Embouteillages dans les nuages ?
On peut lire que le site FlickR n'accueillera pas de nouvelle institution durant l'année 2010. [...] Il arrête donc les nouvelles demandes d'inscription pour traiter celles qui sont déjà en cours. Soit ce qui ressemble au premier embouteillage connu - ou en tout cas déclaré comme tel - de l'ère de l'informatique en nuages.
Au mois de Janvier 2008, il y a donc déjà 2 ans de cela, la LoC (bibliothèque du Congrès), était la première institution à décider de “déporter” dans les nuages, une partie de ses collections iconographiques. (Pour rappel : mes commentaires de l’époque). Depuis cette date, ce qui était une initiative isolée est devenu une partie extrêmement importante du site FlickR, puisque pas moins de 31 institutions (bibliothèques, musées, archives, centres de recherche) ont rejoint le volet baptisé : FlickR : The Commons.
Or dans un très récent communiqué, on peut lire que le site FlickR n’accueillera pas de nouvelle institution durant l’année 2010. Dans l’un des groupes de discussion liés à ce sujet, un membre du staff de FlickR assure que le projet “Commons” n’est pas du tout remis en question et reste une priorité de FlickR (qui – rappelons-le est propriété de Yahoo!), et que la raison de cet arrêt momentanné est celle d’une trop grande file d’attente dans les demandes, demandes que FlickR dit ne plus être en mesure de traiter. Il arrête donc les nouvelles demandes d’inscription pour traiter celles qui sont déjà en cours.
Soit ce qui ressemble au premier embouteillage connu – ou en tout cas déclaré comme tel – de l’ère de l’informatique en nuages.
Que le projet FlickR Commons soit victime de son succès n’est guère étonnant. C’est l’archétype même du projet “gagnant-gagnant”. Gagnant pour les institutions qui viennent y glaner visibilité, ergonomie, nouveaux usages et donc nouveaux publics (le tout à coût zéro me semble-t-il), et gagnant pour FlickR qui trouve dans cette manne de quoi conforter sa position de “leader” des banques de photos numériques en ligne, et de quoi également conquérir une légitimité “académique” apte à faire oublier les quelques – rares – critiques sur le tout-venant des autres contenus du site.
Par ailleurs, ce projet est intéressant “sémantiquement” parce qu’il s’inscrit dans une problématique de plus en plus pregnante et médiatique (bien que finalement très ancienne), celle des “biens communs“. Il y aurait une bien belle thèse à rédiger sur l’essor parallèle et davantage complémentaire que contradictoire de ces logiques de réseau, d’éclatement d’une part, et, d’autre part, de ces logiques de l’agrégation, du rassemblement, de la dissémination librement consentie et le plus souvent altruiste ; en bref, de ces logiques du don, du partage et de la contribution, telles qu’elles se donnent à lire au travers de l’informatique “libre”, des licences “creative commons” et dernièrement donc, de ces biens communs patrimoniaux.
Denrier point à porter au crédit de l’initiative des Commons de FLickR, sa “clarté contractuelle”, autrement dit le fait que l’exposition des oeuvres ainsi numérisées se fait dans une “simple” perspective de service, de plus grande exposition, bref, de plus grande valeur ajoutée. L’ensemble des institutions partenaires ont numérisées elles-mêmes les collections qu’elles viennent exposer sur FlickR, et on est donc bien loin de tout l’embrouillaminis que suscite depuis déjà plus de 6 ans, un autre projet de numérisation et d’exposition d’oeuvres patrimoniales …
A terme, et quand FlickR réouvrira les vannes d’inscription après avoir intégré celles en attente, lorsque la masse critique des documents iconographiques ainsi déportés en fera, et de loin, le premier site iconographique du patrimoine mondial, lorsqu’il aura donc définitivement enterré l’ensemble des projets de portail européens de numérisation, du fait de la clarté conceptuelle précédemment évoquée, du fait que pour tout document ainsi déposé les métadonnées restent définies par les institutions déposantes et que les mêmes institutions soient à chaque consultation d’un document provenant de leur fonds, facilement et directement identifiables, cet ensemble de conditions fait que le seul risque, à terme, est celui de voir légèrement baisser la fréquentation des sites hôtes des différents partenaires. Encore que ce risque ne résiste pas longtemps à l’analyse puisque ce n’est pas la totalité d’une collection donnée qui est déportée sur FlickR, mais, dans la majorité des cas, une partie soigneusement sélectionnée d’un fonds particulier, invitant donc les curieux à consulter le site d’origine pour avoir accès au-dit fonds dans son intégralité.
Bref, plus je tourne et retourne cela dans tous les sens, et plus je me dis que l’on serait bien inspiré de trouver dans ce type de nuage là , la solution ayant valeur de paradigme pour tout un ensemble de problématiques de numérisations sur d’autres types de fonds qu’iconographiques. (sans pour autant affirmer que tout est rose au royaume de FlickR/Yahoo, lequel royaume n’est pas exempt de querelles et de sombres rivalités)
Petit scenario de prospective à deux sous : imaginons qu’une grosse société (par exemple un moteur de recherche) rachète un site parmi ceux souvent présentés comme les “YouTube du livre” (exemple : Calaméo, Scribd ou tant d’autres encore). Et qu’il ait ensuite l’intelligence de faire ce que Yahoo! fit avec FlickR, c’est à dire ne rien toucher à l’identité du site racheté, ne pas tenter à toute force d’y imposer sa “marque”. Gageons alors que nombre d’institutions pourraient ainsi déporter sur ces sites “de grands publics” tout ou partie de leurs numérisations, sans se poser d’insolubles cas de conscience. Il me semble alors que tout le monde y gagnerait en visibilité, en lisibilité, en ergonomie (l’interface de tourne-page et de visionnage étant la même pour tous les documents), en référencement. Bref, que l’on ne serait pas très loin du cahier des charges idéal autour duquel on tourne bien malhabilement depuis des lustres.
Inversons la vapeur. Nombre de projets de numérisation ont d’abord eu comme ambition (légitime) de travailler et de garder la maîtrise de leurs contenus. Ces “process” en sont malheureusement souvent venus à occuper tout le devant de la scène, au détriment d’autres logiques qui n’ont pourtant rien d’accessoires : non pas celles des usages stricto sensu (qui sont toujours plus ou moins vaguement pris en compte dans les différents dispositifs techniques de numérisation), mais celle plus essentielle de la médiation, c’est à dire de la manière d’aller à la rencontre des usagers en créant les conditions nécessaires à une envie de retour. Alors donc, essayons d’inverser la vapeur. Posons nous la question de la médiation comme un préalable nécessaire, mais nécessairement distinct de la numérisation elle-même. Maintenant que l’on sait à qui iront les financements dédiés du grand emprunt, numérisons, produisons et partageons les métadonnées associées, revendiquons nos identités et nos compétences “institutionnelles” grâce à un affichage choisi, et peut-être, peut-être qu’une fois que les usagers seront convaincus de “l’efficience” de nos institutions (mot très à la mode ces derniers temps dans différents cénacles ministériels) et ce que les sites mêmes qu’ils fréquentent tous les jours, peut-être alors aurons-nous réussi à leur faire comprendre tout l’intérêt que présentent des structures comme les bibliothèques. Sur ce dernier point – convaincre les usagers de l’efficience des structures publiques documentaires – il me semble que jusqu’à maintenant, ils n’ont eu le choix qu’entre un discours à l’élitisme surranné (l’ordre contre le chaos, le choix raisonné et éclairé de quelques-uns contre le fourre-tout anarchique de tous les autres) et un autre, dramatico-financier (on a pas le sous, on pourra pas rivaliser, donnez-nous 1000 colombes les moyens).
(Initialement via : Du bruit au signal)
—
Laisser un commentaire