Le train de vie de la CGT déraille
Les combines de la CGT au sein de la SNCF sont promises à un grand déballage, comme le montrent des documents inédits publiés par OWNI. Dans ce dossier, le syndicat vient d'être renvoyé devant le Tribunal correctionnel de Lyon. Au mois de novembre dernier, des députés UMP avaient empêché la publication du rapport Perruchot sur l'argent noir des syndicats, qui déjà levait un coin de voile sur ce dossier.
Le 23 mars dernier, à Lyon, la justice a renvoyé devant le Tribunal correctionnel huit syndicats du comité d’entreprise régional (CER) de la SNCF, accusés d’avoir détourné une partie des subventions allouées au comité. Mis en examen en tant que personne morale, la CGT, Unsa, Sud-Rail, CFTC, CFDT, FO, Fgaac, CFE-CGC devront répondre dans les prochains mois d’abus de confiance et de faux et usage de faux. L’information judiciaire ouverte en 2006 s’était conclue par une ordonnance de non-lieu 2009 mais le parquet avait fait appel, avec succès.
Lanceurs d’alerte
Un épisode de plus dans une affaire entamée en 2004, après des révélations de deux salariés du CE de la SNCF, Willy Pasche et Nathalie Guichon. Ils avaient alors déposé plainte devant le Tribunal de grande instance de Lyon pour abus de confiance, dénonçant “des surfacturations à des fournisseurs inamovibles, des emplois fictifs et l’utilisation des moyens du CER de Lyon à des fins ne correspondant pas à sa mission”, comme le montre l’ordonnance de renvoi que nous nous sommes procurée et que nous reproduisons ci-dessous.
Depuis au moins 1995, un accord aurait été mise en place pour se partager une part du gâteau estimée au deux tiers. Le tout sous couvert de mécanisme de “limitation des dépenses”. Dans son ordonnance de renvoi, le juge Philippe Duval Molinos précise :
Au cours de leurs investigations, les enquêteurs de la police judiciaire constataient que la majeure partie du budget de fonctionnement était utilisé à financer les dépenses des organisations syndicales. En effet, sous couvert d’une ventilation comptable banale des dépenses par poste de charge, se cachait un accord de répartition du budget de fonctionnement entre les huit organisations syndicales représentatives de l’entreprise.
Prenant l’exemple de l’année 2004, l’ordonnance détaille que presque 340 000 euros ont été détournés, et ventilés en fonction des résultats aux élections, ce qui explique que la CGT ait le morceau le plus important, 140 349 euros, loin devant l’Unsa et ses 51 427 euros. Jean-Louis Basset, représentant FO Union régionale Rhône Alpes, enfoncera ses camarades cégétistes :
La décision du montant était vraiment une décision unilatérale de la CGT. Il n’y avait pas de négociations sur ce point. J’ai appris à une période que le budget de fonctionnement était en déficit. Nous sommes alors intervenus, au moins FO et l’Unsa, après de la CGT pour réclamer que le budget de fonctionnement soit diminué car il n’était pas normal que ce budget soit en déficit.
L’argent détourné serait allé en partie dans les poches des organismes de formation des syndicats, où les membres des organisation syndicales allaient. La facture était envoyée aux syndicats et remboursées par le CER. Une autre partie des fonds aurait servi à diverses emplettes :
l’achat de télécopieurs, le règlement de facture de téléphone, de repas et d’hébergement. L’achat d’alcool et la réalisation de tracts syndicaux pouvaient aussi figurer parmi ces remboursements effectués sur le budget de fonctionnement du CER de Lyon au bénéfice des organisations syndicales.
Répartition des fonds
Auditionnés lors de l’enquête préliminaire, les responsables syndicaux ont opté pour des positions différentes. Jean Raymond Murcia, secrétaire CGT du CE de Lyon de 2000 à mars 2004, justifie l’accord de 1995 par “un budget de fonctionnement largement excédentaire qui servait alors à combler le déficit des activités sociales”. Pourtant les enquêteurs ont noté que ce budget de fonctionnement était déficitaire en 2002 et 2003 de 84 500 et 79 000 euros. Pas de quoi remettre en cause l’accord.
D’autres éludent. Tel Claude Miachon, secrétaire CGT du CE de Lyon de 2000 à mars 2004 depuis avril 2004 qui se défausse :
[Il] ne pouvait se prononcer sur la légalité de l’accord intersyndical qui existait bien avant son arrivée.
Il a aussi indiqué que le cabinet d’expertise comptable était au courant des pratiques intersyndicales. Le cabinet en question, Audit-Alpha, devenu Adexi-Étoile, fait partie du groupe Alpha, connu pour être proche de la CGT.
Alain Laporte, secrétaire général régional de la CGT Cheminots de 1998 à janvier 2006, quant à lui “reconnaissait avoir signé les accords intersyndicaux de répartition des fonds de 1998 à 2005. Il expliquait que le remboursement des frais de formation permettait :
d’alimenter le fonctionnement de la délégation syndicale. Il s’agissait d’un moyen de justifier des sorties de fonds du CER.
Le syndicaliste a aussi reconnu avoir utilisé la carte d’autoroute à des fins personnelles et que l’alcool acheté servait “pour des ‘pots’ avec des élus et militants CGT”. En revanche, interrogé sur les frais de formation et en particulier les 32 000 euros dépensés en janvier 2004, il “indiquait qu’il y a avait des élections professionnelles proches, mais se refusait à établir un lien entre les événements.”
Pour Denis Mineboo, secrétaire régional de Sud-Rail, “les activités d’élu du CER et de syndicaliste ne pouvaient être dissociées.” Gérard Sonnier, secrétaire général CFTC-cheminots Lyon depuis mai 2005 a estimé :
Son organisation syndicale avait besoin de ce financement même s’il ne trouvait cela “pas bien normal.”
En revanche, Jean-Pierre Talut, représentant syndical régional de la CFE-CGC Lyon depuis avril 2005, “découvrait les montants attribués aux autres organisations syndicales et ajoutait qu’il n’était pas normal que les syndicats fassent passer leurs frais de fonctionnement et de formation par le CER de Lyon.” Son prédécesseur n’avait pas dû le mettre au courant puisqu’un tableau étiqueté “confidentiel” avait été remis en 2004 par Claude Miachon, indiquant que la CFE/CGC avait droit à 1 247 euros. Dans ce contexte franche, une autre plainte était déposée en 2005 et 2006 suite à des vols de boites d’archives de la comptabilité du CE de la SNCF portant sur 2002 à 2004.
Sauf exception
Auditionné lors de l’information judiciaire, les élus syndicaux les plus mis en cause adoptent une ligne de défense commune, prêchant l’innocence : “pratiques financières transparentes et honnêtes”, absence de contrôle des factures car on estime qu’“un lien, même minime, existait avec le fonctionnement du CER”, “sauf exception, il n’y avait pas eu d’abus dans la gestion des sommes”, “activité syndicale largement tournée vers le CER de Lyon et sa gestion”, “jamais constaté d’abus dans l’utilisation des fonds résultant de l’accord de répartition”. Sans poser la question de la légalité dudit accord. Habilement, on pointe du doigt la SNCF, qui aurait laissé ce jeu s’installer, sous-entendu pour acheter la paix sociale.
Tandis que le trésorier du CE régional de la SNCF de 2000 à 2002, Bernard Hoarau, “confirmait que la CGT imposait ses fournisseurs”. On voit aussi cité le nom d’Emergences, un cabinet de formation, décrit comme proche de la CGT. Nathalie Guichon a affirmé aux enquêteurs que “la directrice technique du CER Lyon, Mme Nadia Chanel, était détachée par la société Emergences, qui facturait ce service au CER Lyon, alors en grandes difficultés.”
Financement des syndicats
L’un des lanceurs d’alerte à l’origine de toute cette affaire, Willy Pasche, avait été auditionné par la commission d’enquête sur le financement des syndicats, dite Commission Perruchot, en même temps que Philippe Chabin, salarié du CE clientèle de la SNCF. OWNI reproduit dans son intégralité ci-dessous leur témoignage. Le rapport final de cette commission d’enquête a été interdit de publication à l’automne dernier, à la demande de députés UMP – laissant planer le soupçon d’arrangements politiques entre le parti majoritaire et les syndicats.
Le document de synthèse a fini par être divulgué dans la presse, par nos confrères du Point. Mais il n’en est pas de même des auditions, riches en détail, notamment sur le fonctionnement des syndicats à l’intérieur de la SNCF.
Le salarié revient sur son parcours au CE, ses découvertes sur les dysfonctionnements et le harcèlement dont il se dit victime depuis qu’il a porté plainte.
Contacté par nos soins, il a dénoncé une situation verrouillée, du fait de la position forte de la CGT aux prud’hommes et à l’inspection du travail. En 2008, Willy Pasche s’était dit victime de harcèlement moral et les enquêteurs avaient alors visité son lieu de travail et celui de deux collègues “relégués dans un bureau sans fenêtre et sans travail effectif”. Toutefois, sa plainte avait été classée sans suite en juin 2008, l’infraction étant insuffisamment caractérisée.
En arrêt de travail depuis 2008, Willy Pasche a également porté plainte contre le CER et la SNCF pour harcèlement moral qui sera jugé en juin. Le juge d’instruction a cependant jugé irrecevable sa plainte et celle de Nathalie Guichon avec constitution de partie civile, “aux motifs qu’un lien de causalité directe entre le préjudice qu’ils alléguaient et les faits de la procédure ne pouvait être constaté”. Pas de quoi gâcher la satisfaction de voir le procès s’ouvrir enfin, après tant d’années.
Photographies sous licences Creative Commons via Flickr par Fliegender, William A. Franklin, Eliott Photo, Escap.e(d), Max xx et Davidov
Édition photo par Ophelia Noor pour Owni /-)
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