Le FN se renforce en captant un nouveau vote utile
Si son bilan comptable aux élections cantonales est pauvre, le Front national n'en ressort pas affaibli. Pour Eric Dupin, il capte toujours un électorat perdu par les partis républicains, de gauche comme de droite.
Gare aux erreurs d’interprétation. Confirmant globalement un équilibre droite-gauche favorable à l’opposition dans les départements, le second tour des élections cantonales se caractérise aussi par une nouvelle progression de Front national. Le parti de Marine Le Pen n’est certes parvenu à faire élire que deux conseillers généraux, à Brignoles (Var) et à Carpentras-Nord (Vaucluse). Le sort du suffrage universel demeure cruel pour une formation extrémiste privée d’alliance dans le cadre d’un scrutin majoritaire. Mais un examen des résultats dans les 400 cantons où le FN restait en compétition dimanche montre que ce parti a encore élargi son influence.
Le parti d’extrême droite a recueilli 11,7% des suffrages exprimés au second tour. Mais son score moyen s’élève à 35,1% des voix dans les cantons où il demeurait présent. Il y est passé de quelques 620.000 à 915.000 voix. Autrement dit, le FN a gagné 50% de nouveaux électeurs, d’un tour à l’autre, dans ses zones de force. La stratégie dite du “front républicain” a été boudée par de très nombreux électeurs.
Deux défaites symboliques
Le léger surcroît de participation enregistré dans ces cantons, malgré une abstention toujours massive, semble parfois avoir plutôt profité au FN. En règle générale, l’électorat de l’UMP a voté, dans une proportion notable, pour le candidat d’extrême droite là où il demeurait seul à s’opposer à la gauche. Dans le canton de Perpignan-9 (Pyrénées-Orientales), Louis Aliot, vice-président du Front, est certes battu par le PS avec 46,2% des suffrages exprimés. Mais on relève qu’il gagne quelques 800 voix d’un dimanche à l’autre – le nombre de suffrages qui s’étaient portés au premier tour sur les candidats UMP et divers droite – alors que les votants supplémentaire ne sont que 400.
L’autre défaite symbolique d’un dignitaire du FN confirme l’importance de l’appoint de l’électorat de droite dans son score final. A Montigny-en-Gohelle (Pas-de-Calais), les gains de Steeve Briois sont limités : 44,7% des voix contre 35,9% le 20 mars. Le secrétaire général du parti ne disposait toutefois que de faibles réserves à droite, le candidat de l’UMP n’ayant recueilli que 2,7% des suffrages au premier tour. Il parvient tout de même à conquérir environ 700 électeurs supplémentaires, soit plus que l’accroissement du nombre des votants.
Dans certains cantons, comme celui de Lens-Nord-Est (Pas-de-Calais) ou de Lorris (Loiret), une fraction de l’électorat communiste semble aussi avoir préféré le FN au PS. Là où l’extrême droite restait en lice face à l’UMP, les électeurs de gauche ont contribué à la défaite du FN mais sans enthousiasme excessif. Dans le canton de Nice-11 (Alpes Maritimes), par exemple, le candidat de droite ne recueille que 3.500 des 5.000 voix qui s’étaient portées sur les “partis républicains” au premier tour. A l’inverse, celui du FN engrange 900 voix supplémentaires et bondit de 32,6 à 48,2% des suffrages exprimés.
Misère de l’anti-lepénisme
Au vu de ces chiffres, la focalisation du débat public, la semaine dernière, sur la tactique électorale à adopter face à la poussée du FN a quelque chose de dérisoire. L’électeur contemporain se joue des consignes de vote et la stratégie de diabolisation de la formation lepéniste semble vouée à l’échec. Une enquête Ipsos montre que les Français sont majoritairement convaincus que le FN est un “parti d’extrême droite” (72%) et qu’il est “dangereux pour la démocratie” (57%) mais 54% d’entre eux considèrent simultanément que c’est un “parti utile”.
Cette “utilité” est éclairée par une autre enquête, due à BVA, qui établit qu’une majorité de sondés (52%) voit désormais la formation lepéniste comme “un parti comme les autres” tout en se déclarant en désaccord avec ses propositions. Le FN apparaît, plus que jamais, comme un vecteur de manifestation des préoccupations populaires. Le “vote utile” des électeurs frontistes exprime un message de mécontentement profond où se mêlent questions sociétales (insécurité, immigration) et socio-économiques (rejet du libre-échange et de la mondialisation). Le nouveau discours de Marine Le Pen parvient à conjuguer ces deux thématiques et à rentrer ainsi en résonance avec l’opinion d’une large fraction de la population.
Trois couches électorales
Un succès électorat agrège toujours un public divers. Celui du FN résulte de l’addition de trois couches relativement distinctes. Le parti mariniste a d’abord conservé l’électorat frontiste le plus ancien, celui qui est apparu au milieu des années quatre-vingt. Il s’agissait d’électeurs de droite radicalisés par l’arrivée de la gauche au pouvoir, souvent issus des couches non salariées (petits commerçants, artisans etc.) C’est sur le pourtour méditerranéen que le FN a implanté ses premiers bastions. Il les conserve aujourd’hui.
Dans un deuxième temps, au tournant du millénaire, le parti de Jean-Marie Le Pen s’est enraciné dans la France du Nord-Est souffrant de la désindustrialisation. Il a alors conquis un électorat populaire et ouvrier. Nicolas Sarkozy avait su le séduire en 2007. Profondément déçu par l’absence de résultats du président de la République, ce public est massivement revenu dans le giron du FN.
L’originalité de Marine Le Pen aura été d’ajouter une troisième couche d’influence. Grâce à un discours socio-économique aux accents protestataires décomplexés, le FN a enregistré de spectaculaires poussées dans des zones qui ne lui étaient guère favorables. Sa nouvelle géographie électorale s’étend dans la France de l’Ouest, notamment dans des zones rurales où vivent des couches populaires chassées des villes par le prix de l’immobilier. Le parti d’extrême droite obtient des scores impressionnants dans des départements traditionnellement réputés pour leur modération comme le Loiret où il participait, dimanche, à huit scrutins de ballottage sur vingt.
L’argument moral jeté à la face de ces divers électeurs, ou encore les démonstrations idéologiques, ont peu de chance d’être efficaces. Seules des réponses apportées à leurs préoccupations concrètes par les partis républicains pourront convaincre cette France en crise qu’elle a mieux à faire que de crier sa colère en votant à l’extrême droite.
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Crédits photo: Flickr CC Clémentine Gallot, Nicolas Patte, Kristin Brenemen
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