Obama connaît pas
Du PS à l'UMP, chacun affirme avoir tiré les leçons de la campagne d'Obama en 2008. De l'UMP au PS, divers responsables ont fait le voyage aux États-Unis pour recevoir un cours accéléré sur la com' sur Internet. De là à penser que la leçon a été assimilée... En réalité, les partis français s'agitent sur le sujet sans vraiment parvenir à l'appréhender.
Mardi 3 janvier 2012 en soirée. Le président américain Barack Obama, de retour de vacances à Hawaii, s’adresse depuis la Maison Blanche via Skype à des militants démocrates de l’Iowa. Selon le site du Telegraph, “le président a rappelé à ses troupes la victoire historique de 2008 mais prévenu : nous avons beaucoup à faire”, avant la présidentielle de novembre.
Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, en France, les médias s’intéressent à “l’adresse” aux Français du candidat socialiste, François Hollande. La lettre est à la une de Libération qui titre ‘le changement c’est maintenant”. Le soir, il est l’invité du 20h de France 2.
Skype d’un côté, presse et télé de l’autre. Deux approches de la communication ? L’exemple est un peu caricatural, mais souligne que les recettes de communication politique tant louées à l’élection d’Obama (élu avec une large majorité de 52,9%) ne seront probablement pas appliquées à la lettre en France.
Le secret d’Obama ? Passé son charisme, c’est notamment “la manière dont il a utilisé Internet (qui) a révolutionné la communication électorale”, estime Virginie Picquet, docteur en civilisation américaine1.
Emboîtant le pas du technophile et précurseur gouverneur du Vermont, Howard Dean, l’équipe de campagne récolte des mails (“Ils ont réussi à avoir les adresses e-mail de 13 millions de personnes”), développe Catalist (une énorme banque de données croisant des dizaines de fichiers sur des millions d’américains), recrute sur les réseaux sociaux (“il avait trois millions d’amis sur facebook”), utilise des alertes SMS (1,3 million de numéros a été collecté et “les sympathisants ont su avant tout le monde quel serait le vice-président”), etc.
La démarche se poursuit sur le terrain :
Il a très bien utilisé Internet pour faire en sorte que les gens s’investissent dans la campagne, organisent des meetings, ils avaient l’impression d’avoir une influence sur la campagne, sur l’issue des élection. (…) (Ils se sont sentis) investis d’une mission.
Des centaines de milliers, sinon des millions de personnes, constituent localement des équipes et deviennent des ambassadeurs du candidat sur le terrain physique, des “grassroots”. Ils téléphonent, frappent aux portes de manière ciblée, organisent des réunions, convainquent leur entourage bien plus efficacement qu’un tractage classique. Selon la chercheuse, cela va d’ailleurs permettre de toucher “des jeunes, les minorités, des catégories de la population considérées comme absentéistes”.
Pour Benoît Thieulin, directeur de l’agence La Netscouade et ayant participé à un rapport du think tank proche du PS Terra Nova, Obama a réussi à à fusionner une campagne “on line” à une campagne “off line”, un tour de force que n’était pas parvenu à réaliser Ségolène Royal (pour laquelle il a fait campagne).
“Il va gérer dans un outil sur Internet la totalité de sa campagne : c’est ça qui est révolutionnaire. Toute sa chaîne de commandement, tout son QG, la manière dont il va organiser ses équipes, ça va passer par un énorme extranet : mybarackobama.com. (…) Avec des outils métiers, il est plutôt hiérarchique, il permet de faire des choses très concrètes et très pratiques, c’est à dire de pouvoir gérer votre petite équipe, lever des fonds, gérer des agendas collaboratifs, des listes de discussion, comptabiliser les cookies que vous avez vendu à telle réunion d’appartement, disposer des listes des gens à appeler, des adresses des gens où aller frapper.”
Le tout, sous l’œil du QG de campagne.
Alors que la stratégie de l’UMP semble écarter l’approche d’Obama, le PS, estime Thieulin, avec La Coopol (son bébé, qu’il voit comme le mybarackobama.com des socialistes) et Europe-Ecologie Les Verts sont certainement ceux qui ont le plus essayé de s’approcher en terme de “capacité organisationnelle” des méthodes d’Obama. Signe de l’attention du PS, le responsable de la web-campagne de Hollande, Vincent Feltesse, a rencontré l’équipe d’Obama. La collecte de 500.000 à 800.000 adresses mails de sympathisants qui les avaient livré lors la primaire a d’ailleurs permis à l’équipe d’Hollande de se rappeler à leurs bons souvenirs en décembre.
Pourtant, dans son cabinet parisien, un communicant, proche de quelques éléphants du PS se désole :
Les campagnes modernes, les campagnes grassroots, pour établir une inter-relation avec l’électorat dans ses composantes les plus réduites (…) sont très sous-utilisées.
La faute aux Français qui auraient un train de retard ? S’appuyant sur un sondage réalisé pour MSN, Ipsos écrivait en novembre :
“Dans le cadre de la campagne présidentielle, une majorité des internautes (51%) comptent s’informer sur les sites/blogs des candidats. En revanche, seuls 14% comptent discuter politique sur les forums/articles durant la campagne (et 9% sur Facebook ou Twitter), seuls 11% pensent publier des liens vers du contenu politique sur un réseau social, seuls 8% comptent donner leur e-mail à un parti politique pour participer activement à la campagne et 6% comptent faire la promotion d’un candidat sur le web (…). Il semble que pour 2012, comme pour 2007, l’activité militante en France sur Internet aura du mal à atteindre les niveaux des Etats-Unis de 2008″.
Thieulin explique pourtant que les Français n’ont rien à envier aux Américains sur Internet avec un web “créatif”. Il avance comme élément d’explication une “classe politique française plus âgée, moins technophile que dans d’autres pays, en particulier en Angleterre ou aux Etats-Unis, du coup elle peine à s’approprier ces outils là ”.
A moins que les Français ne soient rétifs à des outils développés outre-Atlantique, juge Guilhem Fouetillou, de Linkfluence, qui juge que les expériences comme la Coopol ou les créateurs de possible (la version UMP qui a disparue) “ne sont pas des grands succès”.
Il me semble que la raison pour laquelle c’est moins puissant et fort qu’aux Etats-Unis, ce n’est pas du tout à rattacher à un manque de maîtrise ou à un déficit des usages. Je pense qu’il y a aussi un des éléments culturels dans l’équation.
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Selon lui, le PS a beau disposer de nombreux mails :
“Ca ne va pas changer fondamentalement la chose car ce sera toujours le même type de public qui va venir aux meetings à cause de déterminants qui sont très socioculturels. Les leviers que l’on présente comme étant les seuls possibles, ceux qu’on a vu aux Etats-Unis, c’est-à -dire la mobilisation des masses pour en faire des ambassadeurs et des promoteurs, ces leviers là du web, assurément ne sont pas adaptés à la culture française.”
Dans son analyse, Ipsos note d’ailleurs que :
“Outre la maîtrise d’Internet par la population, d’autres facteurs sont en effet en parties liées à la réussite d’une e-campaign : par exemple l’engouement pour un candidat (très fort pour Obama en 2008, en particulier chez les jeunes) mais aussi certains facteurs culturels (le militantisme en France se faisant de manière moins affichée qu’aux Etats-Unis par exemple, sur le web ou ailleurs).”
Chez EELV, Julien Bayou explique que le web est un “terrain de campagne” et sert aussi à “organiser la campagne, le terrain réel”, mais il appelle à raison garder, expliquant qu’il est inutile de vouloir se comparer aux Etats-Unis, alors que des bases statistiques comme Catalist sont irréalisables en France juridiquement et financièrement :
“En France, déjà , on a une protection des données qui est plus importante et une réticence des individus à étaler leurs informations en ligne”. Il relève qu’ “une campagne comme celle d’Obama demande un traitement de l’information de haut vol”, bien au-dessus des capacités d’EELV alors que “malheureusement ou heureusement, la question des moyens reste preignante”.
- Et auteure de L’image du président, chez Ophrys [↩]
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