OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La petite révolution de l’intelligence collective http://owni.fr/2012/05/04/la-petite-revolution-de-lintelligence-collective/ http://owni.fr/2012/05/04/la-petite-revolution-de-lintelligence-collective/#comments Fri, 04 May 2012 13:29:36 +0000 Anaïs Richardin http://owni.fr/?p=108934

Le jeu est un élément important de notre société et nombreux sont ceux qui voient l’évolution vers l’homo ludens (homme qui joue) comme sa caractéristique majeure. Partant de ce constat, de nombreux chercheurs organisent la première conférence internationale dédiée à l’exploitation de l’intelligence collective à travers le jeu. Intitulé “Harnessing collective intelligence with games“, ce premier workshop se tiendra en septembre 2012 en Allemagne. Il vise à approfondir la question émergente de l’utilisation de larges groupes de participants pour réaliser certaines tâches par le biais du jeu, véritable catalyseur d’intelligence collective.

Il sera question de crowdsourcing et de crowdsolving, d’human computation et de bien d’autres phénomènes aux noms barbares difficiles à traduire en français. Pourtant ils décrivent tous une tendance que l’on tend de plus en plus à adopter : la combinaison des capacités de l’intelligence humaine et des puissances de calcul numériques  Puisque l’être humain a encore l’apanage de certaines facultés comme le jugement esthétique, la prise de décisions basées sur l’intuition, le raisonnement critique etc, autant les mettre à profit. Mais à l’inverse des ordinateurs qui ne nécessitent que d’un peu d’électricité pour fonctionner, les humains ont besoin d’être en permanence motivés pour leur contribution. Une motivation qu’ils pourraient trouver dans le jeu et ses mécaniques.

Pour Markus Krause, doctorant de l’université de Brème travaillant sur l’intelligence collective et son utilité publique, humains et machines doivent travailler main dans la main :

La combinaison des aptitudes intellectuelles humaines et de la puissance des ordinateurs pour stocker et diffuser les données peut être un modèle très efficace pour venir en aide à l’humanité

Le crowdsourcing (utilisation de nombreuses personnes pour réaliser une tâche) a vu le jour dans un article de Jeff Howe pour le magazine Wired en 2006. Si le mot était une nouveauté, ce qu’il décrivait en revanche existait depuis longtemps.

Tout a commencé avec les CAPTCHAs créés par Luis Von Ahn de l’université Carnegie Mellon au début des années 2000. Si vous avez déjà ouvert une boîte mail ou rempli un formulaire en ligne, alors il y a de fortes chances que vous connaissiez les CAPTCHAs. Ce sont des petits tests qui permettent de différencier un utilisateur humain d’un ordinateur, empêchant les robots malveillants d’envoyer des réponses automatisées dans le cas de sondage, le phishing et toute autre activité de spam ou d’extraction de données. Ce test est basé sur la capacité d’analyse de l’humain. Deux suites de lettres sont présentées, parfois distordues pour rendre leur analyse possible aux humains mais difficile aux robots. Lors d’une conférence TED, Luis von Ahn a expliqué s’être demandé comment utiliser le temps passé à déchiffrer les CAPTCHAs dans un but précis et utile à tous. Une réflexion qui l’a conduit à créer reCAPTCHA, aujourd’hui universellement utilisé :

200 millions de CAPTCHAs sont tapés chaque jour à travers le monde. Avec une moyenne de dix secondes par CAPTCHA, cela fait 555 000 heures par jour. Pendant ces dix secondes, votre cerveau fait quelque chose d’extraordinaire, il réalise quelque chose dont sont incapables les ordinateurs. Je me suis alors demandé si on pouvait faire quelque chose d’utile de ces dix secondes. Il y a des problèmes que les ordinateurs ne peuvent résoudre mais que, d’une certaine manière, nous pouvons diviser en morceaux de dix secondes et chaque fois que quelqu’un tape un CAPTCHA, il résout une partie du problème. Désormairs, quand vous tapez un CAPTCHA, non seulement vous vous identifiez comme humain mais en plus vous nous aidez à numériser des livres.

C’est ainsi que ReCAPTCHA est né. Racheté par Google en 2009, ce système permet en effet d’analyser les parties de livres numérisés par Google Books que la reconnaissance optique (OCR) ne parvient pas à déchiffrer (environ 20% d’un texte). Sur les deux suites de lettres proposées, il y a un CAPTCHA déjà vérifié par l’OCR qui permet de vous identifier comme humain et l’autre, dont la signification est incertaine et que vous allez déchiffrer. Pour Luis von Ahn, le logiciel est un vrai succés :

Nous sommes en moyenne à 100 millions de mots numérisés par jour, ce qui nous donne 2,5 millions de livres par jour. Près de 10% de la population mondiale soit 750 000 000 personnes ont aidé à la numérisation des livres jusqu’à présent.

Et son ambition l’a mené bien plus loin qu’à la numérisation de livres. Lors d’un entretien avec un journaliste de Wired, Luis von Ahn a confié :

En fait, je voudrais rendre l’humanité plus efficace en mettant à profit le temps gâché

Le temps gâché ou ces moments d’oisiveté auxquels nous nous adonnons tous seraient donc sa cible, pour notre plus grand bien. En 2008, il crée les Games with a Purpose (GWAP), des petits jeux en ligne qui servent un objectif autre que la distraction. En jouant aux GWAP, les utilisateurs pallient l’incompétence des ordinateurs dans la réalisation de certaines tâches. Chaque joueur est aléatoirement associé à un autre et l’équipe constituée a un temps limité pour gagner le maximum de points. Le jeu ESP par exemple, vise à légender des images. Une même image est présentée aux deux joueurs qui doivent proposer des mots-clés précis. Lorsque les deux joueurs proposent la même légende, celle-ci est enregistrée et l’image suivante apparaît. Il y  a une interaction entre les joueurs qui les poussent à revenir vers ces jeux simples qui permettent de déchiffrer le web et le rendre plus complet.

De nombreuses entreprises et institutions publiques ont suivi cet exemple et ont préféré mettre à profit la capacité de traitement d’information de cerveaux humains plutôt que d’ordinateurs. La NASA a ainsi décidé de faire appel aux humains pour l’aider à gérer le flot d’informations et de données qu’elle reçoit et créer une base de données. Avec le jeu ZOOniverse, les utilisateurs sont notamment invités à analyser la taille et la profondeur des cratères de la Lune, permettant à la NASA de les répertorier. Une sous-traitance non négligeable, gratuite et efficace là où même les algorithmes les plus puissants échouent.

Mais le crowdsourcing ne s’arrête pas à la simple analyse d’image, comme l’expliquait Adrien Treuille, créateur de Fold.it, lors d’une conférence Solve for X :

Lorsque l’on pense crowdsourcing, on pense à la réalisation de tâches simples comme la reconnaissance d’images et de motifs mais avec un groupe important de personnes qui travaillent avec des données et de l’intelligence artificielle, il est possible de résoudre des problèmes qui se trouvent à la limite de la connaissance humaine

C’est ce qui s’est passé avec Fold.it (Plie-le), un jeu développé par des universitaires américains qui a permis de découvrir la structure d’une enzyme qui joue un rôle clé dans la propagation du VIH. Ce qui avait bloqué les scientifiques pendant 10 ans fut résolu en 10 jours par 40 000 personnes qui ont joué à ce jeu en ligne. Les résultats obtenus par les joueurs pourraient constituer une percée majeure dans le traitement du virus. Un cas d’école de la force de l’intelligence collective catalysée par le jeu et chaque participant s’est vu crédité aux cotés des scientifiques pour cette avancée significative.

En 2006, Thomas W.Malone, directeur du Centre pour l’intelligence collective du prestigieux MIT se demandait :

Comment peut-on connecter des personnes et des ordinateurs pour que, collectivement, ils agissent avec plus d’efficacité que n’importe quel individu, groupe, ou ordinateur ne l’a jamais fait ?

Pour Luis von Ahn, le secret est simple : transformer des problèmes complexes en jeux, simples et addictifs. Une recette qui a certainement permis le succès des GWAP.

Ce type de jeu repose aussi sur des experts qui, jusque là s’ignoraient, comme l’a expliqué Adrien Treuille lors de la conférence Solve for X:

Foldit a permis de filtrer des centaines de milliers d’internautes et de trouver ceux qui ont une véritable expertise dans la réalisation de certaines tâches. Je peux imaginer que dans le futur, alors que des défis se présenteront à nous, nous pourrons inventer des jeux et des puzzles qui reposent sur les aptitudes requises, et trouver les personnes qui seront des experts pour ce type de problèmes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Dans cette même veine de jeux scientifiques, l’université McGill au Canada a crée un jeu, Phylo, qui fait appel aux capacités humaines pour arranger les séquences ADN et ainsi participer à la recherche génétique. Les séquences ADN, transformées en formes géométriques colorées doivent être alignées et les formes similaires doivent être associées les unes aux autres tout en évitant les trous qui symbolisent les mutations. Pour les concepteurs du projet, la combinaison humains/ordinateur permet d’obtenir de meilleurs résultats :

Les solutions générées par les utilisateurs peuvent être utilisées pour améliorer la qualité des alignements calculés par les algorithmes classiques. Ces résultats ne montrent pas que l’homme est meilleur que la machine mais plutôt que nous avons une symbiose entre l’humain et l’ordinateur

Dans ces jeux où l’on fait appel à l’intelligence collective, les leviers de l’engagement sont nombreux. La reconnaissance sociale par les pairs, la réputation et l’interaction humain-ordinateur jouent un rôle important dans les jeux qui participent d’une avancée scientifique. Cependant la gratification ou les mécaniques du jeu telles que la géolocalisation, la collaboration ou encore les missions sont des ressorts de bien d’autres jeux qui font appel au crowdsourcing.

Le projet Noah par exemple est une application qui permet à ses utilisateurs de contribuer à l’élaboration d’une documentation sur la vie sauvage de leur lieu de vie. Des missions incitent une communauté de citoyens à photographier, taguer, identifier et en apprendre plus sur la faune et la flore locale. Toutes ces données agrégées sont une précieuse aide apportée aux chercheurs et permettent d’établir une base de données qui peut être mise à jour en temps réel et qui est accessible par tous.

La motivation est importante dans ce type de jeux qui oeuvrent pour le bien commun. Une motivation qui prend parfois la forme de gratifications qui collent au plus prés des attentes des participants. Le Japon par exemple a eu une idée pour redorer son image, sinistrée après le passage du tsunami, et ainsi relancer le tourisme, en crise depuis la catastrophe.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Puisque les premières images sur  Google des terres dévastées pouvaient jouer en leur défaveur, des étudiants de la Berghs School of communication en Suède ont donné un coup de pouce à l’office du tourisme japonais. Il leur est apparu essentiel de redonner au pays une image attrayante. Quels meilleurs ambassadeurs pour le Japon si ce n’est les touristes qui y sont en visite ? Ils ont donc crée une application, « Post from Japan », à partir de laquelle les touristes peuvent télécharger leurs clichés du pays. Le but ? Encourager le partage de ces photos souvenir sur les réseaux sociaux en offrant du temps de connexion gratuit sur le réseau Wi-Fi du gouvernement. Et pour chaque like, l’utilisateur se voit offrir 3 minutes de connexion supplémentaire. Ingénieux quand on connait le tarif d’une connexion internet sur mobile à l’étranger. Une application qui permet de repousser chaque jour un peu plus les photos du désastre des premières pages de Google Image.

Par le truchement du jeu et de motivations extrinsèques, l’homme est donc capable, sans même aucune connaissance en la matière, de contribuer à des avancées dans de nombreux domaines, qu’ils soient scientifiques, sociaux, environnementaux ou autres. À l’avenir, des nouveaux systèmes pourront même permettre de tirer réellement profit d’une expérience, tout en contribuant massivement à améliorer la qualité de navigation sur le web. Avec Duolingo.com par exemple, disponible en version bêta, les utilisateurs peuvent apprendre une langue étrangère, gratuitement et par niveaux, tout en aidant à la traduction de pages web.


Illustrations et photos sous licences Creative Commons par Elirook et Wi_2Photography via Flickr

]]>
http://owni.fr/2012/05/04/la-petite-revolution-de-lintelligence-collective/feed/ 0
Mauvais sang http://owni.fr/2011/04/26/mauvais-sang/ http://owni.fr/2011/04/26/mauvais-sang/#comments Tue, 26 Apr 2011 15:39:46 +0000 boree http://owni.fr/?p=34679 Il faut croire que les hasards n’existent pas.

Alors même que j’étais plongé dans la rédaction de ce billet, j’ai reçu le message suivant :

Cher Borée,

Vital et irrem-plaçable, le Don de Sang permet chaque année de soigner 1 million de malades. Donner son sang est donc indispensable, cependant seulement 4% des français accomplissent ce geste.
Pour la 8ème année consécutive, l’EFS, l’Etablissement Français du Sang organise le 14 juin, la JMDS, Journée Mondiale du Don de Sang, préparant à cette occasion, un événement ludique et pédagogique à Paris, ainsi que 300 collectes dans toute la France.
(…)
Cette année pour la première fois, l’EFS renforce son interaction avec la communauté en mettant en place 4 chats pour répondre aux questions des internautes.
Le premier aura lieu mardi 19 avril sur le thème de « Qu’est-ce que la JMDS ? »
Vous êtes influent, vous partagez vos passions avec votre communauté de lecteurs. Ils vous apprécient pour votre liberté de ton et votre authenticité. C’est pourquoi, nous avons besoin de votre soutien bénévole en tant que bloggeur pour relayer l’appel de l’EFS. Ainsi, vous faites un geste solidaire et contribuez à un mouvement national.

Moitié colère, moitié humilié

Mon père a toujours été donneur de sang. Quand j’étais gamin, j’étais très fier de ça. En plus, il nous ramenait les gaufrettes du petit casse-croûte offert après le don. C’était la fête. Je me suis toujours dit que je serai, moi aussi, donneur de sang quand j’aurai l’âge. C’était une évidence.

Lorsque je me suis retrouvé en première année de médecine, il y a eu ces affiches un jour : « Faculté de médecine – Don du sang mercredi prochain ». J’y suis donc allé avec deux copines. Sans me poser aucune question. Puisque c’était une évidence.

En arrivant, on nous remettait des questionnaires qu’il fallait lire et remplir avant un entretien avec le médecin responsable.

Quand ce fut mon tour, je lui tendis le questionnaire complété et elle me demanda avec un sourire :

- Bon, pas de problème alors ?
- Euh… si… je suis homosexuel, je ne peux pas être donneur alors ?
- Ah non, en effet, je suis désolée.
- Mais pourtant, je me suis toujours protégé.
- Oui mais ça ne change rien. C’est comme ça. On ne veut prendre aucun risque.

Et je suis donc reparti, passant entre les tables alors que je venais seulement d’arriver. Moitié colère, moitié humilié.

C’était en 1992. Aujourd’hui, en 2011, et malgré de vifs débats, la loi n’a toujours pas changé.

Les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes ont toujours l’interdiction de donner leur sang. De même d’ailleurs que leur moelle osseuse. Pour leurs organes en revanche, en cas de décès, pas de problème et si je me laissais aller à faire du mauvais esprit, je pourrais en conclure qu’un homosexuel acceptable est un homosexuel mort…

La France n’est pas un cas isolé

La majorité des pays développés a le même usage. Certains ont opté pour des limitations plus nuancées. Seules certaines régions espagnoles et la pourtant machiste Italie ont abandonné toute restriction fondée sur l’orientation sexuelle.

Les Britanniques pratiquent eux aussi la même exclusion. Mais leur loi semble sur le point d’évoluer. Amère consolation. Désormais, les homosexuels devraient être autorisés à donner leur sang… à condition de ne pas avoir eu de rapports sexuels depuis au moins 10 ans.

Et là, je dois bien avouer qu’à tout choisir, je préfère encore la logique d’exclusion complète. Parce que cette non-avancée britannique me paraît totalement surréaliste et vexatoire et, surtout, je ne vois absolument pas sur quelles données scientifiques elle pourrait se fonder.

De toute manière, les rares études ayant abordé la question, celles qu’invoquent les décideurs politiques, sont discutables et déjà datées dans un domaine qui connaît des évolutions techniques constantes.

Car il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les échantillons de sang sont systématiquement testés, entre autre, pour le VIH. Et que, si les habituels tests de dépistage peuvent mettre jusqu’à six semaines pour se positiver, le circuit de la transfusion sanguine utilise une technique de diagnostic génomique viral (DGV) qui se positive dès le douzième jour (et jamais au-delà de 3 semaines) suivant une éventuelle contamination. Il n’y a ainsi presque aucune place au doute.

Je veux bien qu’on prenne une marge  de sécurité confortable, pour être sûr de ne pas passer à côté des zéro-virgule-quelque-chose % de tests faussement rassurants dans les délais habituels, mais qu’on m’explique quand même de quel chapeau ils ont sorti ces dix ans !

Oui, le VIH est toujours présent

Et oui, proportionnellement, les homosexuels masculins sont bien plus fréquemment touchés. Pire, parmi les différents modes de contamination, c’est le seul groupe pour lequel le nombre de nouveaux cas continue à augmenter. Ça ne sert à rien de le nier.

Non seulement ça ne sert à rien mais c’est même un tort. Refuser cette évidence au nom du « tous égaux, tous pareil », c’est rester dans une démarche de prévention tout public et, donc, largement inefficace. Les messages de prévention marchent quand ils sont ciblés.

Reconnaître qu’il y a toujours, trente ans après le début de l’épidémie, une spécificité de l’impact du VIH parmi les homosexuels, c’est permettre le développement d’une stratégie adaptée. Mais revenons-en au don du sang.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la transmission du VIH par la transfusion sanguine a été un drame mais que ce problème est aujourd’hui largement maîtrisé. Le risque résiduel est évalué actuellement à environ 1 risque théorique pour 3 millions de transfusions. Sauf, qu’en 2008, le CDC a décrit le premier cas de contamination identifié depuis 2002, et alors même que les USA pratiquent environ 14 millions de transfusions par an.

En comparaison, les accidents de transfusion qui présentent un risque vital se produisent environ 1 fois pour 100 000 transfusions et le risque de décès directement consécutif à une transfusion est de l’ordre de 1 pour 300 000 (chiffres pour la France et les USA).

Que, malgré tout, l’on soit prudent au sujet du VIH et que les politiques mouillent leurs petites culottes depuis l’affaire du sang contaminé, je peux le comprendre.

Mais quand même…

L’Établissement français du sang, pour justifier l’exclusion des gays, invoque un chiffre absolument effrayant de 17,7% de prévalence (la proportion de personnes atteintes) du VIH parmi « les homosexuels masculins ». Point. Sans aucune nuance ni précision.

Ces chiffres se fondent sur l’enquête Prevagay. Cette enquête a été réalisée « au sein de la population des hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes qui fréquentent des établissements gays parisiens (bars, saunas, backrooms). »

Ne pas faire du Marais une généralité

Quelqu’un pourrait expliquer à nos pros de santé publique que Paris ce n’est pas la France, et que le Marais ce n’est pas « les homosexuels masculins » ?

Qu’on fasse une enquête dans ce milieu, tout de même assez particulier (12% des hommes enquêtés ont eu au moins un rapport anal non protégé dans l’année avec un partenaire occasionnel, 18% ont eu au moins une IST dans l’année), pour mieux le connaître et pour pouvoir y développer une prévention spécifique, c’est très bien.

Mais qu’on étende à tous les homos de France des chiffres de prévalence récupérés dans des backrooms parisiennes, ça me paraît juste dramatique.

Qu’est-ce qui fait le risque, l’orientation amoureuse ou les pratiques sexuelles ?

Je vis depuis plus de dix ans en couple stable et fidèle. Comme des milliers d’autres. Et comme des milliers d’autres, je ne pense pas être plus « à risque » que mon frère ou que mon voisin qui vivent en couples hétérosexuels.

Peut-être faut-il rappeler qu’il n’existe pas de test pour « détecter l’homosexualité ». Et que, de toute façon, ces données sont donc déclaratives.

Quand l’Etablissement français du sang demande « Avez-vous eu des rapports avec un autre homme ? Oui/non », ils sont bien obligés de faire confiance aux réponses des gens. Parce qu’ils n’ont de toute façon pas d’autre choix.

De la même manière, qu’ils demandent s’il y a eu un changement de partenaire depuis quatre mois.

Sauf que cette question ne concerne que les rapports hétérosexuels. Imagine-t-on que les homos seraient plus menteurs ? Mais alors, pourquoi ne le seraient-ils pas aussi pour la question précédente ?

Et, au final, c’est quand même la question d’un éventuel changement de partenaire récent qui nous intéresse si on veut limiter les risques liés à la transfusion, non ? La FDA étatsunienne elle-même reconnaît que les possibles rarissimes risques résiduels de transmission du VIH via la transfusion sont dus quasi-exclusivement au problème de  la courte période « silencieuse » (une douzaine de jours) suivant une éventuelle contamination.

Les seules questions valables seraient donc celles visant à écarter les donneurs qui pourraient se trouver dans cette situation, éventuellement en prenant une marge de sécurité raisonnable, telles que : « Avez-vous eu un(e) nouveau(elle) partenaire au cours du dernier mois ? «

Le don du sang est gratuit, ceux qui y participent le font par altruisme. Comment imaginer qu’ils proposeraient de donner leur sang en sachant qu’ils ont pu avoir une conduite à risque dès lors que la définition de ces conduites à risque est suffisamment précise, sérieuse et fondée ?

Les études se sont basées sur une estimation du risque théorique comme si les donneurs potentiels allaient donner leur sang de manière aléatoire, quelle que soit leur activité sexuelle les jours et les semaines précédents. La logique même du don est fondée sur la confiance et le sens des responsabilités des donneurs. Comment ne pas croire que ceux-ci puissent choisir de donner ou pas en fonction de leur vie intime récente ? Pour autant que les règles qui seraient posées soient logiques, compréhensibles et non discriminatoires et qu’il n’y ait alors aucune raison de vouloir les transgresser.

A moins qu’il ne s’agisse pour les décideurs de faire oublier « l’affaire » et, désignant un groupe bouc-émissaire, donner l’illusion à la population que toutes les mesures nécessaires à la protection sont prises.

Non, décidément, je n’arrive pas à trouver de solide raison scientifique, rationnelle et logique, à tout ceci.

C’est donc avec un réel plaisir que je vais relayer l’appel de l’EFS et, en effet, inviter mes lecteurs à participer aux chats et à l’ensemble des manifestations autour de la Journée Mondiale du Don du Sang. Et plus particulièrement, je vais les inviter à poser une question bien précise…

Le don du sang, le don de moelle sauvent des vies. Faire ce don est un geste de profonde générosité et, sans raison valable, il n’est pas normal de stigmatiser ainsi des donneurs potentiels. A quand la fin de cette discrimination idiote, nuisible et qui n’est plus fondée sur des preuves scientifiques ?

Merci à celles et ceux qui ont bien voulu participer à la relecture de ce billet : DrCouine, Asclepieia et Jean-Marie de Grange Blanche

>>Article initialement publié sur le blog de Borée

>> Photos CC FlickR dérivée deAttributionNoncommercialShare Alike Figgy Studio Assistant et  AttributionNoncommercialNo Derivative Works ec-jpr

]]>
http://owni.fr/2011/04/26/mauvais-sang/feed/ 8