Le gouvernement australien saute dans le 2.0
Alors qu'en France nous avons france.fr, l'administration australienne s'est mise à l'heure du web. Elle s’engage, entre autres, à libérer ses données. Des concours de réutilisation sont même lancés pour pousser les australiens à se les approprier.
Julien Leyre est résident australien d’origine française a initialement publié cet état des lieux du gouvernement 2.0 en Australie sur RegardsCitoyens.org. Il est chargé du dossier Government 2.0 au Department of Primary Industries du gouvernement de l’État de Victoria. Il a écrit cet article en collaboration avec Deborah Peterson, deputy secretary en charge des politiques publiques et de la stratégie.
Le gouvernement australien vient d’annoncer ses nouvelles avancées en matière de gouvernement 2.0. Le 16 juillet 2010, la Ministre des finances et de la dérégulation Lindsay Tanner déclarait ainsi : « le gouvernement australien déclare que, pour promouvoir une plus grande participation démocratique, il s’engage à l’ouverture en développant une culture de l’engagement citoyen, fondée sur une plus grande accessibilité de l’information et des données détenues par l’État , et soutenue par une utilisation innovante de la technologie. ». Cette déclaration s’inscrit dans le cadre d’une série de projets et de déclarations similaires, tant au niveau de l’État fédéral que dans les états fédérés.
La pièce maîtresse de ces développements récents est un rapport remis le 7 décembre 2009 au gouvernement fédéral intitulé Engage: getting on with government 2.0. On y trouve 13 recommandations visant à développer l’engagement citoyen via une meilleure utilisation des nouvelles technologies. Parmi les mesures proposées, on trouve la modification du système de droit d’auteur pour les publications administratives, la création d’une autorité chargée d’encadrer le développement du gouvernement 2.0, et diverses mesures ayant pour but de rendre le fonctionnement du service public plus collaboratif et plus transparent. Le gouvernement fédéral a répondu favorablement à ce rapport en approuvant 12 des 13 recommandations. La première consistait en une déclaration publique d’ouverture gouvernementale, ce qui est désormais chose faite.
Cette politique d’ouverture apparaît ailleurs. Une nouvelle loi sur la liberté de l’information (Freedom of Information Act) a ainsi été votée en mai 2010, rendant accessible au public la majorité des données détenues par les agences gouvernementales. En outre, ces agences doivent publier un rapport annuel et un certain nombre d’informations concernant leur organisation interne rapport annuel. De façon générale, il s’agit de sortir d’une culture considérant que toute information doit, par défaut, être tenue secrète.
On trouve un message similaire dans un rapport sur l’avenir du service public intitulé Ahead of the game (« En avance sur son temps »). Celui-ci recommande un meilleur partage de l’information et des données du secteur public, et propose des mécanismes pour en améliorer l’accès. Notons aussi un effort continu vers la réduction des lourdeurs du système bureaucratique et la simplification des procédures de contrôle et de régulation.
Agir sur les administrations publiques
Le premier champ d’action ainsi défini concerne le mode d’organisation des administrations. Il s’agit de promouvoir l’ouverture en insufflant une nouvelle culture du service public afin de permettre un meilleur partage de l’information, une plus grande participation et un plus grand contrôle des citoyens sur le fonctionnement de leurs institutions.
Plusieurs stratégies sont développées pour y parvenir, à commencer par une présence accrue en ligne des agents de l’État. Ainsi, le code de conduite des agents du service public australien comprend depuis 2009 un long paragraphe sur la participation aux discussions et débats en ligne. Des restrictions s’appliquent — confidentialité, respect, impartialité, etc. — mais le texte engage explicitement les agents à participer aux discussions et forums en ligne, et à faire usage de leur expertise pour clarifier les termes du débat tout en se mettant à l’écoute des citoyens.
Des plates-formes web à destination des fonctionnaires sont aussi mises à l’essai. Au niveau fédéral, on peut mentionner le blog Govspace qui recense les projets réalisés par le service public australien pour encourager le partage d’expérience et les discussions. De son côté, l’État de Victoria a développé pour ses fonctionnaires l’intranet « VPS Hub » qui permet notamment de former des groupes d’intérêt, de lancer des projets communs ou de participer à des forums sur des thèmes transversaux entre divers services, sans passer par les hiérarchies et les divisions bureaucratiques traditionnelles.
Ouvrir les données du service public
Mais le champ d’action ne se limite pas à la gouvernance des administrations. Un point central du rapport sur le Gouvernment 2.0 invite à considérer les données et les informations détenues par les administrations publiques comme une ressource nationale, source de valeur potentielle, et dont il convient de faire bénéficier l’ensemble du pays. Rapports, statistiques et projets doivent être accessibles pour que le public puisse analyser et éventuellement critiquer les mauvaises pratiques, mais aussi à des fins de recherche ou pour leur réutilisation par quiconque le souhaiterait.
Un tel changement n’est pas simple : traditionnellement, toutes les publications gouvernementales australiennes sont strictement protégées par le régime du ‘crown copyright’ (ou copyright de la couronne) qui interdit de les reproduire ou les réemployer sans en demander la permission, un processus long pour le demandeur et coûteux pour l’État. Le gouvernement fédéral ainsi que l’État de Victoria ont dorénavant donné leurs accords de principe pour que tout document développé par le service public soit désormais publié par défaut sous une licence libre autorisant le partage et la réutilisation (CC-BY) dont un groupe d’étude envisage les modalités précises d’application. C’est déjà sous ce régime qu’a été publié le budget fédéral 2010 - 2011 ainsi que l’essentiel des jeux de données sur la version beta du data.australia.gov.au.
Deux agences à mission plus scientifique – l’Australian Bureau of Statistics et Geoscience Australia – publient déjà la plupart de leurs documents sous cette licence. L’extension de ce régime à des données culturelles (musées, télévisions publiques, …) est également à l’étude.
Pour répondre aux questions d’accessibilité, le gouvernement propose par ailleurs un formatage systématique en HTML plutôt qu’exclusivement en PDF, permettant ainsi la lecture automatique. Citons également l’initiative de la capitale fédérale Canberra avec le site Daily on Demand, qui donne accès individuellement aux interventions des parlementaires sous format vidéo.
Encouragement à l’e-participation
Signalons enfin des initiatives visant plus directement la participation du public. Plusieurs juridictions organisent des concours de réutilisation – ou mashup – des données ouvertes par le service public. On peut mentionner aussi des initiatives comme Fix My Street dans la capitale fédérale, qui permet de signaler directement les problèmes de voirie au conseil municipal, à l’image du projet citoyen de mySociety en Angleterre. Dans l’Australie de l’ouest, le Shared Land Information Platform (« plate-forme d’information géographique partagée »), recense l’essentiel des données géographiques et propose des exemples de réutilisation en vue de nouveaux mash-ups comme le projet primé LobbyLens.
Les citoyens se saisissent progressivement également de ces pratiques et viennent les enrichir avec diverses initiatives invitant au dialogue comme la plateforme de commentaire OurSay.org, ou proposant un regard sur les évènements de la vie démocratique avec par exemple OpenAustralia.org, myPolitician.com.au et diverses expériences liées aux récentes élections comme Aussies Vote ou encore la reprise du projet anglais ElectionLeaflets.org.au.
Mentionnons pour finir l’initiative de la région métropolitaine de Melbourne : le plan de développement décennal 2010 - 2020, Future Melbourne, a été proposé aux commentaires du public sous la forme d’un wiki. Le site web offrait également la possibilité de poster des commentaires sur un blog ou, plus original, d’imaginer des ‘scénarios futurs’ pour le grand Melbourne.
Il est encore tôt pour juger du succès de ces développements récents et de leurs effets sur la vie démocratique : le développement du gouvernement 2.0 va-t-il permettre une meilleure participation des citoyens à la vie démocratique, ou conduire au contraire à une surreprésentation de certains segments de la société, mieux connectés, plus riches et plus éduqués ? La transformation proposée du service public produira-t-elle des agents de l’État plus en phase avec leurs administrés ou surchargera-t-elle de travail les services publics ? Quoi qu’il en soit, ces récents développements placent l’Australie parmi les pionniers dans ce domaine, et ceux qui s’intéressent à l’influence d’internet sur le développement des institutions démocratiques peuvent garder un œil attentif sur les Antipodes.
Pour en savoir plus (en anglais)Â :
- eGov AU — Does Gov 2.0 require government leadership or participation?
- ePSIPlatform — State of Play: PSI Reuse in Australia
- Victoria eGov — Government 2.0 Action Plan Victoria
Cet article sous CC-by-sa initialement publié sur Regardscitoyens.org
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