OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Peurs sur le web http://owni.fr/2011/11/29/peur-sur-le-web-pedophilie-action-innocence/ http://owni.fr/2011/11/29/peur-sur-le-web-pedophilie-action-innocence/#comments Tue, 29 Nov 2011 08:00:52 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=53466 En 2011, 22 000 enfants ont assisté aux interventions d’Actions Innocence, devenu un acteur incontournable de l’éducation aux “dangers du Net” depuis son implantation en France en 2003. L’ONG, d’origine suisse, est signataire d’une convention de coopération avec le ministère de l’Éducation nationale depuis 2005, malgré les controverses qui l’entourent. Des campagnes que certaines voix critiques estiment anxiogènes.

Historiquement, Action Innocence se focalisait sur un danger, les cyberpédophiles. Une initiative de Valérie Wertheimer, épouse de Gérard Wertheimer, le co-propriétaire de Chanel, une des plus grosses fortunes de France. “Le déclic survient en 1994 alors que Valérie Wertheimer se rend en Thaïlande avec des amis. Elle prend pleinement conscience de l’horreur du tourisme sexuel et décide d’agir”, apprend-on dans un portrait. Ce paramètre émotionnel fait partie de l’ADN d’Action Innocence et explique ses choix en matière de communication. L’organisation se fait ainsi remarquer par des campagnes fortes. Aujourd’hui encore, son nom est indissociable de sa campagne mettant en scène “le masque” du cyberpédophile.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et tant pis si le discours est à côté des chiffres : il y a infiniment plus de chance que l’adulte qui abuse d’un enfant soit le tonton ou le voisin de palier. Emmanuelle Erny-Newton, psychologue, spécialiste de l’éducation au numérique, rappelait ainsi :

Dans son rapport Techno-Panic & 21st Century Education: Make Sure Internet Safety Messaging Does Not Undermine Education for the Future, Nancy Willard, du Center for Safe and Responsible Internet Use, note qu’une grande partie du discours sécuritaire sur Internet est de la désinformation : on y présente le Web comme un lieu où les jeunes sont à haut risque de prédation sexuelle, alors que la recherche et les statistiques d’arrestations témoignent du contraire. [...]

Dans les cas débouchant sur des poursuites, les individus accusés de leurre d’enfants sur Internet étaient le plus souvent des hommes de 18 à 34 ans. Les données montrent également que les prédateurs sexuels mentent rarement sur leur âge ou leurs motifs, lorsqu’ils prennent contact avec un jeune en ligne. Leur tactique n’est pas la tromperie mais la séduction : ils manifestent beaucoup d’attention, d’affection et de gentillesse envers les jeunes, les amenant à croire qu’ils sont réellement amoureux. La plupart des jeunes qui acceptent alors une rencontre en personne le font en sachant qu’ils vont s’engager dans une relation sexuelle – relation sexuelle qui sera d’ailleurs répétée dans 73% des cas. Très peu de cas (5%) sont de nature violente, selon le Crimes Against Children Research Center.

Action Innocence assume ce parti-pris, comme l’a expliqué à OWNI Elizabeth Sahel, la présidente de l’antenne française :

“Le masque” date de 2006, nous avons été en 1999 une des premières associations à pointer du doigt les dérives d’Internet, tout ce qui préparait en matière de pédocriminalité, nous étions assez avant-gardistes en montrant les risques de mauvaise rencontre. Les cyberprédateurs existent aussi. Notre travail n’est pas de lutter contre la pédophilie, nous sommes une association de prévention pour l’enfance. Quand nous nous sommes demandés où nous allions intervenir en priorité, nous nous sommes dits qu’il y avait une porte ouverte. À travers cette communication, il n’a jamais été question de dire que le pédophile est plus sur Internet. Heureusement, d’autres personnes prennent en charge cette lutte, dont la cyberpédophilie, comme les gendarmes.

L’échange fut l’occasion de lui faire découvrir le pedobear, ce mème destiné à moquer le cliché du cyberprédateur. La position est assumée, quitte à se montrer contradictoire :

Nous avons des retours terrains, les élèves ont compris les risques de mauvaises rencontres, ils ne donnent plus leur numéro de téléphone, on s’en réjouit. Quant à dire que c’est grâce à nous, je ne sais pas. [...] Sur les 22 000 enfants que nous avons vus cette année, aucun ne nous a dit “on a peur du pédophile sur Internet”, personne ne nous parle de cette campagne comme de quelque chose de dramatisant, les usages n’ont pas été influencés par cette campagne. C’est une prudence qui est transmise par leurs parents et par les enfants.”

La jeune femme, qui souligne que leur équipe “a baigné dans Internet”, fait remarquer que leurs modules de formation ont évolué :

Aujourd’hui, il y a un autre risque, lié aux relations entre pairs, nous sommes davantage sur une aide sur les relations entre camarades, et une remise en question des actes. Il y a une infinie possibilité de bonnes pratiques comme de mauvaises pratiques, notre objectif est de préserver les jeunes de ces risques possibles.

“Net-rumeur, vie privée et droit à l’image, réseaux sociaux, diffamations, cyber-intimidation, incitations dangereuses, téléchargement illégal”, etc. sont ainsi aussi abordés. Glissement de culpabilité aussi : l’objectif initial était de “Préserver la dignité et l’intégrité des enfants sur Internet” (sous-entendu des adultes), il s’agit aussi de prévenir des agissements des jeunes envers d’autres jeunes mais aussi envers les adultes, par exemple les professeurs… ou les ayants-droit.

“Pour pointer du doigt la réalité, il y a les études”

Sur ce champs élargie, la pédagogie du faits divers et de l’émotion est encore de mise. Une étude [pdf] produite par une de leurs psychologues, Martine Courvoisier, pointe l’absence de travaux démontrant l’impact à long terme des images pornographiques sur les enfants. Pourtant, la pornographie n’a pas spécialement bonne presse à Action Innocence, comme en témoigne ce visuel, intitulé “Amour et pornographie n’ont rien à voir !”. Il montre une fille, cet être romantique et désincarnée, claquant son petit ami, cette bite sur patte, qui essaye de la peloter, après avoir regardé du porno sur Internet pour “assurer”. Elizabeth Sahel répond :

Pour pointer du doigt la réalité, il y a les études. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas prouvé l’impact direct entre un risque et sa conséquence qu’on n’a pas intérêt à prévenir ces éventuelles conséquences. Là je vous parle en tant que maman, c’est comme si je vous dis le téléphone sur un enfant aucune étude n’a prouvé que c’était nocif, qu’il n’y a pas par ailleurs une conscience protectrice qui consiste à équiper son enfant en téléphone le plus tard possible, c’est deux choses différentes. Dans l’un c’est l’intuition, dans l’autre c’est juste une remise en question de la diabolisation d’un phénomène sur les enfants.

Elle nous a assuré que le porno n’était pas diabolisé lors de leurs interventions :

Nous ne sommes pas là avec nos pancartes “non à la pornographie”, nous n’avons pas de jugement à donner. Nous indiquons cette nuance entre la réalité et la pornographie, ce n’est pas que ça les relations humaines. On leur dit ce qu’est la pornographie, il y a des tas de confusions possibles. Une image pornographique est négative si elle va créer chez vous une émotion, si elle vous choque, parlez-en dans ce cas-là à vos parents, ce n’est pas grave, on est vraiment dans ce discours pour protéger le jeune, qu’il ne sente ni coupable, ni choqué, qu’il garde éventuellement ça pour lui, c’est bon aussi pour les images violentes.

À voir le succès des formations, elles répondent aussi à une attente. Les retours que nous avons eus, en particulier de personnels pédagogiques de l’éducation, sont mi-figue, mi-raisin. Certains les trouvent pertinentes et équilibrés, d’autres les jugent anxiogènes et n’offrant pas une vision constructive d’Internet.

“Ceux qui les critiquent ne connaissant pas nos modules, répond Elizabeth Sahel. C’est qui ? Des blogueurs ?” Nous lui expliquons alors qu’il s’agit de personnels pédagogiques qui ont assisté aux formations récentes :

On ne peut pas plaire à tout le monde, j’entends ces critiques. Il y a deux façons de faire, de la prévention jusqu’à l’éducation au numérique, nous sommes au milieu. Pour avoir une attitude responsable et citoyenne des nouvelles technologies, il faut aussi connaître les dangers et les risques. Pour moi, nous sommes vraiment dans une démarche extrêmement positive.

L’association de Mme Chanel

On reproche à Action Innocence de verser dans le cliché, elle renvoie la balle, lassée d’être réduite à l’association de l’épouse du co-propriétaire de Chanel, tailleur pied-de-poule, réseaux et locaux dans le XVIème. D’emblée, lorsque l’entretien part sur cette question, Elizabeth Sahel se braque :

- Valérie Wertheimer est la figure-clé de l’association, elle a mis ses moyens financiers et son réseau au service de la cause, comment concrètement ce réseau vous bénéficie-t-il ?

- C’est une question sensible. Je ne répondrai pas à la partie concernant Valérie Wertheimer.

-Je dois voir avec qui alors ?

-Personne. Soit on parle du projet de l’association… Vous enregistrez ? On peut décider quand commence l’interview car là je vous parle de choses qu’à mon sens je n’ai pas à vous préciser.

- Sur les moyens financiers…

- Ça non plus, je ne vois pas… ils évoluent, on mène des conférences le soir avec des parents, des mécènes, des partenariats.

Le seul coup de pouce de Valérie Wertheimer, nous explique-t-elle, c’est le gala annuel de charité. Un coup de pouce maousse à 300 000 euros en 2010 [pdf], sachant que l’association a six salariés. On n’en saura pas plus sur les budget. Pour montrer que l’association ne roule pas sur l’or, Elizabeth Sahel souligne qu’ils viennent d’embaucher un responsable partenariat, lesquels complètent les sommes rapportées par les interventions. Celles dans les établissements scolaires [pdf] sont gratuites et durent d’une heure à deux heures, en revanche, celles pour les parents sont à 200 euros, pour 2 h 30. “Des associations de parents d’élèves organisent la rencontre, en général après une session auprès des élèves”, détaille Elizabeth Sahel. Celle pour les professionnels de l’enfance sont sur devis. Dans chaque cas, transport et hébergement le cas échéant sont à la charge des organisateurs. Comme l’association est partenaire du ministère, il est possible de se faire rembourser une partie des frais.

Enfin, Action Innocence élargit tellement sa palette d’action qu’elle propose aussi d’intervenir… en entreprise [pdf] :

La  sécurité des systèmes d’information est un enjeu majeur pour les  entreprises qui peuvent faire l’objet de cyber attaques plus ou moins  graves. En parlant de la protection des enfants sur Internet, Action  Innocence permet à certaines entreprises d’aborder la sécurité  informatique d’un point de vue plus global.

Pour 500 euros l’heure et demi, les bénéficiaires de la formation sauront ainsi “Les véritables activités des enfants sur Internet, Le cyber pédophile et ses techniques d’approche”, etc. toute chose fort utile pour une entreprise soucieuse de sa sécurité informatique et pour rentabiliser des Powerpoints.

Interrogée sur le fait de savoir s’il est normal qu’une association soit subventionnée pour effectuer ce qui relève du socle commun des compétences que l’école doit transmettre à tout élève à la fin de la scolarité obligatoire, Elizabeth Sahel nous a répondu avec franchise :

Oui tout à fait, c’est juste.

Sur ce point, Thomas Rohmer, co-fondateur de Calysto, une société qui s’est taillée sa part sur ce qui est bien un marché, avait été moins direct :

Est-ce que l’école peut tout assurer alors qu’il y a des restrictions budgétaires ?


Illustrations par Marion Boucharlat pour OWNI

Image de Une Marie Crochemore pour OWNI

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Loppsi: avec ou sans juge ? http://owni.fr/2010/12/17/loppsi-avec-ou-sans-juge/ http://owni.fr/2010/12/17/loppsi-avec-ou-sans-juge/#comments Fri, 17 Dec 2010 19:40:24 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=39429 C’est sur un hémicycle désert (9 UMP, 5 gauche, 1 centre), que s’est ouvert avant-hier soir le débat sur l’article 4 de la Loppsi, qui instaure le blocage des sites présentant des “images ou représentations de mineurs à caractère pornographique”. Pointé pour son caractère inefficace et potentiellement dangereux, il s’est vu la cible d’une vingtaine d’amendements, dont la totalité, a été écartée.

Malgré la bonne volonté de Brice Hortefeux, qui a honoré la séance de sa présence, le temps n’était ni à l’écoute, ni, a fortiori, aux renversements de position. La discussion menée autour de l’article 4 a en effet été dominée par le va-et-vient incessant des mêmes recours rhétoriques, pour finalement aboutir à une version inchangée, qui ne fait mention ni du juge, ni de la Cnil, ni même d’un droit de regard du Parlement.

Dialogue de sourds

Du côté des irréductibles, “seuls trois députés ont parlé”, résume Laure de la Raudière. Les voix de Lionel Tardy (UMP) et Patrick Bloche (PS) sont venus en soutien aux prises de paroles répétées de la député de la majorité. Ces derniers ont de nouveau fait valoir l’inefficacité d’un dispositif de blocage dans le cas de contenu pédopornographique, “sur lequel on ne bascule pas en un clic”, a répété Lionel Tardy. Difficilement accessibles sur le web, voire même introuvables -car privilégiant le protocole peer-to-peer-, ces contenus risquent avant tout de se terrer un peu davantage dans le réseau sous l’effet de la Loppsi. Différents procédés, comme “le cryptage, ou l’anonymisation”, a rappelé Patrick Bloche, peuvent en effet facilement être mobilisés. Car, comme l’a avancé Lionel Tardy:

La population visée par la Loppsi, comme dans le cas de l’Hadopi, trouvera les moyens de contourner les mesures. Donc la loi n’apportera rien.

Pis, si le dispositif de filtrage est inefficace, aucune information précise n’a été donnée sur la technologie envisagée par le projet de loi. A trois reprises, Laure de la Raudière a tenté d’en savoir davantage en interpelant directement le ministre de l’Intérieur, qui s’est contenté de la renvoyer au décret à venir.

Mais quelque soient les solutions préconisées, celles-ci seront soit “inefficaces par rapport au but recherché”, dans le cas d’un blocage au niveau de l’adresse IP, soit “contraires à l’article 11 de la Constitution”, protecteur des libertés individuelles, dans le cas d’une dispositif placé en cœur de réseau, a plaidé la député.

Juge: aller, retour ?

Interrogée par Owni, Laure de la Raudière a également déclaré estimer “absolument essentielle” la présence d’un juge à chaque fois qu’une décision de blocage de sites Internet se présente. Mais une fois encore, ce point a été balayé d’un revers de main par le rapporteur du projet et Brice Hortefeux. Exprimant leur incompréhension face à une volée d’amendements visant un article “protecteur des internautes”, ils ont accusé les réfractaires au projet de voir le “malaise partout”, reconnaissant dans un même temps l’imperfection de l’article 4. “Il faut tenter toutes les solutions, même si elles sont imparfaites”, a ainsi lancé le gouvernement, creusant ainsi davantage l’incompréhension entre les deux camps.

Il faut éviter les faux-procès. Il y a un objectif: lutter contre la pédopornographie. En aucun cas restreindre Internet.
Eric Ciotti, rapporteur du projet à l’Assemblée Nationale.

Un véritable dialogue de sourds, qui a terriblement exaspéré les réfractaires à l’article 4, en particulier du côté de la majorité. En pleine séance, Lionel Tardy a lancé un rageur:

Encore une fois, on a tout faux.

Si elle avoue sa colère au moment des discussions, Laure de la Raudière relève pour sa part la connaissance limitée de ses collègues en matière numérique, rejetant l’idée que les députés aient pu sciemment adopter cet article pour bloquer davantage que le contenu pédopornographique. “Ils ne maîtrisent pas le sujet et ils écoutent le gouvernement et le rapporteur, ce qui semble normal. Mais j’ai bon espoir de les voir monter en compétences”, explique la député, qui précise réfléchir à l’organisation d’une journée au sein de l’Assemblée, consacrée au fonctionnement du réseau.

Moins loquace sur l’avenir de l’article 4, la député concède néanmoins que “les députés PS ont de nombreux arguments pour déferrer le projet de loi devant le Conseil Constitutionnel, au-delà de l’article 4.” Une intuition validée par les socialistes, pour qui l’adoption de l’article 4 sans juge est particulièrement inquiétante. “A partir du moment où le mécanisme existe et qu’il part du ministère de l’Intérieur, ça rend le filtrage d’autres sites possible”, dit-on du côté du parti, qui confirme vouloir déférer la loi devant le Conseil Constitutionnel, dès que celle-ci sera votée.

Sur le sujet, on en profite du côté du PS pour s’émouvoir du récent revirement de position de l’Élysée. Selon les propos rapportés par certains blogueurs conviés hier au palais, Nicolas Sarkozy aurait en effet considéré la possibilité de réintroduire le juge dans l’article 4. Badinages de circonstance ou réelle déclaration d’intention ? Les opposants au projet déclarent qu’ils suivront avec intérêt la suite des aventures de la Loppsi, manifestement loin d’être bouclées.


Retrouvez le compte-rendu de la séance du 15 décembre sur le site de l’Assemblée Nationale

Illustration CC: steakpinball

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Blocage des sites : Le juge contourné, pas les critiques http://owni.fr/2010/09/30/blocage-des-sites-le-juge-contourne-pas-les-critiques/ http://owni.fr/2010/09/30/blocage-des-sites-le-juge-contourne-pas-les-critiques/#comments Thu, 30 Sep 2010 09:48:36 +0000 Astrid Girardeau http://owni.fr/?p=29969 De retour à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, le projet de Loi d’Orientation et de Programmation Pour la Sécurité Intérieure (Loppsi) a été examiné hier par la Commission des Lois.

La Commission a “rejeté sans discussion” l’amendement visant à réintroduire l’obligation de passer par l’autorité judiciaire pour ordonner aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) le blocage d’un contenu présentant un “caractère manifestement pédo-pornographique”.  En janvier dernier, lors du premier passage du texte devant cette même Commission, un amendement similaire est adopté malgré l’avis défavorable du rapporteur Eric Ciotti selon qui “le caractère odieux et scandaleux des images diffusées exige que l’on soit très réactif”. Mais il y a quelques semaines, cette obligation est supprimée par le Sénat.

La disposition oblige les opérateurs à “empêcher l’accès sans délai” aux internautes français aux contenus “présentant un caractère manifestement pornographique”. Cet article de la Loppsi est inséré dans l’article 6 de la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN), article qui permet déjà de faire retirer ou de rendre inaccessible l’accès à des contenus illicites en posant le principe dit de subsidiarité. Cela implique de s’adresser d’abord à l’éditeur, puis à l’hébergeur du contenu, avant de se tourner vers les FAI en cas d’échec des demandes précédentes. Un principe conservé dans la loi sur les jeux en ligne (même si malmené dans l’affaire Stanjames) mais supprimé dans la Loppsi.

Ce qui est critiqué par beaucoup comme étant un simple “masquage” qui ne permet ni de supprimer les contenus, ni de lutter activement contre la pédo-pornographie et la pédophilie.

“Le dispositif prévu (…) ne permet nullement de réduire la pédo-pornographie en elle même, soutiennent des députés (pdf) en janvier dernier. Tout au plus permettra-t-il de cacher aux internautes le phénomène”. Cela est aussi contesté par des associations d’hébergeurs et d’opérateurs (GESTE, ASIC, AFA, FFT, etc.) “Nous sommes pour le retrait à la source (…) non pour un masquage” déclare ainsi l’Association des Fournisseurs d’Accès (AFA). Alors que la FFT (Fédération Française des télécoms) juge la remise en cause de la subsidiarité “inacceptable”. En Allemagne, sous le slogan “Supprimez, le bloquez pas — Agissez, ne fermez pas les yeux!“, MOGiS e.V., une association de victimes d’abus sexuels sur mineurs, s’oppose au blocage des sites “comme moyen de lutte contre la circulation des images à caractère pédopornographique sur Internet”.

Récemment, eco, association allemande des industriels d’Internet a révélé que “des 197 sites qui ont été signalés au cours du premier semestre 2010 au bureau des plaintes d’eco, 194 ont pu être supprimés dans le délai d’une semaine“. Et que les contenus hébergés sur des serveurs allemands étaient hors ligne en une journée.

Hier, AK Zensur, un groupe de travail qui regroupe plusieurs associations allemandes de défense des droits et libertés des citoyens, a publié la première version d’une analyse (pdf) sur le blocage par liste noire au Danemark et en Suède. Ceci alors, qu’outre-Rhin comme en France, les pays scandinaves sont souvent cités en exemples pour affirmer que de tels dispositifs sont possibles et efficaces. Leur analyse d’“un échantillon représentatif de 167 sites actuellement bloqués au Danemark” montre que la majorité des domaines bloqués “ne sont plus actifs”.

Pour les trois encore actifs, et contenant de la pédo-pornographie, ils ont contacté via une notification par mail l’hébergeur américain et le registrar indien. Et rapportent que le premier est intervenu en moins de 30 minutes, et le second au bout de trois heures. Également bloqués en Norvège, Suède et Finlande, deux des noms de domaines concernés sont présents sur la liste noire au Danemark depuis 2008. “Cela signifie que la police n’a rien fait depuis deux ans pour faire fermer ces sites“, critique AK Zensur.

Dans une brochure (pdf) publiée il y a quelques jours, l’organisation européenne EDRI (European Digital Rights) explique également pourquoi, selon elle, le blocage de sites ne fait que masquer les crimes que sont la pédo-pornographie et la pédophilie. “Bloquer implique de laisser les sites illégaux en ligne, et de simplement rendre leur accès plus difficile. L’accès est cependant toujours possible, quelque soit la technologie utilisée”, écrit l’EDRI. “En revanche, la suppression d’un site illégal entraîne son retrait d’Internet, et rend son accès impossible.

L’étude cite Björn Sellström, officier de police, et chef du groupe d’enquête contre la pédopornographie et la maltraitance des enfants en Suède, où un dispositif de blocage par les FAI a été mis en place en 2005 . Il y a un an, Björn Sellström déclarait : “nos mesures de blocage ne conduisent malheureusement pas à réduire la production de pédopornographie sur Internet.”

Image : CC RIUM+
Image article : AK Zensur

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Droit d’auteur, vie privée et filtrage du Net: l’agenda de l’UE sur dix ans http://owni.fr/2010/06/25/droit-d%e2%80%99auteur-vie-privee-et-filtrage-du-net-lagenda-de-lue-sur-dix-ans/ http://owni.fr/2010/06/25/droit-d%e2%80%99auteur-vie-privee-et-filtrage-du-net-lagenda-de-lue-sur-dix-ans/#comments Fri, 25 Jun 2010 12:25:09 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=20195

À paraître sur dans la rubrique “Des brèves sur l’actualité” sur le site de l’ADBS

Que l’on veuille tirer parti des technologies du numérique pour accompagner le vieillissement de la population et les défis climatiques, on ne peut que souscrire à un tel projet ! Mais puisque de l’inévitable comparaison avec les standards nord-américains[1], il ressort que la productivité européenne n’est pas à la hauteur des investissements consacrés à la R&D, que, par ailleurs, 30% de la population européenne n’utilise pas encore l’Internet et que 80% des lignes sont trop lentes pour certaines applications, la Commission européenne, a défini sept domaines d’action [2] qui doivent lui permettre de rejoindre les chiffres des États-Unis.

Il aurait été léger, de notre part, de ne pas examiner les objectifs visés par la Commission européenne en matière d’Internet et de technologies du numérique à l’horizon 2020 [5] [6], dévoilés le 19 mai 2010, ne serait-ce que parce qu’ils touchent étroitement diverses questions liées au droit d’auteur et au filtrage du Net [2] [4], deux aspects au centre de nos préoccupations.

Négligeant de ce fait d’aborder aujourd’hui les mesures qui visent à stimuler les investissements dans le haut débit et les réseaux, la recherche de pointe et l’innovation, à améliorer la compétence des citoyens dans le domaine numérique (ce qui attirera inévitablement l’attention des « travailleurs du savoir » que nous sommes[3]) et à créer des outils dans le domaine de l’énergie, au service des personnes âgées ou handicapées et des patients…, nous n’examinerons que la mesure 1.1, qui vise à ouvrir l’accès aux contenus numériques, la mesure 3 qui vise à améliorer la confiance et la sécurité, et la mesure 4.3 relative à la neutralité de l’Internet.

Soutenir le droit d’auteur

  • Favoriser l’émergence d’une offre légale attractive

Proposer une directive sur les œuvres orphelines dès 2010, faire adopter des mesures destinées à régler la question des œuvres épuisées et accompagner ces dispositifs par des registres gérant ces œuvres, telles sont les premières dispositions (1.1) qui ont attiré notre attention. On les reliera aux mesures prises pour promouvoir la diversité culturelle et le contenu créatif (7.3),  qui se traduisent par des mécanismes adoptés pour stimuler notamment la numérisation du patrimoine culturel européen (récent a-t-on ajouté, ce qui est à la fois vague et réducteur) financés grâce à des partenariats entre secteur public et privé, pour lesquels un comité des sages[4] est chargé de proposer un modèle économique durable.

Toujours pour favoriser « l’émergence d’un marché numérique dynamique », premier des objectifs définis, la Commission européenne entend aussi faciliter la gestion des droits en rendant les sociétés de gestion collective plus transparentes et en donnant l’opportunité aux titulaires des droits sur les œuvres de proposer des licences transnationales et paneuropéennes. La Commission européenne envisage d’étendre ces mesures, jusqu’à présent cantonnées au secteur de la musique, une velléité ancienne[5], au secteur de l’audiovisuel.

Autant de mesures devant faire émerger une offre légale attractive, ce qui devrait à la fois répondre aux attentes des ayants droits, qui seraient rémunérés, et du public, qui aurait ainsi accès à l’information dans des condition satisfaisantes, et donner ainsi une « réponse efficace au piratage »[6]. Mais on soulignera, comme la Quadrature du Net [4], qu’il s’agit d’une vision bien traditionnelle qui, se bornant à transposer le monde analogique au monde numérique, n’est pas vraiment innovante et risque de ne pas rencontrer le consensus attendu.

  • Les mesures répressives

La Commission européenne qui entend « ouvrir les contenus », entend aussi lutter contre la contrefaçon. Si ce dernier point est largement développé dans l’article de La Quadrature du Net [4] qui avait accès à l’une des versions de travail de la Commission et qui suit de près cette question, cet aspect est à peine esquissé dans la version finale du texte de la Commission européenne. Elle se borne, en effet, à annoncer un réexamen de la directive européenne sur le respect des droits de la propriété intellectuelle et des mesures supplémentaires, dès 2012, après avoir consulté les divers acteurs concernés. La Commission affirme que si de nouvelles dispositions devaient être prises, elles tiendront compte des garanties fournies par cadre légal des télécommunications et des droits fondamentaux sur la protection des données et de la vie privée.

Mais l’on sait déjà que plusieurs mesures pourraient être prochainement envisagées qui faisant « écho » au rapport Gallo [7] et à Acta [8], généraliseraient le filtrage des réseaux et la riposte graduée, mesures qu’il conviendrait aussi d’encadrer pour éviter des dérives. En ce qui concerne la directive européenne qui vient d’être mentionnée, la Quadradure du Net et les associations représentant les bibliothèques, comme Eblida[9], avaient déjà souligné les dangers de la mention d’ « échelle commerciale » appliquée aux sanctions, qui risque « d’inclure des activités à but non lucratif entre individus telles que le partage de fichiers », incitant ces associations à « militer pour que les sanctions ne concernent que des infractions délibérées et à but lucratif » et à attirer l’attention sur le fait que non seulement les mesures envisagées seraient disproportionnées mais également inefficaces. La même préconisation a été faite par le Parlement européen [9].

Policer la « cyberjungle » [4]

Faire face aux virus et aux spams, lutter contre pédopornographie par des actions de sensibilisation et de formation, organiser des systèmes d’alerte au niveau européen et mondial, on y souscrit totalement ; adopter des mesures techniques sur la gestion des données personnelles dès la conception des produits, obliger les opérateurs à notifier les intrusions dont ils auraient été victimes, tout autant.

Mais on ne peut manquer de constater que la Commission européenne évoque aussi des mesures destinées à bloquer les contenus préjudiciables et à en empêcher la visualisation. Or, en présentant la Loppsi, un projet de loi français sur la sécurité intérieure, on avait déjà souligné que les filtres étaient souvent inefficaces[10] et qu’ils posaient des problèmes pour la liberté d’expression. Les systèmes d’alerte, sur lesquels d’ailleurs la Commission a largement mis l’accent dans son programme, seraient suffisants et bien plus satisfaisants.

En ce qui concerne la neutralité du Net, concept auquel le Parlement européen est très attaché, la Commission européenne annonce vouloir préserver le caractère ouvert et neutre, mais entend néanmoins organiser rapidement une consultation pour évaluer l’encadrement nécessaire. Pour mettre en œuvre des mesures qui pourraient s’imposer, elle affirme, fort heureusement aussi, vouloir tenir compte « d’autres impératifs comme la liberté d’expression, la transparence, investir dans des réseaux ouverts et efficaces, loyauté de la concurrence et ouverture à des modèles d’activité innovants ».

« Deux programmes, une Union européenne »

C’est ce qu’avait souligné malicieusement, ou avec inquiétude, l’auteur du billet d’Edri-gram [2]. Dans le jeu européen, les trois institutions – Commission européenne, Parlement européen, Conseil de l’Union européenne – ont le même poids. Or, si la Commission européenne « quitte ses positions conservatrices », ce n’est que « timidement » [4]. On n’y trouve pas encore, par exemple, cette référence à la « cinquième liberté », qui figure dans le texte du Parlement européen [6], liberté qui assure la libre circulation des contenus et de la connaissance et qui a poussé cette institution à demander à ce que soient de prime abord sanctionnés les usages commerciaux des œuvres contrefaisantes. N’a-t-on pas souligné aussi [4] [11]que la Commission européenne n’a finalement pas repris dans la version définitive du texte les dispositions relatives aux standards ouverts qui figuraient dans les versions précédentes, ce qui bloque le développement des logiciel libres [4], une lacune qui pourrait être lourde de conséquences ?

D’ici quelques mois nous saurons comment les arbitrages seront faits pour entrer dans ce ce fameux cercle vertueux de l’économie numérique, seul graphique du document dont je ne manquerai pas souligner, qu’en dehors de la cybercriminalité, les termes sont quasiment identiques à ceux que j’avais découverts en 1994 dans le rapport Bangeman destiné lui aussi à renforcer la compétitivité européenne de l’industrie de l’information.


Notes

[1] Ce qui ne lasse pas de m’étonner. Et si l’on prenait le temps de  définir des critères européens, le modèle américain n’étant pas forcément la panacée ?

[2] Sept objectifs: 1) créer un marché unique numérique,  2) accroître l’interopérabilité, 3) renforcer la sécurité de l’internet et la confiance des utilisateurs, 4) permettre un accès plus rapide à l’internet, 5) augmenter les investissements dans la recherche et le développement, 6) améliorer les compétences numériques et l’intégration, 7) utiliser les technologies de l’information et des communications pour relever les défis auxquels la société doit faire face, tels que le changement climatique et le vieillissement de la population.

[3] Mesure 6. Favoriser la culture, les compétences et l’intégration économique. Un aspect que l’IABD avait mis en exergue lors de son atelier organisé dans le cadre des Assises du numérique le 20 juin 2008 et qui avait été repris dans le rapport des Assises. Consulter «  Les services de bibliothèque et de documentation, acteurs de la chaîne numérique ». Sur le site de l’IABD

[4] Une législation européenne pour les œuvres orphelines. Beaucoup de bruit pour rien ? , ADI, 26 avril 2010

[5] Droits musicaux. Remise en cause des monopoles nationaux. ADI,  23 juillet 2008

[6] Ce qui  est l’objectif  d’Hadopi 3 en France,   projet de loi dont le texte semble n’avoir pas encore circulé. Voir : Hadopi 3 pour la question des dommages et intérêts, ADI, 23 octobre 2009 ou le dossier intitulé  Un modèle économique pour l’offre légale culturelle en ligne », M.B., ADI, 18 janvier 2010

[7] Le rapport de l’eurodéputée Marielle Gallo a été adopté par la commission des affaires juridiques du Parlement européen. Il devrait faire l’objet d’un vote en séance plénière au début du mois de juillet. Parmi les nombreux articles publiés sur cette question : L‘UE tranche sur la propriété intellectuelle sur Internet, Boris Manenti, Nouvelobs.com, 1er juin 2010

[8] Ne pas oublier Acta ! ADI,  21 janvier 2010

[9] Voir notamment : Amended proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on criminal measures aimed at ensuring the enforcement of intellectual property rights – 2005/0127(COD). FFII/EFF/EBLIDA/BEUC coalition report on the proposal as amended in Strasbourg by the European Parliament at its first reading on Wednesday, 25 April, 2007. Sur le site de la Foundation for a Free information

[10] Loppsi : la question des techniques de filtrage, ADI, 15 février 2010

[11] A plusieurs reprises elle évoque effectivement le souci d’assurer l’équilibre entre les intérêts des titulaires de droits et du public

Références

  1. La stratégie numérique vue par la Commission européenne, Mylène Kamdom, Jurilexblog, 21 juin 2010
  2. Two Digital Agendas, But One European Union, Edri-gram, 19 May, 2010
  3. Stratégie numérique: un plan d’action de la Commission destiné à accroître la prospérité et la qualité de vie en Europe. Communiqué de presse IP/10/581, Commission européenne, 19 mai 2010
  4. UE : L’Agenda numérique de Neelie Kroes va-t-il compromettre les libertés? La Quadrature du Net, 17 mai 2010

Textes

5. Europe 2020. Une stratégie pour une croissance intelligente durable et inclusive. Commission européenne, mai 201

6. Une stratégie numérique pour l’Europe. Communication de la Commision au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions. COM(2010)245

7. Stratégie numérique pour L’Europe. La version de travail (en anglais) utilisée par La Quadrature du Net pour son analyse. Sur le site Pc-Inpact

8. Proposition de résolution du Parlement européen sur un nouvel agenda numérique pour l’Europe: 2015.eu. Sur le site du Parlement européen

9. A new Digital Agenda for Europe : 2015.eu. 5 May 2010. Sur le site du Parlement européen

10. EU Parliament calls for data rights charter, Out-Law.com, 7 May 2010

11. Lack of Open Standards “gaping hole” in EC’s Digital Agenda,Free Software Foundation, 19 May 2005

Billet initialement publié sur Paralipomènes ; images CC Flickr ksfoto et verbeeldingskr8

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http://owni.fr/2010/06/25/droit-d%e2%80%99auteur-vie-privee-et-filtrage-du-net-lagenda-de-lue-sur-dix-ans/feed/ 15
Internet et les jeunes: désolé, ça se passe plutôt bien http://owni.fr/2010/04/24/internet-et-les-jeunes-desole-ca-se-passe-plutot-bien/ http://owni.fr/2010/04/24/internet-et-les-jeunes-desole-ca-se-passe-plutot-bien/#comments Sat, 24 Apr 2010 16:47:20 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=12730 Bonne nouvelle pour vos enfants : Internet est moins dangereux que la vie puisque seulement 82,5% des jeunes y ont fait une expérience “malheureuse”, contre 100% dans la vie réelle, de la souffrance à la naissance lorsque l’air pénètre les poumons en passant par les griffes aux genoux et autres garçons expurgeant leur trop-plein d’hormones d’une main aux fesses. C’est la conclusion d’une étude récente menée par Fréquence écoles, association d’éducation des jeunes aux médias, intitulée “Comprendre le comportement des enfants et adolescents sur Internet pour les protéger des dangers.”
Plus sérieusement -quoique…-, l’enquête en question, offre une vision dédramatisante sur le sujet, soulignant l’inadéquation entre la prévention et la réalité des risques.

Il faut dire que les auteurs, Barbara Fontar et Elodie Kredens, sont parties sans a priori quant à la définition du terme danger et sur la hiérarchie, une méthodologie appréciable en ces temps de lutte anti-Hadopi et de reportages racoleurs.

“Il est difficile d’appréhender [la notion de danger] sans être tenté de lui appliquer des principes normatifs. Si le danger est une situation dans laquelle un individu est menacé sur le plan physique, psychologique ou social, sa définition, sa perception et son expérimentation restent pour partie subjectives.”

“Afin de minimiser les biais et pour ne pas influencer les jeunes dans leurs réponses nous avons pris soin de ne jamais suggérer les dangers potentiels d’Internet. En entretien, nous avons fait en sorte que les jeunes initient eux mêmes la thématique des risques ou bien nous avons l’avons abordée sans pour autant orienter leurs visions des dangers. Cette précaution s’est traduite dans la phase qualitative par le choix d’une question ouverte.”

Au terme de leur enquête, il ressort que les jeunes n’ont globalement pas un comportement à risques sur le web. Loin de l’image de l’ado naïf errant sans but, facile proie du premier cyber-pervers venu, ils ont ainsi un usage extrêmement bordé du Net :

Chez les jeunes, les « aventuriers de la toile » sont plutôt rares comparés aux « voyageurs organisés ». Une majorité a d’ailleurs balisé ses sentiers en utilisant des moteurs de recherche, en allant toujours sur les mêmes sites et en créant des « favoris ». Certains ont même des rituels de navigation et surfent selon un ordre déterminé.

En outre, Internet est avant tout pour eux un outil de loisir et de socialisation avec leurs pairs. 9 sur 10 regardent des vidéos (films, clips) et écoutent de la musique, 8 sur 10 s’en servent pour jouer. Sur le podium de leur sites favoris, on retrouve Facebook, Youtube et MSN. Enfin, 3 sur 4 utilisent Internet pour discuter et rester en lien avec leur cercle de connaissances :

La grande majorité des jeunes n’utilise pas Internet pour élargir son réseau relationnel. On constate que la plupart des inconnus rencontrés sur le Net le restent. Si 1/3 du panel a déjà noué des relations amicales avec des gens sur Internet, lorsque les jeunes entament des relations, elles sont éphémères et peu approfondies. Si quelques cas d’amitiés nous sont rapportés lors des entretiens, ils débouchent très exceptionnellement sur des appels téléphoniques ou sur une rencontre. Ce sont donc plus de deux jeunes sur trois qui s’abstiennent de nouer des contacts avec des personnes inconnues.

En clair, ils chattent chez eux avec leurs potes de la cour ou ils écoutent de la musique (voire les deux en même temps, petits malins).

Si inconnu il y a, il faut le relativiser :

Derrière chaque inconnu sur Internet ne se cache pas un/une pervers(e). L’inconnu est aussi celui qui répond à des questions sur un forum, qui laisse des commentaires sur un blog, qui devient un partenaire de jeu le temps d’une partie et qui s’en retourne sans que des liens se soient créés pour autant.

Ils font également montre de prudence :

S’ils ont été contactés par des gens qu’ils ne connaissent pas, la majorité des jeunes, quel que soit leur âge, n’accepte pas de discuter avec eux. Ils refusent ainsi d’ajouter des contacts inconnus sur MSN ou Facebook, ils déclinent des invitations sur les jeux en ligne pour devenir partenaire temporaire ou membre d’une guilde et n’ouvrent pas les mails d’incon- nus. Rappelons qu’un tiers des jeunes a noué des relations amicales avec des gens sur Internet. En outre, c’est moins d’un jeune sur trois qui discute en ligne avec des inconnus.

De même, les forums ne les intéressent pas puisque seulement 8% y naviguent souvent et plus de la moitié (54,8%) n’y met jamais la souris.

Sur le décalage entre les représentations des jeunes comme des parents et le réel expérimenté, les chiffres sont éloquents. Le danger n’est pas du tout là où ils pensent :

Ainsi, alors que 44,9% d’entre eux considèrent la mauvaise rencontre comme le danger n°1, ce sont 7,7% d’entre eux qui se sont vus fixer un rendez-vous par un inconnu. Une question se pose sur la sensibilisation aux risques : sans remettre en cause le potentiel de gravité de tels faits, l’abondance des informations sur les mauvaises rencontres ne conduit- elle pas à rendre moins visibles d’autres expériences fâcheuses plus fréquemment rencontrées par les jeunes ?

La pédopornographie, cet épouvantail si commode, affiche un misérable 1,4%, un chiffre logique. Et en tête, on retrouve… le virus et/ou piratage, avec 36, 4%, talonnée par la pornographie (un chiffre à relativiser toutefois car les jeunes seraient moins enclins à confier avoir vu du porn.)

Certes, il est déplaisant de voir un méchant virus flinguer votre ordi, voir surgir une image de fellation peut aisément choquer, mais c’est bien moins traumatisant et dangereux que de se retrouver avec un vilain monsieur de vingt ans votre aîné dans une chambre glauque d’hôtel. En revanche, c’est moins vendeur médiatiquement.

Si les reportages racoleurs ont peut-être eu un effet positif, notent les auteurs, c’est d’inciter à plus de prudence. À défaut d’honorer la profession de journaliste par leur déontologie.

Si la plupart des jeunes ont fourni des données personnelles, c’est parce qu’il est difficile dans l’état actuel du web de faire autrement, contextualisent les auteurs. Et encore, certains font preuve de prudence, parmi les plus âgés, en en donnant de fausses. Guillaume (16 ans) explique ainsi : « et puis quand t’as un formulaire à remplir sur Internet je mets jamais mon nom. Je mets ” Durand”, “Dupond”. L’adresse, je mets une connerie. » Au demeurant, ce type d’attitude n’a rien d’étonnant.

Donc Dieu merci, la situation n’est pas catastrophique, loin de là. Loin de nous l’idée de nier l’existence de  risques, simplement, ils appellent prévention sans diabolisation. La demande est bien réelle, de la part des jeunes mais aussi bien sûr des parents qui ont une image réductrice du grand méchant Net, “prenant les symptômes pour des causes”. Plus de quatre jeunes sur cinq pensent que la prévention est importante. Leurs inquiétudes vont à la mauvaise rencontre (44,9%), puis aux virus, spams… (33,6%) et enfin aux contenus violents ou choquants (14,8%)

En conclusion, les auteurs de l’étude appellent à reformuler la prévention aux dangers de l’Internet en partant de ce portrait plus réaliste du comportement de nos enfants. Malheureusement, l’étude laisse sur sa faim concernant la suite à donner, égrenant juste quelques pistes à la fin. On va essayer d’y remédier ;-)

Télécharger le rapport complet

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Photo CC Flickr aldoaldoz

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http://owni.fr/2010/04/24/internet-et-les-jeunes-desole-ca-se-passe-plutot-bien/feed/ 9
Non, elles n’ont pas rencontré leurs agresseurs sexuels sur Internet http://owni.fr/2010/03/29/non-elles-n%e2%80%99ont-pas-rencontre-leurs-agresseurs-sexuels-sur-internet/ http://owni.fr/2010/03/29/non-elles-n%e2%80%99ont-pas-rencontre-leurs-agresseurs-sexuels-sur-internet/#comments Mon, 29 Mar 2010 06:45:39 +0000 Emmanuelle Erny-Newton http://owni.fr/?p=10961

En tant que pédagogue œuvrant pour l’éducation aux médias, je ne peux que me réjouir du fait que l’Ontario ait décidé d’inclure à son cursus scolaire des leçons sur la sécurité sur Internet.

Le court article du Globe and Mail rapportant ce changement m’a cependant laissée confuse ; en effet, l’article ajoutait « Ce changement est annoncé le jour même où la police de l’Ontario vient d’interpeller trente-cinq personnes pour possession de pornographie infantile » (c’est moi qui traduit).
Ah ? Le message subliminal de l’article est en substance : ceci (danger de pédopornographie) explique cela (leçons de sécurité sur Internet). Le coup de filet de l’Ontario aurait-il donc montré que les jeunes victimes ont rencontré leurs bourreaux en ligne ? me dis-je in petto…

Pour en avoir le cœur net, je remonte jusqu’au communiqué de presse diffusé par les services de police. Là, plutôt qu’une réponse directe à ma question, j’y trouve la citation suivante de l’inspecteur Scott Naylor, chef de la Section de l’exploitation sexuelle des enfants de la Police provinciale de l’Ontario : « Les parents et les tuteurs doivent s’informer eux-mêmes sur la technologie que leurs enfants utilisent afin de les protéger comme il convient. Malheureusement, la plupart des parents et des tuteurs sont loin de comprendre la technologie du Web aussi bien que leurs enfants. »
Si suite à l’arrestation de prédateurs sexuels, l’inspecteur Scott Naylor prend la peine d’exhorter les parents à « protéger les enfants en ligne », cela semble indiquer que les jeunes victimes ont bien été trouvées sur Internet.

Ce qui me gêne, cependant, c’est que ma conclusion n’est qu’une inférence. Afin d’aller au fond des choses, je décide d’appeler le sergent Pierre Chamberland, Coordonnateur des relations avec les médias, dont les coordonnées se trouvent sur le communiqué de presse.

Moi : « Pouvez-vous me dire si les victimes dont vous parlez avaient rencontré leurs agresseurs sur Internet ? »

Lui : « Non, elles n’ont pas rencontré leurs agresseurs sur Internet. »

Moi : « Mais alors, pourquoi la citation de l’inspecteur Scott met-elle l’emphase sur la sécurité des enfants en ligne ? »

Lui : « Parce que c’est souvent en ligne que les victimes d’abus sexuels rencontrent leurs prédateurs. »

Heu… non. Les recherches sur le sujet montrent de façon consistante que les prédateurs sexuels prennent généralement leurs victimes dans leur cercle familial ou relationnel. C’est à l’évidence bien plus simple pour eux.

Une grande partie du discours sécuritaire sur Internet est de la désinformation

Dans son rapport Techno-Panic & 21st Century Education: Make Sure Internet Safety Messaging Does Not Undermine Education for the Future, Nancy Willard, du Center for Safe and Responsible Internet Use, note qu’une grande partie du discours sécuritaire sur Internet est de la désinformation : on y présente le Web comme un lieu où les jeunes sont à haut risque de prédation sexuelle, alors que la recherche et les statistiques d’arrestations témoignent du contraire. Au Canada, les statistiques combinées de 2006 et 2007 révèlent que le nombre d’individus déclarés coupables de leurre d’enfants sur Internet s’est élevé à… 89, et ce sur tout le territoire canadien. Voilà qui met certainement en perspective la panique morale à propos du Web comme premier pourvoyeur de prédation sexuelle.

Mais alors pourquoi forces de l’ordre et les journalistes dans la foulée continuent-ils à entretenir l’idée qu’Internet est un haut lieu de prédation sexuelle ?

Pour les journalistes, tout du moins, il semble qu’il y ait souvent confusion entre le Net comme lieu de diffusion de pédo-pornographie et lieu de prédation sexuelle. Voyez par exemple l’article du Devoir Cyberpédophilie – Les plus jeunes sont les plus maltraités . L’article traite de la diffusion de pédo-pornographie sur la Toile, mais l’image et le sous-titre qui accompagnent l’article (« Le Canada reste un des refuges préférés des prédateurs de la Toile ») créent la confusion en illustrant le thème de la prédation sur Internet.

Quant à la vision erronée du web comme lieu de prédation, chez les forces de l’ordre, Nancy Willard l’explique ainsi : « D’une certaine façon, ceci est compréhensible. Chercher à appréhender ce problème complexe rappelle la parabole des sages aveugles essayant de décrire un éléphant. La police, malheureusement, a la responsabilité de se tenir au niveau de « l’arrière-train ». Il n’est donc pas surprenant que leur perception de l’éléphant ait été influencée par les excréments qu’ils voient régulièrement. Cependant, l’analyse même de leurs propres données montre qu’ils ne décrivent pas correctement l’excrément.»

Les prédateurs en ligne mentent rarement sur leur âge

Voyons donc ce que disent les données, afin de « décrire correctement l’excrément », pour reprendre Willard.
Dans les cas débouchant sur des poursuites, les individus accusés de leurre d’enfants sur Internet étaient le plus souvent des hommes de 18 à 34 ans. Les données montrent également que les prédateurs sexuels mentent rarement sur leur âge ou leurs motifs, lorsqu’ils prennent contact avec un jeune en ligne. Leur tactique n’est pas la tromperie mais la séduction : ils manifestent beaucoup d’attention, d’affection et de gentillesse envers les jeunes, les amenant à croire qu’ils sont réellement amoureux. La plupart des jeunes qui acceptent alors une rencontre en personne le font en sachant qu’ils vont s’engager dans une relation sexuelle – relation sexuelle qui sera d’ailleurs répétée dans 73% des cas. Très peu de cas (5%) sont de nature violente, selon le Crimes Against Children Research Center.

Or ce portrait est très éloigné du portrait typique du « cyber-prédateur », tel que les parents se le représentent au vu de ce que disséminent la police et les journalistes dans leur foulée ; lorsque, durant mes présentations, je pose la question « Quel est à votre avis le profil d’un prédateur sexuel sur Internet ? », je n’ai jamais encore obtenu d’autre réponse qu’une description en règle du « pervers pépère » tel que Gotlib le croquait dans les années 80. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les gouvernements mêmes propagent cette image erronée : voyez par exemple cette campagne (dite) d’intérêt public diffusée dans de nombreux pays (le « pervers pépère » apparaît à la toute fin).

La représentation inexacte des « cyber-prédateurs » n’est pas anodine : elle débouche hélas sur une réponse éducative inadaptée. Finkelhor insiste sur le fait que pour outiller les jeunes contre les prédateurs en ligne, il ne s’agit pas de les inciter à se méfier de tout le monde sur le Net, mais bien plutôt à débusquer ceux qui jouent sur la « naïveté émotionnelle » des adolescents pour les entraîner dans une relation prétendument « amoureuse ». De fait, la recherche montre que les jeunes les plus à risque sont ceux qui ont des problèmes émotionnels tels que de mauvaises relations avec leurs parents, ou des difficultés à trouver ou accepter leur identité sexuelle.

Dresser un portrait erroné des « prédateurs en ligne » n’est vraiment pas un cadeau que l’on fait à nos jeunes ; il leur fait courir un risque réel, celui de ne pas repérer le danger lorsque (et si) il se présente –et même de se méprendre sur le danger lui-même : mettre en garde nos enfants contre des quinquagénaires obsédés cachant leurs intentions et leur âge pour mieux violenter leurs victimes récalcitrantes, laissera la part belle aux prédateurs réels : ceux qui parlent ouvertement de sexualité à des adolescents en train de découvrir la leur ; des individus qui suscitent et cultivent les sentiments de leurs victimes ; des hommes jeunes qui n’auront en rien, de par les standards médiatiques, la gueule de l’emploi.

Pour de plus amples informations sur le sujet, je vous invite à consulter la section Risques et préjudices sexuels de notre site Web Averti.

Billet initialement publié sur le site  du Réseau Education-Médias sous le titre “La gueule de l’emploi : Internet, risques sexuels et représentation médiatique”

Photo CC Flickr sankax

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http://owni.fr/2010/03/29/non-elles-n%e2%80%99ont-pas-rencontre-leurs-agresseurs-sexuels-sur-internet/feed/ 3
“Quatorze ans plus tard presque jour pour jour, et ils n’ont rien appris” http://owni.fr/2010/03/11/quatorze-ans-plus-tard-presque-jour-pour-jour-et-ils-nont-rien-appris%c2%bb/ http://owni.fr/2010/03/11/quatorze-ans-plus-tard-presque-jour-pour-jour-et-ils-nont-rien-appris%c2%bb/#comments Thu, 11 Mar 2010 14:43:57 +0000 Astrid Girardeau http://owni.fr/?p=22787

Filtrage : on prend quasiment le même, et on recommence.

[Billet initialement publié le 23 juillet 2010] En février dernier, l’Assemblée nationale a adopté la Loppsi, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. L’article 4 du texte vise à «prévenir l’accès involontaire des internautes aux sites pédo-pornographiques» en obligeant les fournisseurs d’accès Internet (FAI) à bloquer une liste noire de sites signalés par une autorité indépendante.

«La pédophilie, une autorité administrative, une liste de sites à filtrer, et pas de juge. Cela a été jugé anticonstitutionnel en 1996. Quatorze ans plus tard presque jour pour jour, et ils n’ont rien appris» nous indique Laurent Chemla, co-fondateur de Gandi et de l’Association des Utilisateurs d’Internet (AUI).

Retour en 1996

Fraîchement créé, le web pénètre dans les foyers français. C’est l’ère du modem 14.4 kbit/s. Le web, et Internet avant, en intéressent quelques-uns, et en inquiètent beaucoup. Le discours médiatique dominant – qui perdurera pendant des années – est alors : Internet est un dangereux repaire de néo-nazis, de pédophiles et de pirates. Le gouvernement n’est pas en reste. Rapidement, il sera question de le «contrôler», le «réguler», le «co-réguler», et l’”auto-réguler». L’une des solutions ? Surveiller et filtrer. Cacher les objets de délit, les contenus illégaux, des yeux des internautes français et faire peser la responsabilité sur les intermédiaires techniques.

La première tentative de législation est «l’amendement Fillon» de juin 1996.

Le projet de loi sur la réglementation des télécommunications, déclaré en procédure d’urgence, est en discussion au Sénat. François Fillon, alors ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l’Espace, dépose un amendement donnant le pouvoir à une autorité administrative d’ordonner le filtrage des réseaux aux prestataires techniques (fournisseurs d’accès et de contenus). La jeune AUI monte au front. Elle parle de texte “précipité, inutile, injustifié, techniquement inapplicable, et dangereux pour la démocratie et la liberté d’expression” et demande son retrait immédiat. L’amendement est adopté dans la nuit du 6 juin 1996. Pour être censuré par la Conseil Constitutionnel un mois plus tard.

Remise en contexte : affaires Usenet et UEFJ

L’amendement a été introduit suite à deux épisodes judiciaires : l’affaire Usenet et l’affaire UEJF. Fortement médiatisées, toutes deux lancent la polémique sur la responsabilité et le rôle des prestataires techniques.

Le 5 mars 1996, l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) assigne en référé neuf intermédiaires techniques (Oléane, Compuserve, Imaginet, etc.) au motif qu’ils permettent à leurs clients d’accéder à des contenus négationnistes. L’UEJF demande : «qu’il leur soit ordonné, sous astreinte, d’empêcher toute connexion (…) à tout service ou message diffusé sur le réseau Internet quelle qu’en soit la provenance, méconnaissant ostensiblement pas sa présentation, son objet ou son contenu, les dispositions de l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1991». Dite loi Gayssot. Au passage, une autorité (Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale) est chargée de fixer ces filtrages. Pour l’anecdote, la liste de FAI a été piochée par l’avocat de l’UEJF dans un “Que sais-je”. Le 12 juin, le TGI de Paris rejette la demande (pdf). «L’issue [de l’instance] ne saurait être marquée par l’institution d’un système global de prohibition et de censure préalable» indique l’ordonnance.

Deux mois plus tard, le 6 mai 1996, Sébastien Socchard, gérant de World-NET, et Rafi Haladjian, PDG de FranceNet sont arrêtés et mis en examen sur ordre du Ministère public pour «diffusion d’images à caractère pédophile». Ces images ont été postées sur Usenet, un réseau international décentralisé de forums de discussion, partagé par les FAI comme par les universités. Sur la base de l’article 227-23 du Code pénal, il est reproché aux deux FAI, d’avoir permis, via leurs serveurs, l’accès à ces contenus. Les médias associent alors le nom des deux dirigeants à une affaire de pédophilie sur Internet. L’instruction aboutira trois ans plus tard à un non-lieu.

De l’exemption de responsabilité au filtrage

“Actuellement, notre pays est désarmé lorsque des documents contraires à la loi française sont diffusés sur Internet. Je pense en particulier aux thèses révisionnistes et aux réseaux pédophiles, explique François Fillon. Deux chefs d’entreprise ont été mis en examen il y a peu de temps, au motif que des documents condamnables transitaient par la porte d’accès qu’ils offrent à Internet, ce qui est un contresens, puisqu’ils n’étaient pas responsables des thèses diffusées.» Avant de présenter son amendement comme un moyen d’exempter la responsabilité pénale des intermédiaires techniques.

Mais il est associé à une autre volonté. «En bon politique, il ne pouvait pas se contenter de déresponsabiliser les intermédiaires techniques mais devait également faire en sorte que de telles images ne puissent plus être diffusées sur les réseaux» raconte Laurent Chemla dans Confessions d’un voleur.

Ainsi en échange d’une non-responsabilité pénale, les fournisseurs doivent suivre les « recommandations » d’un organisme administratif, le Comité supérieur de la télématique (CST). Placé sous l’autorité du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), ce dernier doit, selon les mots de Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques, être «compétent pour contrôler le contenu des services proposés sur les réseaux». Il ne s’agira pas «d’une censure brutale» ne manquait-il pas de préciser. Le Comité était «chargé d’établir ce que les citoyens pouvaient dire ou faire sur l’Internet et disposait du pouvoir de censure sur tout contenu qui lui aurait semblé illégal» résume de son côté Laurent Chemla.

Image CC Geoffrey Dorne

Que dit l’amendement Fillon ?

L’amendement n°200, vient modifier la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, en y introduisant trois nouveaux articles : 43-1, 43-2 et 43-3.

L’article 43-1 oblige les fournisseurs d’accès et de contenus à “proposer à ses clients un moyen technique leur permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner”. François Fillon explique qu’il s’agit d’offrir «des outils de responsabilité individuelle, (…) des logiciels permettant de bloquer l’accès à certains services. Ceci permettra un contrôle par les parents des mineurs“. Curieux glissement de la question de l’accès aux «thèses révisionnistes et réseaux pédophiles » au logiciel de contrôle parental. Cet article implique donc une obligation de moyens.

Par l’article 43-2 charge le CST «d’élaborer des recommandations propres à assurer le respect» par les intermédiaires techniques «des règles déontologiques adaptées à la nature des services proposés». Au sein du Comité, une instance émet «un avis sur le respect des recommandations» par un service. Si l’avis est négatif, il est publié au Journal Officiel. Et les fournisseurs ont obligation de le bloquer. À noter que, la composition et les modalités de fonctionnement sont définis par décret et que son président est désigné par le CSA parmi des «personnalités qualifiées» nommés par le ministère des Télécommunications .

Le CST allait ainsi devenir l’organe directeur de l’Internet français, une sorte de Léviathan, gouverneur de l’espace virtuel, conférant aux FAI la responsabilité d’exécuter ses décisionsécrit Lionel Toumhyre, directeur de Juriscom.

Enfin par l’article 43-3, les prestataires «ne sont pas pénalement responsables des infractions résultant du contenu des messages diffusés» à la condition de respecter les deux articles précédents : proposer des logiciels de filtrage et bloquer l’accès aux contenus désignés par le CST. «Alors que l’article 43-3 semblait instaurer une responsabilité d’exception pour les FAI, il s’agissait en fait d’une véritable présomption de responsabilité, les prestataires étant tenus de respecter à la lettre les avis du Comité supérieur de la télématique pour bénéficier d’une éventuelle exonération» analyse Lionel Toumhyre.

Une loi «injustifiée juridiquement et techniquement »

«Internet véhicule de très nombreuses informations, dont certaines ne sont effectivement pas conformes à notre législation » avance le sénateur communiste Claude Billard lors de l’examen du texte en séance. Avant d’expliquer que l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme – qui garantit à tout citoyen la liberté d’expression dans les limites déterminées par la loi – «pourrait et devrait, à lui seul, fournir un cadre juridique permettant de poursuivre les auteurs d’abus commis sur Internet.»

Il poursuit : «Aujourd’hui, la prostitution enfantine, la pédophilie, le racisme et le révisionnisme doivent être combattus avec détermination, et l’arsenal juridique existe. Mais, demain, les discussions politiques, celles qui portent sur le thème de la grève, ne risquent-elles pas de faire l’objet d’un traitement semblable ? On connaît les possibilités de dérapages qui pourraient découler de l’existence d’un tel comité.»

Mêmes craintes du côté de l’Association des Utilisateurs de l’Internet qui, en quelques jours, monte un mouvement d’opposition au projet. Dans un communiqué daté du 11 juin 1996, l’association demande le retrait de l’amendement, au nom du même article 11. Elle estime que l’institution du CST «étant inutile ainsi qu’injustifiée juridiquement et techniquement, ne peut servir qu’à satisfaire des enjeux n’ayant rien à voir avec la démocratie et la citoyenneté»
.

«Ce que je lis sur l’amendement “Fillon” est tout simplement délirant ! »

Devant les attaques, François Fillon reçoit l’AUI et vient discuter sur les forums. «Ce que je lis sur l’amendement “Fillon” est tout simplement délirant !, écrit-il. Le seul objectif de cet amendement est de protéger les “access providers”.» Il rappelle que leur responsabilité sera «dégagée» s’ils «suivent les recommandations déontologiques» du CST, et d’insister : «J’ai bien dit “recommandations” et non pas décisions».

«Certes, mais lorsque ces recommandations, si elles ne sont pas respectées, impliquent la responsabilité du fournisseur, alors il n’est plus question de ’simple recommandation’ mais bel et bien de décision, même si ce mot n’est pas employé, lui répond Laurent Chemla. En plus simple, ça donne ‘On ne vous impose rien, mais si vous ne suivez pas nos recommandations, vous êtes en position d’être poursuivi.’”

Selon l’AUI, le troisième article établit une «obligation de résultats» de la part des fournisseurs, aux «conséquences pénales». Or juge t-elle, une telle obligation est impossible. Elle démontre (déjà) en quoi le filtrage est «techniquement inapplicable» car inefficaces (facilement contournables), dangereuses pour le réseau (ralentissement) et pour la liberté d’expression (blocage de sites légaux).

Treize en plus tard, on retrouve exactement les mêmes éléments : «obligations de résultats» dans la Loppsi (avec 75.00 euros d’amende et un an d’emprisonnement) d’une part, et démonstrations que le filtrage est inefficace, dangereux et coûteux (pdf) de l’autre.

«Personne ne disait rien»

À peine créée, l’AUI s’est retrouvée confrontée à ce texte de loi «qui prétendait créer un «Conseil supérieur de l’Internet» chargé, déjà, de dicter aux intermédiaires les filtres à appliquer, les sites à censurer, les contenus à effacer, raconte Laurent Chemla. Et personne ne disait rien.

Nous étions moins d’une dizaine et pour la plupart n’avions jamais eu la moindre activité politique. Et pourtant, nous avons pu empêcher le gouvernement de faire passer une loi à nos yeux inutile et dangereuse, poursuit-il. Un intense travail de lobbying téléphonique, mené avec l’aide d’autres activistes débutants, a permis de convaincre soixante députés du Parti socialiste de déposer un recours devant le Conseil constitutionnel.»

Le 24 juin, un recours est déposé devant le Conseil Constitutionnel.

Les auteurs de la saisine soutiennent que les articles 43-1 à 43-3 sont «entachés de plusieurs vices d’inconstitutionnalité». Selon eux, le CST se trouve doté de pouvoirs propres en méconnaissance de l’article 34 de la Constitution (les droits civiques et les garanties fondamentales sont fixées par la loi) et des articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme. Et la mise en place de règles déontologiques par une autorité indépendante dote celle-ci de pouvoirs d’interprétation de la loi pénale et «porte atteinte à la compétence du législateur qui seul peut fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques». De plus, ils estiment que la définition d’une déontologie servant de base à l’adoption d’avis propres à déclencher des poursuites pénales s’apparente «à l’édiction déguisée d’une procédure d’autorisation préalable».

Le 23 juillet, les Sages déclarent les articles 43-2 et 43-3 contraires à la Constitution. Se fondant sur l’article 34 de la Constitution, ils reconnaissent que seul l’État a le pouvoir d’assurer et de déterminer les modalités d’exercice des libertés publiques, notamment la liberté d’expression. Et ce pouvoir ne peut pas être délégué à une autorité indépendante comme le CST.

De l’amendement Fillon à la Loppsi

Le 10 juin 2009, le Conseil Constitutionnel se basera sur ces mêmes principes (article 34 de la Constitution et article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme) pour censurer une partie de la Loi Création et Internet. Notamment les pouvoirs donnés à l’autorité administrative indépendante créé par la loi : l’Hadopi.

Et pourtant.

Quatorze ans après «l’ amendement Fillon » et la censure du Conseil Constitutionnel, on retrouve les mêmes ingrédients dans la Loppsi.

Dans le projet de loi initial, le blocage de sites est décidé par la seule autorité administrative. En janvier dernier, lors de l’examen du texte en commission des lois à l’Assemblée nationale, le député UMP Lionel Tardy fait adopter, à l’unanimité, contre l’avis du rapporteur Eric Ciotti, la nécessité d’avoir recours à une décision judiciaire préalable. Le 11 février, l’amendement reçoit l’aval de l’Assemblée nationale. Le texte doit alors être examiné au Sénat. Retour à la case départ. Le 2 juin, en Commission des Lois, le sénateur et rapporteur UMP Jean-Patrick Courtois fait voter un amendement visant à supprimer «après accord de l’autorité judiciaire». Ce dernier explique que la censure appliquée à Hadopi ne vaut pas ici car la disposition proposée ne «tend pas à interdire l’accès à Internet, mais à empêcher l’accès à un site déterminé en raison de son caractère illicite». Ce que faisait l’amendement Fillon, et il a été censuré.

La Loppsi sera débattue au Sénat à la rentrée.

N’oubliez pas de télécharger l’affiche de une format poster réalisée par Geoffrey Dorne /-)

Crédit CC Flickr Horia Varlan et bunchofpants

Crédit Image : CC Geoffrey Dorne

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Sandrine Bélier : « Loppsi nous prépare à l’enfer en termes de restriction des libertés publiques » http://owni.fr/2010/02/10/sandrine-belier-%c2%ab-loppsi-nous-prepare-a-l%e2%80%99enfer-en-termes-de-restriction-des-libertes-publiques-%c2%bb/ http://owni.fr/2010/02/10/sandrine-belier-%c2%ab-loppsi-nous-prepare-a-l%e2%80%99enfer-en-termes-de-restriction-des-libertes-publiques-%c2%bb/#comments Wed, 10 Feb 2010 15:06:28 +0000 Reversus http://owni.fr/?p=7895 Alors que les débats autour de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) ont lieu actuellement à l’Assemblée, nous avons pu interviewer S.Bélier, eurodéputée en pointe dans ce combat.  L’enjeu est de parvenir à dépasser le cadre du Web  car ce sont nos libertés publiques qui sont menacées…


Que pensez-vous du projet de loi Loppsi actuellement à l’étude en France ?

J’en pense que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » et qu’en l’occurrence ce texte nous prépare à l’enfer en termes de restriction des libertés publiques et individuelles. Je ne suis pas par nature angoissée mais force est de constater que ce texte ne garantit aucune protection contre des risques de dérapages ultra-sécuritaires, et qu’il s’inscrit, plus particulièrement pour ce qui concerne Internet, dans une tendance généralisée à l’échelle européenne de mise sous contrôle du Net et d’appropriation de celui-ci par les pouvoirs publics comme outil de surveillance des citoyens.

Le gouvernement entend réguler Internet, pensez-vous que la neutralité du Net soit menacée ?

Oui, j’ai le sentiment qu’il y a une vraie menace. Filtrage et blocage du Net sont aujourd’hui des expressions courantes dans l’arsenal législatif présenté par un gouvernement particulièrement décomplexé dans son rapport aux libertés publiques. Avec Loppsi, après Hadopi, on franchit une nouvelle étape, en exigeant des fournisseur d’accès à Internet  (FAI) qu’ils exercent eux-mêmes des pouvoirs de contrôle et de police (en principe réservés aux autorités judiciaires et juridictionnelles) !

L’article 4 du projet de la Loppsi dispose que «(…) le présent projet d’article met à la charge des fournisseurs d’accès à Internet l’obligation d’empêcher l’accès des utilisateurs aux contenus illicites. La liste des sites dont il convient d’interdire l’accès leur sera communiqué sous la forme d’un arrêté du ministre de l’intérieur. (…)». Même si cette disposition a quelque peu évolué depuis, la garantie de la neutralité du Net est dans l’esprit de ce seul texte originel particulièrement remise en question…

Si on peut trouver cela aberrant, ce n’est malheureusement pas très surprenant au regard de la logique que semble poursuivre le gouvernement de Nicolas Sarkozy depuis quelques mois en France et en Europe.

Comment entendez-vous mener le combat contre ces dérives ?

D’abord en tentant de déplacer le débat dans l’espace public par tous moyens de communication. Il faut informer et donner les clés de compréhension des enjeux relatifs au contrôle du Net au plus grand nombre de citoyens, de plus en plus nombreux à utiliser Internet. Si généralement je préfère m’inscrire en tant que « force de proposition », dans les circonstances présentes, en tant qu’élue je me sens le devoir de ne pas rester silencieuse et d’alerter citoyens et élus sur les dérives et menaces qui pèsent sur la protection de leurs droits individuels et collectifs.

Ensuite, en tant qu’élue européenne au sein du Parlement Européen, j’entends, avec mes collègues, user du pouvoir d’initiative et législatif qui est le nôtre pour garantir le droit d’usage et d’accès à Internet ; pour protéger les Internautes, notamment dans leur droit à l’information, à la liberté d’expression et à la protection de leurs données personnelles. Au sein du groupe des Verts européens, nous avons commencé à travailler sur une Bill of Rights des Internautes. Nous prévoyons de largement diffuser ce texte pour qu’élus, blogueurs, simples citoyens viennent l’enrichir et lui donner la plus grande pertinence possible avant de le soumettre à la Commission Européenne et au Parlement Européen.

La Commission européenne peut-elle jouer un rôle?

En tant qu’exécutif européen, oui. L’Internet Core Group (Groupe de travail affilié au groupe des Verts européens, en charge – notamment – de la rédaction d’une Bill of Rights) auquel je participe a prévu d’engager un dialogue avec certains Commissaires sur ces questions. Mais là encore, même si nous avons l’oreille de certains, n’oublions pas que nous sommes dans un rapport politique difficile avec quelques Etats membres réunis au sein du Conseil et que c’est le rapport de force que nous réussirons à établir qui garantira les mesures protectrices possibles. Et nous avons besoin du soutien du plus grand nombre pour peser – c’est avec le maximum d’élus, de citoyens et d’associations que nous arriverons à préserver les libertés publiques.

Face aux critiques des internautes, le gouvernement met en avant la nécessité de filtrer les sites pédopornographiques? Que pensez-vous de cet argument et quel est selon vous le meilleur moyen d’agir contre ces sites?

C’est un argument commode, en ce sens que personne ne peut être opposé à la lutte contre la pédopornographie. Ce qui me surprend davantage, c’est que c’est le même motif qui a servi à Nicolas Sarkozy, lors de la présidence française de l’Union européenne, à justifier la riposte graduée. C’est encore ce même motif que Christine Albanel, alors ministre de la Culture, a avancé pour motiver l’Hadopi. J’ai le sentiment que cet argument n’est rien d’autre qu’un épouvantail pour cacher les vrais motifs du gouvernement. Il faut veiller, en ces temps difficiles de crise, à ce que l’invocation du « terrorisme » ou de la « pédopornographie », que tout le monde craint et contre lesquels tout le monde veut lutter, ne soient pas le prétexte à des restrictions abusives des libertés publiques…

Il y a des limites à ne pas franchir pour ne pas glisser dans un Etat policier. Il y a des principes et équilibres démocratiques qu’il faut veiller à maintenir et sauvegarder: le rôle et la place du pouvoir judiciaire dans cet équilibre est primordial pour garantir le respect des droits fondamentaux par le pouvoir exécutif lui-même.

En ce qui concerne le meilleur moyen de lutter contre les sites pédopornographiques, en toute honnêteté, je ne suis pas techniquement compétente pour répondre à cette question, mais les compétences existent, il suffit de vouloir les trouver…

Quel est votre avis sur la technologie DPI (Deep Paquet Inspection) permettant le blocage par inspection de contenus? Nathalie Kosciusko-Morizet affirmait que le gouvernement privilégierait un filtrage manuel, est-ce rassurant?

Je vous répondrai, avec un peu d’ironie, par une autre question : vous sentiriez-vous moins menacé si une censure était exercée par un individu plutôt que par une machine? Dans une moindre mesure, on pourrait répondre que oui mais soyons un peu sérieux. NKM peut habiller la chose de la manière qu’elle veut, le filtrage reste du filtrage et n’est pas particulièrement une référence en matière de respect de l’Etat de droit et de démocratie…

Quel regard portez-vous en tant qu’eurodéputée  sur la censure dans la diffusion de vidéos en ligne en Italie et sur la loi sur l’économie durable en Espagne ? Doit-on craindre de telles mesures en France ?

Concernant l’Espagne, la France n’en est malheureusement pas loin. Si des associations comme la Quadrature du Net, quelques élus et un nombre croissant d’Internautes n’avaient pas tiré la sonnette d’alarme, nous ne nous poserions même plus la question de la place de la France dans ce triste peloton de tête…

Quant à l’Italie, qu’une webTV ou une plateforme comme Youtube ou Dailymotion soient placées sous tutelle morale et financière du ministère de la Communication fait froid dans le dos. J’aimerais d’ailleurs sur ce point que mes collègues du PPE (droite parlementaire européenne, dont les élus UMP, ndlr) au Parlement repensent aux conséquences de certains de leurs votes, comme cet automne lorsqu’ils ont refusé de soutenir la résolution sur la liberté de la presse en Italie

Quant au fait de savoir si de telles mesures sont envisageables en France, Nathalie Kosciusko-Morizet nous l’a dit : la France n’est pas la Chine. Pour autant, je serais plus rassurée si nous avions des mesures réglementaires nous garantissant que ce type de dérives sont impossibles et contrôlées…

Que pensez-vous des négociations de l’UE qui ont lieu autour de l’accord commercial anti-contrefaçon  dit ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) ? Pourquoi le grand public est-il à ce point laissé dans l’ignorance?

Officiellement, on nous dit que l’opacité est une règle établie en temps de négociations. On nous dit encore que c’est une des exigences des Etats-Unis… Même les parlementaires européens n’ont aucune information sur cette négociation, malgré une demande exprimée par une résolution du PE de mai 2009, ou encore la procédure de co-décision pour les traités internationaux… C’est une situation que je n’explique pas et que je trouve tout simplement inacceptable

Vous avez évoqué dernièrement la nécessité de constituer des droits numériques. Pourtant, faut-il établir cette distinction selon vous ? Quels en sont les objectifs juridiques?

L’idée est de s’appuyer sur les droits fondamentaux existants à l’échelle européenne et d’en enrichir le spectre eu égard aux spécificités d’Internet – cela a été le cas en son temps pour la liberté de la presse. Le droit à l’accès à Internet par tous, nous l’avons déjà dit, doit par exemple être reconnu comme un droit fondamental. Internet aujourd’hui c’est un espace dans lequel s’exerce la liberté d’expression et d’information. Le monde a changé : couper l’accès à Internet à une personne, c’est la couper de son environnement professionnel, familial et social…

L’objectif c’est d’adapter nos droits protecteurs à l’époque dans laquelle nous vivons, tout simplement.

Le pearltrees de Stanjourdan afin de comprendre l’intégralité des enjeux autour du projet de loi LOPPSI :

loppsi

» Article initialement publié sur Reversus

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