OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Urban After All S01E04 – Flirt urbain, graffitis sexuels et géolocalisation http://owni.fr/2011/02/14/urban-after-all-s01e04-flirt-urbain-graffitis-sexuels-et-geolocalisation/ http://owni.fr/2011/02/14/urban-after-all-s01e04-flirt-urbain-graffitis-sexuels-et-geolocalisation/#comments Mon, 14 Feb 2011 12:32:51 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=46500 Toute bonne journée de Saint Valentin ne doit pas occulter que la consécration du couple passe d’abord par des rencontres. Et la découverte, le frottement, la mise en relation… ce sont bien des questions pour Urban After All !

Par sa capacité à concentrer beaucoup de monde dans un même espace, la ville est certainement un environnement de choix pour maximiser les découvertes et les rencontres. On pense évidemment à la ville business (faire des affaires), commerçante (acheter, échanger) ou se cultiver. Mais les rencontres amoureuses et ses avatars plus évasifs ou moins “profonds” (du “public sex” au sexe tarifé) sont clairement une composante urbaine à ne pas négliger, comme Philippe le montrait il y a deux semaines.

Pour l’observateur de la ville attaché à ces petits détails qui échappent à l’attention, les rencontres amoureuses ou à caractère sexuelles sont un sujet évidemment très riche. C’est particulièrement la manière dont certains “se signalent” aux autres qui m’intéresse ici : clins d’oeil à la sauvette ou sifflements dans la rue sont des exemples classiques, voire éculés et en général rarement couronnés de succès. Mais il y a plus intriguant et surtout plus direct dans des messages moins visibles. Je pense notamment aux graffitis dans les toilettes publiques (exemple millénaire) et l’utilisation des services géolocalisés.

La planification du 5 à 7 : us et coutumes

De par leur caractère public et donc fortement “multi-usagers”, les toilettes en ville permettent bien plus que se soulager en pleine journée de vadrouille. Une des fonctionnalités connexes des “WC”, c’est de pouvoir s’extirper de l’espace public… et de se livrer à toutes sortes d’activités contraintes par la taille des lieux, l’hygiène locale et éventuellement la bienséance. Et l’un des usages indirects des toilettes, c’est certainement la possibilité de laisser des messages sur les murs ou sur la porte. Vieux comme le monde, les graffitis dans les toilettes restent une valeur sûre pour crier sa haine de l’autre, tester ses compétences de graffers wannabee ou encore témoigner d’un fort besoin de sexualité… à défaut d’amour.

Il est donc courant de lire des messages hyper concis accompagnés d’un numéro de téléphone ou d’une proposition de rendez-vous. Comme le montre l’exemple ci-dessus, les règles sont claires et la proposition sans équivoque. Sans vouloir généraliser à partir de ce cas, il y a une constante assez basique qui consiste à indiquer : le QUAND de la rencontre, plutôt précis dans le cas présent, le OU de l’activité, des précisions sur COMMENT se reconnaître et évidemment quelques critères de choix témoignant des goûts du personnage. On notera l’utilisation des majuscules qui mettent l’emphase sur les possibilités offertes… L’expression écrite est ainsi claire, rapide, directe et parsemée de détails évocateurs parfois crus. Attention les porteurs d’enveloppes de la rue Pierre Corneille !

Des messages de ce genre sont légions et méritent que l’on s’y attarde. Pourquoi ? Tout simplement car ils montrent l’invisible de la vie urbaine. Ils nous rappellent qu’entre 15h et 15h15 dans la rue Pierre Corneille à Lyon, il y a une véritable pièce de théâtre qui se met en place. Et cette scène qui aura lieu ou non, je ne veux pas la juger positivement ou négativement. Il faut juste garder en tête que cela a lieu, et que ce type d’activité fait aussi partie de la complexité des dynamiques sociales.

Les toilettes publiques, hérauts des “liaisons numériques” ?

Comme les diplomates avec WikiLeaks, comme l’industrie musicale avec Napster et les fichiers torrent, le graffiti de chiottes se voit chamboulé par les technologies de l’information et la communication. Sans passer en revue toutes les possibilités, l’observateur de la ville numérique d’aujourd’hui ne peut passer à côté de plateformes telles que Grindr. Ce service géolocalisé sur smartphoneest dans la lignée de Google Latitude, Foursquare ou Facebook Places : il indique qui est à proximité, parmi vos contacts ou des inconnus.

Plus direct que les trois susmentionnés, nul besoin de vous créer un compte sur Grindr pour arriver à cela, dès le clic sur l’icône de l’application, celle-ci vous renvoie sur un menu qui propose un tableau de photos de torses masculins plus ou moins bodybuildés… sur lesquels faire un choix pour rentrer en contact. Finalement, plus besoin d’aller dans les toilettes, le système vous géolocalise même sans créer de compte. Il vous renseigne alors sur les “opportunités” à proximité. Il existe évidemment d’autres plate-formes de ce genre et des services communautaires mobiles moins ciblés sont aussi détournés pour ce genre d’application (Aka-Aki par exemple).

D’autres plateformes tâchent aussi de reprendre l’idée de géolocaliser des messages dans la ville, en associant des contenus à des lieux. L’utilisateur passant à proximité reçoit alors le dit message. L’avènement de l’Internet mobile et des technologies de géolocalisation nous amène donc vers une diversité encore plus forte de liaisons numériques pour reprendre le terme fort à propos de mon collègue Antonio Casilli.

Mais du coup, du graffiti baveux à l’interface tactile du téléphone, qu’est-ce qui change ? Sans vouloir nécessairement généraliser à partir de ces deux exemples, il y a tout de même des éléments de réponses qui sont intéressants tant au sujet de l’urbanité qu’au niveau des usages du numérique.

En premier lieu, ce qui frappe, c’est la possibilité de ne plus limiter les signaux de rencontre à l’espace des toilettes. Des petites annonces au Minitel en passant par les messages géolocalisés, la technologie permet d’accéder à la porte des chiottes depuis tout lieu couvert par le réseau. Ce qui ne veut pas dire que les toilettes en question ne seront plus couvertes de graffiti ou oubliées comme lieu d’ébat. Et ce n’est seulement le rapport à l’espace qui change, c’est aussi la temporalité puisque le service est utilisable à tout moment.

Au-delà de cette remarque, le cas de Grindr témoigne d’un lissage de la signalisation de la rencontre. La présence de torses musclés devient le produit d’appel plutôt standardisé. Comme une certaine marque en forme de pomme ne laisserait pas passer des contenus trop crus, le service adopte une espèce de pudeur visuelle.

Enfin, et c’est un cas classique pour ceux qui s’intéressent à l’innovation technologique, le sexe est un des contextes majeurs de ré-appropriation ou de détournement de technologies existantes. Par sa possibilité de discrétion, d’optimisation de la mise en relation et sa capacité à fluidifier la circulation d’information, le numérique recèle des opportunités de taille… rapidement comprises par des early adopters qui savent ainsi proposer des usages innovants à la hauteur de leur besoins antérieurs. Si je me pose des questions sur l’adoption des services géolocalisés par la majorité de la population, il est clair que des “niches” telles que celle-ci ont déjà des utilisateurs réguliers.

Sur ce, bonne Saint Valentin !


[ Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-)

Note : Nicolas Nova est l’auteur de Comprendre les médias géolocalisés, publié chez FYP Editions.

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Crédits photo CC FlickR : nicolasnova

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Le porno retombe amoureux http://owni.fr/2011/02/14/le-porno-retombe-amoureux/ http://owni.fr/2011/02/14/le-porno-retombe-amoureux/#comments Mon, 14 Feb 2011 10:12:01 +0000 Stephen Desaulnois http://owni.fr/?p=46517 Saint-Valentin, fête des amoureux et des regards qui plongent. Sainte-Pornographie, fête des culs claqués et des regards non cadrés. A priori, peu de rapport entre les deux, l’industrie aux milliards de revenus n’a que faire de l’amour, le profit ne faisant pas dans les sentiments, sauf si ces derniers deviennent une niche.

Sale job pour Cupidon

Déjà quarante ans que le porno « moderne » est apparu, il commence dans les années 70 avec l’idée de filmer la sexualité, les films sont scénarisés et les réalisateurs travaillent dur pour amener et contextualiser les scènes hards, bien souvent filmées de loin, pour respecter un minimum le travail de Cupidon. Passerelle entre le cinéma traditionnel et la libération sexuelle récemment « acquise », ces films jouent au maximum sur des histoires sous-jacentes volontairement floues et cette espèce de concept un peu surnaturel qui veut qu’une femme bien sous tous rapports tombe dans le vice et le stupre. Behind the Green Door (Artie et Jim Mitchell), The Devil and Miss Jones ou Nine Lives of a Wet Pussy (Jimmy Boy L aka Abel Ferrara). Une certaine idée de l’amour, récemment rééditée.

A cette époque, le film porno explose au cinéma, il devient une industrie très lucrative et plus le profit devient élevé plus les producteurs se concentrent sur ce qui fait son succès : le cul, le cul, le cul. Les années 80 marquent l’arrivée du porno à prétexte parallèlement à l’arrivée de la VHS, on oublie vite pourquoi madame se retrouve nue avec monsieur et on ressert les plans. Les clients veulent du hard, ils veulent voir comment on tape dur dans les chaumières. La psychologie se réduit rapidement à des concours de circonstance, le plombier et la fuite d’eau, la babysitter qui a perdu sa culotte, papa qui joue avec sa fille. Oui… il reste encore un peu d’amour mais plus au sein de la cellule familiale, c’est le temps de la série Taboo (réa Kirdy Stevens) qui fait la part belle à l’inceste et à ses dérivés. Le plus gros succès de l’époque.

Les années 90 arrivent et c’est l’âge d’or des seins siliconés et des gros plans gynécologiques. Difficile de trouver l’amour dans la chirurgie et dans ces yeux vides. C’est aussi l’arrivée massive avec Internet du gonzo. Cupidon est recalé à l’entrée car le film devient une scène, avec absence volontaire de scénario (c’est la définition même d’un porno « gonzo ») pour répondre aux besoins des consommateurs qui commencent vraiment à croire qu’on se fout de leur gueule avec ces scénarios bidons. Le gonzo, c’est le porno à l’état brut, on se concentre uniquement sur la baise, un lieu, des gens et c’est dans la boîte. C’est le sexe comme un sport, c’est la performance qui compte et le reste passe totalement à la trappe. Succès incroyable grâce au net et aux caméras numériques. Les grosses boîtes se font damer le pion par des jeunes geeks (BangBros, Brazzers) qui ont compris que la niche est l’avenir, multipliant les consommateurs potentiels et inondant le marché. Le 14 février n’a jamais été aussi éloigné qu’en ces temps. Sale job pour Cupidon.

Plus proche de nous, l’industrie est en « crise », victime des tubes : Youporn qui ouvre la brèche, Pornhub, Xvideos et les autres qui s’y engouffrent, auto-alimentés par les nouveaux acteurs millionnaires du secteur et du piratage. Des grosses boîtes il n’en reste plus beaucoup, mais elles sont actives et elles ont compris que pour combattre le banal il fallait faire dans l’exceptionnel. Les budgets alloués vont à contre-courant du système gonzo et on oriente la production vers Hollywood. Voilà plusieurs années que ces boîtes veulent qu’on recommence à regarder leurs films en entier, elles veulent vendre un produit complet et plus un simple support masturbatoire. Elles misent sur la qualité de la réalisation, de plus en plus bluffante, le jeu des acteurs et les parodies qui cartonnent et collent à l’original (The Big Lebowski, Seinfeld, Big Bang Theory…) ainsi que sur une vraie interaction sur le plateau. Pour séduire le puritanisme américain et pour coller toujours au plus près de la réalité, la sodomie dans ces produtions est en diminution sans parler des doubles pénétrations de plus en plus rares (encore la norme en France).

Un premier regard et l’amour repart

Ce qu’on reprochait au porno c’était ce manque cruel d’échange: les acteurs baisent et se finissent. Point. L’amour s’efface quand on passe son temps à se regarder. Pas étonnant que le spectateur se soit tourné vers l’amateur ou la sex tape. L’industrie a eu du mal à comprendre que ses « clients » étaient des gens « normaux » et surtout que le marché potentiel avait explosé avec l’arrivée d’Internet. L’accès au porno n’a jamais été aussi facile que depuis dix ans et représente à lui seul presque la moitié du trafic mondial. La jeunesse s’en gave gratuitement, les actifs se détendent après le bureau, et la ménagère ? Elle continue à frétiller devant des séries à l’eau de rose. Pour l’industrie elle n’est qu’une milf, donc une actrice au mieux. Mais les temps changent.

Depuis peu, les boîtes de prod ont commencé à miser sur la réalité dans la fiction, le spectateur veut se sentir immergé, il sait où trouver du cul gratuit et efficace alors il demande autre chose. Il veut tomber amoureux de l’actrice, il veut être à la place de James Deen, il veut qu’on (re)contextualise la baise, qu’elle se mérite. On voit arriver des scènes de comédie qui tendent à être le plus crédible possible et où le spectateur devient voyeur face à un jeu d’acteur où la frontière entre le plaisir et le travail s’amincit (NSFW).

Si l’industrie se penche sur la question, c’est qu’elle veut séduire un nouveau public : surprendre la jeunesse nourrie au gonzo (avec pour idée de les convertir à l’achat), séduire le public féminin de plus en plus nombreux et retrouver ses lettres de noblesse égarées au tournant des années 80, où l’œuvre est devenue produit en perdant sa marque culturelle. Si les filles s’y mettent, si le porno veut devenir respectable et mainstream, pourquoi ne pas tenter la ménagère ? Délaissée depuis, mais une niche au pouvoir d’achat énorme. C’est l’idée qu’à eu New Sensations (petite soeur de Digital Sin, un des poids lourds du milieu) avec sa série Romance.

L’amour, terrain vierge à exploiter

Ce sont des histoires d’AMOUR. Tout tourne autour de l’AMOUR dans notre série Romance

Voilà ce qu’on trouve en arrivant sur le site, des histoires d’amour et des sentiments purs comme les américains savent en pondre. Un concept pour attirer les femmes; c’est écrit noir sur blanc. Un produit, car les américains ont l’avantage d’être honnêtes, fabriqué pour séduire la ménagère. Des scènes relativement courtes (15 min au lieu des 30-40min habituelles), pas d’éjaculation faciale qui est la norme de 95% de la production mondiale et surtout des femmes qui vous ressemblent. Enfin, plus précisément des femmes à la sexualité active et explosive, c’est à dire des « performeuses » mais qui ressemblent à votre voisine ou à votre meilleure copine, ce qu’on appelle communément dans le jargon pornographique la “girl next door”. Du moins dans un idéal de beauté cinématographique, qui tend à sublimer la réalité, on est d’accord.

Des termes quasiment jamais employés dans la profession sont mis en avant : intimité, passion, interaction. En plein contre-pied du porno hardcore sans tomber dans les violons de l’érotisme et malgré une bande son sirupeuse il est bien question de pornographie. La séduction est la clé pour draguer de nouvelles utilisatrices, le cheval de Troie de New Sensations pour amener un nouveau public sur son marché plus classique. Le studio insiste également sur la notion de couple, on regarde ces films ensemble, sous la couette pour se réchauffer, on se passionne pour l’histoire (qui est digne d’Arlequin) avant de passer aux choses sérieuses. C’est un porno tendresse, un porno avec des cœurs et un bel emballage, dans le plus pur cliché de la Saint-Valentin.

Question réalisation, ça tient la route, l’utilisation des nouvelles caméras numériques donne une qualité d’image et une profondeur de champ qui n’ont rien à envier aux séries américaines. Les regards se croisent, les acteurs ont l’air de s’aimer, ils prennent leur temps avant de se déshabiller. Ils mettent des capotes, ce qui est assez rare dans le porno US (contrairement à la France où c’est obligatoire pour toute télédiffusion, charte du CSA oblige), peu de gros plans, on insiste sur la douceur et les effets de flou. La femme ne veut pas d’éjaculation faciale, aucun problème, l’acteur finira sa perf sur ses fesses, les seins ou le ventre (la capote, ennemie du cadre). Honnêtement on s’ennuie pas mal et le scénario à l’eau de rose n’est pas sans rappeler la puissance de Plus Belle La Vie ou des telenovelas mais sur ce marché sursaturé, Romance Series a le mérite d’innover.

Produit de consommation de masse mais encore très mal diffusé dans la société, le porno tente en reprenant les reines de l’amour et en se positionnant comme le petit frère fripon d’Hollywood de trouver la médiatisation qu’il devrait logiquement obtenir vue sa fréquentation. Probable futur cadeau des amoureux, il emboîte le pas des sex toys pour essayer de se frayer une place convenable dans le tiroir de la table de chevet. Cupidon peut retendre son arc, le business repart.

>> Photos FlickR CC UggBoy♥UggGirl [ PHOTO : WORLD : SENSE ] et Gemelosrt

Retrouvez notre dossier et la photo de Une de Marion Kotlarski, CC pour OWNI :

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Saint-Valentin: une pensée solidaire pour les passagers clandestins http://owni.fr/2011/02/14/saint-valentin-une-pensee-solidaire-pour-les-passagers-clandestins/ http://owni.fr/2011/02/14/saint-valentin-une-pensee-solidaire-pour-les-passagers-clandestins/#comments Mon, 14 Feb 2011 09:46:28 +0000 La Peste http://owni.fr/?p=46422

Message d’espoir en cette période de repères bouleversés (on ne peut même plus compter sur la rassurante stabilité des dictatures amies de la Sarkozie, tout fout le camp) : le merchandising de l’amour se porte bien.

Oui, le business du Love For Ever est florissant ; à l’heure où j’écris cet article, ma boîte mail croule sous les rappels de sociétés attentionnées, qui craignent de me voir délaisser ma tendre moitié. On m’informe donc à grand renfort de gifs clignotants et de superlatifs qu’il ne me reste que quelques heures pour faire livrer 50 roses à 20 €, inonder mon mari de parfum viril-et-sexy, acheter une bague, choisir une centrale-vapeur, trouver l’ordinateur portable de mes rêves, et avoir un coup de cœur pour un triple rabbit à 18 vitesses, une tenue d’infirmière salope ou un gode-ceinture. Joyeuse Saint-Valentin mon amour.

Beurk

Alors on est bien d’accord : la Saint-Valentin, c’est la date commerciale par excellence, officiellement gerbante, ringarde, et qu’on ne célèbre qu’au second degré sous peine de passer pour des cons grégaires. On feindra donc de mépriser le concept tout en y souscrivant avec une sarcastique désinvolture (comme ces gens prétendument supérieurs à la masse bêlante qui live-tweetent frénétiquement les émissions de télé-réalité en affectant de prendre ça de très haut. Permettez que je pouffe. Merci). Donc la Saint-Valentin c’est naze. Mais de la même façon qu’il faut avoir du fric pour se permettre le luxe d’affirmer que « l’argent, ce n’est pas important », il faut être en couple ou en célibat désiré pour dire que la Saint-Valentin c’est de la daube.

En effet, si les gens qui subissent le célibat pensent comme tout le monde que cette fête est une ineptie, il n’en reste pas moins qu’un(e) célibataire frustré(e) regrettera parfois de ne pouvoir cracher sur cette célébration de merde, le 14 février lui rappelant cruellement qu’on dédaigne bien plus facilement ce qu’on peut repousser que ce qu’on ne peut atteindre.

Mais ça, c’est du tout-venant : couples méprisants, célibataires faussement désinvoltes… Rien d’inavouable dans ces deux configurations très classiques. Les vrais oubliés de la Saint-Valentin, ce ne sont pas eux, mais les passagers clandestins.

“It’s complicated”. Mais ce n’est pas sale.

Invisibles, se mouvant dans l’ombre, peuplant l’Internet mondial de soupirs d’extase, de battements de cœur affolés, de culottes humides, d’étreintes moites, de souvenirs brûlants, d’attentes incertaines, de rendez-vous manqués et de comptes à rebours trop lents, les passagers clandestins n’ont aucune existence officielle. Ostensiblement impassibles et en refus total de ce puant symbole, ils ne sont pas supposés fêter quoi que ce soit le 14 février. Ou alors pas ensemble. Et jamais officiellement. Et puis ils sont au-dessus de ça. D’ailleurs, ils ne forment pas un couple. Enfin pas tout à fait. Parce que c’est pas pareil. Et, euh, c’est compliqué. Oh-et-puis-cherche-pas-tu-peux-pas-comprendre.

Les filles, les gars, du fond du cœur, joyeuse Saint-Valentin. Et bienvenue dans un monde d’hypocrisie et de silence. Parce que le propre des amours illégitimes, c’est bien le chagrin silencieux. Ce qui, en toute sincérité, est largement plus gerbant que l’exploitation commerciale des sentiments amoureux : en tandem souterrain avec une personne non étiquetable, pas question d’exprimer publiquement quoi que ce soit. L’émotion est, par principe, muselée. Parfois c’est pratique. Mais souvent, c’est frustrant.

Oh, ça va, hein, pas de leçon de morale : que celles et ceux qui n’ont jamais eu envie de se taper une cible interdite me jettent la première boîte de Mon Chéri. Non, le binôme officieux n’est pas toujours un suppôt de Satan, et le dérapage extra-muros n’est pas forcément signe de duplicité préméditée. Simplement, les choses arrivent. Et, euh… parfois elles durent. En dépit de toute logique. J’aimerais donc souhaiter une très bonne Saint-Valentin…

Vous pouvez pas comprendre.

… Aux PQR : le PQR, ou plan Q régulier, n’est pas à proprement parler un “péché” ou une infraction au code conjugal, les deux protagonistes n’étant pas forcément en couple ailleurs. À la base, il s’agit simplement de deux potes qui se mélangent à l’occasion, ayant constaté qu’en plus de leur complicité amicale, une certaine adéquation érotique leur permettait de copuler comme des castors sans pour autant rogner sur les autres aspects préexistants de la relation : se taper un plateau de makis, critiquer ensemble des films pourris, et dire du mal des capitalistes sur le web 2.0. Le PQR, à première vue totalement détendu de la touffe et ne ressemblant en rien au couple classique “parce que tu vois, en fait on n’est pas amoureux, on est amis. Simplement, on baise, quoi”, peut parfois déraper et nimber le plateau de makis d’un halo sirupeux, mêlant sentiments profonds, intensité sensuelle et questions sans réponse. Alexandre Silenus en parle très bien ici. Mais une chose est sûre : pas de bouquets de roses pour ces deux-là. Ça nuirait au décorum et ça ferait peuple.

… Aux couples mariés. Enfin pas ensemble : eux, ils sont plutôt dans la merde en fait. Quoi, l’adultère c’est le Mal ? Oui, ok, si vous voulez… Enfin dans l’absolu, ce serait sympa de pas trop la ramener, vu que les grands principes survivent rarement aux circonstances. Et dans la vraie vie, il n’est pas si simple de décréter que la dévorante passion qui pousse le plus honnête des conjoints à se tordre de plaisir dans des bras non autorisés est signe de désamour pour le/la partenaire officiel(le). Parce que, comme je le disais, it’s complicated, tu comprends. Dans tous les cas, il est déjà très difficile de réintégrer le lit conjugal sans avoir l’impression d’avoir une lettre écarlate gravée sur le front : inutile de compliquer les choses en ayant à justifier la provenance d’un pendentif / d’un bouquet de fleurs / d’une culotte en soie. Pas de Saint-Valentin pour eux, donc. Et puis ils n’ont “pas besoin de ça”.

… Aux fucking-friends dont l’un seulement est marié : configuration problématique par excellence, qui génère une injustifiable jalousie. De fait, lorsque dans la relation clandestine, l’un des deux seulement est marié, l’autre est toujours officiellement sur le marché. Et le simple fait de l’entendre se décrire comme “célibataire” peut entraîner des pulsions meurtrières chez celui ou celle qui est en couple. C’est mesquin. Mais c’est vrai. Donc, l’autre est célibataire. Libre. Disponible. Et gravement consommable (sinon on ne se le/la taperait pas). Sans qu’on ne puisse le lui reprocher. Impossible de revendiquer quoi que ce soit, impossible de combler ce déséquilibre inhérent au deal initial, et impossible de se défaire de cette constante épée de Damoclès, celle du risque-de-la-vraie-rencontre. Quand le fucking friend est célibataire, le/la partenaire marié(e) se sent aussi indispensable qu’une poussée d’herpès génital. Par conséquent, le 14 février, on se tait dignement. Pas la peine de se ridiculiser encore plus.

À tous ces passagers clandestins, qui ne sont pas des couples, je souhaite donc une bonne Saint-Valentin, sans roses, sans bijoux, sans lingerie fine et sans mots doux, parce que ce qu’ils vivent vaut tout autant d’être célébré que les bêlements institutionnels des couples légitimes.

Je leur souhaite aussi de parvenir à gérer sans trop de casse l’éventuelle chute finale, la rupture-qui-n’est-pas-une-vraie-rupture-parce-qu’on-n’était-pas-un-couple, ou le gros malentendu bien moisi qui viendra mettre un terme à leur histoire parce qu’à force d’additionner les silences dans ces relations où l’on est supposé “pouvoir tout se dire”, le dialogue devient très vite un terrain miné, interdisant le moindre aveu et condamnant chaque faiblesse.

Je leur souhaite également d’apprendre à mentir comme des chefs pour leur propre confort, histoire de ne pas avoir à subir le jugement bas-de-plafond d’une société où malgré les godes en vente libre et le mot “sexe” en requête Google star, il est encore très difficile de s’écarter de la norme conjugale autrement que de façon temporaire, provisoire et subie. Hors mariage, hors enfant, hors couple classique, pas de salut durable. Quel dommage.

>> Images CC Flickr Peiyu Liu Biscarotte et D.A.K.Photography

Retrouvez notre dossier et la photo de Une de Marion Kotlarski, CC pour OWNI :

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