OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Festivals cherchent finances http://owni.fr/2011/04/29/festivals-cherchent-finances/ http://owni.fr/2011/04/29/festivals-cherchent-finances/#comments Fri, 29 Apr 2011 13:34:21 +0000 Hélène David http://owni.fr/?p=59198 Avril. Le début des beaux jours et avec eux, le début de la saison des festivals. Des instants hors du temps pendant lesquels, loin de Fukushima et des débats électoraux, on ne se préoccupe que de trois choses : la température de la bière, la capacité d’une tente à effectivement « s’installer en deux minutes », et surtout, la musique, les concerts, les artistes auxquels on décide consciemment de confier nos futures acouphènes. Des réunions bon enfant dont feu les White Stripes constituent la bande son, et qui nous feraient presque oublier qu’il s’agit aussi d’une histoire de gros sous.

Ces festivals s’appuient sur des budgets colossaux :

Désengagement public

Leur financement repose sur la billetterie, les subventions publiques, les partenariats privés, et dans une moindre mesure, le mécénat.

Et si les organisateurs refusent pour la plupart de communiquer le détail de ces chiffres, arguant pour les uns qu’il s’agit de “données confidentielles“, pour les autres, comme Solidays, que l’on “peut faire dire ce que l’on veut à des chiffres“, la tendance majoritaire est claire. Les subventions publiques diminuent.

En cause, la décentralisation et la suppression de la taxe professionnelle. Cette année, la subvention accordée par le Pays de Montbéliard agglomération aux Eurockéennes a été divisée par deux, passant de 100.000 euros en 2010 à 50.000 en 2011. Emmanuel Oudot, directeur de la culture et du patrimoine de la communauté d’agglomération, s’en explique:

Nous sommes obligés de faire des choix drastiques. Je ne connais pas beaucoup de collectivités territoriales qui ne sont pas confrontées à ce problème.

Pour le festival Europavox, qui se tient chaque été en Auvergne, le département s’est retiré il y a deux ans. Les subventions de la commune ont diminué de 40% cette année. Et d’autres baisses ont déjà été actées pour l’année prochaine.

Même constat du côté du Printemps de Bourges. En deux ans, l’aide du Cher est passée de 200.000 euros à 150.000 euros. “Le Cher fait partie des départements qui ont eu des grosses difficultés”, explique Michel Bourumeau, directeur de la culture du Conseil général.

En 2011, le financement du festival berruyer reposait tout de même à près de 37% sur les institutions publiques, et en grande partie sur la commune de Bourges et le ministère de la Culture, qui comme le rapporte Le Monde, a pris en charge les subventions allouées au Printemps de Bourges :

Alors que Les Francofolies de La Rochelle, par exemple, ont la direction régionale des affaires étrangères (DRAC) de Poitou-Charentes pour interlocuteur, le Printemps de Bourges s’adresse en direct aux services de Frédéric Mitterrand. Un cas unique pour les musiques populaires. Pour 2011, le ministère de la Culture a alloué 340.000 euros au festival et 230.000 euros pour le réseau Printemps qui débusque les nouveaux talents.

Les financements publics du Printemps de Bourges se décomposent comme le montre ce diagramme (qui ne tient pas compte des soutiens en nature tels que la sécurité, l’éclairage, les transports (etc.) de la commune de Bourges et de la communauté d’agglomération) :

Dans le meilleur des cas, les subventions restent stables d’une année sur l’autre. C’est le cas cette année pour Rock en Seine. L’un des organisateurs explique que le soutien institutionnel au festival représente 18% du budget total de 5,2 millions d’euros, et se décompose comme suit :

Le financement public de Rock en Seine repose en grande partie sur la région Ile de France, partenaire historique et principal du festival.

Quelles solutions?

Pour pallier la diminution des subventions, la marge de manœuvre des organisateurs est limitée. La billetterie ne constitue un levier qu’en dernier ressort. Augmenter le prix des places de manière substantielle peut être un calcul fatal à la fréquentation des festivals entre lesquels la concurrence est rude. Reste les partenariats privés ou les subventions indépendantes des collectivités territoriales.

La SACEM, notamment, alloue des subventions. En 2011, le budget dédié au soutien des festivals a augmenté de 10% par rapport à l’année dernière, et s’élève à 3,7 millions d’euros. Olivier Bernard, directeur de l’action culturelle explique :

Les festivals font de plus en plus appel à nous pour pallier la diminution de l’engagement des collectivités territoriales, ou dans le meilleur des cas leur stagnation.

Une tendance qui ne va pas sans poser question, puisque “les sociétés d’auteurs n’ont pas vocation à pallier les carences des finances publiques“, explique Olivier Bernard.

Le Printemps de Bourges, aidé à auteur de 75.000 euros par la SACEM a surtout eu recours au secteur privé, et en particulier au Crédit Mutuel. Daniel Colling, directeur du festival, s’en est expliqué :

La région Centre et le département du Cher ont diminué leurs subventions. Pour compenser cette diminution, notre festival a fait le choix d’élargir son partenariat privé.

Chimérique indépendance

Un partenariat important, qui a permis à la banque de s’immiscer dans le logo du festival. L’événement s’appelle désormais “Printemps de Bourges Crédit Mutuel”. Et si à la mairie de Bourges, on assure que “la nouvelle appellation passe complètement inaperçue”, la question de l’indépendance artistique du festival s’impose.

D’autant plus qu’il y a eu des précédents, avec les collectivités territoriales cette fois. En 2009, le Conseil régional de Centre avait conditionné sa subvention de 350.000 euros au retrait de la programmation du rappeur Orelsan. (Voir la vidéo de son titre “Sale Pute”, âmes sensibles s’abstenir.)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le Conseil régional avait appelé le festival à “prendre ses responsabilités“. Et face à l’entêtement des organisateurs à ne pas faire acte de censure, la région avait finalement décidé de rester partenaire du festival, tout en mettant en place des “modalités pour ne pas participer au financement de ce concert“.

En l’occurrence, Daniel Colling assure que le partenariat conclu avec le Crédit Mutuel est né d’une relation de confiance, et justement destiné à préserver la qualité du festival, à éviter une augmentation du prix des billets, et à mettre à l’abri le Printemps de Bourges pour les trois années à venir.

Certains partenaires privés pourtant, peuvent être tentés d’intervenir dans la programmation. Mathieu Ducos revendique une indépendance artistique totale même s’il a déjà constaté des tentatives de certains de prendre part à la programmation :

Il y a une frontière très nette entre l’implication des partenaires et la ligne artistique du festival. Certains partenaires qui prennent part à des plateformes de découverte sont tentés de mettre sur scène des artistes qui y jouent. Mais on a toujours lutté contre ça.

Et l’ingérence des partenaires peut aussi se jouer sur d’autres terrains que la programmation. L’an dernier aux Francofolies de la Rochelle, dans le cadre d’une opération de communication, la marque Repetto a offert une paire de chaussures à chacun des artistes, en les “invitant” à les porter sur scène. L’objectif: acquérir un maximum de visibilité.

Loin des chaussures de danseuses, le Hellfest Open Air, festival dédié au métal, estime pour sa part jouir d’une totale indépendance. Sur un budget total de 5 millions d’euros, les subventions publiques ne s’élèvent qu’à 40.000 euros (20.000 euros de la région, 20.000 euros du département), soit 0,8% du budget total. Jeff Manet, l’un des organisateurs du festival ne serait pas contre une aide plus importante mais explique :

Le fait que ce soit un festival de métal, pour les subventions, ca aide pas vraiment.

Rares sont en effet les entreprises qui souhaitent s’associer à l’événement prétendument sulfureux, contre lequel “des catholiques intégristes s’opposent tous les ans“. C’est donc la billetterie qui finance -à 90 % estiment les organisateurs- ce festival unique en son genre en France, grâce à un public captif. Les inconditionnels de métal sont prêts à payer un peu plus cher pour aller écouter Ozzy Osbourne ou Judas Priest. 129 euros en 2010 pour les trois jours, 10 euros de plus cette année.

Mais qu’il s’agisse d’une programmation très spécialisée comme celle du Hellfest, de variété ou de pop, ce sont bien les festivaliers qui exercent la plus grande pression sur les festivals. L’impératif absolu des programmateurs reste toujours d’attirer un maximum de spectateurs et de répondre à leurs attentes, en trouvant un juste milieu entre têtes d’affiche et découvertes. En cela, la question de l’indépendance est forcément illusoire.

>Illustration Flickr par RambergMediaImages

Vous pouvez retrouver nos articles sur le dossier festivals : Jeunes artistes : laissez-les chanter et C’était mieux avant ?

Image de Une Mick ㋡rlosky

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Le point sur le BureauExport http://owni.fr/2011/01/20/le-point-sur-le-bureauexport/ http://owni.fr/2011/01/20/le-point-sur-le-bureauexport/#comments Thu, 20 Jan 2011 11:04:40 +0000 Lara Beswick http://owni.fr/?p=29711 BureauExport c’est quoi, qui, comment, pourquoi?

C’est à l’initiative des producteurs phonographiques que le BureauExport voit le jour en 1993. Alors que les organisaitons de l’industrie musicale se structuraient, aux débuts de la French Touch, ils s’intéressent de plus en plus au développement international de leurs artistes.

Ils avaient besoin d’une structure sur laquelle ils puissent s’appuyer en terme de contacts et de support financier.

Les pouvoirs publics ayant pour rôle de soutenir l’exportation de produits culturels français et d’accompagner le rayonnement de la diversité musicale, le projet a tout de suite été relayé par Jack Lang, à l’époque Ministre de la Culture, l’objectif du projet étant d’offrir un outil pour aider la filière musicale à se développer à l’international. Pendant sept ans, le Bureau a bénéficié du seul soutien du Ministère de la Culture, le Ministère des Affaires Étrangères a rejoint l’aventure en 2000.

Le BureauExport est une Association de loi 1901 qui s’appuie donc à la fois sur un financement public à hauteur de 55%, mais aussi sur l’aide de la filière musicale à hauteur de 45% avec les deux sociétés civiles, SCPP, SPPF, la SACEM et dans une moindre mesure FCM et CNV pour les producteurs de spectacle.

L’équipe est constituée de 21 salariés dont 9 à Paris, 13 à l’international répartis entre Berlin, Londres, New York, Tokyo, Barcelone et Sao Paulo. Sophie Mercier, a répondu à nos questions. Elle a travaillé comme attachée de presse et responsable marketing des catalogues internationaux en France chez Pias pendant huit ans avant d’être nommée directrice du BureauExport: “l’aspect intérêt général et le côté international m’attiraient.” Nous lui demandons de citer un équivalent du BureauExport pour illustrer la structure qu’elle dirige:

L’équivalent du BureauExport c’est Unifrance pour le cinéma.

La structure comptait 310 membres en 2010 dont les deux tiers sont localisés en Ile-de -France. Deux fois par an, il leur est demandé de lister les trois ou quatre artistes prioritaires. En 2010, 157 sociétés ont obtenus des aides par les 5 différentes commissions:

- commission promotion (jusqu’à 10 000€ par projet)
- aides aux projets numériques (jusqu’à 10 000€ par projet)
- commission tournée (jusqu’à 10 000€ par projet)
- commission export (réflexion en cours avec le CNV)
- comission classique (jusqu’à 7000€ par projet)

Les aides accordées par le BureauExport sont de deux types:

- financier (support tour, promotion, stratégies numériques)
- conseil (mise en relation avec les représentants locaux, veille, expertise des marchés).

La seule condition pour pouvoir effectuer une demande d’aide auprès du BureauExport est d’en devenir membre. Cette “barrière” a été mise en place pour des raisons évidentes de gestion. Elle permet d’identifier les projets qui sont “prêts” pour l’export et promettent d’être bénéfiques pour le marché français. En effet, il parait cohérent de demander à ce qu’un projet ait atteint un certain stade de maturité avant de s’y investir.

Les professionnels peuvent effectuer autant de demandes qu’ils le désirent. La seule contrepartie étant cette fameuse adhésion. Une fois cet obstacle passé, la sélection se fait ainsi: “nous leurs fournissons les contacts, ils font les démarchent. S’ils s’investissent, on décide qu’ils sont prêt à être aidés.”

Si le BureauExport propose un soutien, il n’est ni un distributeur, un producteur ou un label. Il ne passe jamais de contrat avec les artistes qu’il soutient et ne se substitue pas à l’entourage indispensable au développement d’un artiste. Par exemple: “BureauExport se fait l’echo du réseau des expatriés mais ne se substitue en aucun cas au travail de promotion nécessaire sur place.

Le BureauExport n’est pas à confondre non plus avec un label au sens producteur, identité artistique, image, enregistrement… “il nous est arrivé de coproduire des compilations mais nous ne sommes pas un label.(…) Nous sommes proactifs dans le sens ou on monte des opérations comme par exemple des tournées sur des campus anglais pour lesquels nous lançons des appels d’offre à nos membres”.

Le #Burex accompagne la mutation

“Certains organismes publics au niveau de la filière ont une image un peu poussiéreuse, parce qu’ils restent sur des schémas qui sont datés. L’industrie a vécu une véritable révolution il y a 7 – 8 ans et il faut l’accompagner. Le point fort du BureauExport c’est d’être toujours à l’écoute et suffisamment souple. ”

Révolution numérique

On a très vite perçu les problématiques liées au numérique. Dès 2004 – 2005, on voyait ce qui se passait aux États-Unis, il fallait qu’on alerte les structures pour qu’elles s’organisent et que leurs catalogues soient accessibles à l’étranger. On s’est parfois retrouvés dans des réunions assez surréalistes, on avait clairement un train d’avance.

Certains ne s’étaient même pas posé la question au point de vue local. Encore une fois on a joué sur la mise en relation, on a fait venir des Américains, donné la parole aux premiers acteurs du numérique comme Believe en expliquant qu’ils pouvaient être de bons relais sans pour autant négliger de s’organiser en interne. Tout ça, c’était en 2004 – 2005.
Une fois les catalogues disponibles à l’étranger, le problème était de sortir du lot. La plupart des distributeurs en ligne ne proposaient pas de services promotionnels. En 2009, Bernard Kouchner, nommé au Ministère des Affaires Étrangères, a récupéré auprès du gouvernement une rallonge annuelle de 20 millions d’euros qu’il a décidé de consacrer au numérique. Nous avons effectué une demande et récupéré 520 000 d’euros pour aider la filière musicale française dans son développement numérique à l’international.

Le classique, une nouvelle priorité

Depuis 2004, on aide aussi les artistes de la musique classique à se développer. Une volonté du Ministère de la Culture, très vite relayé par la SACEM. Ça n’est pas le même réseau, pas la même manière de travailler l’artiste localement et ils bénéficient d’une commission spéciale pour les aides. En terme de musique contemporaines, c’est important pour la SACEM.
Le rapport Louis Bricart sur le disque classique a mis en avant le fait que la musique classique n’était pas du tout soutenue à l’international alors que par essence, c’est une musique essentiellement instrumentale donc plus internationale, car il n’y a pas la barrière de la langue.

De plus, ce secteur est loin d’être une niche. Il représente 20% du chiffres d’affaires des ventes des maisons de disques. Beaucoup plus élevé que le seul marché français, ou le classique ne représente que 7 à 8% des ventes.

Le nature des exportateurs change

Nous travaillons essentiellement sur de la production, nous ne nous investissons pas vraiment en termes de création. Pourtant, aujourd’hui, une grosse partie de nos aides va aux éditeurs. Pour ce qui est de travailler avec un compositeur soit avant même la diffusion, jusque là, nous n’avions jamais touché à ça. Le BureauExport s’est adapté aux changements de l’industrie puisqu’il y a dix ans, les producteurs et éditeurs ne travaillaient pas ensemble. La crise a fait que les intérêts ont convergé. L’initiative qui émanait des maisons de disques est désormais utilisée par d’autres. Aujourd’hui, certains éditeurs vont développer leurs artistes comme des producteurs. Nous essayons d’un autre côté de répondre aux demandes concernant la synchro.

Le #Burex, plus qu’un simple outil de mise en œuvre?

NB : être membre de l’un des organismes finançant du BureauExport est un atout important. (conditions d’adhésion au BureauExport)

Malgré l’intérêt évident d’une telle structure pour les activistes de la musique, l’ambiguïté de son statut et donc de ses intentions nous taraudent. Ce bureau, dont la mission est d’intérêt général mais financée en partie par l’industrie, comment parvient-il à rester neutre et pourquoi n’est il pas considéré par l’État comme un conseiller primordial.

La réussite du bureau, un peu un précurseur dans leur domaine, tient en grande partie à cette parité professionnels / public. Les équivalents du BureauExport à l’étranger sont souvent soit publics, soit pro. (…) Les pouvoirs publics ont eu l’intelligence de comprendre qu’ils pouvaient mettre jusqu’à 55% de budget mais laisser les professionnels dresser les grandes lignes de l’action.

Alors pourrait-on en conclure qu’en France les institutions publiques et les professionnels de l’industrie ont la même vision de l’intérêt général?
C’est au BureauExport de faire en sorte qu’ils aient la même vision.

Aussi, au vu de l’expérience et de leur expertise on se demande pourquoi, on ne retrouve pas cet observateur de premier rang plus souvent engagé dans les débats qui animent ses “investisseurs”?

Ce serait en effet intéressant, le cabinet de Nathalie Kosciusko-Morizet était intéressé par notre point de vue. Mais si on reprend la problématique du rapport Hoog ou d’HADOPI, ce sont des sujets qui sont avant tout traités par les partenaires qui nous financent directement. On est avant tout sponsorisés par les producteurs phonographiques, on est pas aussi neutres que ça au niveau de la scène musicale.

Le BureauExport sur internet : www.french-music.org

Crédits photos : FlickR CC yorkjason; jfpickard; only alice

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http://owni.fr/2011/01/20/le-point-sur-le-bureauexport/feed/ 1
Presse en ligne : faire payer le contribuable… et les bibliothèques http://owni.fr/2010/09/22/presse-en-ligne-faire-payer-le-contribuable-et-les-bibliotheques/ http://owni.fr/2010/09/22/presse-en-ligne-faire-payer-le-contribuable-et-les-bibliotheques/#comments Wed, 22 Sep 2010 14:40:12 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=28869 C’est un truisme de dire que la presse va mal. Matthieu de Vivie (cité par Narvic) a écrit une thèse sur la question du financement de la presse. Il en arrive à la conclusion suivante :

“il ne semble pas aujourd’hui envisageable qu’une diffusion sur internet, à elle seule, soit en mesure de financer la production d’information de grandes rédactions de plusieurs centaines de journalistes, telles que celles du Monde ou du Figaro. Si la version papier de ces médias fait défaut, leur survie apparait bien menacée.”

Et d’évoquer deux pistes, pas très efficaces, pour le secteur :

  • La diversification à partir de gros sites (rachat de petits sites par des plus gros comme le figaro.fr)
  • Des sites “de niche” à l’audience plus restreinte et aux sources de revenus diversifiées (vente de services, abonnement, publicité, etc.)

Pourtant, il y a une source de financement qui n’est jamais évoquée : cette source, c’est vous et moi c’est le contribuable !

D’abord ce n’est pas nouveau mais ça mérite d’être souligné : tout simplement au moyen des subventions. Vous trouverez sur le site du Ministère de la Culture une synthèse de toutes les aides à la Presse. Je ne développe pas ici, à ce sujet je vous renvoie à l’enquête édifiante menée par Owni.fr :

Durant les huit premières années de son existence, le fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale (FDM) a distribué ses substantielles subventions sans qu’une évaluation précise n’ait été mise en place pour contrôler la pertinence et l’efficacité de ces investissements. C’est en substance ce que conclut le Rapport de la commission de contrôle du fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne. Ce rapport, évaluant 65 des 260 projets financés entre 2004 et 2007, pose en effet de nombreuses questions sur ces subventions, dont nous avons publié le détail le 9 août dernier.

Subventions pas très efficaces quand on voit la santé économique du secteur… Mais la Presse peut aussi compter sur les contribuables via les bibliothèques, qui sont des services publics comme chacun sait. De puissants agrégateurs comme Europresse proposent la presse et ses archives en intégralité, sous forme de base de données accessible aux gens qui s’y déplacent (en général) j’y reviendrai.

Bibliothécaires, vous allez me dire que ça fait longtemps que ça existe ce genre d’offre pour les bibliothèques. Oui, mais le contexte vient de changer radicalement et vous allez voir que l’ensemble n’augure rien de bon pour l’information sur le web…

Tout est parti de l’annonce de Murdoch :

« Qu’il soit possible de faire payer pour des contenus sur Internet est une évidence, vu l’expérience du Wall Street Journal » a indiqué Rupert Murdoch lors de la dernière présentation des résultats trimestriels de son groupe News Corp”

De fait, ce point de vue est désormais une stratégie progressivement appliquée par les quotidiens français. N’avez-vous pas remarqué qu’il est de plus en plus rare de trouver un article gratuit en intégralité sur le site de Libération ?

Lemonde.fr en accès libre c’est fini, comme l’explique cet article de Rue89 daté de mars 2010 :

Le Monde fait un des plus grands paris de son histoire. Le quotidien du soir a annoncé la fin de l’accès gratuit aux articles du journal papier, et une offre payante complexe pour ceux qui voudraient continuer à les lire sur le site du journal et sur iPhone (et demain sur iPad). Un modèle de plus dans l’éventail des offres payantes dans la presse, et aucune certitude sur l’appétit des internautes pour payer… A partir de lundi, et de manière progressive, les articles publiés dans Le Monde ne seront plus disponibles pour les lecteurs gratuits du site LeMonde.fr. A la place, ils auront le flux classique de dépêches, la production de l’équipe du site, mais aussi vingt contenus originaux produits par la rédaction du quotidien pour le Web. La nuance est de taille et sera examinée à la loupe, les articles du quotidien étant malgré tout le principal produit d’appel de la marque Le Monde.

Nous sommes entrés dans une ère où l’accès libre à l’information de la presse d’actualité sera de plus en plus rare. Concrètement ? J’ai longuement évoqué l’Ipad dans mon récent billet. C’est assurément un moyen d’habituer les gens à accéder de manière payante à l’information. Apple a réussit à vendre l’idée aux patrons de presse (ou l’inverse mais bon qui de la poule ou de l’oeuf…) que les gens allaient massivement s’abonner à des applications permettant l’accès à des journaux-pdf. Rien ne dit que cette stratégie va fonctionner, rien ne dit que les gens ne préfèreront pas payer pour des interfaces plutôt que pour de l’information. D’ailleurs, les gens ont-ils jamais payé pour autre chose que pour un support (le papier) et non pas pour l’information elle-même ? Quoi qu’il en soit, pour l’Ipad, il est encore trop tôt pour tirer la moindre conclusion.

Qu’on ne s’y trompe pas, la démarche de la presse pour le grand public sur l’Ipad est le début d’une stratégie plus globale qui entraîne TOUTES les bibliothèques et non plus seulement celles des universités dans une voie financièrement très risquée pour les budgets publics et pour le rôle des bibliothèques !

Europresse, l’accès des bibliothèques à la presse

Cette stratégie, c’est celle de l’enfermement dans des modèles payants qui monétisent ce qui relevait il n’y a pas si longtemps du web en accès libre financé par la publicité. Ce modèle ne fonctionne pas, il est en train de changer et les bibliothèques sont partie prenantes. Autrement dit, il va falloir payer, encore plus qu’avant. Pas convaincu ? Pour mieux comprendre, prenons un exemple bien concret. Europresse vous connaissez ? Surement si vous êtes bibliothécaires, pas forcément. Petit rappel : Europresse est une base de donnée vendue en particulier aux bibliothèques. Elle permet un accès au texte intégral aux contenus de journaux et de magazines francophones. C’est une base assez gigantesque :

Europresse.com pour Bibliothèques est une base de presse qui donne un accès numérique à environ 2 500 sources d’information. Europresse.com est riche de plus de 80 millions d’articles en archives et près de 100 000 nouveaux documents vient enrichir la base quotidiennement. Europresse.com pour Bibliothèques permet d’offrir aux usagers des bibliothèques publiques, universitaires ainsi qu’aux lycées, un accès simple et rapide à la presse française et internationale.

Alors Europresse c’était déjà pas donné et le “Nouveau europresse” sous couvert de changement de modèle de tarification sera encore plus cher, même si des négociations sont en cours avec le consortium Couperin, les bibliothèques essayant tant bien que mal de se regrouper pour peser sur ce marché où elles sont par nature en position de faiblesse.

Des contrats d’exclusivité qui bloquent les bibliothèques

La nouveauté c’est que Le Monde.fr a signé un contrat d’exclusivité avec Europresse. La conséquence est directe et violente : soit vous payez Europresse pour proposer le Monde et ses archives dans votre bibliothèques, soit vous refusez de payer et vous privez vos usagers d’une source incontournable qui n’est plus accessible librement sur internet.

Questions :

  • Comment expliquez-vous au collégien du coin qui veut faire un exposé qu’on a pas Le Monde à la bibliothèque parce que c’est trop cher ?
  • Comment les bibliothèques vont-elles prendre en charge ces coûts croissants de fourniture d’information ?
  • Sur quels autres services va-t-on prendre ces ressources financières ?

Mais plus fort encore : Europresse justifie son changement de modèle par l’augmentation de son offre en nombre de sources agrégées. Désormais, vous en avez pour votre argent chers contribuables avec plus de 3000 sources fiables dont un millier de blogs et des sites web !

Des blogs ? des sites web ? Mais lesquels ? Ben il suffit d’aller voir sur le petit moteur de recherche et de filtrer par langue (français) et par type de source : blogue. On obtient… 7 résultats !

La question n’est pas tant celle du volume, qui va certainement augmenter que celle de la démarche. En réalité la source “libération blogues” recouvre tous les blogs crée sur la plateforme, de même que les blogs du Monde diplomatique. Il s’agit ici de revendre du contenu crée non pas par des journalistes, mais par des blogueurs volontaires qui ont accepté les conditions générales d’utilisation de la plateforme (vous savez ces choses en petits caractères que personne ne lit). Je ne suis pas certain, par exemple qu’Hervé Le Crosnier qui anime un blog sur la plateforme du Monde Diplomatique soit ravi de voir ses articles “revendu” aux bibliothèques sans contrepartie !

Si l’on creuse encore un peu dans les sources, on s’aperçoit qu’il y a aussi une catégorie “twitter”. On n’y trouve non pas une liste de comptes, mais une fiche descriptive relative à twitter :

“Une sélection de tweets en anglais dans les domaines de la culture, de l’économie des finances et de la consommation”. Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

Dans les sites web on trouve 91 sources en français dont rue89 et Marianne ainsi que tous les blogs de libé… En plus, c’est vous dire si l’offre est ciblée, on a droit à une belle sélection de sites internet d’actualité locale … au Québec !

Europresse joue donc sur deux tableaux : d’un côté des exclusivités incontournables et des sources gratuites “sélectionnées” (et puis sur quels critères ? ah bon c’est pas le bibliothécaire qui sélectionne ? ) qui assurent un volume justifiant des prix élevés ! Il s’agit de  revendre aux bibliothèques les contenus payants exclusifs de la presse agrémentés de contenus qui sont librement accessibles sur le web tout ça avec une valeur ajoutée technique à examiner…

Et si demain cette stratégie de la part de la presse s’étendait au web et à d’autres plateformes des infomédiaires comme Wikio ou Paperblog par exemple ? Et si demain les bibliothèques étaient un des rouages essentiels de la stratégie de balkanisation du web à laquelle on assiste ?

Je ne peux ici me retenir de vous proposer, oui vous Bibliothécaires, un rapide rappel historique. Tout ça ne vous rappelle rien ? Si vous êtes abonnés à Electre vous savez que cette entreprise revend elle aussi à prix d’or, une matière première (des informations bibliographiques) faiblement augmentée d’une “valeur ajoutée” (résumés mal foutus, premières de couv’). Matière première obtenue gratuitement après des éditeurs et qui est aussi disponible librement auprès d’autres fournisseurs : la Bibliothèque Nationale de France.

Les conséquences de la stratégie de repli défensif de la presse et plus largement des fournisseurs de contenus me semblent à moyen terme assez catastrophiques pour les bibliothèques :

  • Nous sommes en quelque sorte piégés dans nos propres missions par les fournisseurs de contenus qui s’adressent à nous en jouant sur le volume d’information que nous offrons à nos publics et négocient des exclusivité que nous n’avons pas le choix d’accepter sous peine de ne pas remplir nos missions de manière satisfaisante;
  • Malgré le formidable travail d’un consortium comme Couperin, nous ne pesons pas lourd face à ce qui est une stratégie de sauvetage de tout un secteur, celui de la presse et des contenus numériques dans un contexte de crise économique;
  • Nous sommes embarqués contre nous-mêmes dans une voie inverse à celle du libre accès à l’information et à la circulation de la culture;
  • Nous devenons des lieux d’accès à un web payant (payé par le contribuable), au risque de n’avoir à l’avenir que cette seule valeur ajoutée d’autant plus que nous persistons à proposer du contenu payant dans de beaux systèmes informatiques sécurisés et à filtrer l’accès au web gratuit

Un peu d’optimisme ? Pas aujourd’hui, non.

Article initialement publié sur Bibliosession

Illustration FlickR CC : campra

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