C’est tellement vrai que mon blog, au départ classé dans les blogs politiques, a fini dans les blogs société. Parce que je n’y parle pratiquement jamais des petites manœuvres d’appareils, du jeu de chaises musicales mis en scène par les peoplelitiques, les petites phrases assassines, les grandes stratégies d’accès au pouvoir et sa médiocre réalité quotidienne.
Franchement, savoir qui, de la brochette de clowns complaisamment mis en scène depuis des années par des médias serviles, va servir la soupe aux forces de l’argent lors de la prochaine passation de la louche en or, ça intéresse qui ? En quoi les petits soldats de l’économie de marché triomphante et indépassable — que nous sommes tous — sont-ils intéressés par les luttes de pouvoir des laquais des grandes fortunes et des multinationales dont ils reçoivent prébendes et feuilles de route ? Ce n’est pas comme si nous avions le choix de notre société, le choix de notre mode de vie, le choix du monde que nous voulons laisser à nos enfants, le choix du monde que nous voulons ici et maintenant. Sur ces questions centrales, les espaces de discussion et d’information que sont censément les médias ne s’arrêtent pratiquement jamais.
Parce que ces questions-là, c’est l’affaire des experts et des professionnels de la chose publique. Pas du petit peuple. Lequel doit surtout s’intéresser à quelques petites choses essentielles pour la bonne marche du monde tel qu’il est : trimer comme des bœufs, consommer comme des porcs et voter comme des moutons quand on lui intime l’ordre de le faire et pour les bonnes personnes, de préférence.
En fait de démocratie représentative, nous sommes passés à une démocratie de représentation, dans le sens théâtral du mot.
La scène politique nous sert le spectacle des turpitudes de son petit personnel, un peu comme la mythologie grecque occupait la plèbe avec les drames et les passions qui déchiraient l’Olympe. Et les grands prêtres de l’info, dépendants de cette théâtralisation de la vie publique, amplifient à dessein la dramaturgie politique, se font les caisses de résonance des petites phrases creuses et des basses manœuvres des acteurs de la vie publique et médiatique. D’où l’importance du tapage autour des questions d’appareils ou du monologue du nabot.
Comment s’intéresser encore aux discours, alors qu’ils sont probablement l’aspect à la fois le plus vain et le plus édifiant de la peoplelitique ? Sarko parle, parle, parle. Il raconte des choses, en promet d’autres, mais finalement, que reste-t-il de tout ce bruit de fond informe ? Ces actions. Et il y a loin des promesses aux réalisations concrètes. Parce que c’est ça, la politique : du concret, chaque jour, dans nos vies. Sarko et ses petits copains peuvent bien raconter ce qu’ils veulent : nous sommes en mesure de voir quels sont leurs actions, leurs décisions et leurs résultats. Et nous voyons que le programme politique qu’ils suivent est bien loin de celui qu’ils nous vendent chaque jour. Parce qu’il faut bien appâter le chaland pour continuer les petites affaires entre amis.
J’entends souvent des gens qui m’assurent, la main sur le cœur, comme un gage de bonne santé mentale, que la politique ne les intéresse pas du tout. Ce à quoi je réponds toujours doctement :
Si tu ne t’intéresses pas à la politique, elle, elle s’intéresse toujours à toi.
Se lever tôt est déjà un acte politique. Ce que l’on mange est politique : malbouffe industrielle, produits de saison, cuisiné main ? Quand on s’habille : chez H&M ou une boutique de quartier, et est-ce que j’ai vraiment besoin de ce manteau en plus ou de cette paire de pompes ? Quand on se déplace : ai-je besoin de la voiture pour faire 100 mètres ou est-ce que je peux tolérer de prendre la pluie sur mon visage, quel est le moyen de transport le plus efficace, est-ce que j’ai vraiment besoin de faire ce trajet ou est-ce que je peux faire autrement ?
Même la taille des poils de cul est une affaire politique, comme chaque moment de notre vie, chaque décision de nous prenons ou que nous laissons d’autres prendre pour nous. Est-ce que je vais faire des gosses ? Dans ce monde, dans cette société ? Est-ce que je vais bâtir un foyer, un empire, des châteaux en Espagne ? Est-ce que je traite convenablement chaque personne que je côtoie dans la journée : la caissière, le facteur, le passant, l’autre connard qui conduit si mal ? Est-ce que je consacre mon temps aux choses vraiment importantes ou est-ce que je le gaspille ? Pourquoi n’ai-je pas encore benné la télé et bêché mon jardin ?
Qu’est-ce qui aura le plus de sens dans mon rapport au monde : glisser un bout de papier dans l’urne de temps à autre et laisser d’autres vaquer aux affaires collectives, en râlant abondamment au bistrot du commerce contre leurs petites inaptitudes ou grandes trahisons ou sortir de chez moi, de mon petit confort égoïste et planter allègrement les deux mains dans la merde du monde qui vit, qui bouge et qui évolue ?
La politique, c’est l’action citoyenne, chaque jour, tout le temps. C’est la politique qui a imprégné chacun de nos pas ces derniers mois, pendant que nous exprimions dans la rue notre profond rejet du théâtre des Guignols et de leurs mensonges répétés. C’est la politique qui conditionne forcément le monde dans lequel nous vivons, parce que c’est le politique, le lieu de la décision et de l’action et nulle part ailleurs.
Aujourd’hui, l’essentiel de la force politique dans laquelle nous sommes englués est utilisée à nous convaincre de notre impuissance en tant que citoyen et de la nécessité indépassable de nous soumettre à la loi du Marché. Santé, travail, éducation, vieillesse, tout ne peut plus se penser que comme des activités que l’on doit absolument rentabiliser ou alors réduire à leur plus simple expression, parce que nous devons être COM-PÉ-TI-T-IFS. Cela est notre seul et unique projet de société. Et quels que soient les partis en présence, les conflits de personnes, de structures, ce modèle de société n’est jamais, jamais remis en question. La politique-spectacle devient alors le lieu de la soumission et la seule action autorisée est celle qui permet la soumission de tous à ce modèle-là.
Sans autre forme de discussion.
Nous pouvons pérorer sans fin sur les qualités et défauts supposés de tel ou tel personnage de la commedia della politica, commenter les paroles de l’un, les vêtements de l’autre, nous extasier ou nous indigner des manœuvres de tout ce petit monde pour approcher sa chaise de la table du banquet, tant que nous ne nous mettons pas en tête de vouloir entrer dans l’action, de critiquer la structure même du pouvoir, la manière dont on y accède et ses objectifs réels. La polémique stérile : oui ! La remise en question et la refondation de notre modèle de société : non !
La seule realpolitik que je reconnaisse, c’est celle qui implique l’ensemble des citoyens. C’est celle qui use les semelles, qui bouscule les idées, qui pense des lendemains qui chantent et qui expérimente de nouvelles manières d’y arriver. C’est celle qui se construit jour après jour, même si on n’est jamais, au départ, que trois gus dans un garage.
Bienvenue dans la vita activa.
Billet initialement publié sur le blog de Monolecte sous le titre Politics.
Photo FlickR CC Mark Kobayashi-Hillary ; University of Washington Libraries Digital Collections ; mtsofan.
]]>Jeudi c’est triste. Sur huit parisiens entre 20 et 40 ans croisés dans le bar : 100% d’entre eux n’iront pas voter. Sur fond de bière et de précarité croissante, ça m’a parlé complots, manipulations, risque d’expulsion, applications Heil-Phone, tous pourris, gauche à droite et droite à gauche, la télévision c’est rien qu’une saloperie pour lobotomisés sauf la dernière saison de Docteur Tousse dont j’ai regardé douze épisodes d’affilé.
La campagne pour les élections régionales a t-elle été si médiocre? Des propositions qui valent ce qu’elles valent furent exposées de tous les côtés ainsi que des bilans défendables et défendus. Programme difficilement audibles, peu repris parce que le format média n’est plus au débat mais à la vitesse, à la petite phrase et à l’invective.
Les vaseuses polémiques introduites médiatiquement avec force débilité par le parti gouvernemental d’un côté et la thématique du bouclier régional anti-Monarque de l’autre troublèrent l’observation du fond. Au point que l’on ne sait toujours pas ce qui est où non du ressort de la région.
Le parti du monarque a accentué l’opacité en attaquant par l’intox (comme l’a encore fait ce matin le storm-trooper gominé sur France Inter), la politique régionale des socialistes sur la hausse des impôts et l’insécurité (L’un est le fait des transferts de compétences décidés et non compensées par le gouvernement et compte moins de 10% dans le montant total des impôts locaux – et je ne te parle même pas de la suppression de la taxe pro-, l’autre n’est tout simplement pas du ressort des régions.)
Cette campagne marécageuse des ronds dans l’eau saumâtre, à mi-mandat présidentiel et en plein désarroi national avec total manque de perspective, profite à la montée de l’abstention.
Le PS criera victoire et immédiatement l’UMP relativisera sur les plateaux qu’avec 50% d’abstention cette victoire ne vaut rien. Le monarque capte enfin qu’avec ses gesticulations il a démobilisé son propre camp. Il est donc dans son intérêt, rapporté à la seule échéance qui l’inquiète, à défaut de séduire, de démobiliser ceux d’en face.
Comme diraient certains salariés gazés en pleine Défense, le mépris est total.
Si tu penses que les responsables politiques sont tous pourris, sois assuré que certains d’entre eux tablent en permanence et, avec succès, sur la médiocrité de tes aspirations et ta constance dans la résignation.
Donc si j’étais toi, dimanche, j’irais voter du mieux que je peux.
Si tu ne le fais pas pour la victoire, fais-le pour la sale défaite.