Pourquoi j’ai quitté Abidjan
Nemo est ivoirien. Il a diffusé des informations sur Twitter depuis le début de la crise née au lendemain de l'élection présidentielle de novembre 2010. Il raconte à OWNI les menaces, les intimidations et son départ forcé de Côte d'Ivoire.
Je suis Nemo, twittos ivoirien. Je ne suis pas journaliste, juste un cadre dans le privé à Abidjan. Je tiens également un blog. Pour des raisons de sécurité, je préfère utiliser un pseudo. Je suis devenu par la force des choses l’une des personnes les plus actives et les plus suivies sur le fil d’actualité twitter de la Côte d’Ivoire (#civ2010).
Ce fil a été créé en octobre 2010 par des Ivoiriens pour couvrir l’élection présidentielle maintes fois reportée depuis 2005. La campagne pour l’élection a été couverte et le fil a aussi servi à diffuser l’ambiance dans les bureaux de vote par les twittos volontaires. Ensuite, nous y avons relayé les résultats que la Commission Électorale Indépendante publiait en direct sur la Radio Télévision Ivoirienne (RTI). Et toute l’actualité de la Côte d’Ivoire a fini par y passer.
Je twitte, on me menace
Dans le cadre de mon travail et pour mon information, je vais beaucoup sur le terrain et j’ai des remontées d’information bien souvent avant la majorité des gens. J’ai suivi et relayé de très près les manifestations du 16 décembre 2010 à Abidjan où Guillaume Soro appelait les Ivoiriens à prendre d’assaut la RTI. Et j’ai souvent été là où les événements se produisent. Avec ma connexion mobile, je faisais rapidement des mises à jour sur Twitter. J’ai aussi des contacts dans les villes de l’intérieur de la Côte d’Ivoire avec qui j’échange de nombreuses informations.
Et je suis aussi un twittos engagé pour le respect de la démocratie, le respect du vote populaire, le respect de la dignité et des droits humains. J’ai donc des prises de position contre le président sortant Laurent Gbagbo. Vivant à Abidjan, j’ai souvent dénoncé les exactions des forces pro-Gbagbo commises dans la ville sur les populations civiles. J’ai été parfois sur le terrain et j’ai vu des affrontements, et bien d’autres choses horribles. J’ai relayé les abus des jeunes patriotes aux barrages à Abidjan.
Mon audience sur Twitter n’a fait que croître et je suis devenu contributeur sur Global Voices. Des personnes n’ont pas aimé cela et j’ai commencé à recevoir des mentions de mauvais goût sur Twitter :
- Nemo, ça va chez xxxxx (le nom de mon employeur)
- Nemo, ta femme est toujours chez xxxxx (le nom de son employeur)
- Nemo et ta petite voiture rouge ?
Bref, des messages pour me faire comprendre qu’on me connaît et pour essayer de m’intimider. Je n’ai pas pris cela très au sérieux au départ. Et un jour je reçois un message direct me disant qu’on sait tout de moi et qu’on va me faire taire.
Le droit de tuer est donné à quiconque démasque un « rebelle »
Dans un environnement où les gens se font tuer pour rien, j’ai compris que j’étais en danger. En effet, à Abidjan en ce moment, le droit de tuer est donné à quiconque démasque un « rebelle ». Le rebelle, c’est toute personne qui s’oppose au pouvoir de Laurent Gbagbo. On a ainsi vu des personnes se faire brûler vives, d’autres tuées à coups de pierres. Pour les autres, des groupes de jeunes en cagoules conduits par des anciens leaders de la FESCI – Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (pro-Gbagbo) – s’occupent à piller les domiciles.
Ainsi, sous l’œil bienveillant de la police, les domiciles de plusieurs personnes ont été saccagés, pillés et il y a même eu un drame chez Touré Amed Bouah. J’ai ainsi pu faire une liste non exhaustive des domiciles déjà visités :
- Amichia François, maire de Treichville, et son père, Adama Toungara, maire d’Abobo et ministre des Mines et de l’Énergie
- Charles Koffi Diby, ministre de l’Économie et des Finances
- Albert Mabri Toikeusse, ministre du Plan et du Développement
- le général François Konan Banny, la maison familiale de Jean-Baptiste Ekra
- Adama Bictogo, Amadou Koné, Zemogo Fofana, Sidy Diallo, Sidiki Konaté, Meité Sindou, Mme Constance Yaï
J’ai compris qu’Internet était surveillé par des personnes proches de Gbagbo pour fournir les renseignements sur les cyber-activistes. Le jour où le porte-parole des Forces Nouvelles, Alain Lobognon, [ndlr : pro-Ouattara] a révélé son identité sur Twitter, son domicile a été pillé et les affaires qui n’ont pas emportées ont été saccagées par des miliciens pro-Gbagbo.
Sur Facebook, des individus et des groupes pro-Gbagbo ont été montés et des personnes s’adonnent à la délation en citant les noms des personnes à abattre. Des anonymes ont même fait la liste des personnes qui produisent des « tweets terroristes » et j’en faisais partie.
Dans le même temps, les affrontements dans la ville d’Abidjan se rapprochaient dangereusement de mon domicile. Et ayant déjà vu des maisons entièrement détruites par des obus, la crainte s’est installée dans mon esprit.
Mais j’ai commencé à avoir très peur lorsque les barrages filtrants ont fait leur apparition dans les quartiers largement favorables à Laurent Gbagbo tels que Yopougon et Port-Bouet. Sur ces barrages sauvages, des jeunes patriotes contrôlent les pièces d’identité des passants et peuvent avoir le droit de vie ou de mort, en plus du racket systématique. Les étrangers ressortissants de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) ainsi que des ressortissants du nord de la Côte d’Ivoire en ont souffert. Ayant un patronyme nordique, j’ai dû limiter mes déplacements, mais j’avais quand même peur.
J’ai poussé un soupir de soulagement après les contrôles policiers et douaniers à l’aéroport
Des amis m’ont dit de faire attention et j’ai pris quelques dispositions : j’ai déménagé, changé mes habitudes, rendu mes profils anonymes, limiter mes déplacements, travail à domicile avec un VPN. Ensuite, vu la baisse drastique de nos activités au bureau, j’ai demandé mes congés et ma femme aussi. Dans l’immédiat, j’ai informé mon frère qui vit à l’étranger et j’ai pris toutes les espèces que nous avions pour payer les billets d’avion et le rejoindre.
À l’aéroport, je n’étais pas rassuré vu que des personnes sont régulièrement empêchées de sortir du pays. J’ai poussé un soupir de soulagement après les contrôles policiers et douaniers. C’est ainsi que je suis arrivé comme un réfugié à l’étranger laissant presque toutes mes affaires à Abidjan.
Les perspectives ? Je n’y pense pas trop ! Je suis déjà content de rentrer chez moi sans me demander si je vais recevoir de la visite musclée. Mais au fond mon cœur est à Abidjan avec mon emploi, mes affaires et tout le reste.
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Retrouvez notre dossier consacré à la Côte d’Ivoire.
Crédits Photo FlickR CC : Y-Voir-Plus / Thomas Hawk
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