce que cela donnera ? Il me reste encore moi-même à le découvrir (ce qui me fait réaliser que je me réserve probablement un beau week-end… C’est la vie).
Billet initialement publié sur le blogue de Marie-Claude Ducas, repéré via Alain Joannès… sur Twitter
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