La riposte graduée selon Odebi

Le 26 août 2009

La riposte graduée, rappelons le, n’a pas été inventée par Pascal Rogard, ce dernier n’en a fait qu’une odieuse contrefaçon, bafouant les droits d’auteur de Robert MacNamara, dont les descendant n’ont – à notre connaissance – pas (encore) porté plainte. Le principe de base de la riposte graduée est simple : plutôt qu’une attaque massive [...]

yalta-hadopi La riposte graduée, rappelons le, n’a pas été inventée par Pascal Rogard, ce dernier n’en a fait qu’une odieuse contrefaçon, bafouant les droits d’auteur de Robert MacNamara, dont les descendant n’ont – à notre connaissance – pas (encore) porté plainte.

Le principe de base de la riposte graduée est simple : plutôt qu’une attaque massive contre les internautes téléchargeurs, telle qu’elle a été pratiquée aux Etats-Unis, et qui n’a eu pour seul effet que de détruire l’image de marque des majors à travers bon nombre de procès aussi retentissants que ridicules, on frapperait de façon plus légère mais plus systématique.

Le coup de génie de la SACD et de la mission Olivennes, qui avaient bien appréhendé l’effet dévastateur de la tactique américaine en terme d’image pour leur crémerie, fut sans nul doute de faire porter (et financer) le dispositif par l’Etat, pensant au passage s’épargner les retombés négatives (et faire de substantielles économies).

C’était sans compter sur la réaction du “corps social” de l’internet, qui s’est largement rebellé, a intensivement communiqué, et a fini par convaincre suffisamment de politiques que tout cela n’allait pas dans le bon sens. Acte 1, Hadopi 1.

Acte 2, Hadopi 2

Nous voilà donc à la veille de Hadopi 2, plus méchant, plus féroce, basé sur la doctrine des représailles massives, avec un camp des pro Hadopi qui ne s’imagine pas un instant que le camp d’en face puisse, lui aussi, proportionner sa riposte.

Ceci n’est pas une guerre froide, c’est une guérilla !

Ce modèle de la guerre froide, qui traîne de toute évidence dans la tête de nos chers dirigeants, est particulièrement à coté de la plaque. S’ils forment, du coté du pouvoir en place et des lobbys, un front – relativement – uni, ayant une stratégie commune, ce n’est absolument pas le cas du camp d’en face.

Avec la même assurance que l’armée américaine arrivant à Bagdad, les pro Hadopi risquent fort de s’apercevoir, trop tard, que leurs adversaires sont divers, variés, aux motivation éclectiques, et aux tactiques multiples. Pire encore, il n’existe entre eux aucune coordination formelle, ni même d’accord tacite entre ce qu’il convient de faire et ce qui, au contraire, n’est pas admissible. Pas de convention de Genève du cyberespace, somme toute.

C’est là qu’arrive la ligue Odebi et ses positions pour le moins radicales. Fondée initialement pour porter la voix des consommateurs face à des fournisseurs d’accès abusifs, la ligue Odebi a trouvé dans Hadopi un bain de jouvence. Devant l’incapacité des anti Hadopi à transformer dans le réel leur protestation en ligne, elle a appliqué l’un des conseils de l’Art de la Guerre, faire entrer l’ennemi sur son territoire pour mieux l’attaquer.

Or c’est précisément ce qu’est en train de faire le pouvoir en place. Site média Elyséen en vue, site collaboratif du parti au pouvoir à l’horizon, présence de plus en plus marquée sur Facebook et autre lieux sociaux, petit à petit, les tenants de l’Hadopi investissent – plus ou moins maladroitement – les grandes plaines de l’internet. Plaines où, là encore Sun Tzu le leur aurait proscrit, ils sont totalement à découvert.

Les premiers attentats suicides, annonciateurs d’un carnage à venir

La tactique de la ligue Odebi est très similaire à celle des attentats suicide coordonnés, les morts restants virtuels, bien sûr. Dans un premier temps, l’armée recrutée par la Ligue, qui compterai à ce jour plusieurs centaines de volontaires, équipés de tous les moyens nécessaires pour parcourir le web de façon intraçables, se créent des identités sur une multitudes de plateformes en prévision d’attaques à venir. Ils se fondent dans la population, tout comme Mohamed Atta en son temps, attendant le signal qui déclenchera une opération dont ils ne connaissent pas les détails, jusqu’au dernier moment.

Une fois le signal lancé, ils fondent sur la cible qui leur a été désignée et font exploser leurs bombes, consistant à exposer aux yeux de tous les motifs de leur mécontentement, largement argumentés. Les arguments contre Hadopi étant totalement imparables, il ne reste aux malheureuses victimes que la solution de la censure, un véritable aveux d’impuissance publique. Evidemment, l’identité créée en prévision de l’attaque est définitivement hors d’usage, mais qu’importe, rien de plus simple que d’en créer une nouvelle, et on imagine bien que l’armée Odebi dispose déjà, en réalité, d’une quantité impressionnante de fausses identités, prêtes à se faire exploser à tout moment, un peu partout dans les rangs des pro Hadopi.

Pour l’instant, les victimes se nomment François Fillon sur Facebook ou Patrick Bruel. Le signal est clair, pour les politiques sur Facebook, le terrain est désormais miné – Fillon s’est résolu a effacer toutes les contributions sur sa page. Pour les artistes pro Hadopi, leurs opérations marketing sur internet sont désormais compromises, ils n’y sont plus les bienvenus, et toute tentative de com’ de leur part sera désormais systématiquement sabotée. Plusieurs des artistes victimes des attentats de la Ligue se sont résolus à fermer tout bonnement leurs sites participatifs. Plus moyen pour eux d’interagir avec leur fans.

Il y a toutes les chances que de telles opérations se reproduisent encore et encore, tout d’abord parce que – comme les candidats au suicide d’Al Quaïda, peu de volontaires suffisent pour provoquer des dégâts conséquents, visibles, et semant la panique dans les rangs des opposants, ensuite parce que leur stratégie est imparable, efficace, et a toutes les chance de remporter l’adhésion des internautes, ainsi que d’en inspirer d’autres (moi même, d’ailleurs…)

La tentation de l’illégalité

La Ligue prend soin – pour l’instant – de rester dans la légalité, les messages que son armée poste dans les îlots des pro Hadopi sont un rappel des arguments contre la loi, des copier-coller de différents articles qui ont fait référence dans la lutte contre Hadopi (dont certains sont issus de ce blog, au plus grand mépris du respect des droits d’auteurs ;-). Rien d’illégal jusqu’ici (aucun des auteurs des articles recopiés n’ayant la moindre intention de porter plainte).

Deux choses pourraient pousser la ligue dans l’illégalité. La première serait une décision de justice, sous l’amicale pression du pouvoir. La seconde serait une décision de la Ligue elle-même, qui mettrait à exécution sa menace – redoutée – de publier publiquement les casiers judiciaires de tous les députés ayant voté pour Hadopi.

Quelque soit ce qui pourrait pousser la Ligue a passer dans l’illégalité, nous assisterions de façon irrévocable à une course – de part et d’autre – aux armements.

Faire passer des professionnels de l’internet dans l’illégalité, c’est les mettre dans le même camp que les gestionnaires de botnet – ces réseaux d’ordinateurs zombie capables de faire tomber Twitter – des spammeurs, des fabricants de virus et autres criminels du cyberespace. Autant dire que cela ne ferait qu’élargir quasiment à l’infini leur capacité ‘militaire’, leur potentiel de nuisance face à un pouvoir en place obstiné serait quasiment illimité. C’est en déclarant la pornographie illégale sur le territoire Russe, par exemple, que les marketeux du X slaves se sont fait une spécialité dans le spam.

Peu de chance, dans une telle confrontation, que l’Etat et ses amis arrivent à maintenir en place un seul de leurs sites, on se rappelle de la facilité avec laquelle le site ‘jaimelesartiste.com’ avait été rayé de la carte. Tous les sites d’artistes et les sites de politiques seraient potentiellement menacés.

Mais le pouvoir, en face, ne manquera pas de faire, lui aussi, la course aux armements. Censure, répression, obligation pour tous les sites participatifs de recueillir des preuves d’identité comme en Corée, quitte à piétiner l’économie numérique Française et les libertés fondamentales, l’Etat a lui aussi un potentiel non négligeable dans la course aux armements. Le budget (pour l’instant modeste, de quelques dizaines de millions) pour la cyber sécurité annoncé par François Fillon avant l’été préfigure d’ailleurs cela.

Qui gagnera au final ? La Ligue, qui aurait vite fait de s’organiser en réseau, ne pourra très vraisemblablement jamais être démantelée, le pouvoir en place pourra, face à un internet qu’il stigmatisera facilement comme étant dans le camp des méchants, mettre en place un véritable minitel 2.0 où seules les sources officielles seront en mesure de s’exprimer et où tout le monde sera surveillé, les seuls perdants seront, en réalité, les internautes (et l’économie numérique). La population civile, en quelque sorte, coincée entre la folie (e)meurtrière des uns et les ambitions (e)despotiques des autres (une situation classique en temps de guerre, me direz-vous).

Dès lors, la menace de la Ligue de publier les casiers judiciaires des députés pro Hadopi est plus une menace pour les internautes que pour les députés. Jamais un homme politique Français n’a vu sa carrière menacée par de telles révélations, et même si la Ligue, on s’en doute, publiera par la suite bon nombre de révélations gênantes pour le pouvoir, qui pour l’instant prennent la poussière dans la plupart des salles de presse parisiennes, discréditer une classe politique déjà mal en point ne fera pas avancer grand chose.

Car les sources d’informations de la Ligue en matière de révélations gênantes sont presque infinies, les anti Hadopi étant partout où se trouve le numérique, c’est à dire tout près de l’information. La quasi totalité des personnes compétentes en matière d’internet est contre cette loi, et le taux de conversion parmi celles-ci, au coté ‘obscur’ de la lutte risque fort d’entrainer aussi bien un responsable de l’informatique au ministère du budget, qui aurait vite fait de récupérer les déclarations d’impôt de la classe politique, que des membres des forces de police, sans compter nombre de journalistes, frustrés, à juste titre, de n’avoir pas avoir été autorisés par leur direction à écrire au sujet d’Hadopi quand la bataille faisait rage au sein de la blogosphère, c’est à dire jusqu’au dernier moment, quand le PS a fait échouer le vote final de la loi.

Cessez le feu ?

En Allemagne la guerre a déjà commencé, ce sont désormais une très large part des internautes qui se rebellent contre la classe politique, au point que Der Speigel se pose ouvertement la question de savoir si “les partis de gouvernement se mettent à dos toute une génération” (ce qui éclaire d’un jour nouvau la stratégie du PS, entre se mettre à dos les artistes en maison de retraite et les jeunes, sur le plan électoral, il n’y a pas photo).

L’annonce, via le Canard Enchaîné, du report de la loi Loppsi, avait donné l’espoir d’une possibilité de négociation et de dialogue entre le pouvoir et une représentation improvisée des internautes, et l’aspect juridiquement ridicule d’Hadopi 2 le condamnait, presque à coup sûr, à n’être qu’une loi inapplicable de plus, si tant est que son décret d’application soit publié. Mais de nouveaux éléments – en dehors de la menace de la Ligue Odebi – font craindre désormais une guerre nucléaire.

La charge de Franck Louvrier dans les colonnes du Monde, la semaine dernière, vécue par la plupart des activistes anti Hadopi comme une provocation, semble n’avoir pour seul but que de mener à cette guerre, mais il serait bon, au sein du camp des anti Hadopi, de mesurer à quel point le pouvoir est décidé (ou non) à passer à l’échelon supérieur dans la guerre qui l’oppose à internet avant de déclencher l’arme nucléaire, ou plutôt la guérilla à outrance, pour reprendre ma métaphore Irakienne.

Les projets de carte d’identité numérique qui se dessinent derrière la dialectique douteuse du conseiller de l’Elysée oublient que – contrairement à ce qu’il se passe en Corée – la plupart des plateformes participatives utilisées en France (en dehors de Skyrock) sont d’origine étrangère – faiblesse de l’économie numérique locale oblige – et que les américains, eux, seront totalement opposés à ce concept. Cette menace ne repose en réalité sur pas grand chose, elle ne ferait que faire disparaitre les plateformes communautaires Françaises au profit de leurs concurrentes américaines.

D’un autre coté, lancer la première attaque nucléaire serait, pour la Ligue Odebi, une responsabilité immense. Qui peut un instant imaginer que des députés, déjà lourdement soupçonnés de passivité face à un exécutif qu’ils sont censés équilibrer, si ce n’est tout bonnement de corruption, puissent prendre le risque de céder au chantage de la Ligue pour ajouter à la liste des qualificatifs celui de pleutres ?

Le passage d’une confrontation dialectique – remportée de façon flagrante par les anti Hadopi – à une véritable guerre aura des conséquences dramatiques. L’économie numérique Française en sera la première victime, l’image de marque de la France comme pays des droits de l’Homme viendra juste après, Hadopi ayant braqué toute l’attention des média étrangers, notamment anglosaxon, sur les suites que le gouvernement Français donnera à l’échec de Hadopi 1.

Nul doute que ces média se délecterons des révélations faites, que ce soit les casiers judiciaires des députés ou la multitudes de scandales jusqu’ici étouffés qui ne manqueront pas d’apparaître au grand jour. Nulle doute que la montée d’une dictature en ligne, à l’heure où les pays anglo-saxons s’efforcent, avec plus ou moins de succès, à plus de transparence en ligne et à l’e-démocratie, transformera irrémédiablement l’image du pays.

Encore une fois, personne ne sortira vainqueur d’une telle confrontation. Il est temps de poser les armes et de dialoguer. Hadopi était une erreur, cette loi n’a fait que détruire une bonne part de la relation de bon nombre d’artistes à leur public – écueil que les artistes anglais ont évité à tout prix, et a semé le doute dans l’esprit de toute une génération sur la légitimité d’une classe politique à les représenter, à défaut de les comprendre. Il est probablement temps d’arrêter les dégâts avant que Hadopi ne devienne synonyme d’une perte de confiance totale de toute une génération dans leurs institutions républicaines.

> article cross-posté depuis RWWfrance par Fabrice Epelboin /-)

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