Consommation collaborative: “garçons, un café!”
Comment un Américain qui cherchait à pouvoir utiliser sa carte Starbucks sur ses deux téléphones a créé une API collaborative pour permettre aux gens de se payer des cafés les uns aux autres. Décryptage d'une expérience sociale.
Il existe une tradition dans les cafés napolitains. Lorsque ceux-ci sont remplis de cols blancs en manque de caféine, prenant leur pause ou discutant affaires, il peut arriver qu’au lieu de faire l’appoint, le client transforme sa monnaie en caffe’ sospeso (littéralement, “café en suspens”). Il permet ainsi au malheureux qui n’a pas de liquide et de boire tout de même son café. Pour cela, il lui suffit de passer la tête et de demander au barman s’il reste un café pré-payé.
Caffe’ sospeso americano
Cette tradition a aujourd’hui traversé l’Atlantique, grâce à un individu et un peu de technologie. Alors qu’il teste une application lui permettant de relier sa carte de paiement chez Starbucks à son téléphone, Jonathan Stark se retrouve confronté à un dilemme: l’application est inutilisable tant sur son iPhone que sur son Nexus. Malin, il fait une copie d’écran de la carte virtuelle depuis l’iPhone pour l’utiliser avec le Nexus. Arrivé au comptoir, il présente l’image, et parvient à payer son café.
Épaté de pouvoir payer avec une simple image, il s’empresse de le raconter à ses lecteurs sur son blog, le 14 juillet au matin. Avec, en illustration, la fameuse image qui lui permettait de payer. Pour que les lecteurs puissent vérifier par eux-mêmes, il a crédité sa carte de 30 dollars et leur a proposé d’essayer dans leur Starbucks habituel.
La carte est vidée rapidement et il remet 50 dollars pour permettre aux habitants de la Côte Ouest d’essayer à leur tour. Le 15 juillet, un de ses amis crédite la carte depuis le site de Starbucks. Le 18 juillet, il créé une API pour permettre aux gens de savoir combien d’argent il reste sur la carte. Une page dédiée, un compte Twitter et une page Facebook suivent rapidement.
Le petit jeu d’un développeur américain devient une “social experiment“
Un monde où tout le monde peut avoir du café gratuit n’existe pas. Mais heureusement, des gens créditent régulièrement la carte. La douce vie de l’expérimentation sociale commence, cheminant tant dans les médias technophiles que sur les télévisions. Jonathan Stark doit sûrement y trouver son compte, puisqu’il a l’occasion de parler de lui.
Des jaloux le soupçonnent d’ailleurs de n’être qu’un infâme publicitaire produisant du buzz gratuit pour la plus grande chaîne de cafés au monde. Mais il n’en est rien. La multinationale déclare simplement :
Starbucks n’a pas connaissance du projet de Jonathan Stark, et n’a aucun lien avec lui, ou l’entreprise pour laquelle il travaille. Starbucks pense que son projet est intéressant et nous sommes flattés qu’il utilise Starbucks comme une partie de son expérimentation sur le “paiement en avance”.
Jolie petite histoire donc, qui crée d’ailleurs des émules puisqu’un certain Craig a également mis sa carte à disposition.
Les bobos offrent des cafés aux bobos
Pour autant, la petite anecdote sympathique ne fait pas que des heureux. Sam Odio, un entrepreneur un peu exaspéré par les bons sentiments émanant de cette expérimentation dans laquelle les bobos offrent des cafés aux bobos —“yuppies buy other yuppies coffee” — a décidé de se pencher sur la carte Starbucks de Jonathan, et de la détourner de son objectif initial.
Il crée donc une petite application lui permettant de savoir lorsque la carte en question contient une quantité importante d’argent. Il se rend ensuite dans son Starbucks pour acheter des cartes cadeaux, et réussi ainsi à cumuler 625 dollars.
Il a ainsi mis aux enchères sur eBay une carte contenant 500 dollars. L’intégralité de la somme obtenue sera reversée à une association caritative :
Suis-je le seul à penser que d’offrir à son prochain fix de caféine à un étranger n’est pas ce dont nous devrions nous préoccuper aujourd’hui ?
La réaction de Jonathan Stark face à ce hack ressemble à celle de Dieu après avoir offert la Terre aux Hommes :
J’ai n’ai fait que créer un outil, il n’y a rien à faire. Je pense que les gens n’auront que ce qu’ils méritent, en bien ou en mal.
Car Jonathan lui-même ne crédite plus sa carte et, à la manière du caffe’ suspeso, on suppose que les gens qui s’offrent un café avec l’argent des autres n’hésiteront pas à recréditer la carte par la suite.
Un simple retour d’ascenseur, ou comment comprendre le désarroi de Dieu.
[màj - 19h30] – Le 12 août dans la nuit, la carte de Jonathan a été désactivé, suite à l’action de Sam Odio. Jonathan déclare sur son site que ce n’est que le commencement de quelque chose de plus grand, et que les gens n’hésiteront plus à payer en avance pour d’autres personnes.
Illustration Flickr pure9
Publié initialement sur le blog d’Alphoenix
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