OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Istanbul, mégapole européenne? http://owni.fr/2011/07/04/istanbul-megapole-europeenne/ http://owni.fr/2011/07/04/istanbul-megapole-europeenne/#comments Mon, 04 Jul 2011 15:47:20 +0000 microtokyo http://owni.fr/?p=72639 Urban After All S01E21

Si les voyages forment la jeunesse, peut-être forment-ils plus encore notre capacité à observer ce qui nous paraît étrange(r). Quoique traitant l’information chacun à leur manière, le journaliste et l’ethnographe savent tous deux qu’il est nécessaire d’être un piéton attentif pour récolter des données de première main sur le terrain. « Faire feu de tout bois », disait Robert E. Park, journaliste puis sociologue mythique de l’École de Chicago. Les ambiances des rues, les discours et les imaginaires qui s’y forgent donnent en effet de précieuses pistes de compréhension d’une société.

À l’heure où la question de l’intégration de la Turquie à l’Union Européenne laisse celle-ci bien hésitante et les Turcs parfois agacés, nous nous sommes rendus dans la capitale de la culture 2010, Istanbul, à quelques jours des élections législatives du 12 juin dernier.

Enjeu électoral de taille puisqu’il s’agissait de renouveler le Parlement et de dessiner les grandes tendances de la Turquie de demain. On le sait, c’est le conservateur et europhile AKP [tr] (Parti de la Justice et du développement) mené par l’ancien maire d’Istanbul [tr] et actuel Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan qui a massivement raflé la mise. Pour le marcheur parcourant les rues stambouliotes, une foule de signes indiquait non pas tant cette seconde réélection sans surprise que la tension entre modes de vie cosmopolites et crispations plus ou moins marquées autour d’une certaine lecture du passé et de la religion majoritaire, l’islam.

Métropole, mais pas seulement

À cheval sur les continents européen et asiatique, Istanbul n’est pas seulement l’une des villes les plus anciennes du monde, c’est aussi l’une des plus peuplées. Officiellement, elle compte plus de 12.5 (chiffres 2007). À la vitesse à laquelle croissent les gecekondus (constructions illégales) en périphérie, certains tablent plutôt sur 16 ou 17 millions.

Il suffit de monter sur le toit de l’Istanbul Sapphire Tower [en], gratte-ciel flambant neuf à Levent pour voir ce qu’est Istanbul : une mégalopole. Le choc : un tissu urbain hyperdense presque dépourvu d’axes structurants. Vu la topographie de la région, à part les séismes, aucun obstacle naturel ne semble empêcher cette entropie. Istanbul peut impressionner l’urbaniste européen, notamment ceux de la vénérable revue Urbanisme qui dans un numéro dédié, la qualifient pudiquement de « métropole » (modèle on ne peut plus européanocentré), pratiquement jamais de « mégapole ». Intégrer la Turquie à l’UE, serait-ce aussi intégrer une forme urbaine qui s’est longtemps développée sans plan directeur ?

Exit le plan panoramique en plongée, préférons maintenant le plan séquence au sol. Istanbul compte pas moins de 32 communes et plusieurs centre-villes. Mais de quelle centralité faut-il parler ? Géographique, économique ou symbolique ? S’il est courant de dire que la rive européenne est davantage occidentalisée et fébrile que celle anatolienne, réputée plus populaire et tranquille, l’expérience incite à nuancer le propos. Les centres dits historiques se trouvent en Europe, dans la zone de Beyoğlu : Galata, Istiklal et Taksim. Très fréquentés, ils comptent aussi des quartiers populaires, voire pauvres comme Tabarlaşı où logent Kurdes, Arméniens et immigrés.

Classée à l’Unesco, la zone de Sultanahmet est un haut lieu du tourisme mondial mais elle regorge aussi d’étroites rues populaires, chroniquement bondées de marchandises et de ménagères affairées. Longeant l’avenue Büyükdere, le récent quartier d’affaires Levent indique qu’Istanbul est devenue une place financière forte reliant Europe et Moyen-Orient. En Asie, la zone de Kadıköy et le gigantesque quartier-marché Çarşı font figure d’attracteurs étranges.

Vitalité et crispation des espaces communs

Ce qui frappe, c’est l’atmosphère à la fois énergique et détendue des rues. Certes, celles-ci sont souvent grouillantes, bien des Stambouliotes trouvent que le temps passe trop vite et le trafic routier impose lourdement sa loi aux piétons. Le commerce informel est quasiment partout : vendeurs de simit (pains au sésame), de tickets de loterie ou de menu équipement, vendeuses de fleurs, cireurs de chaussures… Il y a aussi les hommes bruns transportant d’énormes paquets sur leur dos littéralement pliés en deux, Kurdes ramassant et revendant les déchets. Premiers indices incitant à s’écarter des grandes artères et à découvrir les marchés d’arrières-cours, passages, escaliers menant à des boutiques sur les toits.

On comprend assez vite que la vitalité informelle des espaces communs oscille entre une légalité abstraite faite de règlements inapplicables ou inappliqués (codes de la route et de l’urbanisme, législation du travail), et une illégalité efficace (commerces informels, gecekondus, dolmuş – estafettes plus ou moins légales).

Les autorités tentent cependant depuis une dizaine d’années de réguler cette urbanisation débridée à coups de régularisation, de modernisation et de projets immobiliers. Pour le meilleur et pour le pire. Les Roms installés de longue date à Sulukule, sur la rive européenne du Bosphore, en savent quelque chose : malgré un collectif de soutien, leur quartier composé de charmantes maisonnettes en bois a été rasé en 2008. L’endroit idéal pour un bar lounge so trendy

Le quartier Rom de Sulukule à Istanbul

Le quartier Rom de Sulukule, quelques semaines avant sa démolition en 2008.

La démarcation entre boutiques (dedans) et trottoir (dehors) est souvent floue : étals, commerçants papotant dehors, porte ouverte, voire absence de vitrine. La vie stambouliote consiste aussi à s’assoir à l’improviste sur les tabourets bas posés devant l’une des milliers de lokantas (échoppe bon marché) pour y boire le çay (thé noir), y manger un döner. Une femme blonde platine en minijupe boit le thé avec son amie voilée et habillée de manière plus couvrante. La cuisine de rue, dénominateur social commun ? Peut-être, mais elle dissimule mal le fait que la vente d’alcool est de plus en plus contrainte par une licence exorbitante et l’augmentation du prix du verre. Au pays du raki, musulmans non pratiquants, restaurateurs et milieux intellectuels laïcs sont préoccupés par cette pression conservatrice.

Omniprésente, la musique, à commencer par la türkpop, est aussi un puissant lien social. Difficile d’échapper aux chansons de Demet Akalin, Mustafa Sandal [tr] ou de Kenan Doğulu. Plus traditionnel mais non moins écouté, l’arabesk, représenté entre autres par Orhan Gencebay [tr] et la superstar kurde, Ibrahim Tatlises [tr], récemment grièvement blessé par mitraillette. Sibel Can et Sezen Aksu mixent les deux styles, s’attirant les faveurs des fans du r’n'b national et de leurs (grands) parents.

Imaginaires officiels et régimes visuels

En ces temps de campagne électorale, c’est une Turquie économiquement en bonne santé mais écartelée entre partisans du cosmopolitisme laïc et conservateurs pro-islamistes qui se donne à voir. Qu’est-ce qui peut alors faire lien entre eux ? Le patriotisme se clame haut et fort. Icône fondatrice de la jeune République laïque (1923) et dénominateur commun de la türklük (identité turque), Mustafa Kemal Atatürk est omniprésent dans la rue et les maisons. Plus nombreux encore que les drapeaux nationaux, les drapeaux d’équipe de foot ou les chats de rue, les portraits d’Atatürk jeune, homme mûr, inspiré, rassurant, civil, militaire, protecteur des enfants, haranguant les foules… Un saint laïc.

Bien fou qui oserait s’en moquer publiquement, la loi 5816 l’interdit. Au printemps 2008, l’État coupe l’accès à YouTube en raison de contenus jugés offensants à la mémoire d’Atatürk. Aucun acteur politique ne peut s’en prendre à ce symbole, quand bien même certains rêvent d’en finir avec la laïcité et d’affaiblir le pouvoir de l’armée, gardienne de la démocratie.

Pour qui brigue le pouvoir, il faut se montrer à la hauteur de cet imaginaire patriote. Ici et là, des affiches, voire stencils des candidats. Des camionnettes sillonnent les rues en crachant türkpop et slogans politiques, couvrant presque les appels à la prière des minarets. Les principaux partis ont leurs spots publicitaires sur les écrans TV et dehors. Ceux de l’AKP, ici et [vidéo, tr], valent le coup pour leur savante mise en scène : tantôt costumes et musiques traditionnels, tantôt un R. Erdoğan vantant ses réalisations urbaines. Sans doute plaisent-ils aux bobos néo-ottomans, ces jeunes adultes cultivés des classes privilégiées, musulmans pratiquants et conservateurs…

Les principaux partis comme le CHP [tr] (Parti républicain du peuple) et le MHP [tr] (Parti d’action nationaliste) et BDP [tr] (Parti socialiste pro-kurde) y vont aussi de leur meetings. Les codes de communication politique surprennent : des places remplies de militants écoutant les discours fleuve et limite sentencieux du leader. On ne peut s’empêcher de rapprocher ce charisme avec une impression souvent éprouvée dans la rue où les regards, surtout entre hommes, sont francs, sans être agressifs. On ne fuit pas le regard de l’autre, on le maintient, sûr de soi.

Pochoir de masque à gaz, très utilisé par les journalistes turcs.

La semaine précédant les élections, pas un jour ne se passe sans une manifestation ou un meeting dans l’axe Taksim-Istiklal Caddesi. Pour qui ne comprend pas le turc, il est facile de deviner les tendances politiques du rassemblement. S’il y a beaucoup de femmes voilées et de musique traditionnelle, c’est un parti conservateur, voire pro-islamiste. S’il y a beaucoup de policiers en armure, de blindés munis de canons à eau et de journalistes équipés de masque à gaz, c’est une foule de gauche. Lors d’un premier séjour en 2008, j’avais participé à la manifestation du 1er mai à Taksim. Très vite, l’évènement tourne à l’affrontement : lance à eau, gaz lacrymogènes puis traque interminable des manifestants dans les rues perpendiculaires à Istiklal. Le spectacle de ces violences fait les choux gras des médias, à défaut, sans doute, de présenter équitablement les différentes sensibilités politiques.

Curieuse situation que celle d’Istanbul : dépourvue de titre officiel, elle est pourtant davantage la scène des tensions traversant le pays que la capitale Ankara. À la fois patinée par le temps et illuminée par ses buildings, elle est toujours un creuset culturel et désormais une mégapole globale. Elle semble nous dire que la mondialisation ne rime pas avec standardisation mais hybridation. À défaut de rassurer les grandes capitales d’Europe occidentale, Istanbul a cet atout que n’ont plus toujours celles-ci : une vitalité lui permettant de muter rapidement. Pas mal, pour une jeune femme de près de 1700 ans.

Photos : Aymeric Bôle-Richard, sauf image de une CC by-nc-nd Pierre Alonso

Chaque lundi, retrouvez la chronique Urban after all, un voyage dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-la aussi sur Facebook !

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[itw] “Les Turcs se battent pour ne pas perdre leurs libertés” http://owni.fr/2011/04/18/les-turcs-se-battent-pour-ne-pas-perdre-leurs-libertes/ http://owni.fr/2011/04/18/les-turcs-se-battent-pour-ne-pas-perdre-leurs-libertes/#comments Mon, 18 Apr 2011 12:45:35 +0000 Olivier Bailly http://owni.fr/?p=57598 Les journalistes turcs estiment que 68 de leurs confrères sont actuellement en attente d’un procès depuis trois ans. Leur tort ? Ils sont soupçonnés de comploter contre l’état, en soutenant notamment Ergenekon, supposée organisation nationaliste.

Le 13 avril, à Strasbourg d’où il a lancé sa campagne des législatives du 12 juin prochain, le Premier ministre turc, M. Erdogan, soutient que ces journalistes ne sont pas emprisonnés à cause de leur activité professionnelle.

Sauf que la Turquie a été rétrogradée de la 100ème à la 138ème place en terme de liberté de la presse depuis 2002, moment de l’arrivée au pouvoir du parti de la Justice et du Développement (AKP) (source RSF).

Mine G. Kirikkanat est l’une des plumes les plus célèbres de son pays. Éditorialiste à Radikal et Vatan et aujourd’hui à Cumhuriyet, elle travaille aussi pour le Kiosque TV5 Monde. Sociologue de formation elle est également romancière. Élue trois fois journaliste le plus courageux de Turquie notamment parce qu’elle est favorable à la reconnaissance du génocide arménien, elle ne cesse de dénoncer les collusions entre le gouvernement actuel et certaines mouvances islamistes comme celle de Fethullah Gülen – qu’elle soupçonne de saper les fondements laïcs de son pays. Ses prises de position lui ont valu de nombreux procès qu’elle a gagnés le plus souvent.

OWNI: Certains de vos confrères sont en garde à vue depuis trois ans. Il n’y a toujours pas de procès à l’horizon ?

Mine G. Kirikkanat : Les jugements ont commencé, mais on arrive à la 178ème audience. Ça n’avance pas. J’ai quatre amis qui ne savent toujours pas pourquoi ils sont inculpés. Nedim Sener, un ami avec qui j’ai longtemps travaillé, avait écrit un livre qui dénonçait les ultra-nationalistes de l’organisation Ergenekon. Le gouvernement l’accuse, ainsi qu’un autre confrère, de faire partie de ce mouvement alors qu’ils le dénoncent ! C’est un tribunal spécial qui suit ce procès. Selon la loi, on ne peut être jugé que dans les cinq ans suivant l’arrestation dans les tribunaux, une limite prévue par la cour européenne dont dépend aussi la Turquie. Mais ces tribunaux spéciaux sont dotés de pouvoirs hors norme qui peuvent prolonger la garde à vue jusqu’à dix ans. La loi a été changée en 2010, rien que pour cette affaire.

Pourquoi le gouvernement turc soupçonne t-il ces journalistes ?

Depuis que le Parti pour la justice et le développement (AKP) est au pouvoir il veut se débarrasser des opposants gênants. Cela fait parti d’un plan. D’abord ils ont arrêté les propriétaires de plusieurs chaînes de télévision et le plus grand groupe de presse turc a été accablé par des contrôles fiscaux puis des redressements colossaux. Actuellement il existe environ 80 chaînes de télévision turques qui émettent sur le plan national. Trois seulement osent défier ouvertement ce gouvernement. Les autres se taisent. Il y a une autocensure.

Le nationalisme est-il un danger sérieux pour le gouvernement Erdogan ?

L’opposition nationaliste n’existe presque plus. Mais l’opposition laïque existe, et plusieurs journalistes parmi ceux qui sont aujourd’hui en prison en font partie.

Quel est le rôle de l’islamiste Fethullah Gülen, qui vit aux Etats-Unis ?

C’est un vieil homme malade du diabète, qui est peut-être mort, on ne sait pas. Des hommes, des ombres, parlent à sa place. Toute la police maintenant sort des écoles de Fethullah Gülen. Son organisation possède un très grand groupe de presse qui comprend plusieurs chaînes de télé dont l’une diffuse en anglais, par satellite, ainsi que le quotidien Zaman qui paraît dans tous les pays où il y a une communauté turque. C’est le seul à être publié en deux langues. En France il est imprimé à la fois en français et en turc.

Un confrère, Ahmet Sik, a écrit « L’armée de l’imam », livre qui analyse le phénomène Fethullah Gülen. Ce journaliste d’investigation a non seulement été arrêté « provisoirement » pour cet ouvrage qu’il n’avait pas encore publié, mais le tribunal spécial a décidé que toutes les personnes possédant le manuscrit seraient passibles d’arrestation au motif d’aide à une organisation terroriste. La police a fait une descente au journal Radikal et dans sa maison d’édition et a détruit les CDs contenant le manuscrit.

Mais les Turcs ne se taisent pas. Plusieurs ONG se sont organisées via Internet. Le manuscrit a été téléchargé 60.000 fois clandestinement ! Une pétition qui rassemble plus de 20.000 signatures de personnes le possédant est aujourd’hui en ligne.

L’Internet mobilise t-il une forte opposition en Turquie?

Oui et elle est partout. Il y a des communautés bien implantées dans le monde. On a d’ailleurs pu obtenir le livre à partir d’un pays tiers. En Turquie il y a 35 millions d’internautes sur 75 millions d’habitants. Deux tiers de la population possèdent un portable, chiffre qui correspond aussi à la proportion des moins de trente ans.

Le « printemps arabe » a t-il une influence sur l’opinion ?

Non. La Turquie est très différente des pays arabes. Elle a évité la crise. Sur ce plan-là, il n’y a rien à dire. Ce gouvernement islamiste gère très bien l’économie. La Turquie est devenue la dix-septième puissance économique mondiale. La monnaie s’est renforcée et le PIB a augmenté spectaculairement. Avec sa jeunesse, c’est un pays en pleine forme. La Turquie ne manque de rien contrairement au monde arabe. Nous étions plus libres qu’eux, mais c’est maintenant que les libertés se réduisent. Nous nous battons pour ne pas les perdre alors que les Arabes veulent encore les gagner.

La laïcité est-elle menacée en Turquie ?

La Turquie est constitutionnellement un état laïc, ce qui est très discuté en ce moment puisque la Constitution va être changée. La laïcité n’existe que sur le papier. Je suis une journaliste spécialisée dans les religions et je suis connue pour les critiquer toutes, en particulier l’islam. Aujourd’hui je ne pourrais plus publier les articles que je publiais il y a cinq ans. Depuis je me tais car je suis menacée de mort, je risque de me faire arrêter pour des prétextes aberrants. Nous avons peur de parler de la religion.

On entend peu l’Union européenne s’exprimer au sujet de ces arrestations…

Un nombre très important de députés touche de l’argent de la part de l’État turc pour plaider la cause de ce gouvernement. Il n’y a pas de preuve, mais ça se dit tant chez les journalistes que chez les diplomates. Ces députés ont tellement chanté les louanges de ce gouvernement qu’il leur est très difficile maintenant de l’épingler.

>> Photos FlickR CCAttributionShare Alike Juanedc et Wikimedia commons CC by-sa Ji-Elle

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Féministe et islamique http://owni.fr/2011/03/08/feministe-et-islamique/ http://owni.fr/2011/03/08/feministe-et-islamique/#comments Tue, 08 Mar 2011 00:44:38 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=50184 Féminisme islamique, un oxymore ? Une contradiction dans les termes ? C’est en tout cas ce que répètent ses détracteurs, laïques et religieux. Vingt ans après son apparition, plusieurs succès ont été enregistrés. En 2002, les femmes de Bahreïn obtiennent le droit de vote. En 2005, ce sont les femmes du Koweït qui peuvent désormais se rendre aux urnes. La campagne “Un million de signature” [en] est lancée en 2006 en Iran pour mettre fin aux discriminations légales dont les citoyennes iraniennes sont victimes.

Le féminisme islamique, c’est avant tout un discours né en occident associé à des appartenances religieuses et culturelles non-occidentales. Cette dualité est perceptible jusque dans l’identité des fondateurs, des fondatrices en l’occurrence. Le mouvement apparaît simultanément au Moyen-Orient et dans les universités d’Europe et des États-Unis au début des années 1990.

Égalité des genres

Côté occidental, le féminisme islamique est d’abord porté par l’universitaire américaine convertie à l’islam Amina Wadud. Son ouvrage fondateur, paru en 1992, Qur’an and Woman: rereading the Sacred Text from a Woman’s Perspective, pose les bases théoriques d’une nouvelle interprétation du féminisme. Selon Wadud, l’égalité des genres est au coeur de l’islam.

Côté Moyen-Orient, le magazine iranien Zanan est lancé par Shahla Sherkat. Le récit qu’elle fait de ses débuts est éloquent. Pour avoir soutenu “une ligne [éditoriale] moderniste, occidentaliste et féministe”, elle est remerciée en juin 1991 d’une précédente parution consacrée aux femmes. Désemparée, elle hésite à lancer une nouvelle publication. Alors, elle “L’a consulté [le Coran]”. Et y a trouvé une réponse, positive. Zanan paraîtra donc, tous les mois de 1992 à 2008. Son ambition ? Réhabiliter le terme féminisme. Avant, il “avait un sens péjoratif en Iran” et Zanan entend “donner à ce concept son sens réel et d’en présenter les diverses tendances”.

En se fondant sur l’étude des textes religieux, le féminisme islamique refuse les interprétations sexistes de l’islam. Ses théoriciennes procèdent à une relecture du Coran en mettant en avant les droits accordés aux femmes. Dès la fin des années 1970, une sociologue marocaine, Fatima Mernissi, remettait en cause la validité des propos misogynes attribués au prophète Mohammed contenus dans les hadiths, le recueil des paroles et faits du prophète rapportés par ses compagnons.

Chez Wadud, le précepte religieux, central, “d’égalité absolue en tous les êtres humains” invalide les interprétations patriarcales qui sont faites. Pour d’autres auteures, les hommes et les femmes ne sont pas strictement égaux, mais ont des rôles distincts complémentaires et égaux en valeur ; la théoricienne saoudienne Nora Khaled al-Saad [en] parle d’une “égalité islamique”.

Au-delà des relations hommes-femmes, le féminisme islamique touche à d’autres domaines de la vie sociale et politique. “Les féminismes islamiques luttent contre toutes les formes de domination, qu’elles soient raciales, économiques ou patriarcales” explique Lucia Direnberger, doctorante en sociologie politique à l’université Paris VII sur le genre et la participation politique en Iran et au Tadjikistan. Contrairement aux féminismes chrétien et judaïque, le féminisme islamique a produit “un projet de société : au-delà du débat théologique, les féministes islamiques se sont emparées des questions juridiques, sociales et politiques” poursuit Lucia Direnberger.

Une histoire d’un siècle

Le féminisme islamique n’est pas apparu spontanément au début des années 1990. Dès le début du XXe siècle, le féminisme a eu des échos au Moyen-Orient. Mais les interprétations étaient alors majoritairement laïques, et venaient du sommet de l’État. L’exemple le plus frappant est celui d’Atatürk, en Turquie. Dans son ambition de modernisation, synonyme d’européanisation, il a promu un féminisme laïque, imposé par le haut.

À la même période, les puissances coloniales promeuvent un féminisme européen dans leurs protectorats, en Égypte ou au Liban. L’historienne égyptienne Leila Ahmed [en] parle de “féminisme colonial” à propos de cette première vague féministe dans les pays du Moyen-Orient. En réaction surgit un deuxième mouvement dans les années 1960-1980. Liés aux mouvements anti-coloniaux et islamistes, la deuxième vague dénonce le féminisme importé de l’Occident de la première vague.

C’est dans ces années que l’accès à l’éducation se généralise pour les femmes. Et contribue à l’émergence d’une troisième vague dans les années 1990. Ces femmes, éduquées, issues des classes moyennes, travaillent, tout comme leur mari. Elles importent le discours féministe à l’intérieur de la sphère familiale, une nouveauté par rapport aux mouvements antérieurs. Les jeunes femmes immigrées sont ballotées entre les traditions musulmanes et les aspirations égalitaires de leur pays d’accueil. Le féminisme islamique de la troisième vague nait de cet échange entre l’Occident et les pays d’origine.

Le discours est suivi d’actes. La troisième vague “fait le lien entre le niveau institutionnel, universitaire et la pratique politique” précise Lucia Direnberger. En Iran, les féministes islamiques font parti des mouvements réformateurs et militent pour une démocratisation du régime. Elles rencontrent une répression féroce, à la hauteur des espoirs qu’elles ont semés.

Pour en savoir plus :

  • Critique Internationale, n°46, janvier-mars 2010
  • Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, n°128, décembre 2010
  • Zanân, le journal de l’autre Iran, Shala Sherkat, CNRS Éditions, 2009

Crédits Photo FlickR CC Please! Don’t smile. // Wikimedia Commons

Image de Une par Marion Kotlarski pour Owni

Retrouvez l’intégralité de notre dossier sur la Journée de la Femme.

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Lutter contre la Cyber-Censure http://owni.fr/2010/03/12/lutter-contre-la-cyber-censure/ http://owni.fr/2010/03/12/lutter-contre-la-cyber-censure/#comments Fri, 12 Mar 2010 15:18:56 +0000 Stéphane Favereaux http://owni.fr/?p=9961

Ce vendredi 12 mars met en avant lors de la journée mondiale de lutte contre la cyber-censure, la bataille pour la liberté d’information. Depuis que le Net s’ouvre au monde, les pays les moins démocratiques ou ceux se prétendant démocratiques tendent à renforcer le contrôle sur l’information. Face à ces états censeurs, dictatoriaux ou fut un temps réellement démocratiques, il appert que la capacité de mobilisation des net-citoyens, des anarnautes, des tenants de la Netopie, s’accroît en faisant tomber les frontières des états.

Chaque citoyen soumis à la censure ou que les états veulent faire taire devient un relais d’informations permettant au monde entier d’être mis face aux dérives des régimes autoritaires, il n’est qu’à penser à la Révolution Twitter en Iran… Malheureusement, quelques rares pays, la Corée du Nord, la Birmanie, le Turkménistan voire Cuba coupent totalement l’accès au Web prétextant un manque de moyens techniques et un moindre développement des infrastructures. De fait, nous assistons à une explosion du marché noir des télécommunications, notamment à Cuba, en Chine ou en Corée du Nord…

censure

Le marché de la construction des prisons devrait aussi s’accroître puisque près de 120 blogueurs, internautes, cyberdissidents sont enchristés pour avoir eu la désobligeance de s’exprimer librement.

- Au Maroc, pays ami de la France, le délicieux Mohammed 6, pire encore que son père, mais n’ayant pas encore systématisé la surveillance du Web, maintient en détention un blogueur et un propriétaire de cybercafé pour avoir permis la publication ou publié des propos anti-Mohammed 6, notamment sur la répression d’une manif ayant mal tourné.

- Adnan Hadjizade et Emin Milli, blogueurs Azerbaïdjanais sont sous les verrous pour avoir tourné en dérision les autorités locales et les avoir ridiculisé dans une vidéo sur You Tube.

- Au Yémen, quatre journalistes sont actuellement derrière les barreaux pour des raisons similaires…

Et la liste pourrait être longue encore des exactions commises sous couvert politique. RSF publie donc ce rapport à l’occasion de cette journée de lutte et rallonge également la liste des pays ayant mis le Web sous surveillance : la Turquie et la Russie en font dorénavant partie.

iran-tweets2

Si seuls les régimes autoritaires étaient initiateurs de cette surveillance du Web, les pays libres les rejoignent et les moyens de surveillance évoluent. Censure et intimidations, pressions étatiques et légales se démultiplient… 60 pays censurent « officiellement » le web en 2009, soit deux fois plus en qu’en 2008…

Filtrage, fichage, fermeture de blogs, de sites de dissidents, d’opposants aux régimes de ces 60 pays… les moyens techniques se mettent au service de la volonté de faire en sorte que le Web la ferme purement et simplement. Arrestation torture, intimidation des journalistes, des dissidents, des blogueurs, des entourages (notamment au Maroc), des familles…

RSF précise que « Les plus grandes prison du monde pour les net-citoyens sont la Chine, largement en tête avec 72 détenus, suivie du Viêt-nam et de l’Iran, qui ont lancé ces derniers mois des vagues brutales d’arrestation. »

Quand la démocratie censure…

Si l’on évoquait jusqu’alors les dictatures, monarchies absolues et autres régimes staliniens, ceux-ci ne sont pas les seuls à vouloir surveiller le Net. La Corée du Sud tente de mettre un terme à l’anonymat sur la toile, l’Australie est en train de se doter d’un système de filtrage total du Web.

Au niveau supranational, les discussions actuelles menées sous secret défense par 39 états ne vont guère aller dans le sens des anarnautes, des opposants. ACTA destinés à lutter contre la contrefaçon se négocie sans la moindre concertation avec les ONG, sans aucun rapprochement avec les acteurs du Web. La Communauté européenne à beau s’opposer à cette confidentialité par un vote très largement majoritaire, les passions ne s’apaisent pas face à un accord qui pourrait instaurer la surveillance du Web dans 39 pays dont on prétend qu’ils sont démocratiques. Ces mesures liberticides potentielles passeraient par un filtrage du Net sans qu’aucune décision de justice n’ait à être prise.

rsf

Les législations répressives sont de plus en plus systématiques : Jordanie, Irak, Kazakhstan, Australie, Grande-Bretagne, France… cette liste est longue et peut inquiéter… Voir accoler dans une même liste des états totalitaires et des démocraties ne laisse guère planer de doutes quant aux volontés de contrôle que tout état veut sur cet espace de liberté qu’est le Web.

Face à ces volontés sécuritaires, le rapport de RSF précise cependant que « En Finlande, le décret n°732/2009 fait de l’accès à Internet un droit fondamental pour tous les citoyens. En vertu de ce texte, chaque foyer devra bénéficier d’une connexion d’au moins 1 mégabit par seconde au 31 juillet 2010. D’ici 2015, elle devra être d’au moins 100 mégabit par seconde. De son côté, le Parlement islandais examine à l’heure actuelle une proposition de loi ambitieuse, “Icelandic Modern Media Initiative” (IMMI), destinée à protéger les libertés sur Internet, en garantissant la transparence et l’indépendance de l’information. Si elle est adoptée, l’Islande deviendrait un paradis cybernétique pour les blogueurs et les citoyens journalistes »

Les blogueurs s’associent…

Partout sur la planète Web, les associations de blogueurs se développent en cyber-mouvements de lutte, d’échanges de fichiers, de techniques permettant aux iraniens d’utiliser des proxies destinés aux dissidents chinois, etc. Idem dans les 60 pays de la liste RSF… la résistance sur le Web s’organise. Et la résistance, ça marche ! En Russie, le média le plus libre est le Net, en Italie, on n’en est pas loin malgré les tentatives de Berlusconi de faire taire les blogueurs opposants, en France non plus, nous n’en sommes pas très loin ! RSF précise aussi que « L’Arabic Network for Human Rights Information estime à 10 000 le nombre de blogs actifs, en arabe et en anglais, dans le pays. ». Les trônes dictatoriaux se fragiliseront… gageons le.

Cette journée de lutte contre la cyber-censure ne doit en aucun cas être une mobilisation d’une journée, elle doit être un combat de chaque jour où les démocrates, à défaut des démocraties, doivent soutenir les dissidents, les opposants enchristés pour avoir voulu défendre leurs libertés fondamentales, leur liberté d’expression.


Photo par Cayusa (CC-by-nc)

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