Nicolas Sarkozy et la Justice: le triomphe du populisme pénal
Il y a quelques années, il aurait été inimaginable qu’un Ministre de la République conteste une décision de justice. Maintenant, cela n’étonne même plus et pire, les magistrats sont le plus souvent résignés. L’indignation cède la place au fatalisme.
Le 10 décembre dernier, la République Française a vécu un bien étrange événement. Sept policiers jugés à Bobigny pour avoir porté de fausses accusations contre un homme venaient d’être reconnus coupables de “dénonciation calomnieuse” et “faux en écritures” et condamnés à des peines allant de six mois à un an de prison ferme. Environ deux cents policiers en civil et en uniforme se sont alors rassemblés devant le palais de justice et ont fait retentir les sirènes de leurs voitures en signe de protestation.
On pouvait légitimement penser que, face à ces manifestations de soutien pour le moins déplacées, le Ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux aurait pris la parole pour appeler ses troupes à respecter le jugement rendu. Le Ministre a effectivement réagi : il a qualifié la décision de justice de “disproportionnée”, tenant à rappeler que “notre société ne (devait) pas se tromper de cible : ce sont les délinquants et les criminels qu’il faut mettre hors d’état de nuire”. Il y a quelques années encore, il aurait été inimaginable qu’un Ministre de la République conteste une décision de justice – tout au moins publiquement…
Résignés
Aujourd’hui, force est de constater que ces déclarations, bien qu’elles enfreignent les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs qui sont au fondement même de notre conception de la République, bien qu’elles émanent d’un Ministre de l’Intérieur, n’étonnent même plus. Pire, elles s’accompagnent le plus souvent d’une certaine forme de résignation de la part des magistrats. L’indignation cède la place au fatalisme. C’est que la critique de la justice est devenue à ce point permanente, l’immiscion de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice si courante, que ce comportement est en dangereuse voie de banalisation.
Certes, le procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, a eu raison de rappeler lors de ses vÅ“ux le 7 janvier dernier que “la justice a été de tout temps brocardée” mais ses propos sonnent encore plus juste lorsqu’il ajoute que “ce phénomène ne laisse pas d’inquiéter quand les coups sont portés par ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter”.
Notre société est malade de ces violations répétées de la Constitution par ceux-là même qui en sont les dépositaires. La défiance généralisée que connaît la Justice française nourrit un sentiment de culpabilité chez les magistrats qui nuit au bon exercice de leur métier. La crise identitaire et morale que traverse le monde judiciaire vient en grande partie de là .
De fait, le divorce entre le corps judiciaire et l’exécutif est total. Et cette rupture s’étend à présent aux hauts magistrats dont on ne peut pas dire qu’ils se sont jusqu’alors illustrés par leur véhémence à l’égard du pouvoir !
Le quotidien Libération citait il y a quelques semaines des propos tenus par Nicolas Sarkozy alors Ministre de l’Intérieur, après l’assassinat de la joggeuse Nelly Crémel en 2005 : “que va-t-il advenir du magistrat qui a osé remettre un monstre pareil en liberté ?” Lorsque Jean-Louis Nadal déclarait début janvier dans un discours fracassant que nous assistons à un “avilissement de la République”, que l’on “méprise la justice en instillant la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision”, c’est précisément à ce genre de propos – indignes d’un Ministre de la République, est-il besoin de le rappeler – qu’il fait référence.
Un populisme pénal
De ce point de vue, on assiste effectivement aujourd’hui à l’épanouissement sous ses aspects rhétoriques et législatifs les plus débridés d’une forme de “populisme pénal” dont Nicolas Sarkozy est le principal héraut. Si la défiance et le mépris à l’égard des magistrats n’ont jamais été aussi forts, c’est avant tout parce que cette accusation de laxisme est savamment entretenue par le pouvoir.
Il faut bien comprendre que le discrédit jeté sur les magistrats résulte d’une volonté politique délibérée. Disons-le une bonne fois pour toute : les coups portés de manière systématique à l’ensemble des métiers de juges indépendants participent d’une stratégie électoraliste et populiste. C’était vrai avec le juge d’instruction hier ; ça l’est avec le juge de correctionnelle aujourd’hui. S’il n’est pas interdit de débattre du projet d’introduction des jurés populaires au sein des tribunaux correctionnels, ne faisons pas preuve de naïveté coupable : en la matière, l’objectif de Nicolas Sarkozy est bel et bien d’entretenir le fantasme du juge laxiste dont l’incompétence serait dorénavant contredite par des citoyens plus sévères – et donc prétendument plus “justes”…
Mais l’entreprise du chef de l’Etat est vaine. Le laxisme des juges n’existe pas. Il s’agit d’une fable que la droite aime à se raconter mais qui ne repose sur aucun chiffre réel. Les statistiques démontrent même exactement le contraire : on assiste depuis 1984 à une multiplication par 3,4 de la durée totale des peines prononcées. Entre 2003 et 2007, le nombre de détenus condamnés à plus de vingt ans est passé de 1 796 à 2 102.
Si Nicolas Sarkozy stigmatise les magistrats, c’est aussi pour masquer ses propres échecs. Présentés vendredi 21 janvier par le Ministre de l’Intérieur, les chiffres annuels de la délinquance montrent en effet une augmentation de 2,5 % du nombre des violences faites aux personnes. Une augmentation que l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales considère comme “persistante depuis plusieurs années”. Bien sûr, Brice Hortefeux peut continuer à faire semblant de croire à une baisse de la délinquance. Il n’en reste pas moins vrai que Nicolas Sarkozy a failli dans son combat contre l’insécurité. Et brocarder la Justice ne suffira pas à dissimuler cet échec.
Le populisme pénal du chef de l’Etat s’éprouve également dans la désormais célèbre maxime “un fait-divers, une loi”. A chaque évènement spectaculaire de l’actualité – a fortiori si cet événement fait la Une des médias … – on propose d’introduire un nouveau délit dans le code pénal. Peu importe d’ailleurs que dans la plupart des cas ce délit existe déjà . Seul compte ici l’effet d’annonce. Il y a quelque chose du réflexe pavlovien dans cette frénésie législative : depuis 2002, chaque loi sécuritaire est votée faits divers à l’appui. Or, cette “législation de l’émotion” s’oppose frontalement aux principes de la Justice, fondés sur la raison. C’est précisément le rôle et l’honneur de la Justice de dépassionner les débats et de s’assurer que les jugements rendus le seront au nom du Droit, non des Passions. Par ailleurs, cette inflation des textes législatifs ne permet non seulement pas de lutter efficacement contre la délinquance, mais elle complexifie dangereusement le Droit. Qui plus est, elle met les magistrats dans un état d’insécurité juridique qu’ils dénoncent tous.
Une justice de moins en moins indépendante
Corollaire du populisme pénal, la législation de l’émotion fait de la Justice l’instrument d’une politique à courte vue. Rythmé par les faits divers et les textes de lois qui en résultent, le Droit perd la cohérence nécessaire à son juste exercice.
Ces trois premières années du quinquennat ont montré que le populisme pénal du chef de l’Etat ne connaissait pas de limites : les exemples sont légions qui illustrent la volonté de s’attaquer à l’institution et d’en saper les principes fondateurs : convocation d’un magistrat à la Chancellerie pour des propos tenus lors de ses réquisitions, au mépris du principe de la liberté de parole à l’audience, convocations de cinq autres magistrats en raison des “mauvais résultats” dans l’application de la loi instituant les peines planchers. Les pressions hiérarchiques croissantes de la Chancellerie à l’encontre du Parquet apparaissent comme autant d’atteintes à l’indépendance de l’autorité judiciaire, alors même que la Cour européenne des droits de l’homme estime que les parquetiers français ne sont pas suffisamment indépendants.
“Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir” écrivait Montesquieu. Après 10 années de régression en matière de justice et de droit, la gauche, si elle revient aux responsabilités en 2012 devra faire sienne cette maxime. A l’évidence, cela ne suffit pas à faire un programme ; cela constitue à tout le moins un principe d’action.
>> Cet article a été initialement publié sur NonFiction.fr
>> Photos FlickR CC : djking, LostCarPark
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