Atlantico, vraie face du modèle économique du web
Avec des recettes éprouvées, le nouveau pure-player de la presse française a crée un modèle tendu vers l’audience à bas coûts. Analyse
Lancé lundi dernier, Atlantico.fr a bénéficié d’un bruit médiatique à la Benjamin Lancar. Tout le monde ou presque dans la sphère web a critiqué ce nouveau pure-player classé à droite mais l’équipe a encaissé sereinement les coups, sachant que tout bad buzz est avant tout un buzz: «Et voilà, #Atlantico est déjà dans les trending topics. Merci à tous ! (oui, à vous aussi, les haters)», écrivait le site sur son Twitter le jour du lancement.
Le débat autour d’Atlantico s’est polarisé autour de son ancrage à droite. «Atlantico, cap à tribord», titrait Owni, «Atlantico, le pure-player ni de gauche», titrait Libé tandis que Laurent Mauduit de Mediapart oubliait les politesses d’usage entre confrères en publiant une chronique tonitruante «Atlantico, la droite rance». De son côté, 20minutes.fr soulignait l’absence d’innovation du pure-player qui ne se distinguerait que par son positionnement politique: «Rien de révolutionnaire pourtant puisque des sites comme Slate, Owni et LePost mêlent justement production et agrégation. Atlantico n’a donc rien du chaînon manquant au paysage digital français mais son originalité réside ailleurs. Dans son positionnement libéral précisément.»
J’ai moi-même cédé à la tentation d’y voir simplement un Slate de droite, en publiant sur Twitter cette petite cartographie des pure-players.
Mais Atlantico n’est pas un Slate de droite, c’est à dire un site d’information magazine, plus centré sur l’analyse et le commentaires que sur la recherche de scoop. Après une semaine d’existence, Atlantico apparaît plutôt comme un Huffington Post français —voire un Morandini haut de gamme— c’est à dire une publication tendue vers l’audience à bas coûts, le libéralisme appliqué au journalisme web. Ce qui est une petite révolution dans la sphère des pure-players.
Atlantico s’est donné pour objectif d’atteindre les 600.000 visiteurs uniques d’ici un an, ce qui paraît tout à fait jouable. Quatre types de contenu devraient particulièrement cartonner en audience et ce, pour des coûts de production très faibles: les «exclusifs», les «pépites», «Atlantico light» et les chroniques polémiques.
Les «exclusifs»
En une semaine d’existence, Atlantico a multiplié les articles pastillés «exclusif»: Sarkozy aurait tenté d’attirer Jospin dans ses filets, les enfants de Hollande et Royal ont posé un ultimatum à leurs parents, les squatteurs de “Jeudi Noir” n’étaient pas des mal-logés et les éditeurs parisiens perquisitionnés par la Commission Européenne. Ces articles ont la particularité de n’être pas signés.
En ce qui concerne les deux premiers scoops politiques —dont le premier est au conditionnel— il s’agit d’une version web des indiscrets des magazines d’information comme L’Express ou Le Point, une pratique qu’évitent d’ordinaire les pure-players. La source n’est pas citée et on ne sait pas très bien si l’info a été recoupée. «[Ça me rassurerait] que la presse web ne reproduise pas le pire de la presse mag avec des “confis” non sourcés et survendus…», écrit le journaliste du Monde.fr Samuel Laurent à l’occasion d’un tweet-clash avec Jean-Baptiste Giraud, le réd chef d’Atlantico.
Cette valorisation de l’«exclusif» rappelle Morandini qui applique ce label à des informations dont l’importance n’est pas toujours capitale, et qu’on a parfois déjà vu ailleurs. L’«exclusif» sur la perquisition chez les éditeurs parisiens était d’ailleurs sorti quelques minutes plus tôt sur 01net, comme l’a relevé le journaliste David Doucet sur Twitter.
Il faut espérer qu’Atlantico n’aille pas aussi loin que lesindiscrets.com, le site lancé par un un ex-associé de Morandini et depuis racheté par Omar Harfouch, qui a sorti une longue série de scoops non sourcés et non signés au parfum de soufre, notamment un article “révélant” un scandale sexuel scabreux chez les Jeunes Populaires et plusieurs scuds contre Valérie Pécresse.
Malgré très peu de reprises média pour l’instant, à part sur des sites de buzz, ces articles ont l’air de bien marcher, en tête des stats affichées en Une d’Atlantico vendredi soir.
Les «pépites»
Pour sa rubrique «pépites», Atlantico s’est directement inspiré du Daily Beast, un des exemples les plus connus de journalisme de liens. Comparatif entre le Daily Beast à gauche et Atlantico à droite.
Ces «pépites» sont ambigües. Car derrière la bienveillante volonté de #partage des meilleurs liens avec son lectorat, la vocation de «facilitateur d’accès à l’information», les «pépites» sont surtout un piège à clics. Le seul vrai journalisme de liens est celui pratiqué par le Drudge Report, où les liens renvoient directement vers les sites producteurs de l’information. Le modèle du Daily Beast et d’Atlantico (que pratique aussi Slate) est en fait un braconnage d’audience: les liens renvoient vers un article maison qui résume à grand traits l’article d’origine. Le média producteur de l’information n’obtient que des clics marginaux et se voit concurrencé directement sur Google News (et donc dans les premiers résultats de Google) par des articles reprenant son contenu.
Ce format d’articles permet aussi à Atlantico d’être présent sur l’actu très chaude, en publiant parfois des articles de trois lignes paraphrasant un urgent AFP publié sur un autre média. Comme le veut l’usage sur Internet, le «trouveur» est bien cité mais on est bien loin de la philosophie du journalisme de liens.
(Article supprimé depuis, retrouvé dans le cache Google)
Atlantico Light
C’est l’héritage direct du Huffington Post. Le pure-player américain ne s’embarrasse pas de scrupules et finance ses articles sérieux par des infos people et des portfolios de filles à poil. Le blogueur Cédric Motte avait montré avec quelques stats que le succès du site d’Ariana Huffington «c’est le sexe, pas (que) l’information». Pour profiter de cette manne d’audience, Atlantico a lancé une rubrique «light» qui regroupe des sujets lifestyle à la Slate et des infos people.
Pour produire de l’actu people avec une équipe restreinte (une dizaine de journalistes), le modèle est le même que pour les «pépites», la reprise d’articles des médias français et surtout anglophones. Le problème de l’actu people est qu’elle nécessite de gros budgets photos, qu’Atlantico n’a pour l’instant pas l’air d’avoir. Ainsi, un article sur «la tenue très dénudée» de Madonna lors d’une after-party des Oscars est illustrée par une capture d’écran du site du Daily Mail, permettant de montrer les photos de Madonna à un coût zéro.
Les chroniques polémiques
C’est la liste des chroniqueurs d’Atlantico qui a fait le plus parler d’elle, avec notamment Gérard de Villiers, ancien de Rivarol et auteur de la série S.A.S., Chantal Delsol, historienne qui a consacré sa carrière à liquider l’héritage de mai 68 ou Gaspard Koenig, ancienne plume de Christine Lagarde et auteur du livre Les Discrètes Vertus de la corruption. Avec de telles signatures, il y aura forcément de la polémique et une manne d’audience assurée. Pour l’instant, pas encore de saillie retentissante, à part une chronique du souverainiste Paul-Marie Couteaux, DSK: Jacob a visé juste, où il taxe Dominique Strauss-Kahn de «candidat hors sol».
Le journalisme web sans ses gourous
La vraie différence d’Atlantico par rapport à ses concurrents pure-players vient du profil de ses journalistes. Les patrons du site, comme les petites mains, viennent tous de la télévision et de la radio, et non pas de la presse écrite et du web comme chez Rue89, Slate ou Médiapart.
Leur discours face à l’audience est ainsi beaucoup plus décomplexé: lors de la conférence de presse de présentation, les fondateurs ont insisté sur le fait qu’il fallait écrire court car «le temps de cerveau disponible» des internautes est très faible. Une référence à Patrick Le Lay que n’oseraient jamais Edwy Plenel ou Pierre Haski venus sur le web pour faire de l’info de meilleure qualité que sur le papier. En construisant un média qui ne cherche pas à prouver par son contenu que l’Internet peut faire mieux que les autres médias, Atlantico fait du journalisme web dépoussiéré de ses gourous et montre la vraie face du modèle économique financé par la publicité.
Et si j’étais de mauvaise foi, je rajouterais qu’être de droite, c’est aussi un moyen d’être plus pub-friendly que Rue89.
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à noter, Vincent Glad est journaliste-pigiste à Slate
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