Web de flux : j’arrose donc j’attire
La popularité d'un blog est-elle uniquement liée à l'abondance de ses écrits ? La chercheuse Susan Jamison-Powell (Sheffield Hallam University) trouve que le facteur déterminant est le nombre total de mots écrits par la personne durant la semaine. Pas la qualité de ses écrits.
Billet initialement publié sur Zéro seconde sous le titre “Vivre dans des flux”
La popularité d’un blog est-elle uniquement liée à l’abondance de ses écrits ? La chercheuse Susan Jamison-Powell (Sheffield Hallam University) trouve que le facteur déterminant est le nombre total de mots écrits par la personne durant la semaine. Pas la qualité de ses écrits. (via L’Atelier).
En observant soixante-quinze blogueurs (anglophones) sur livejournal.com, elle a trouvé que plus on écrit, plus on a de lecteurs (étude en résumé, anglais, PDF).
La quantité et la régularité sont deux facteurs importants pour s’attirer une « popularité » (La Tribune de Genève avance même que la régularité compte moins que la longueur).
Clay Shirky dans « Les Lois du pouvoir, les blogs et l’inégalité » (« Power Laws, Weblogs, and Inequality») avait déjà constaté en 2003 que « les blogs les plus populaires sont ceux mis à jour quotidiennement et surtout que la popularité d’un blog ne se décide pas, mais résulte “d’une sorte d’approbation distribuée émanant des autres blogues. » (lien via Emily Turrettin, Les Quotidiennes).
L’étude n’est peut-être pas si surprenante en fin de compte : écrire est le seul vecteur d’influence (le non-verbal est absent), il y a donc une surpondération pour un usage accru de l’écrit.
Ce qu’il y a de nouveau, c’est le développement de tout cet écosystème autour de la surabondance de l’écrit.
Nous entrons dans un monde de flux
On assiste à la fois à une comptabilisation de la « popularité » (on mesure de l’audience et non la notoriété de l’émetteur) et à une redéfinition du contenu de qualité sous une forme de « flux quantitatif »
« Les flux font se succéder rapidement des séquences d’information sur un thème. Il peut s’agir de microblogs, de hashtags, de flux d’alimentation RSS, de services multimédias ou de flux de données gérés via des APIs. » disait Nova Spivack (source Archicampus.net)
« Cette métaphore est puissante. L’idée suggère que vous viviez dans le courant : y ajoutant des choses, les consommant, les réorientant », disait danah boyd (source “Streams of content, limited attention : the flow of information through social media“, cité et traduit par Hubert Guillaud, InternetActu).
On a maintenant la possibilité de créer, mixer, remixer, relier, hyperlier et diffuser tous les contenus y compris les siens, mélangeant autorités et autoproduction. La chaîne de distribution de l’information traditionnelle déraille et de nouveaux acteurs émergent grâce à de nouvelles règles.
Dans ce contexte, les plus gros « arroseurs » reçoivent une plus grande attention. C’est un jeu de visibilité qui ressemble à un jeu à somme nul. Si je suis plus vu, tu l’es moins. L’attention se dirige vers ceux qui ont le clavier agile et prolifique.
« En offrant la même audience à chacun, on distribue le pouvoir d’attention à tous » écrivait Hubert Guillaud. Mais la redistribution de l’attention vers les « plus populaires » devient une pression quotidienne qui est un véritable ticket modérateur pour les blogueurs. Entre qui veut, mais reste qui peut.
Ratio « placoteux »/« élite »
« Il ne faut pas non plus noyer les lecteurs», ajoute Christophe Thil, interviewé dans l’article de L’Atelier,« il est essentiel de veiller à la pertinence des articles que l’on publie. [...] on évite le bruit [...], un blogueur qui vous submerge d’informations risque fort de perdre en audience ».
Vrai. Mais je crois que l’on fait fausse route en conservant une pensée de « destination » et non de flux. Les journaux et les émissions de télévision se pensent encore comme des destinations. Or, dans une économie de flux, il n’y a pas de « destination ». Ou plutôt c’est un concept fluctuant. Les liens renvoient toujours ailleurs.
Nous assistons à une « décentralisation tous azimuts » où le pouvoir est transféré en « périphérie » — où on assiste à la montée en puissance des noeuds d’un réseau condamné à « écrire » pour exister. On pourrait aussi dir e: c’est plutôt un rééquilibrage des ex-sans-voix.
L’élite d’ailleurs ne s’y trompe pas et traite de « communauté de placoteux »* ces hordes de sans-culottes qui dévaluent la parole en inondant le marché de mots au rabais. C’est une des conséquences navrantes de l’alphabétisation des masses : l’écrit s’est démocratisé pourrait-on les entendre dire.
Savoir profane
La recherche, l’acquisition, la transformation et la diffusion du savoir passaient autrefois par le transport et hier les médias de masse. Le flux est aujourd’hui en mesure de modifier la nature même du savoir, sa consommation et sa production.
Oui, on suit ceux qui écrivent beaucoup, car leurs flux de billets créent un continuum qui ressemble le plus au flux de la vie, où les récits gagnent en instantanéité tout en évitant cette élite qui s’interposait jadis entre nous et ce qu’elle décrivait.
Oui, on écrit beaucoup, mais on peut s’inscrire dans les flux, converser et réalimenter à notre tour ce flux pour d’autres.
Consommer pour comprendre, produire pour être pertinent comme le disait si brillamment danah boyd.
(929 mots – ça me classe où cette semaine ? ;-)
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*Pour les Nathalie Petrowsky qui pensent que les blogueurs dorment au gaz (parce qu’ils n’ont pas fait des « ripostes cinglantes » à Madame Bissonnette), j’ai beaucoup écrit sur le sujet en 2005 et 2006. Rien de cinglant. Juste du sensé. Mais c’est derrière nous, maintenant.
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