Institubes rend les armes
Le label français Institubes a annoncé ce mercredi l'arrêt de son activité, posant, au cours d'un communiqué éloquent la question de la place des labels indépendants dans le paysage musical actuel.
C’est une figure de la pop, du hip-hop et de l’electro qui s’éteint aujourd’hui. Mercredi 16 mars, dans un communiqué direct et empreint d’une certaine amertume, le label Institubes a annoncé sa fermeture après huit ans d’activité.
Dans ce contexte, les fondateurs du label, Jean-René Etienne et Emile Shahidi dressent un bilan de leur aventure avec le collectif emmené par les emblématiques Para One, Cuizinier, Orgasmic ou Teki Latex (TTC), Jean Nipon ou encore Chateau Marmont. Il illustre les difficultés rencontrées par les petits labels, pour qui vendre de la musique reste primordial.
“Je pourrais écrire dix pages sur les réalités et les difficultés liées au business de la musique […]. Nous n’avons jamais connu l’âge d’or dont nos ainés dans l’industrie chantent les louanges. Nous avons toujours évolué dans un paysage post-apocalyptique et paupérisé jusqu’à la mort, empli de zombies de directeurs artistiques irradiés et de blogueurs mutants et aveugles. Nous avons toujours mené un bataille difficile. Mais les choses ont empiré”
Institubes est l’une de ces structures de l’ère post-Napster. Porté par un collectif d’artistes aux influences diverses, le label a su garder une ligne claire et distincte, qui plutôt que de s’ouvrir à des “coups” mainstream rémunérateurs, s’est construit tout au long son existence une cohérence artistique davantage mue par la volonté de se forger une identité forte que par celle de faire concurrence aux majors. D’ailleurs, lorsque Institubes collabore avec Alizée, l’ex Lolita aux millions de disques vendus, en produisant son quatrième album studio Une Enfant du Siècle en 2010, c’est en apportant sa touche plutôt qu’en faisant du “Alizée par Institubes”, comme ont tendance à le faire de nombreux producteurs. Cf. le mercenaire RedOne qui réplique plus ou moins adroitement la même chanson pour toute la planète pop ou presque, de Lady GaGa à Enrique Iglesias en passant par Mylène Farmer et Nicole-Pussycat-Scherzinger.
Si les gros labels peuvent compter sur leurs vaches à lait pour compenser les projets plus risqués, les structures plus modestes se doivent de maintenir un équilibre a minima pour assurer leur survie. “Le fait que notre industrie vive une lutte permanente où 90% de notre temps est consacré à “rester à flot” cache un fait important : nous jouons toujours le jeu selon les règles qui nous ont baisés au départ“.
Car le nerf de la guerre pour tous les labels (et on ne parle pas ici d’artistes DIY) reste, quoiqu’on en dise de vendre de la musique. Ne pas avoir à se diversifier pour multiplier les sources de revenus. Ce qu’Institubes s’est évertué à faire, sans toujours y parvenir : “Tout ce qu’on aurait pu faire (ou presque) pour éviter ou retarder cette issue malheureuse tient en deux mots : lifestyle et branding. Investir dans la production de t-shirts, dans les partenariats avec des marques, signer des contrats de collaboration ou de sponsoring avec des boites aux poches bien pleines. Je n’ai qu’un regret : qu’il nous soit arrivé d’y céder. Nous aurions du refuser plus souvent“.
Un label peut-il donc raisonnablement envisager de survivre dans le contexte actuel en comptant uniquement sur les revenus liés à la seule vente de musique ? La tendance est plutôt au pessimisme, pourtant les contre-exemples existent. On peut notamment citer l’excellent label new-yorkais Neon Gold Records, qui s’est spécialisé dans la détection précoce de talents développés sur un ou plusieurs EP, avant de les faire signer avec des majors. Dans leur panier ? Ellie Goulding, révélation de 2010 aux 300 000 albums vendus au Royaume-Uni, ou encore Marina And The Diamonds, tandis que pour 2011 on peut prédire l’émergence de leurs poulains Monarchy (signés depuis chez Universal) ou encore The Sounds Of Arrows et The Knocks.
Lorsque l’on demande au label bordelais Banzai Lab s’il pourrait subsister sans apport complémentaire de la seule musique, la réponse est claire: “nous vendons des CD mais aussi des concerts, mais on pourrait clairement vivre sans le merch. C’est juste un petit plus. En revanche on ne pourrait pas vivre qu’avec la vente de musique, mais avec musique + spectacles (+ emplois aidés!), ça fonctionne.”
“Rester à flot par tous les moyens est un objectif irraisonné. La seule manière honnête pour un label de gagner de l’argent, c’est de vendre de la musique. Cela nous a toujours gênés de vendre autre chose“.
Entre raison financière et volonté de garder sa conscience artistique intacte, il existe désormais un monde que la crise de la musique enregistrée a crée. Jean-René Etienne et Emile Shahidi apportent un élément d’explication pertinent même si pas unique : “La musique est dévaluée […] Au jour d’aujour’hui, la musique n’est pas même le second, le troisième ou le dixième des intérêts et éléments de culture. La mode, Apple, les jeux vidéos, les outils high-tech, les réseaux sociaux etc sont passés devant. J’imagine que c’est cool… Mais je ne veux pas avoir à devenir une dépendance de la mode. Tout comme je refuse de presser un artiste à sortir des titres à moitié aboutis chaque mois juste pour qu’il reste dans le coup.”
La mort très publique d’Institubes n’est pas un cas isolé, mais plutôt la partie émergée de l’iceberg constitué d’autres labels, moins connus, moins hype qui disparaissent chaque jour. Les nombreuses réactions ce matin sur les réseaux sociaux prouvent un point qu’il ne faut pas oublier. Le collectif est né en pleine crise et a réussi à vivre pendant huit ans, en produisant un nombre d’artistes considérable et réussissant à s’imposer sans trop sacrifier son intégrité artistique. Pour cela, il manquera sans doute au paysage musical, mais quitte la scène avec classe, en offrant une réflexion pertinente si ce n’est nouvelle sur la vie des petites structures.
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Crédits photos : FlickR CC Caesar Sebastien
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