L’Élysée couvre les gaz de schiste
Le gaz de schiste n'est pas banni par Sarkozy. Derrière les trois permis abrogés par l'Élysée, à grand renfort de communication, 61 autres permis permettent de recueillir des gaz de schiste. Des entreprises peu inquiétées par les récentes déclarations.
En décidant d’abroger seulement trois permis d’exploration d’hydrocarbures dans le Sud de la France, Nicolas Sarkozy est loin de fermer la porte aux gaz de schiste. Étalées sur près de 10 000 km² autour des Cévennes, les concessions de Montélimar, Nant et Villeneuve-de-Berg ne sont que trois des dizaines de permis d’exploration accordés par le ministère de l’Écologie dans toute la France ces dernières années. Grâce auxquels des compagnies pétrolières ou gazières pourront continuer de fouiller le sous-sol par la technique controversée de fracturation hydraulique.
Les permis de gaz de schiste n’existent pas
L’annonce a pourtant produit l’effet désiré sur le plan médiatique. À la faveur d’articles titrés « le gouvernement abroge les permis de gaz de schiste », les militants impliqués dans le débat ont poussé sur les réseaux sociaux un long ouf de soulagement toute la journée du lundi 3 octobre. Un peu rapide.
Car en réalité 61 autres permis d’exploration gaziers et pétroliers en vigueur en France, ouvrent la voie aux gaz de schiste et autres hydrocarbures non conventionnels. Au plan du droit, ils s’intitulent, formellement, « permis exclusifs de recherche de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux ». Autrement dit, des autorisations d’aller rechercher tout combustible volatile ou poisseux, à quelques profondeurs et dans quelque état que ce soit, depuis la classique poche de gaz jusqu’aux forages destructeurs à des kilomètres de profondeur.
Quand elles déposent leur volumineux dossier au ministère pour obtenir un permis, les compagnies pétrolières et gazières exposent par le menu les opérations qu’elles souhaitent mener sur place : profondeur des forages, méthode d’extraction, emprise au sol des plateformes, etc. Un document tamponné par la direction générale de l’énergie et du climat. Seule cette note d’intention archivée dans un tiroir de cette administration énonce clairement si oui ou non la société compte aller chercher des gaz de schiste.
Or, pour déterminer le bienfondé des permis, la loi votée le 13 juillet ne prévoit de vérifications entre la réalité des explorations et le contenu de cette note d’intention qu’a posteriori. Il suffit pour le moment à chaque société, de jurer, la main sur un rapport, qu’elle ne pratiquera pas de fracturation hydraulique.
Couper l’herbe sous le pied de la gauche…
Or le double discours est déjà pour certaines sociétés une spécialité. Telle Toréador, administrée par le frère de Julien Balkany elle avait essayé en mars dernier de décourager une manifestation prévue en Seine-et-Marne contre l’exploration des huiles de schiste en diffusant auprès des habitants des tracts assurant qu’il ne s’agissait là que d’exploration pétrolière « classique ». Une version dont OWNI avait révélé le peu de sérieux dans les documents transmis aux actionnaires de Toréador, prévoyant d’exploiter des couches profondes (le « thème liasique », couche géologique à plus de 2 000 mètres de profondeur où du gaz peut être emprisonné dans le schiste) et de « produire des réservoirs » dans le Bassin parisien. Une expression désignant dans l’industrie pétrogazière la première fracturation hydraulique sur un gisement.
Mais ces réalités techniques ne semblent guère intéresser le gouvernement. La tonitruante promenade dans les Cévennes que nous organise l’Élysée tombe tout juste l’avant-veille de l’examen à l’Assemblée nationale de la proposition de loi portée par la gauche et les écologistes pour pallier les insuffisances de la première « loi sur les gaz et huiles de schiste » adoptée à la mi-juillet. En déchirant trois bouts de papiers, le Président dégonfle par avance un débat qui aurait pu empoisonner ce début de campagne. Et retire aussi de la place publique un vrai débat qui n’a toujours pas eu lieu sur les choix énergétiques de la France. Quid des autres techniques et des autres réservoirs comme le offshore profond, les gaz de houille, les schistes bitumineux… Au final, le texte voté le 13 juillet ne définit en fait pas grand chose. Pas même en quoi consiste la fracturation hydraulique.
Des questions énergétiques en suspens
Pour éviter les risques liés à la fracturation hydraulique, il faudrait rentrer dans d’ennuyeux détails : parler des quantités d’eau utilisées, des produits chimiques injectés dans le sol, des gaz de houille et du pétrole de schiste… Donc, débattre politique industrielle, ce que l’État se garde bien de faire. L’article 4 de la loi sur les gaz et huiles de schiste votée le 13 juillet prévoit ainsi un « rapport sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol français, européen et international en matière d’hydrocarbures liquides ou gazeux ». Une façon de « ne pas fermer la porte » aux hydrocarbures de schiste, comme le promettait Eric Besson. Surtout à l’heure où la compagnie Elixir Petroleum publie un rapport dépeignant la verte Lorraine en petit Koweït plein de 164 milliards de barils de pétrole de schiste et 650 000 milliards de pieds cube de gaz de même extraction.
Laissant les écologistes et les militants s’empêtrer dans les explications techniques, le gouvernement joue la montre sur les hydrocarbures comme il l’a fait sur le nucléaire, promettant contrôles et commissions sans donner de perspective précise. Un temps qu’il ne souhaite pas prendre en ce temps de campagne présidentielle. Car un projet énergétique, ça ne s’invente pas en une balade dans les Cévennes.
Carte et illustrations : Marion Boucharlat pour OWNI.fr.
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