Les juges financiers rhabillés en secret
Semaine de tous les dangers au Parlement, où le gouvernement pourrait réformer en cachette l'architecture des Chambres régionales des comptes. Récit d'un putsch légal et discret.
Cette semaine, les magistrats financiers partent au combat contre quelques parlementaires. La déclaration de guerre remontre au mercredi 29 juin, lorsque le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale Jean-Luc Warsmann (UMP) a introduit en catimini une discrète réforme de fonds des Chambre régionale des comptes (CRC). Des instances chargées de surveiller les opérations menées à l’échelle des collectivités locales par les notables de la République.
L’amendement Warsmann sera débattu dans la semaine et promet de relancer la très controversée réforme des juridictions financières. Le texte proposé (voir p.17 du Pdf) bouleverse l’organisation et le fonctionnement des Chambres régionales des comptes (CRC). Le texte autorise le gouvernement à définir par décret le nombre de CRC et, surtout, instaure la responsabilité de fait des gestionnaires publics.
Ainsi, à le lire, les élus auraient à répondre de leurs erreurs de gestion et pourront être condamnés pour de tels agissements. Jusqu’à hauteur de deux années de salaire.
“La méthode n’est pas très orthodoxe”
La méthode n’est pas appréciée par les experts de la procédure de l’Assemblée. D’autant que ce n’est pas la première fois qu’une telle tentative est menée (la dernière fois, le sénateur Jean Arthuis avait essuyé les plâtres). Le très pugnace René Dosière (PS) a remis en cause une telle démarche :
Il me semble que la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes mériteraient un autre traitement, plus global. Puisque vous avez fait allusion à la loi de finances rectificative, je dois rappeler que deux amendements ont été déposés au dernier moment, dont un en séance par le Gouvernement pour modifier le recrutement des magistrats des CRC. Ce n’est pourtant pas une mince affaire !
Suivi de cet aveu du très sérieux Charles de Courson (Nouveau Centre), qui nous avait habitué (dans les débats sur le contentieux Adidas/Tapie) à plus de rigueur :
Ce qui importe, c’est d’avancer, même si la méthode n’est pas très orthodoxe.
Soit. C’est donc l’avenir des juridictions financières qui est en jeu et tout simplement les mécanismes de responsabilité qui sanctionneront les élus. Tout cela fera l’objet d’un débat a minima: en particulier demain mercredi dans le cadre de la commission mixte paritaire. Pas de quoi fouetter l’opposition…
“On porte un coup sévère au contrôle des finances publiques locales”
Du côté des magistrats financiers, l’avis est tranché. Dans un communiqué cinglant, le Syndicat des juridictions financières (SJF) a pris position à la fois contre la méthode, mais surtout contre les axes de réforme envisagée.
Cette réforme suscite une opposition unanime car elle va conduire à un affaiblissement des chambres régionales des comptes par le refus de leur confier le jugement de la responsabilité financière des élus locaux et par la réduction de leur présence sur le territoire. C’est ainsi que de façon délibérée, on va porter un coup sévère au contrôle des finances publiques locales en amoindrissant les forces des chambres régionales qui démontrent pourtant chaque jour qu’elles sont indispensables à la démocratie locale.
Autrement dit, en l’état, les Chambres régionales des comptes n’auraient aucune compétence en matière de discipline budgétaire, laissant à la seule Cour la prérogative d’exercer ce pouvoir. Ce texte a des chances d’être voté, à condition que le gouvernement maintienne sa position, puisque Michel Mercier, le ministre de la Justice, a soutenu l’amendement de Jean-Luc Warsmann. Si cette réforme passe, à quoi pourrait donc ressembler les décisions des juridictions financières ? Imaginons :
- Christine Lagarde est rattrapée par le règlement arbitral du contentieux Adidas/Tapie ; la directrice générale du FMI est condamnée à rembourser les 240 millions d’€ aux contribuables (dans la limite de deux ans de salaire, rappelons-le)
- Claude Bartolone, président du Conseil général de Seine-St-Denis, collectivité endettée sur des emprunts toxiques, doit lui aussi rembourser les frais financiers contractés auprès des banques
- N’importe quel maire ou député condamnés pour abus de biens sociaux auraient aussi à passer à la caisse, en cas de condamnation pénale
Chiche ?
Photo FlickR jastrow75.
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