La musique numérique se porte bien, merci pour elle (mission Zelnik)
Ne croyez pas les Cassandres, la musique vendue sur les réseaux se porte comme un charme. Malgré la concurrence du gratuit, des échanges P2P, ou de la doxa populaire qui pérore qu’acheter des fichiers musicaux c’est n’avoir rien compris à la révolution numérique… Et pourtant l’industrie du disque n’en finit pas ces dernières années de [...]
Ne croyez pas les Cassandres, la musique vendue sur les réseaux se porte comme un charme. Malgré la concurrence du gratuit, des échanges P2P, ou de la doxa populaire qui pérore qu’acheter des fichiers musicaux c’est n’avoir rien compris à la révolution numérique… Et pourtant l’industrie du disque n’en finit pas ces dernières années de voir son chiffre de ventes fondre comme neige au printemps. Traduction d’un désamour profond du public pour le CD, au profit de ces fichiers que l’on glisse si facilement dans son baladeur.
L’un meurt, l’autre nait. C’est une loi de l’existence. Pour l’industrie de la musique, la fin du support physique, comprenez le CD, fut synonyme de plongée en enfer, d’auto-questionnement mais aussi de réinvention des métiers de la filière. Cette phase touche à sa fin, aujourd’hui. Et l’industrie attend maintenant du gouvernement qu’il prenne les bonnes mesures pour préserver un certain niveau de recettes, suffisant pour endiguer les faillites à répétition. L’action principale de la force publique sera très certainement orientée vers un rééquilibrage entre les filières culturelles et les opérateurs de télécommunication. Ces derniers sont directement accusés d’avoir profité des échanges illicites de contenus culturels pendant des années, sans jamais rétrocéder d’argent aux ayant droit. La mission confiée à Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti par le ministre de la culture et de l’information Frédéric Mitterrand, devrait aussi multiplier les mécanismes d’aides à la production, tout en revalorisant les rémunérations perçues sur la diffusion de musique. Le tout ficelé dans une nouvelle loi prendra l’allure d’un plan de sauvetage d’une filière qui souffre et obtient ce qu’elle demande, à force d’hurler tel l’avare auquel on a dérobé un sou dans sa cagnotte.
Voilà qui est certainement dans l’ordre des choses, mais si l’on en restait là , les objectifs de la mission seraient loin d’être atteints. Car, une taxe ou une rémunération sur le chiffre d’affaires des FAI, et l’élargissement du crédit d’impôt ne créent aucune valeur sur le marché de la musique enregistrée. Pire, cela pourrait bien entretenir les acteurs de ce marché dans une situation de sécurité financière qui nuise à son dynamisme.
Création de valeur
Or, le point important, crucial, de la mission Zelnik, ne consiste pas à trouver les leviers pour soutenir le marché, mais à mettre en place les conditions d’une véritable création de valeur dans la musique enregistrée. Sans elle, les maisons de disques auraient plus intérêt à devenir des gestionnaire de fond de catalogues ou des bureaux d’exploitation des droits, et délaisser par simple calcul l’investissement dans de nouveaux modèles ou des projets d’artistes, par nature risqués.
Aujourd’hui, où se crée la valeur sur le marché de la musique dématérialisée ? Principalement sur les plates-formes de vente de musique. Pour le reste, les expérimentations d’un Deezer, d’un Spotify ou d’autres font en fait bien plus figure d’ovni économique qu’autre chose. Deezer est ainsi toujours enlisé dans l’ornière de la gratuité. Or la publicité ne permet pas de répondre aux exigences des ayant droit. Et pour finir une version payante du service n’a toujours pas été proposée aux internautes, de peur certainement que ceux-là migrent brutalement sur un autre site. Alors en attendant des jours meilleurs, Deezer a réussi à lever 6,5 millions d’euros de plus. Spotify est un autre cas, bien différent du premier. D’emblée, le service s’est présenté comme payant, avec un abonnement mensuel de 10 euros. Il s’est très vite imposé sur ce segment avec quelques fonctionnalités d’échange et un catalogue relativement dense de titres. Et pourtant comme le note l’un de ses fondateurs récemment, les objectifs ne sont pas encore remplis loin de là . L’adoption de ce service par une frange importante de la population semble de toutes les manières bien illusoire. Les dépenses en matière de musique des ménages n’ont jamais dépassé 2 CD, soit un peu moins de 35 euros par an en moyenne. Qui plus est ce chiffre correspond à une époque où l’industrie du disques était à son sommet, vers l’année 2002 ; aujourd’hui les français dépensent à peine 17 euros par an pour s’acheter de la musique.
Echoppes en ligne
Les plates-formes de vente sont aujourd’hui le creuset de la nouvelle économie de la musique. Elles seules créent une valeur inédite, qui n’existait pas jusque là , et qui renouvèle un marché laissé pour comateux depuis la fin annoncée du CD. Tout serait au mieux, si le volume d’affaires réalisé par ces échoppes en ligne était conséquent et servait ainsi d’amortisseur à la déflation du marché physique. Il n’en est rien encore, les plates-formes en ligne ne participent qu’à un faible pourcentage au marché de la musique enregistrée, la France fait d’ailleurs figure sur ce point de retardataire. Cela tient à une composante bien souvent trop sous-estimé du marché de la musique dématérialisée : le niveau d’équipement des foyers.
Attention il ne s’agit pas de prendre comme base le nombre de Français possédant un ordinateur, mais de regarder attentivement quel appareil provoque chez le consommateur l’envie d’acheter de la musique en ligne. Et sur ce point, la réponse est simple : iPod, et maintenant iPhone. Aucun autre baladeur sur le marché n’a réussi cette mutation subtilisant l’accès gratuit à un contenu acquis par un acte d’achat. Pour le dire simplement, l’iPod est aux années 2000 ce que la chaîne hifi était aux décennies précédente. C’est pour lui, et par lui, que les gens achètent de la musique, comme avant on chérissait ses disques pour les écouter dans le salon familial ou seul dans sa chambre.
Résistance
Apple a vendu dans le monde entier 250 millions d’iPod, et 30 millions d’iPhone, pour 8,5 milliards de titres sur iTunes. Cela fait une moyenne de 34 titres par baladeur ce qui n’est pas très élevé, mais a le mérite d’exister. D’autant que sur les derniers mois une forte accélération se fait sentir. Ainsi en France, iTunes a vendu plus de 5000 albums de Muse “Resistance” par semaine lors de son lancement. L’opus c’est évidemment classé en tête sur la plate-forme d’Apple. Ce n’est pas la première fois que les maisons de disques remarquent une percée d’iTunes dans leurs comptes des ventes. En moyenne un titre classé premier sur la plateforme se vend aujourd’hui près de 50% de plus qu’il y a un an. Bref, la montée en puissance est inexorable, mais il manque sûrement encore des concurrents sérieux pour rivaliser et booster plus encore le marché de la musique en France. A noter par ailleurs que les pro-Hadopi devraient très bientôt se féliciter de la vigueur du marché en ligne, attribuant surement ce réveil à l’application de la loi. Alors qu’il n’en est rien. Tout est fonction de la pénétration dans la population des équipements. L’iPod a fait son oeuvre, mais iPhone est une arme bien plus puissante dans les mains d’Apple. La vitesse d’adoption du mobile multi-touch dans les foyers est plus rapide que celle de l’iPod. Une bonne nouvelle pour la musique, pour Apple, pour les producteurs mais aussi les artistes, qui perçoivent des ventes réalisées sur iTunes bien plus d’argent que ne leur rapporte la diffusion de leurs oeuvres sur Deezer, Daily Motion ou Spotify.
Bref, si l’objectif est de créer de la valeur, et que messieurs Zelnik, Toubon et Cerutti ont les moyens d’agir, plutôt que de penser à la meilleure manière de ponctionner les FAI, il serait urgent de repenser les relations entre les artistes et les plateformes de vente de musique, afin de définir un plan d’aide ciblé capable d’encourager les français à consommer la musique dématérialisée.
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