Facebook: parlez des autres, vous vous ferez des amis
Dans une étude récente portant sur plus d'un million de statuts, la "data team" de Facebook analyse les types de prise de parole sur ce nouvel espace public.
Les statisticiens de Facebook ont décortiqué environ un million de «statuts» anglophones pour comprendre comment fonctionne cet étrange rituel qui occupe chaque jour 12% de ses 500 millions d’utilisateur: expliquer à l’ensemble de ses «amis» ce que l’on est en train de faire («what are you doing right now?», l’invite initiale) ou ce que l’on a en tête («What’s on your mind?»).
Ils se sont également demandé s’il existait des relations de cause à effet entre la composition de ces messages et l’entregent affiché.
Les résultats montrent que les personnes les plus populaires:
1. s’adressent individuellement aux autres (ils emploient plus souvent «tu», éventuellement «nous» plutôt que «je»)1
2. publient des statuts plus longs
3. parlent souvent de musique, de sexe et d’argent
4. recourent moins souvent à l’émotion
5. mentionnent moins souvent leur famille
6. utilisent moins souvent le passé et le présent
On remarque donc que les messages qui émergent (ceux qui s’adressent au plus large public, plutôt qu’au plus vaste cercle d’amis) tendent à se conformer aux canons de la prise de parole classique dans l’espace public: des messages plus structurés, désinvestis et moins personnels, se projetant vers l’avenir (fût-il proche).
Facebook a aussi fait étudier les statuts qui appellent le commentaire et ceux qui entraînent la recommandation. On constate là un usage complémentaire des deux fonctions: les mots classés positifs provoquent plutôt des «likes» et les négatifs des commentaires. De même, les messages longs et rédigés (notamment l’utilisation de pronoms) appellent de nombreuses interactions quand les statuts plus personnels éteignent la discussion (typiquement: les messages à tonalité religieuse obtiennent des recommandations mais pas de commentaires et ceux qui relatent la qualité du sommeil font fuir les deux).
Il faut toujours rappeler qu’il n’y a là que corrélations (des variables qui évoluent ensemble) et pas de causalité prouvée. On peut également souligner que les statistiques sur Facebook sont produites par Facebook et exploitées par les mêmes. Quel que soit le crédit que l’on puisse accorder à l’indépendance de la «data team», on note que les conclusions vont plutôt dans le sens de l’apaisement, des sentiments positifs, comportements que la société Facebook a intérêt à promouvoir.
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Article initialement publié sur Le bac à sable, un blog Mediapart
Illustration CC: Kevin Saff
- Ce premier constat évoque fortement une contribution postée par Dave Mandl sur la liste Nettime-l en novembre intitulée «It’s not what you twet, it’s who you tweet» (ce qui est important, ce n’est pas ce que vous tweetez, mais qui vous retweetez). Sans l’étayer par des statistiques, Mandl y expose quelques ressorts psychologiques de Twitter, qui s’appliquent assez bien à Facebook: «A la surface, un retweet est une façon de dire “hé, Untel a tweeté ceci et je trouve que c’est si intelligent/hilarant/fascinant que je veux le partager avec tous mes followers”. Mais si on creuse un peu, c’est plus compliqué. Un peu comme il existe des “label queens” qui n’envisagent de porter que des vêtements dessinés par tel ou tel créateur, il y a des utilisateurs de Twitter qui semble ne retwetter que des “Noms” – des célébrités de leur petit milieu. Retweeter un Nom montre combien vous êtes dans le flux, à quel point vous lisez les bonnes sources ou qui vous fréquentez. En fait, certaines personnes sont prêtes à retweeter les messages les plus creux pourvus qu’ils viennent d’un Nom – l’équivalent sur Twitter du fait de rire aux blagues pas drôles de votre chef de bureau. De la même façon et pour les mêmes raisons, beaucoup ne citerons jamais quelqu’un qui n’est pas un Nom. Pour les snobs, il n’y a aucun bénéfice à retweeter quelqu’un qui n’est personne.» [↩]
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