Ellroy et les femmes, sa “malédiction” est la nôtre
James Ellroy était à Paris pour présenter son dernier Roman. Retour sur la vie littéraire d'un des plus grands auteurs de roman, et de son obsessions des femmes.
Bonsoir à vous autres pédérastes, sniffeurs de colle, punks, maquereaux, clodos et renifleurs de petites culottes ! Vous auriez pu rester chez vous pour vous adonner à vos vices habituels – le sexe, la drogue, les obsessions – mais vous êtes venus m’écouter moi qui suis né dans les sources du pêché
Lundi soir, le grand cirque Ellroy passait par Paris, tout en sexorama fiftie’s, vociférations réactionnaires et injures à caractère sexuel, moulinets de bras, ricanements et roulements d’yeux furibards. Représentation unique: “James Ellroy lu par James Ellroy”. L’immense écrivain (1m90 à la toise, 15 romans déglingués au compteur sans compter les nouvelles) était venu vendre son dernier livre, “La Malédiction Hilliker”, sous-titré “mon obsession des femmes”, devant une foule acquise et fascinée par le numéro de ce fou furieux semblant tout droit sorti d’un de ses romans de la trilogie américaine…
Il y avait donc ce James Ellroy cabotin, showman imparable, white-trash graphomaniaque…
Grand échalas de droite aux allures de colonel des Marines dément, montant sur la scène du théâtre Marigny comme on monte sur un putain de ring. Mais il y avait aussi ce petit garçon de 10 ans au regard perdu, cherchant encore sa mère assassinée à travers toutes les femmes de sa vie, plus de 50 ans après le début de la “malédiction”… qui a commencé à lire, scander son texte comme une incantation en forme d’autobiographie exorciste.
La salle médusée s’est tue, son éditeur François Guérif de Rivages a fermé les yeux comme on écoute une prière, et les deux interviewers de service, Arnaud Viviant et Eric Naulleau, ont communié avant l’épreuve (le mot n’est pas trop fort) du jeu de questions-réponses avec l’intransigeant auteur du “Dahlia Noir”, de “LA Confidential”, d’”American Tabloïd”.
Zoom arrière. Le 22 juin 1958, Geneva Hilliker Ellroy, la rouquine, est retrouvée morte, martyrisée, dans un terrain vague près du lycée d’Arroyo dans le quartier populaire d’El Monte à Los Angeles. “Evidemment c’est moi qui ait causé sa mort”, lâche le gamin de 62 ans, émouvant comme jamais. 1954, “Jean Hilliker prenait des bitures au bourbon et balançait du Brahms à plein tubes sur l’électrophone.
Armand Ellroy était abonné à des feuilles à scandale et à des magazines pornos”.
Le petit James a six ans, ses parents divorcent. James part vivre avec sa mère, femme libre, infirmière fumant clope sur clope, collectionnant les hommes mais pleine de tendresse pour son garçon…et bien sûr prend le parti de son père, qui voyeur, va espionner “Jean” derrière la fenêtre en train de faire l’amour avec un inconnu. James est fasciné par ce paternel looser, comptable minable “au sourire d’escroc” qui “avait une queue de quarante centimètres, elle dépassait de son caleçon” et prétendait avoir “trombiné” Rita Haiworth, “La Roja”…
Amoureux transi de sa mère et “petit-fils de pasteur en rut”, il est voyeur idem: “Je fais semblant de dormir. Elle sort d’un nuage de vapeur d’eau, et nue, se frotte avec une serviette. J’entrouvre à peine les paupières et je mémorise son corps pour la dix milliardième fois”. Mais il lui voue aussi cette haine inoculée par son père comme une toxine: trois jours avant l’assassinat de Geneva Hilliker, il profère la fameuse malédiction en souhaitant sa mort…
Dès lors, “le monde où je vis est celui qu’Elle m’a laissé et qu’Elle à travers elles m’a donné, assène le géant dégingandé au regard d’enfant sur la scène du théâtre Marigny.
Sorti en 1996, “Ma part d’Ombre” était une tentative désespérée pour tenter de retrouver le meurtrier de sa mère avec l’aide du flic à la retraite Bill Stoner. Il en sortira un hommage bouleversant, des retrouvailles presque apaisées avec “Jean”. Près de 15 ans plus tard, “La Malédiction Hilliker” est un numéro d’auto-analyse virtuose, égotique et obsessionnel sur l’air qui m’aime me suive, rien à foutre de ce que vous pourrez penser. Avec un seul objet: “pour que les femmes m’aiment”, écrit-il sans masque en ouverture du livre… les Femmes de sa vie, et les autres, toutes les femmes, et non plus sa mère unique et déifiée.
« Jean Hilliker aurait 95 ans aujourd’hui. La Malédiction est vieille de cinquante-deux ans. J’ai passé cinq décennies à chercher une femme pour détruire un mythe». Place à l’obsédé sexuel onaniste mais “sooo romantic”: “Je m’allonge dans le noir, je ferme les yeux et je réfléchis. Avant tout, je pense aux femmes. Assez souvent, je tremble et je sanglote. Mon coeur se gonfle au moment où des visages de femmes se fondent dans des aventures imaginaires…” Et c’est parti sur le grand huit des femmes de sa vie à un train d’enfer.
Entrée en matière avec cet extrait:
Un document témoigne de ma fixation précoce. Il est daté du 17 février 1955. Il précède de trois ans la Malédiction. C’est un tirage sur papier Kodak en noir et blanc, qui représente un terrain de jeu. Une cage à poules, deux toboggans et un bac à sable encombrent le premier plan. Je suis debout, seul, sur la gauche. J’ai l’air d’une grande perche, les cheveux en bataille. Il est évident que je suis un gamin perturbé. Quelqu’un qui ne me connaît pas me classerait tout de suite môme à problèmes qui en bave tous les jours. J’ai des yeux de fouine. Ils sont braqués sur quatre fillettes, qui forment un groupe sur la droite de l’image. La photo regorge d’enfants qui jouent allègrement avec divers objets. Mais moi, je suis recroquevillé sur moi-même, absorbé par mon examen. J’observe ces gamines avec une intensité ahurissante. A cinquante-cinq ans de distance, je vais relire mes propres pensées.
Je crois que c’est ma mère qui a pris cette photo. Un adulte impartial aurait recadré la scène pour en exclure le gamin caractériel.
Auto-flagellation bien protestante de petit blanc dingo prédestiné selon lui-même à se biturer, à se droguer, à s’introduire chez les femmes pour les reluquer et voler leurs dessous ?
C’est ainsi. Ellroy en joue aussi quand il raconte avoir commandé une paire de lunettes à rayon X dans un “Comics” en dressant “la liste de toutes les filles de l’école et de l’église que je pourrais voir nues”. Les lunettes arrivent, vissées sur les yeux, James lorgne comme un fou sa voisine Sandy et sa mère en train de poser des guirlandes de Noël dans le jardin d’à côté. Evidemment Rien, une arnaque…grosse désillusion à l’arrivée sous le regard méprisant de Sandy faisant tourner son doigt sur sa tempe pour dire: “il est diiiingue”.
Mais fort heureusement, il y aura cette baby-sitter allemande de 17-18 ans, “grassouillette et couverte d’acné” et “semblant tout droit sortie des Hitler Jugen” qui lui “suce la bite” à 9 ans révolus. Précoce le gamin.
Suivront donc cinq décennies d’errance (les 10 première années à boire, se défoncer, pratiquer le vol avec effraction, mater les femmes…) à poursuivre la Femme cardinale, figure centrale de son oeuvre qui feront de lui un immense écrivain, à travers toutes les femmes. A commencer par Elisabeth Short, le “Dahlia Noir”, une jeune starlette assassinée en 1947 dans des conditions atroces, projection assumée-fantasmée de Geneva Hilliker.
Homme impossible à vivre, totalement cintré, jaloux, égocentrique, partant dans des diatribes hallucinées, puis fondant en larmes comme un enfant, “Je t’aime, j’ai peur”…elles le surnomment “mad dog”. Il est de droite, fan intransigeant de Beethoven…pourquoi les choisit-il libres, gauchistes, aimant le rock, lui demande Arnaud Viviant. “J’ai l’esprit ouvert”, répond il sans rire. La vérité c’est que faute d’avoir tué le père, il les aime toujours à l’image de sa mère. Dans l’obsession amoureuse. Cela donne ce rêve éveillé avec Joan, la “déesse rouge” (encore), la femme centrale qui l’a quitté sans crier gare (on la comprend un peu) il y a quelques années:
“Je vois Joan avec des hommes étranges. Elle répète des mouvements sensuels qu’elle a inventé pour moi. Je la vois baiser avec ses anciens amants. Je la vois draguer des Noirs. Je la vois surfer sur internet à la recherche de types montés comme des bourricots…” , écrit-il dans cette langue folle que n’aurait pas renié Céline.
Mais aujourd’hui à l’issue de l’écriture de ce livre qui l’a “dévasté” dit-il, l’ado sexagénaire grimpant toujours “la Montagne de l’Amouuur” comme un dératé, le chien fou semble presque apaisé: “Voilà cinq décennies que je fais mon numéro d’enfant unique/orphelin/coureur de jupons/mari à temps partiel”…Il est temps de se poser Mec. Et voilà que James Ellroy dédicace ce quinzième roman à Erika Schickel, son actuelle compagne. “Voilà ce qui me stupéfie : j’aime Erika au-delà de toutes mes espérances”, écrit le supposé misogyne et sociopathe.
Etes-vous Misogyne ?
Aïe Arnaud Viviant a eu la mauvaise idée de lui poser la question: “C’est la question la plus stupide que j’ai entendu en trente ans de carrière”, répond l’écrivain rock star jouant à peine la colère feinte. Eric Naulleau est plus chanceux en lui demandant si d’aventure “La malédiction Hilliker” ne constituerait-elle pas l’introduction idéale à toute son oeuvre pour les novices qui ne sauraient par où commencer avec ce monstre vivant de la littérature noire : “C’est la question la plus intelligente que l’on m’a posé depuis le début de ma tournée européenne”…
La psychanalyse ? “Je vois un psychothérapeute, c’est un piètre substitut à la prière”. Haw Haw quel numéro d’acteur ! Une dernière pour la route: L’écriture ?”Depuis plus de trente ans, je recherche obstinément la perfection à travers toutes ces femmes prototypes qui m’ont mené à LA Femme”. La salle de Marigny en redemande. Mais le show Ellroy est terminé, il est temps de prendre congés: “On y va ?” lance-t-il à François Guérif, son “meilleur éditeur à travers le monde”. Une séance de signatures à la volée pour la foule des fans enamourés. Et Adios, une dernière provocation en direction de “ces enculés de français existentialistes qui adorent ce trou du cul d’Obama” et le fou furieux se carapate.
Au menu de son séjour parisien: une discussion avec Guérif au sujet de son prochain roman, un “nouveau volet” après le quatuor Los Angeles (“Le Dahlia Noir”, “Le Grand Nulle Part”, “LA Confidential” et “White Jazz”)…La suite de la trilogie américaine (“American Tabloid”, “American Death Trip”, “Underworld USA”) attendra.
Alors c’en est vraiment fini de son obsession oedipienne des femmes, la notre, celle de tous les hommes cherchant LA Femme pour en finir avec Maman ? Faut croire: “Avec ce livre j’ai fais ma révolution du coeur, elle est en moi, elles sont toutes en moi et je vis avec”, assure James presque apaisé. Jusqu’à la prochaine fois. Car la rouquine Geneva est toujours là sur cet autel littéraire qu’un petit garçon de 10 ans inconsolable et torturé par la culpabilité lui a dressé livre après livre: “J’écris des livres pour consoler le fantôme qu’elle est devenue. Elle est omniprésente et toujours insolite. les autres femmes sont faites de chair et leur sang”. C’est bien le mot de la Fin.
Jean-Christophe Féraud
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Article Initialement publié sur Mon Écran Radar
Crédit Photo Flickr CC : Mark Coggins / Tomi Kukkonen / Mao Paolis /
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