OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les barbouzes de l’e-réputation http://owni.fr/2012/04/24/une-cyberguerre-contre-usa-today/ http://owni.fr/2012/04/24/une-cyberguerre-contre-usa-today/#comments Tue, 24 Apr 2012 16:35:18 +0000 Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=107570 USA Today ont été victimes d'une violente campagne de dénigrement sur Internet, afin de les décrédibiliser, avant publication de leur article.]]>

Aux États-unis, deux journalistes du quotidien USA Today ont lancé un pavé dans la mare. Ils affirment avoir été la cible d’une campagne de dénigrement visant à détruire leurs réputations professionnelles sur la toile. Leur tort, avoir enquêté sur des sociétés privées, suspectées d’être employées par le département américain de la défense pour mener une guerre de propagande.

Début 2012, Tom Vanden Brook et Ray Locker s’engagent sur un terrain miné : les campagnes de propagande menées en Afghanistan ou en Irak par des cabinets de communication spécialisés travaillant pour le Pentagone.

Ces “psyops” sont comparables à des opérations d’influence, voire de manipulation, réalisées auprès des populations des pays dans lesquels est déployée l’armée américaine afin d’influencer la population par le biais de messages de propagande voire de manipuler l’opinion public pour faciliter les opérations militaires. Les deux journalistes supposent que la facture de cette guerre de propagande pourrait être salée pour le contribuable.

Compte-tenu du secteur au sein duquel leur enquête évolue, les deux journalistes sont repérés dès les premières prises de contact avec les sociétés engagées dans le programme du Pentagone, comme Leonie Industries qui a passé de juteux contrats avec l’US Army. Le sujet est suffisamment sensible pour que soit décidé de calmer ces deux journalistes un peu trop fouineurs.

Ainsi, le 7 janvier dernier, seulement deux semaines après les premiers coups de fils, les sites TomVandenBrook.com puis RayLocker.com sont créés. Rapidement, des comptes Facebook et Twitter eux aussi faux, viennent compléter le dispositif de propagande.

Ceux qui s’en prennent aux deux journalistes possèdent suffisamment de compétences en informatique pour masquer leurs identités à grands coups de serveur proxy et utilisent des adresses fictives localisées dans le Colorado. Les deux faux-sites s’emploient à altérer les réputations des vrais Tom Vanden Brook et Ray Locker en les accusants de travailler pour le compte des talibans. Cette première “e-agression” confirme au tandem qu’il se trouve sur une piste certes sinueuse mais néanmoins prometteuse. Ils décident de poursuivre.

Devant la témérité des gêneurs, une deuxième salve est tirée sur Vanden Brook, le 8 février 2012. Une page Wikipédia portant le nom du journaliste est créée et relaye de fausses informations sur son passé professionnel en lui attribuant, à tort, “une notoriété mondiale” pour “sa désinformation” dans la catastrophe de la mine de Sago.

Six années auparavant, en janvier 2006, une explosion a lieu dans une mine de charbon à Sago en Virginie-Occidentale piégeant treize mineurs sous terre. Un rapport contenant des informations erronées est remis au responsable de la mine puis transmis au USA Today ainsi qu’au New York Times. Pris dans la confusion,Vanden Brook annonce que douze mineurs sont sauvés. En réalité, seul un mineur en ressortira vivant.

Pour parfaire la manoeuvre, les auteurs du stratagème utilisent le faux compte Twitter de Vanden Brook (@TomVandenBrook) pour simuler la réaction et la défense du journaliste au sujet de l’accusation en s’arrangeant pour l’enfoncer encore un peu plus. Contacté par OWNI, Ray Locker, nous a expliqué que sa hiérarchie lui avait demandé de ne plus s’exprimer sur cette affaire. Dans une récente interview, il déplorait la manière dont l’histoire a été utilisée pour nuire à Vanden Brook :

Ils se sont servis de cette affaire pour tenter d’ébranler sa crédibilité. En 30 ans, je n’ai jamais vu cela.

Les comptes Twitter, Facebook ainsi que tous les sites internet usurpant les identités des deux journalistes ont été fermés depuis. L’affaire pourrait remonter jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat. USA Today n’exclue pas que les sites internet en question aient été lancés avec le soutien financier de fonds fédéraux. Un tel financement, en plus de poser la question des atteintes à la liberté de la presse aux États-Unis, violerait la loi fédérale américaine prohibant “la propagande à des fins domestiques”.

L’enquête des deux journalistes a été publiée le 29 février. Elle a révélé que le Pentagone avait versé des centaines de millions de dollars à ces entreprises privées pour qu’elles diligentent des opérations de “guerre psychologique“. Le Pentagone a assuré à l’AFP ne “pas être au courant” de telles activités de la part des contractuels qu’il emploit.

De son côté, Ray Locker préfère regarder cette affaire avec philosophie :

Je pense que c’est bien que nous ayons porté l’attention sur elle [la propagande NDLR]. Je suis content que les gens qui travaillent avec moi me soutiennent.


Illustration par PropagandaTimes (cc)

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La guerre dont vous êtes le héros http://owni.fr/2010/11/15/la-guerre-dont-vous-etes-le-heros/ http://owni.fr/2010/11/15/la-guerre-dont-vous-etes-le-heros/#comments Mon, 15 Nov 2010 15:59:24 +0000 Anaïs Llobet, Bénédicte Lutaud, Nina Montané et Joseph Tandy http://owni.fr/?p=35807 Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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Pour gagner les coeurs et les esprits des Irakiens, tous les moyens sont bons: tracts, jouets, messages radios… Des armes aussi efficaces que les fusils et les grenades.

Les unités américaines d’opération psychologique (les PSYOP) changent d’outils, selon trois critères: la situation, le public et le but recherché. Passage en revue d’un arsenal psychologique, entre distribution de tracts, de jouets, diffusion de rumeurs, et incitation à la délation.

Distribuer des tracts

C’est l’arme phare (de base) de la guerre psychologique, la plus utilisée tout au long du conflit. Selon cet article officiel des PSYOP, des milliers de tracts sont largués par hélicoptère. Lors de l’invasion de 2003, des avalanches de flyers exhortant les tenants de Saddam Hussein à se rendre se sont abattus sur le pays. Une grande variété de slogans ou d’informations sont élaborés par la suite par les équipes PSYOP, au cours d’un processus décrit dans les dernières pages de ce rapport de 2003. Vous pourrez observer quelques exemplaires de tracts ici.

Ils peuvent être utilisés en réaction à un attentat, pour des opérations de promotion de fond des forces américaines et/ou irakiennes (après 2007) ou pour des évènement précis. Par exemple, afin de préparer la population au référendum sur la Constitution et la mobiliser, en octobre 2005, les soldats distribuent des tracts de mains en mains tout en discutant avec les habitants du village.

Quelques exemples de tracts:

Désolée, vous n’étiez pas là quand nous sommes venus vous rendre visite. Mais ne vous inquiétez pas, on finira bien par vous attraper, vous et vos amis!

Citoyens de la province de Ninewah pour soutenir l’état d’urgence décrété par le gouvernement irakien, les forces de sécurité irakiennes et les forces multi-nationales ont installé des check point à divers endroits et effectuent des fouilles de véhicules sur les routes de la région. Ne sortez pas de votre véhicule sauf ordre contraire.

Distribuer des jouets

En distribuant des jouets aux enfants irakiens, les soldats américains tentent d’apaiser les tensions avec la population locale – surtout pendant les perquisitions ou les opérations anti-terroristes.

Mais le choix des jouets est délicat: les Barbies sont considérées contraires à l’Islam, et les petites voitures seraient les “des symboles d’infidèles” selon les extrémistes religieux.

Les distributions de jouets sont mal perçues par les insurgés. Ils y voient une tactique d’influence des Américains. Les PSYOP tenteraient de convertir les petits Irakiens à l’American Way of Life. En attendant, les enfants préfèrent les armes en plastique aux peluches, la guerre à la paix.

Envoyer un script radio ou TV

Comment éviter la panique et les mouvements de foule ou de contestation juste après un attentat? Comment informer beaucoup de monde, et rapidement? La solution se trouve dans les médias audiovisuels: radio, et télévisions locales. Dans ce rapport, juste après un attentat à la voiture piégée dans la ville de Kirkuk, il est décidé d’envoyer un message via la radio pour informer la population sur l’auteur de l’attentat, le nombre de blessés, etc.

Dans un autre cas, à Mossoul, trois femmes civiles sont blessées à l’intérieur d’une voiture que les soldats américains prennent pour une voiture piégée. Dès lors, un message pour expliquer les circonstances de l’accident est envoyé dans deux radios locales :

L’unité PSYOP a envoyé un script radio approuvé à ces stations radio pour le bulletin d’information [...] Script: A Mossoul, des locaux ont été blessés lorsque les forces de coalition répondaient à une attaque sur une autre unité dans le quartier X de Mossoul. Une enquête commune entre la coalition et les forces irakiennes est en cours pour déterminer les circonstances de l’incident.
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Rapport de l’unité PSYOP, 3 février 2009

Ecouter les bruits de rue, écouter les sermons des mosquées

Afin de comprendre comment la population locale réagit face aux attentats et autres incidents, rien de plus astucieux que d’écouter ce qui se dit dans la rue… et dans les mosquées. Cela permet aux soldats de la PSYOP de mieux adapter leur message à la culture et aux moeurs des Irakiens. Des missions qui ne sont pas sans danger. Dans ce rapport, on apprend que lors d’une mission d’écoute dans les mosquées, une unité PSYOP essuie à trois reprises des tirs ennemis. À chaque attentat, systématiquement, les mêmes messages sont envoyés aux soldats:écouter l’ambiance et ce qu’il se dit dans la rue, ou encore écoutez/observez les rumeurs à propos de l’attentat“.

Engager la conversation avec les habitants

Vers la fin de la guerre, l’influence se fait à un niveau individuel. Les PSYOP se tournent vers les conversations directes avec la population, comme le recommande ce rapport qui fait suite à un attentat. Accompagnés de leurs interprètes, quand ils ne maîtrisent pas eux-mêmes l’arabe, ils diffusent leur message, toujours guidés par des ‘talking points’ prédéfinis.

Propager des rumeurs

Dans ce rapport, il est recommandé de lancer des rumeurs au cours de conversations avec la population locale. Les soldats propagent ainsi leur messages au plus près des Irakiens et de manière diffuse, le bouche-à-oreille ne permettant pas de déterminer l’origine de l’information.
C’est un outil ingénieux, car il s’adapte à une réalité culturelle locale. D’après le colonel Chauvancy, “au sein des sociétés rurales dans lesquelles opère l’armée américaine, elles se répandent très vite, de village en village”. Il s’agit pas de “donner sa version de la vérité” tout en la faisant relayer par les locaux eux-mêmes, ajoute Philippe Gros, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche stratégique.

Payer pour avoir des informations (“reward program”)

Méthode employée pour obtenir des informations sur les activités d’insurgés ou de trafiquants d’armes, les rapports Wikileaks indiquent une nette augmentation de l’utilisation de récompenses dans le cadre de la stratégie contre-insurrection engagée par Petraeus. A la suite d’un attentat, les PSYOP diffusent sur la radio et télévision locale et sur des affiches publicitaires des numéro de téléphone permettant à la population locale de transmettre des informations en échange d’argent. Et martèlent que “protéger sa famille et son pays relève du devoir de tout citoyen honorable”.

Surveiller des manifestants

Toute manifestation doit être surveillée pour palper l’opinion du moment et surtout éviter tout débordement. Dans ce rapport, les PSYOP surveillent de près une manifestation pour protester contre la mort d’un leader du Hamas. Sur place, ils dénombrent 1.000 manifestants. Dans un autre rapport, on comprend que les PSYOP se débrouillent pour discuter avec les leaders d’une manifestation de 100 personnes contre la fermeture d’un pont suite à plusieurs attentats dans la zone. Un autre exemple de surveillance de manifestation ici.

Quelle efficacité ? “Plus l’opération a un but précis, local et à court terme, plus elle est efficace”, analyse Philippe Gros. Par exemple, convaincre la population que les insurgés leur veulent du mal est un projet si général que les retombées sont très compliquées à mesurer. Mais inciter les habitants d’un village à aller voter lors d’une élection paraît bien plus réalisable.

Cet article a initialement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po

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Crédits photo: Flickr CC DVIDSHUB, illustration Marion Boucharlat

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Journal de bord de la guerre psychologique en Irak http://owni.fr/2010/11/15/journal-de-bord-de-la-guerre-psychologique-en-irak/ http://owni.fr/2010/11/15/journal-de-bord-de-la-guerre-psychologique-en-irak/#comments Mon, 15 Nov 2010 15:48:57 +0000 Anaïs Llobet, Bénédicte Lutaud, Nina Montané et Joseph Tandy http://owni.fr/?p=35778 Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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La guerre en Irak ne s’est pas jouée uniquement sur l’usage de la force physique. L’armée américaine a également mené une bataille moins tangible, celle des consciences et des cœurs, au sein d’une unité spéciale: les “Psychological Operations”. Les rapports mis au jour par Wikileaks le 23 octobre 2010 dévoilent les dessous des “PSYOP” et l’évolution de leur action au fil du conflit.

Un rapport des forces armées américaine qui date de 2003 donne la définition suivante des PSYOP (appelées par l’armée française “Opérations militaires d’Influence”) :

Opérations visant à transmettre des informations et des indicateurs à des audiences étrangères de manière à influencer les émotions, motifs, raisonnements, et finalement, comportements de gouvernements, organisations, groupes et individus étrangers.

C’est en 2007 que le général Petraeus fait des PSYOP un élément clé dans stratégie globale pour la stabilisation de l’Irak. Sous l’impulsion de Petraeus, qui prend le commandement des forces de la coalition en février de cette année, le conflit passe de sa période “chaude” à la phase de “state-building”, la tentative de construction d’un état stable.

Parallèlement à l’envoi de 20.000 soldats supplémentaires, il s’agit d’aller au-devant de la population via les PSYOP, pour faciliter les opérations américaines et progressivement préparer le retrait des troupes. Dans un contexte où l’armée américaine avait “tendance à être un peu brutale, pour le général Petraeus, quand on fait la guerre, on n’est pas obligé de tuer l’ennemi”, explique le Colonel François Chauvancy, spécialiste français des opérations militaires d’influence.

En septembre 2007, soit sept mois après son accession à la tête des opérations en Irak, le commandant des forces multinationales présente son rapport au Congrès Américain. Il vante les mérites des “activités de contre-insurrection qui soulignent l’importance de l’insertion de nos unités parmi le peuple qu’ils sont chargés de protéger”. Le but: montrer les forces américaines sous un jour favorable aux irakiens, alors que l’armée US traverse une période de grande difficulté.

Nous avons engagé des activités de contre-insurrection qui soulignent l’importance de l’insertion de nos unités parmi le peuple qu’ils sont chargés de protéger.

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Rapport au Congrès, 10 septembre 2007

Une fois gagnés les “coeurs et les esprits”, de moins en moins d’Irakiens se rebelleront, estime Petraeus. Exemple de ces activités: dénigrer les insurgés en les présentant comme des suppôts du mal. A la suite d’échanges de tirs dans le quartier nord de Bagdad, ce rapport de 2008 préconise de les appeler des “lâches”, des “criminels” et des “terroristes”. Un élément de langage réutilisé de très nombreuses fois. Il était accompagné d’un numéro de téléphone, pour encourager la population à la délation:

Ces derniers jours, des criminels et terroristes ont apporté le mal dans vos quartiers. Pour eux, peu importe si leurs balles atteignent les lieux où jouent vos enfants. Les lâches responsables de ces actes de terreur montrent une fois de plus leur manque de respect pour la vie d’innocents et l’amour de la paix. Ne laissez pas ces terroristes faire du mal à vos familles. Appelez-nous si vous avez la moindre information.
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Rapport de l’unité PSYOP, 11 mai 2008

Si la nomination de Petraeus marque une nouvelle étape dans l’importance des PSYOP, ils sont présents en Irak dès l’invasion de 2003. 6.000 agents sont affectés en permanence aux brigades américaines par compagnies de 70 hommes.

A ce stade du conflit, ils interviennent pour conduire un harcèlement moral de l’armée nationale irakienne. Ils inondent les boîtes vocales d’officiers irakiens de messages affirmant que la guerre est perdue. En d’autres occasions ils alertent l’armée irakienne d’un bombardement prévu à une certaine heure, avant de mettre la menace à exécution. “Le sentiment d’impuissance était absolument terrible pour les forces irakiennes”, explique Philippe Gros, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique.

Au cours des premières années d’occupation, on fait également appel aux PSYOP pour annoncer et faire respecter des couvre-feux ou encore les règles d’”escalade de force” lors des contrôles aux check points, suite à de multiples bavures.

2009: les PSYOP comme force majeure de transfert du pouvoir

En 2009, une nouvelle consigne impulsée par la doctrine Petraeus apparaît massivement dans les rapports: il s’agit de se rapprocher des pouvoirs locaux. Objectif visé: s’insérer dans la population, approcher les leaders religieux et politiques des villes et villages. Les PSYOP doivent discuter avec les habitants des attentats qui viennent d’avoir lieu et se montrer compatissants, comme l’énonce ce rapport d’août 2009:

Continuez d’écouter ce qui se dit dans la rue, engagez des conversations avec les habitants à propos des attaques, et soyez prêts à en discuter avec les chefs locaux.
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Rapport de l’unité PSYOP, 24 août 2009

La même année, la stratégie passe à un stade supérieur: le transfert progressif du pouvoir aux autorités locales, condition sine qua non du départ des troupes américaines. C’est là que se systématise la diffusion du message esquissé en 2007: les Irakiens doivent avoir confiance dans les forces de sécurité de leur pays. Dans les rapports de l’armée, c’est une avalanche d’éléments de langage (“talking points”, en anglais).

La nouvelle consigne: ne plus se mettre en avant en tant que soldat américain, mais systématiquement valoriser les institutions locales. Que ce soit dans des tracts ou des scripts envoyés aux stations de radio et chaînes télévisées, il faut montrer que la police et l’armée irakiennes ont le contrôle de la situation. Dès début 2009, un thème récurrent se dégage des rapports, celui de “protéger les protecteurs”: les locaux doivent aider ceux qui assurent leur sécurité, Irakiens et Américains.

Les forces de coalition travaillent de paire avec la police irakienne et l’armée irakienne pour vous protéger et assurer la sécurité dans votre ville. Aidez-nous à les protéger.
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Rapport de l’unité PSYOP, 20 janvier 2009

En montrant que les deux côtés coopèrent, cet élément de langage vise à transmettre à la police et l’armée irakiennes l’aura de confiance que les Américains croient détenir auprès de la population.

Les PSYOP cherchent par là à renforcer l’identification des Irakiens à ces nouvelles forces formées par les Américains durant la guerre:

Votre armée, votre police, vos forces de sécurité et les chefs de ces forces vous protègent. Votre armée a montré à tous l’exemple à suivre.
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Rapport de l’unité PSYOP, 30 octobre 2009

Mais le discours va plus loin. Les soldats américains doivent présenter les membres des forces de sécurité irakiennes comme des “héros”. Un ton bien différent de celui des insurgés, qui appellent les meilleurs d’entre eux des “martyrs”:

Les policiers irakiens sont des héros et travaillent très dur pour protéger les habitants de Mossoul Ouest.
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Rapport de l’unité PSYOP, 4 février 2009

Un discours en contradiction avec d’autres déclarations des forces américaines, qui savent pertinemment que la torture pour des motifs souvent arbitraires a toujours cours dans les commissariats irakiens.

Suite de la campagne de contre-insurrection, les PSYOP continuent de véhiculer des messages de dénigrement des insurgés, qu’ils présentent comme désespérés… tout en mettant encore en valeur les forces irakiennes:

Les criminels sont en train de perdre leurs soutiens dans toute la province de Mossoul et perdent espoir. Une fois de plus, cela prouve que la police irakienne est plus que capable et prête à protéger Mossoul face aux criminels et aux insurgés. Les soldats de l’armée irakienne travaillent dur pour que de belles choses arrivent à tous. Montrons notre soutien à l’armée irakienne pour tout ce qu’ils ont fait pour les citoyens de Mossoul.
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Rapport de l’unité PSYOP, 14 février 2009

Parmi les messages dirigés vers les Irakiens coopératifs, un rapport de 2009 montre également celui-ci. Il cherche à conforter dans leur choix ceux qui collaborent, non sans quelques accents religieux:

Vos efforts pour sécuriser le pays doivent continuer. Vous avez choisi le bon chemin.
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Rapport de l’unité PSYOP, 26 janvier 2009

Un nouveau moyen d’influence apparaît également dans les rapports de l’armée en 2009: la rumeur (appelée “whisper campaigns”, en anglais). Une manière d’influencer les acteurs au plus près, puisqu’ils ne peuvent pas identifier la source de l’information et qu’ils la relaient eux-mêmes.

Les PSYOP reposent en paix

Le rôle toujours plus important des PSYOP en 2009 et 2010 leur a aussi valu une certaine renommée. Une célébrité qui ne leur a pas rendu service, puisque la population américaine a eu tendance à les considérer comme des unités de propagande.

Résultat: ultime rebondissement, en juin 2010, l’Etat-major américain a décidé de supprimer le nom des PSYOP, porteur d’une connotation de manipulation des esprits. Elles deviendront les “Military Information Support and/to Operations”, ou MISO. Un changement de nom tactique, pour une unité soucieuse de renvoyer une image positive.

Cet article a initialement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army, DVIDSHUB

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Toy Story en Irak http://owni.fr/2010/11/15/toy-story-en-irak/ http://owni.fr/2010/11/15/toy-story-en-irak/#comments Mon, 15 Nov 2010 13:44:29 +0000 Anaïs Llobet http://owni.fr/?p=35754 Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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Tu pleures parce que notre opération anti-terroriste t’a fait peur ? Tiens, voilà une poupée. Ah, on a tué ton chien pendant cette même opération? Prends-donc ce kit Lego, ça t’aidera à te reconstruire.

Les jouets débarquent en Irak. Pour mieux se faire accepter par la population locale, les soldats américains distribuent des peluches et des poupées aux enfants irakiens. Une méthode surprenante mais efficace quand elle ne se heurte pas aux traditions religieuses.

Entre charité et opportunisme, gagner les cœurs des petits Irakiens à coups de peluches et de jouets,c’est une des méthodes de l’unité américaine des opérations psychologiques (les PSYOPs).

Et ça marche. Comme cette fois où, pendant que les soldats américains perquisitionnaient les maisons à la recherche d’armes, les PSYOPs distribuaient des jouets à la volée. Au final, beaucoup moins d’animosité et de regards haineux de la part des Irakiens. Sur Wikileaks, un rapport d’une brigade -rendue anonyme par le site- confirme “que donner des jouets reste un moyen efficace d’influencer la population” pendant les perquisitions.

Jouer au Père Noël, c’est aussi bien pratique pour avancer dans les quartiers dangereux. Entourés par une nuée d’enfants, les soldats américains se sont baladés tranquillement dans les rues, direction un bâtiment “qu’on disait abandonné”. A l’intérieur, surprise! ils y découvrent deux “rebelles étrangers”, à l’attirail du parfait-petit-poseur-de-bombes.

En une expédition, les soldats américains ont fait d’un jouet trois coups: non seulement ils ont conquis le cœur des enfants irakiens – et de leurs parents, charmés par tant de générosité -, mais ils ont en plus réussi à avancer en toute sécurité dans les rues, avant de réaliser un beau coup de filet anti-terroriste.

Des distributions de jouets assurées par des ONG

Les distributions de jouets par les PSYOPs ont fait des émules parmi les autres régiments de l’armée américaine. Après avoir offert une peluche à une petite fille dont “les yeux se sont illuminés d’une telle joie”, le soldat Paul a décidé de lancer sa propre ONG, Operation Give. Des quatre coins des Etats-Unis, on lui envoie des jouets qu’il redistribue ensuite sur le terrain. “Nous voulons aider les soldats américains à gagner les cœurs et les esprits des gens de cette région”, explique Paul.

Certains coeurs et esprits sont cependant loin d’être conquis par ces soldats déguisés en Mère Teresa. Parfois, les gentils Américains tombent sur “des éléments de propagande” qui incitent les enfants irakiens à refuser leurs cadeaux. Il arrive aussi que les distributions de jouets soient interrompues par des voitures qui foncent en leur direction.

Des jouets américains en terre d’Islam

Les jouets seraient-ils aussi une affaire d’adultes? Les Américains font pourtant attention d’éviter d’offrir des Barbies nues afin de ne pas exciter le zèle religieux de certains Irakiens: les formes voluptueuses de la figurine s’accordent mal avec les préceptes de l’islam. Mais les soldats donnent sans hésiter des voitures, des Legos et des poupées; véritables symboles d’infidèles, selon les extrémistes.

Ce que craignent surtout les insurgés, c’est que les jouets fassent partie d’une tactique d’influence des Américains. Un peu comme après la seconde guerre mondiale, lorsque les G.I. offraient à tout-va des chewing-gums et du chocolat aux enfants européens et japonais. Aujourd’hui, les petits Irakiens reçoivent des peluches et des poupées, mais la stratégie serait la même, selon les insurgés. Derrière l’apparente générosité des soldats américains, il n’y aurait pas que la volonté de se faire accepter par la population locale, mais surtout celle de faire goûter aux enfants le si agréable American Way of Life.

L’ONG Operation Give ne s’en cache pas. Si elle a décidé d’apprendre aux Irakiens le baseball et le football,“ces jeux géniaux de tradition américaine”, ce n’est pas uniquement pour le plaisir d’échanger avec eux d’autres balles que celles des fusils – mais pour que les enfants “apprennent bien plus que ces jeux”. Comprenez: on serait ravis qu’ils se familiarisent avec notre belle culture et langue américaine.

Jouer avec des peluches c’est bien, avec des armes c’est mieux

Et les enfants dans tout ça ? Ils sont sûrement heureux de recevoir des cadeaux de la part des soldats américains, même si ces derniers ne quittent jamais leur gilet pare-balles. Cependant, si les petits Irakiens pouvaient choisir, ils préféraient que les Américains leur tendent non pas des peluches mais des… AK-47. En plastique et avec balles de caoutchouc, mais le plus ressemblant possible. Citée par le journal Al-Arabiya, Dr. Nahed Abdul Karim, sociologue de l’Univerisité de Baghdad, explique que les enfants aiment imiter “et de là vient leur envie d’avoir leurs propres armes“. Mortiers, mini-bombes, lanceurs de roquettes… tant que c’est une (fausse) arme de guerre, l’enfant irakien sera heureux, rapporte Al-Arabiya.

Pour les soldats américains, ces “jouets” sont un véritable casse-tête. Dans les rues, les enfants marchent en groupe, leur AK-47 à la main. On les appelle les “faux gangs”. Mais de loin, difficile de les différencier avec les vrais, ce qui a déjà failli coûter la vie à plus d’un enfant. La faute à une guerre si présente au quotidien qu’elle en est devenue le jeu privilégié des petits irakiens.

Cet article a originellement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po

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Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army

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