Google vs presse française : le clash a bien eu lieu
Le match s’est déroulé vendredi matin dans une minuscule salle obscure, au sous-sol de l’Espace Cardin à Paris. Visiblement ébranlé, Carlo d’Asaro Biondo, représentant de Google en Europe de l’Est et du Sud, a répondu aux attaques croisées de Nathalie Collin, présidente du directoire de Libération, et de Philippe Jannet, PDG du Monde Interactif.
Le match s’est déroulé vendredi matin dans une minuscule salle obscure, au sous-sol de l’Espace Cardin à Paris. Visiblement ébranlé, Carlo d’Asaro Biondo, représentant de Google en Europe de l’Est et du Sud, a répondu aux attaques croisées de Nathalie Collin, présidente du directoire de Libération, et de Philippe Jannet, PDG du Monde Interactif. « Ca ressemble à un procès » a lâché un moment l’accusé, dans un accès de grande fatigue. Si ce n’était Mister Google, on aurait presque compati…
Round 1
Nathalie Collin amorce le débat sur le développement des outils mobiles de diffusion de la presse. Enthousiaste, Carlo d’Asaro se lance dans un éloge du Kindle:
« Lorsque je suis aux Etats-Unis, j‘achète les Echos du jour à 1,75 euro sur le Kindle, ce qui est un bon prix que je paie volontiers. » Il se fait immédiatement taper sur les doigts : « Il reste 30% pour Les Echos » rétorque Philippe Jannet, assis dans la salle au deuxième rang. « Dans les contrats de Kindle il ne reste que 30% à l’éditeur de contenu » , précise Nathalie Collin.
Défense d’Asaro: « Bon, alors c’est que le contrat de Kindle n’est pas bon… » Eclat de rire de la salle. Ca commençait mal…
(4:50)
On sait donc désormais que 80% du chiffre d’affaires de Google sont réalisés avec des entreprises de services (voyages, finance, distribution) et que la presse ne génère quant à elle que 1,5% à 3% de ce chiffre, selon les pays (3% à 5% des recherches sur le moteur). Ce qui n’est pas des plus réjouissant.
Round 2
Philippe Jannet, impatient, s’empare ensuite de la parole : « Comment expliquez-vous que l’Irep (Institut de recherches et d’Etudes publicitaires) estime entre 800 et 900 millions d’euros le chiffre d’affaires de Google en France sur la publicité, alors que la déclaration de Google France n’est que de 40 millions? Où sont passés les 760 millions? » D’Asaro botte en touche et aggrave son cas : « Google est une entreprise cotée aux USA, je n’ai pas le droit de vous parler des chiffres de Google en France. »
Jannet ne lâche pas : « Vous dites que vous avez changé la dimension du gâteau publicitaire mais Google prend quand même de 40 à 70% du gâteau. »
D’Asaro s’embarque dans une longue justification – où l’on apprend quand même que Google distribue chaque année 6 milliards de dollars à ses fournisseurs de contenus pour un chiffre d’affaires mondial de 21 milliards.
Peu convaincant et embrouillé, il finit par conclure par un : « Il ne suffit pas de taper sur Google pour changer le comportement des usagers » (qui ne refroidit nullement ses deux interlocuteurs)…
(5:11)
« Le net ce n’est pas que des outils, c’est aussi des cerveaux, embraye Nathalie Collin. Quand vous utilisez nos contenus, ça a de la valeur. Je pense que la valeur intellectuelle aura toujours plus de valeur que le plus beau moteur de recherche du monde. »
Là , on met le doigt sur une plaie ouverte : « Google fournit du trafic, ce qui en soi à une énorme valeur (..) si notre trafic ne vous intéresse pas, vous n’avez qu’à ne pas y être. » Et toc !
(4:52)
Philippe Jannet reprend un jeton pour jouer. Il dévoile au public ahuri le « deal » que propose aujourd’hui Google aux éditeurs de presse : enregistrer les traces et les profils des lecteurs pour ensuite réutiliser ces fichiers (dingue, non?). « Je ne suis pas prêt à vous aider demain à vendre moins cher sur d’autres sites aux gens qui sont passés chez moi la publicité que moi je pourrai leur vendre » , s’insurge le PDG du Monde Interactif.
Au passage, Philippe Jannet accuse carrément la société Google d’organiser une « évasion fiscale » de grande envergure: « Si vous payiez des impôts sur les résultats réels de Google en France, vous ne pourriez pas pratiquer les mêmes tarifs publicitaires que ceux que vous pratiquez actuellement sur les Adwords. »
Cloué, d’Asaro a du mal à se remettre de cette attaque frontale : « Nous avons été contrôlés dans plusieurs pays. S’arroger en juge d’un système, ça c’est de l’arrogance. » Et ça, c’est du débat !
(3:51)
Mais d’Asaro a lu jusqu’au bout le petit manuel du top manager qui garde son sang froid en toutes circonstances. Hors de question de se laisser entraîner sur le terrain glissant de la polémique. Vous êtes attaqué? Donnez raison à votre interlocuteur : « Nous sommes prêts à accepter que beaucoup de choses faites jusque là ne soient pas parfaites (…) Nous n’avons pas l’arrogance de penser que tout ce que nous faisons est juste (…) Google est de bonne foi par rapport à son mantra. »
Il ajoute même : « Oui je suis pêcheur, en tant que catholique, mais j’essaie de me corriger. » Priez pour la presse, Seigneur !
(5:46)
Et voici, en exclu du Dodo, l’interview à chaud de Nathalie Collin, encore toute secouée par ce « discours formaté » …
(1:57)
… et de Philippe Jannet, encore tout énervé de constater qu’encore une fois « Google ne nous écoute pas » …
(2:37)
Je vous laisse le soin de compter les points et de déclarer le vainqueur du match… Attention il y a un piège (les gagnants ne sont pas toujours ceux que l’on croit).
Cette conférence était organisée dans le cadre des Ateliers de la Presse par la Fédération nationale de la presse française.
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