Du 22 à Asnières à Twitter, la France entre dans l’économie 2.0
Observateur inlassable du développement du numérique en terre gauloise, Jean-Michel Billaut fait le point sur ce secteur d'activité, les obstacles à sa croissance mais aussi et surtout les raisons d'y croire.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis Fernand Raynaud et son célèbre sketch de 1955, sketch qui tournait en dérision le retard français en matière de téléphone.
Ce retard a été rattrapé par Giscard d’Estaing et Gérard Théry, que Giscard avait appelé à la tête de l’administration de la DGT (Direction générale des télécommunications). Laquelle est devenue beaucoup plus tard France Telecom. Retard ? De Gaulle trouvait que le téléphone était inutile pour les Michu, au même titre que l’élite d’aujourd’hui jugeait jusqu’à une date très récente (?) que les enfants Michu n’avaient nul besoin de fibre optique.
La “grosse” informatique est ensuite arrivée dans les années 60, suivie de la micro-informatique à la fin des années 70 et au début des années 1980 (l’Apple II, le PC puis le Mac). Notre belle élite politico-industrielle gauloise de l’époque s’y est essayée avec les déboires que l’on connaît : le Plan Calcul, l’affaire Goupil, le plan informatique pour tous (on a loupé le Mac, Monsieur Fabius, au profit de l’inénarrable TO7…)…
Est arrivé le Minitel et son modèle économique de type étatique (Gérard Théry encore)… Notre État fait fabriquer le terminal, le donne gratuitement. Et met en œuvre le kiosque avec différents paliers de rémunération des fournisseurs de services. Grosse réussite reconnue dans le monde entier… Mais malheureusement, il n’y a que chez nous, en gros, que cela a fonctionné. Et notre modèle franco-français étatique n’a pas tenu devant “l’open tsunami” Internet. Et dire que c’est un Français, Louis Pouzin, qui a inventé le datagramme, base du protocole IP. Mais notre grande élite de l’époque lui a préféré Transpac et son X25 – là aussi on a tout loupé, d’autant plus que l’on mit Transpac à la poubelle il y a quelques mois… Mais laissons cela… pour l’instant (j’oubliais aussi dans ce musée des inepties gauloises, l’affaire de Biarritz et son réseau de vidéocommunication : coût de la prise environ 55.000 euros/abonné alors qu’aujourd’hui on crie au scandale pour le coût de la fibre optique qui serait de l’ordre de 2.000 euros/abonné maximum… )
Mais revenons à notre époque…
Début 2000 : la bulle Internet éclate. Vague à l’âme pendant deux ans pour l’Humanité. Ce qui lui arrive de temps à autre (rappelez-vous les oignons de tulipes..). Et cela repart de plus belle par la suite avec de nouveaux outils toujours sur la base du protocole IP. Et là… une révolution silencieuse démarre, que d’aucuns appellent le 2.0. Pas de défilés dans les rues, pas de blocages de raffineries, pas de casseurs, pas de CRS… à la sauce 1.0… Une révolution des oeillets en somme.
L’économie numérique se met en marche… Quelques élucubrations dominicales, pêle-mêle…
1/ Petit rappel sur le sens de cette expression 2.0 qui donne des boutons à certains de mes amis très 1.0, et qui tiennent à le rester… Quand un éditeur de logiciels publie un nouveau logiciel, c’est la version 1.0. Les clients y trouvent des bogues, veulent des améliorations… L’éditeur se remet au travail et sort plus tard la version 2.0… Il en est de même avec le web. Avant la bulle on faisait des “web plaquettes”. Après la bulle, de nouveaux outils sont apparus (blog, RSS, réseaux sociaux, plateformes vidéo, SaaS, cloud, etc.). Ce qui a permis à des gens divers et variés, complètement inconnus, de publier du contenu sans barrière élitiste, de communiquer entre eux de façon simple et gratuite, de créer de nouveaux services, etc. Ce qui a fait dire à Tim O’Reilly (un éditeur de livres d’informatique de Californie) que le web était passé en version 2.0. Dernière étape : avec ces nouveaux outils, d’aucuns ont mis en oeuvre de nouvelles plateformes d’intermédiation dans tous les secteurs d’activité économique. Par analogie à l’édition de logiciel, et au web 2.0, on parle maintenant d’immobilier 2.0, de banque 2.0, etc.
L’économie dans son ensemble se met donc au 2.0. Le phénomène en est certes encore dans ses premiers balbutiements… Mais à mon avis rien ne l’arrêtera, d’autant plus que “la fabrication” d’outils 2.0 est loin d’être terminée. Nos digital natives commencent à prendre le relai des papies/mamies 1.0, qui eux, avaient maîtrisé les technologies plus anciennes (le hertzien, l’analogique, le print, les magasins, les agences, etc.). Et donc les usages allant avec. Usages, qui ne sont plus les mêmes avec ces outils 2.0.
2/ J’ai été absent pendant tout le 2ème semestre 2009 (amputation, rééducation, blablabla…). Histoire de m’occuper, j’ai créé les e-billautshows depuis janvier de cette année. Et j’ai interviewé à distance environ deux cents jeunes, et moins jeunes, chefs d’entreprise dans le monde de l’Internet… Et je dois dire que je suis très étonné de ce qui se passe… Je ne pensais pas que cela était possible dans notre pays, toujours très guindé dans le politiquement correct, refusant de voir que le monde autour de lui change à vitesse grand V, refusant de s’adapter, s’arcboutant sur ses avantages acquis au cours de la révolution industrielle (l’économie 1.0 en somme). Mais avec nos e-galopins, je suis confiant dans l’avenir de la France. Difficile de toutefois de tirer une synthèse. Mais on peut s’y essayer…
Trois ou quatre “Google like”
3/ La première chose qui me vient à l’esprit, est que sur le plan de l’économie 2.0 nous n’avons rien à envier à la Silicon Valley ou autres régions. Toutes proportions gardées naturellement… Regardez ou revoyez les vingt derniers e-billautshows par exemple : trois ou quatre entreprises sont de niveau international, capable de créer un “Google like” dans leur domaine, avec des activités worldwide sans bouger de Vannes, de Roubaix, ou de Paris… Car autre chose tout a fait intéressante : il n’y a pas qu’à Paris qu’il y a des start-ups Internet.. Mais un peu partout sur le territoire (même à Limoges..)… J’estime qu’il y en a aux alentours de 10.000 (estimation au doigt très mouillé de ma part). Et il s’en crée tous les jours… De plus en plus, il faudra y ajouter celles qui vont naître dans les nanotechnologies, la biologie synthétique, les robots (déjà deux ou trois belles entreprises chez nous dans ce domaine), le greentech (déjà pas mal)…
4/ Mais pourquoi donc cela se produit-il maintenant ? La première chose à remarquer est que notre pays bénéfice de très bons accès Internet, à des prix fixes, et plutôt faibles : des prix de grande consommation. Ce qui n’est pas le cas dans beaucoup d’autres contrées. On peut en remercier nos gouvernements qui ont démonopolisé notre opérateur historique (sinon, on en serait encore probablement au modem à 56 kilos, et là, le 2.0 est impossible). On peut aussi remercier Xavier Niel (si, si – merci de noter que je n’ai pas d’actions chez Iliad/Free)… Xavier donc, a imposé le prix fixe – indépendant du volume téléchargé – et le concept de box. Ce qui fait que les concurrents ont dû s’adapter… Cela étant je n’aurais pas démonopolisé FT comme cela a été fait… De même pour les box (discussions rudes avec Xavier sur ce point…).
5/ Un bon réseau de télécommunications cuivre, certes … Et surtout des jeunes qui en veulent et qui ont trouvé dans ces nouvelles e-activités une raison de travailler… et de “prendre leur pied”. Et qui préfèrent se lancer dans l’e-entreprenariat plutôt que de viser l’ENA ou autres bidules du même genre. Ces jeunes ont les “tripes sur la table”, et ne me donnent pas trop l’impression de se préoccuper de leur retraite à venir…
Des e-galopins qui en veulent
6/ Est-ce facile pour eux de créer leur entreprise en France ? La plupart me disent non, ce n’est pas facile. La France n’est pas un pays de forte conviction entrepreneuriale, la culture du risque y est peu répandue (certaines familles de notables préfèrent que leurs gamins fassent l’ENA et deviennent fonctionnaires). Sur dix startups, deux ou trois seulement vivront bien… Certaines mettront la clé sous la porte, et comme le failli en France est banni de la belle société gauloise, alors qu’ailleurs, c’est l’inverse… Trouver des financements est aussi une galère. Il y a du mieux certes dans les aides publiques, mais pour le privé : “Les gens qui ont de l’argent et qui sont généralement âgés peuvent investir. Mais ils ne comprennent pas toujours ce que l’on veut faire.” D’où certains s’expatrient… Et ceux qui restent, ont deux fois plus de peine…
7/ Mais que font-ils dans leurs startups ? On peut là aussi se risquer à un classement… On en retrouve un peu dans le hardware (Noomeo), un peu dans la tripaille Internet (Cedexis, Witbe…), dans l’organisation des réseaux de télécommunications (il semble qu’il y en aura de plus en plus comme Céleste, Direct Télécom, etc). Mais c’est surtout dans le domaine des services 2.0 entendus au sens large qu’un les trouve. En fait, ils s’ingénient à reconfigurer les chaînes de valeur de l’intermédiation traditionnelle.
Dans le monde 1.0 en effet, une nuée d’intermédiaires font l’adéquation de l’offre à la demande de n’importe quoi, en utilisant les technologies traditionnelles. Ce qui fait que les marchés sont opaques pour le consommateur. L’IP avec les outils du 2.0 permet de les rendre plus transparents, et moins chers. Je pense ainsi faire une économie de 200 euros pour changer le train de pneus de ma billautmobile en les achetant sur l’Internet et en les faisant livrer chez mon garagiste pour le montage. Dans le 1.0, mon garage traditionnel me propose quatre pneus à 600 euros (et encore c’est en promotion !). Sans le montage. Sur Allopneus et autres : 400 euros, sans le montage. Le passage du 1.0 au 2.0 me fait donc gagner 200 €. Sans compter que ce 2.0 permet de créer de nouveaux services qu’on ne pouvait faire avant.
8/Les papies/mamies 1.0 de notre belle élite les raillent, et en rigolent. Ils pensent que tout cela ne concerne que les étudiants boutonneux : “il faut bien que jeunesse se passe” et autres phrases toutes faites que j’ai entendues… Et il me revient en mémoire une phrase du mahatma Gandhi : “first they ignore you, then they laugh at you, then they fight you, then you win…” J’ai en effet l’impression qu’il y a deux France… La France 1.0 toujours prédominante avec ses médias traditionnels, ses élus 1.0 qui sont à la traîne par rapport à leurs électeurs des générations plus jeunes, nos deux partis politiques qui se chipotent un peu partout et se montrent à la télé 1.0, nos syndicalistes qui défilent dans les rues, etc.
Et la France 2.0 qui elle, travaille probablement plus de huit heures par jour… Mouvement souterrain qui va miner les structures 1.0 à terme. J’estime que l’Internet aujourd’hui doit réaliser quelque chose comme 4.0 % du PIB français… (contre un peu plus de 7% en Angleterre)… J’aurais l’occasion de revenir sur ce point.
Les réseaux sociaux à en croire cette vidéo vont changer complétement la donne, sans attendre probablement que les papies/mamies 1.0 partent chez Dieu le père…
Bref la France se bouge… en silence, sans cris et sans fureur… Une révolution des e-œillets…
Hardis les p’tits gars…
—
Billet initialement publié sur le blog de Jean-Michel Billaut sous le titre “Du 22 à Asnières à Twitter, la France entre dans l’économie 2.0… sans bruits, sans cris et sans fureur”
Image CC Flickr alles-schlumpf, yesyesnono et Biappi
Laisser un commentaire