[WE spécial #Zik] Le MP3 anachronique
Ce week-end, l'équipe d'Owni vous propose une sélection d'articles autour de l'évolution de l'industrie de la musique. Internet a joué un rôle important dans la fuite en avant de cette industrie, qui, en dix ans, est passée de l'âge d'or aux temps obscurs. Obscurs parce que soumis à la pression de millions d'internautes qui se sont mis à échanger en masse des oeuvres musicales sous format MP3. Journaliste au Monde Interactif à l'époque des balbutiements de ce format, Olivier Zilbertin revient sur la genèse de ce qui est à présent un état de fait, et ouvre quelques perspectives.
Ce week-end, l’équipe d’Owni vous propose une sélection d’articles autour de l’évolution de l’industrie de la musique. Internet a en effet joué un rôle important dans la fuite en avant de cette industrie, qui, en dix ans, est passée de l’âge d’or aux temps obscurs. Obscurs parce que soumis à la pression de millions d’internautes qui se sont mis à échanger en masse des oeuvres musicales sous format MP3.
Journaliste au Monde Interactif à l’époque des balbutiements de ce format, Olivier Zilbertin revient sur la genèse de ce qui est à présent un état de fait.
Pendant que les maisons de disques cherchaient par tous les moyens à préserver leur pré carré, en se fondant sur la défense des droits d’auteur et un discours rôdé autour de leur indispensable rôle dans la découverte et la promotion des nouveaux talents, les ventes de disques chutaient et Apple révolutionnait les usages en profitant de la situation.
Aujourd’hui, nous n’avons jamais autant écouté de musique, et les nouveaux groupes foisonnent, profitant des coûts très faibles de diffusion de leur musique sur le réseau. Reste à trouver de nouveaux moyens de créer de la valeur. Virginie Berger propose quelques solutions pragmatiques: son article avait été particulièrement apprécié et partagé, nous l’avons traduit en anglais.
Gilles Babinet de Sawndblog propose une réflexion centrée sur l’artiste en 2010.
Quant à Aurélien Fache aka @mathemagie, aka ownidj, il vous propose une sélection de près de 24 heures de musique. Enjoy – Tous ces billets sont à découvrir en ce WE spécial Zik, sur Owni !
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En fouillant dans mes archives, je suis tombé sur quelques « pépites ». Des articles « techno » vieux de plus de dix ans, qui se penchaient sur la situation de la musique et de l’industrie du disque face à l’arrivée du MP3. Si jamais je devais me moquer dans les lignes qui suivent de quelques prédictions et réflexions aujourd’hui dépassées, je ne pourrais le faire que gentiment puisqu’il se trouve que j’en suis l’auteur. Pour l’un d’entre eux, j’en suis précisément le co-auteur avec Guillaume Fraissard, qui m’a autorisé à le reproduire ici et sur mon blog (www.blogOZ.fr). A l’époque, nous travaillions tous les deux pour le Monde Interactif, le supplément hebdomadaire du Monde consacré aux nouvelles technologies, en particulier celles de l’information et de la communication (NTIC). Un bon poste d’observation de toutes les transformations de la société liées à ces NTIC.
En février 99, donc, nous avions consacrés un dossier de « Une » à la musique en ligne. Son titre : « Il faudra payer les notes sur Internet ». On peut lire ici l’article de synthèse. « Les grandes manœuvres ont bel et bien commencé sur le front de l’Internet musical, écrivions nous. Il faut dire que, des artistes aux producteurs, en passant par les éditeurs et les distributeurs, nul acteur de la filière ne peut plus feindre d’ignorer les bouleversements engendrés par la diffusion de fichiers audio en ligne : de la musique de qualité CD circule rapidement sur le Web et peut se reproduire facilement à des milliers d’exemplaires partout dans le monde et à moindre coût ! Voilà, en substance, ce qui se cache réellement derrière le sigle MP3. ». Ou encore : « Téléchargement et vente en ligne : les nouvelles formes de diffusion vont obliger éditeurs et distributeurs à repenser leur métier ». Visionnaires, non ?
Le MP3 était pourtant loin d’être déjà devenu un standard. Au contraire. J’expliquais dans cet autre article « la technique reste la meilleure défense du disque », que se procurer un fichier à ce format relevait de l’exploit pour qui du moins n’était pas rompu aux langages ésotériques de l’informatique et des réseaux. Pour preuve, j’avais écrit : « QUESTION sur un forum de discussion : « Quelqu’un pourrait-il m’indiquer où trouver des fichiers MP3 ? » Réponse d’un anonyme : « Commence par chercher sur irc sur des channels comme #mp3 #mp3files #mpeg3files #mp3direct sur le serveur efnet puis tu trouvera [sic] des tounes que tu pourrais télécharger directement à l’aide de commande ou bien juste te trouver des sites ftp avec les annonces que d’autres utilisateurs diffusent sur les channels la commande pour te faire venir des tounes est : /ctcp (nick) xdcc send #1 ou 2… » .
Bref, si «MP3 » était à l’époque le troisième mot-clef le plus recherché sur Yahoo, la musique en ligne était encore loin d’être accessible à tous et le net loin d’être devenu l’auditorium géant et gratuit que l’on décrivait parfois. Quelques mois plus tôt seulement venait juste d’arriver sur le marché le premier lecteur de MP3 portable, le RIO, et l’Ipod n’existait pas encore. Il fallait théoriquement 9 minutes de téléchargement au mieux pour en récupérer une de musique, avec un modem 28.8, le plus répandu à l’époque. Débits riquiqui, disques durs étriqués, coût élevés du stockage : le MP3 a été inventé pour répondre à ces lourdes contraintes techniques. En échange de quoi, il faut se contenter d’une musique sensiblement dégradée.
Les temps ont bien changé. Si de nombreuses problématiques d’hier restent d’actualité, on peut néanmoins se demander quelle est encore aujourd’hui la raison d’être de ce format. Le haut débit s’est généralisé, et télécharger des albums entiers ne prend plus que quelques instants. Les ordinateurs premiers prix disposent par ailleurs de disques durs de plusieurs centaines de gigas, tout comme les supports de stockages externes bon marché.
Au-delà de cette interrogation purement technique, ce sont évidemment d’autres enjeux du net qui se nouent : si l’on veut que l’internaute paie sa musique, ou pour généraliser plus encore, si l’on veut tout simplement que l’internaute paie, encore faut il ne pas oublier qu’il est désormais en droit de réclamer un produit de bien meilleure qualité. Yves Riesel, le patron du site de musique en ligne Qobuz (www.qobuz.com), l’écrivait récemment dans une chronique publiée dans « Le Monde Télévisions »:
« La filière (de la musique, NDLR) elle-même devra se secouer et penser aux usages et aux usagers. Les labels devront achever de comprendre le nouveau vocabulaire Internet, ses contraintes et ses avantages. La qualité offerte au consommateur doit progresser vigoureusement : elle est pour l’heure assez rudimentaire. (…) Achetez un album sur une plate-forme légale. Pour 65,70 vieux francs, vous recevrez souvent un fichier compressé à 256 Kbit/s, un visuel recto mangé par des mites, aucune information sur les auteurs et compositeurs des chansons ou des œuvres ».
On ne saurait mieux dire. La réflexion vaut pour d’autres secteurs. Plus la technique progresse, plus la tolérance de l’internaute à la médiocrité recule. C’est aujourd’hui l’ensemble des acteurs de l’internet, et en particulier ceux de l’information, qui doivent méditer cette maxime.
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> Illustrations par karola riegler photography et par fabbriciuse sur Flickr
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