Le fichage des élèves vanné au Conseil d’Etat
Mercredi dernier a eu lieu une audition publique au Conseil d'État dans le cadre d'un recours en annulation contre deux bases ministérielles. Les conclusions du rapporteur public sont allées dans le sens des requérants.
Déjà critiqué par l’ONU, le fichier Base Élèves vient d’être une nouvelle fois remis en cause lors d’une audience publique qui s’est déroulé mercredi dernier au Conseil d’État. Cette audience constituait la première étape d’un recours en annulation engagé par deux Isérois, Vincent Fristot, un parent d’élève, et Mireille Charpy, une ancienne directrice d’école, soutenus par des syndicats (PAS 38 UDAS et SNUipp 38) et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). Comme tous les membres du collectif national de résistance à Base Élèves (CNRBE) parents d’élèves, professeurs, syndicats…, ils s’inquiètent des dérives du fichage scolaire, en l’occurrence les fichiers ministériels « Base élèves premier degré » (BE1D) et la « Base nationale des identifiants élèves » (BNIE), mis en Å“uvre en 2004, auxquels les directeurs d’école ne peuvent déroger sous peine de sanctions. Ils ont donc décidé de tenter de les faire invalider. Le résultat de cette audience les conforte dans le bien-fondé de leur démarche, en mettant à mal les louables intentions affichées officiellement :
“L’application informatique ”Base élèves premier degré” permet la gestion administrative et pédagogique des élèves de la maternelle au C.M.2 dans les écoles publiques ou privées. Elle facilite la répartition des élèves dans les classes et le suivi des parcours scolaires et améliore le pilotage académique et national.” [Elle] “ne comporte pas d’informations sur la nationalité et l’origine des élèves et de leurs responsables légaux, la situation familiale, la profession et la catégorie sociale des parents, l’absentéisme, les besoins éducatifs particuliers, la santé des élèves, les notes et les acquis de l’élève”
A contrario, le rapporteur public a en effet énoncé plusieurs points allant dans le sens du collectif :
Demande d’annulation de la décision initiale de créer BE, mise en œuvre prématurée avant récépissé de la CNIL, collecte illégale de données sur la santé, annulation de l’interdiction du droit théorique d’opposition des parents, caractère « excessif » de la durée de conservation des données de la Base Nationale des Identifiants Elèves (35 ans)
Toutefois, les opposants reste prudent : “Le « rapporteur public », en droit administratif, est un magistrat qui « expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent». À ce stade, ses conclusions ne présagent donc en rien des décisions finales du Conseil d’État — qui devraient être connues d’ici environ trois semaines. D’autant que certaines de ses conclusions proposent de donner un délai de quatre mois au ministère de l’Éducation pour essayer de régulariser la situation.”
En clair, le Conseil d’État n’est pas obligé de suivre ce jugement sévère et peut opter pour la clémence. Ou l’invalidation n’est pas forcément suivie d’un nouveau texte totalement satisfaisant, comme le rappelle, dubitatif, un proche du collectif : “Ils nous ont déjà fait le coup avec le fichier ELOI, invalidé puis réécrit, le fichier existe donc toujours.” Cet activisme avait tout de même conduit à une base plus soft. En sera-t-il de même dans ce cas ?
Mireille Charpy voit dans cet avis “une confirmation de l’illégalité des bases, depuis six ans. Ce dossier montre la façon dont sont élaborés les fichiers, dans l’opacité. Si nous n’étions pas allés au bout, les inspecteurs, les académies, auraient continué de dire qu’il n’y avait pas de base nationale. J’espère un sursaut pour que l’on revienne à des données internes aux établissements et à des remontées anonymes pour les statistiques.”
Fichiers d’une ampleur inédite
C’est surtout l’ampleur inédite et les dérives de l’utilisation de ces fichiers qui justifient l’action du collectif : “Il ne s’agit pas de fichiers scolaires mais de fichiers de tous les enfants et de leur famille – et même, des coordonnées de leurs proches- et d’une nouvelle immatriculation qui permet, par le jeu d’un identifiant unique pour 35 ans et de collectes dans différents fichiers, de rassembler un nombre impressionnant de renseignements dès 3 ans, détaille Mireille Charpy. Les dangers de ce fichage sont bien réels puisque les données sont déjà largement exploitées : géolocalisation de toutes les adresses des bases élèves en cours, interconnexions de fichiers avec d’autres administrations, orientation des élèves par des systèmes automatiques, enregistrement électronique des compétences qui comportent, sous la forme 1-0, les connaissances, les manières d’être et donc les difficultés, les incidents de parcours. Ces fichiers conduiront aux CV électroniques préparés par quelques grosses entreprises depuis une dizaine d’années. Nous avons donc pris un tournant considérable dans un fichage dont la Base élèves et cette nouvelle immatriculation des personnes dès trois ans sont les premières pierres.”
En 2008, suite à la mobilisation du CNRBE, des données sensibles -profession et la catégorie sociale des parents, la situation familiale de l’élève, l’absentéisme signalé et données relatives aux besoins éducatifs particuliers- avaient déjà été retirées par le ministre de l’Éducation d’alors, Xavier Darcos. Des corrections insuffisantes avaient expliqué le collectif.
En parallèle de cette action, 2100 parents d’élèves ont porté plainte contre X, la seule procédure possible en l’absence de class action en France.
Au même moment, en Grande-Bretagne, Nick Clegg, le nouveau vice-premier ministre, a annoncé lors de son premier discours de politique générale la suppression de ContactPoint, une base centralisée fichant les 11 millions d’élèves anglais mineurs, annonçant son intention de mettre un terme à la société de surveillance.
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À lire : le communiqué intégral du communiqué de CNRBE sur leur site ; Le fichier des enfants préoccupent l’ONU chez Bug Brother ; Quand le fichage des enfants jongle avec la loi chez # numéro lambda #
Image CC Flickr andy in nyc
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