OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Pour une “virginité” numérique des enfants http://owni.fr/2010/10/20/pour-une-virginite-numerique-des-enfants/ http://owni.fr/2010/10/20/pour-une-virginite-numerique-des-enfants/#comments Wed, 20 Oct 2010 15:26:38 +0000 Cedric Motte http://owni.fr/?p=32242 Mes enfants sont (très) beaux, en bonne santé, et leurs yeux pétillent d’intelligence. Parfois, quand je vois les photos des autres copains sur Facebook ou ailleurs en ligne, vient l’envie de les “montrer” – afin d’attirer des commentaires qui sont autant de compliments, ne nous leurrons pas sur nos motivations de parents exhibitionnistes.

Pourtant je m’y refuse.

Pire, à chaque fois que des personnes passent à la maison et prennent des photos des enfants, je casse l’ambiance en leur précisant, sans négociation possible : “Ne mettez pas les photos sur le Net, et évidemment pas sur Facebook”.

Et à chaque fois, l’étonnement se mêle à l’incompréhension. “Ah bon ? Mais pourquoi ?” ; “Mais tu sais qu’on peut gérer les paramètres de confidentialité ?” ; “T’as peur de quoi ?”

Jusqu’ici, je n’ai jamais apporté de réponse claire et définitive : je refuse sans explication.

Les raisons énoncées ci-dessous tentent d’expliquer pourquoi. Certaines vont paraître recevables, d’autres complètement barrées. À vous de me dire si ce refus tient la route ou s’il s’agit d’une position anachronique…

Capture d'écran de la recherche "garçon enzo" sur Google Images

Vos amis sur Facebook ne sont pas les miens…

Une raison que j’estime suffisante. Autant vous avez toute ma confiance, autant je n’en ai aucune vis-à-vis de vos contacts.
“Les amis de mes amis sont mes amis” vaut pour plein de trucs (partager une bière, jouer à la pétanque, travailler, etc.) ; certainement pas pour ce qui est de la vie privée. Et tant que les enfants sont petits, je gère leur vie. Quand ils prendront leur indépendance sociale, ils feront ce qu’ils décident, après de (potentiellement vaines) tentatives d’éducation aux “social media” pendant les repas dominicaux.

… “oui mais toi, tu les contrôles tes amis non ?”

Tout à fait. Avec les règles de confidentialité de Facebook, cela ne devrait pas me poser de problème de poster des photos de mes enfants sur mon compte. Sauf que les règles valables aujourd’hui peuvent changer à tout moment. Pour vous la faire courte, je n’ai aucune confiance dans ce que fait Facebook.

“Et pourtant, tu décides pour eux de leur entrée (ou non) en religion…”

“Être baptisé à un an et faire sa communion à neuf ans parce que les parents le décident, c’est autrement plus impliquant que d’avoir des photos sur Facebook non ?”

C’est évidemment bien plus impliquant, mais cela reste dans la sphère privée. Précisément, dans la sphère intime. La religion est une construction de soi (ou une dé-construction, selon certains points de vue…). Elle n’engage que l’enfant et sa famille sur ce que cela signifie pour lui et pour elle. Les discussions ont lieu entre nous, sans aucune publicité.

Plus tard l’enfant, une fois en pleine conscience de ce qu’est la religion, décidera ou non d’afficher son appartenance à celle choisie par ses parents. Mieux, il peut décider d’en changer ou devenir athée. Il est “libre de se libérer” s’il le désire.
À l’inverse, la publication de photos en ligne accessibles “par n’importe qui” le fait entrer dans des sphères semi-publiques. Pire, ce qui se dit aujourd’hui sur lui – dans les commentaires par exemple – est rattaché au profil de la personne qui commente. Via les commentaires laissés par mes amis et qui apparaissent dans mon flux d’activités, j’ai accès à un paquet de photos de gens que je ne connais pas.

Et vous, comment avez-vous configuré la confidentialité de vos photos ?

Mon profil est entièrement public. Décision professionnelle, pour faciliter ma présence en ligne.
Du côté des amis moins impliqués dans le milieu d’Internet – voir totalement éloignés – les règles de confidentialité sont extrêmement disparates, mais bon nombre sont publics – ce qui est l’option par défaut. Vais-je devoir vous demander de changer vos paramètres pour une photo d’un enfant ?

“Et les photos dans le journal local, quand y a le cross des écoles ou le Père Noël ?”

Le journal local est… local. Certes, il est disponible en pdf sur le Net, mais dans le journal il n’est jamais indiqué les prénoms/noms des enfants. Et sur les photos, (sauf victoire au cross…), votre enfant est perdu au milieu d’autres enfants.

“Pourquoi pas un pseudo ?”

Une option serait de ne pas les nommer avec leur vraie identité. D’ailleurs, ils ont déjà un surnom dans la famille, surnom tout à fait adapté pour un pseudo. “Ben alors ?”

Connaissez-vous iPhoto ? Savez-vous quelle nouvelle fonctionnalité teste “Face”book en ce moment ? Avez-vous joué avec la dernière version de Picasa ? Partout, tout le temps : la reconnaissance faciale.
Tout ceci m’amène à l’argument le plus important à mes yeux : les enfants ont le droit à une “virginité numérique”. Pour cette génération, les traces laissées en ligne depuis leur enfance vont les suivre une bonne partie de leur vie.
Or ces traces sont autant d’informations pour leurs futures rencontres en tant qu’adolescent et adulte. Auront-ils envie, adolescent, que de gentils camarades se moquent d’eux parce qu’ils ont trouvé des photos d’eux bébé ? En train de souffler un gâteau ? En train de jouer de la guitare difficilement ?

La question que je me pose, tout de même, c’est la possibilité inverse : noyer le tout dans une sur-abondance d’informations. On n’est jamais aussi bien caché que dans la foule. Si je publie un nombre colossal de photos, de vidéos, d’instants avec eux, il y aura une telle “littérature” qu’on sera perdu.

Mais pour le moment, je reste attaché à leur droit de décider de leur présence en ligne. Et vous ?

Billet initialement publié sur Chouingmedia sous le titre Quelle présence en ligne/identité numérique pour les enfants ?

Images CC Flickr _FuRFuR_

À lire aussi Le Monde confond photos et photos d’identité d’André Gunthert et Mes amis sur Facebook n’ont pas (encore) toutes leurs dents, par Marie-André Weiss

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Comment Facebook influence les relations parent-enfant ? http://owni.fr/2010/10/15/comment-facebook-influence-les-relations-parent-enfant/ http://owni.fr/2010/10/15/comment-facebook-influence-les-relations-parent-enfant/#comments Fri, 15 Oct 2010 06:30:29 +0000 Yann Leroux http://owni.fr/?p=31649 Avec un demi milliard de compte, Facebook fait partie du quotidien de beaucoup de familles. Comment est-ce que les parents et les enfants font avec cette nouvelle donne ? Comment est-ce que Facebook influence les interactions parent-enfant ? Comment est-ce que la communication sur Facebook influence l’intimité dans les relations parent- enfant?

C’est à ces deux questions que répond une étude de trois chercheurs de Singapour1. La méthode utilisée est celle de l’entretien de 17 couples parent-enfant. Les enfants vont de 15 à 25 ans tandis que les parents ont de 46 à 53 ans. Les sujets sont tous chinois, à l’exception d’une personne qui est indienne. Parents et enfants sont interviewés séparément.

Il y a indubitablement un contexte culturel à prendre en compte. Du point de vue occidental, certaines relations parent-enfant décrites dans l’article apparaissent au moins comme problématiques, mais il est possible qu’elles soient suffisamment amorties par la culture pour ne pas poser de difficulté importantes à l’enfant

Les résultats de l’étude sont très éloignés des craintes que l’on nourrit habituellement à propos de Facebook.

La première conclusion est que Facebook offre un objet de conversation supplémentaire. C’est un objet commun à l’enfant et au parent, et à ce titre il peut aider à la création de nouvelles complicités ou au renforcement de complicités anciennes. C’est Facebook dans son ensemble qui est un objet de conversation, et pas seulement en ce qui concerne le compte de l’enfant ou du parent. On y commente ce que l’on l’on peut y voir. Facebook permet également de se découvrir autrement : “je ne savais pas qu’elle avait autant d’humour. Elle ne me parle pas comme cela à la maison” dit un parent.

Facebook modifie les rapports d’autorité parent-enfant

Facebook est également un espace dans lequel chacun s’assure de ses liens avec l’autre. Le fait d’être accepté comme “ami”, la rapidité avec laquelle l’autre réagit aux update… donne une idée de la qualité de la relation. L’utilisation de Facebook a également permis aux parents de prendre davantage conscience du besoin d’intimité des enfants. L’expertise des plus jeunes change considérablement la coloration des relations parents enfants. Le pouvoir change de camp, ce qui dans la société chinoise qui fait une si grande place au culte des ancêtres est une modification majeure des relations parent-enfant.

Lorsque le lien parent enfant était jugé suffisant par les deux parties, l’impact de Facebook sur les relations était faible. Facebook pouvait être utilisé par un parent pour se rapprocher de son enfant, avec ou sans son accord.

En somme, Facebook est un outil qui permet surtout à ceux qui ont de bonnes relations de les établir également en ligne. Etre “amis” sur Facebook est un signe de confiance envoyé par les enfants aux parents. Coté parent, le site de réseau social fonctionne comme un pont qui permet a deux générations d’être en contact. L’horizontalité du réseau social permet également de réduire la dissymétrie de la relation d’autorité : sur Facebook, tout le monde est dans le même bain, et les même règles s’appliquent pour tous.

Les auteurs trouvent que la vie partagée sur Facebook a un effet positif sur les relations parent-enfant. Elle a permis aux enfants d’avoir un peu plus d’intimité mais aussi elle donne aux parents et aux enfants de nouveaux sujets de conversation et de nouvelles activités partagées, comme naviguer ensemble sur Facebook.

1 Facebook est utilisé par 2,3 millions de personnes et a un taux de pénétration de 48% selon Facebakers[]

Télécharger le PDF de l’étude : Welcome to Facebook – How Facebook influences Parent-child relationship

Article initialement publié sur psyetgeek

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Mes amis sur Facebook n’ont pas (encore) toutes leurs dents http://owni.fr/2010/04/29/mes-amis-sur-facebook-n%e2%80%99ont-pas-encore-toutes-leurs-dents/ http://owni.fr/2010/04/29/mes-amis-sur-facebook-n%e2%80%99ont-pas-encore-toutes-leurs-dents/#comments Thu, 29 Apr 2010 18:25:07 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=13998 De plus en plus de parents créent une page Facebook ou Twitter au nom de leur enfant, parfois dès la naissance, et même quelquefois bien avant. Certains parents justifient cette pratique par la nécessité de fournir régulièrement aux grands parents de nouvelles photos du bambin sans devoir pour ce, horreur, accepter parents ou beaux-parents comme amis sur les réseaux sociaux.

Autre phénomène, certains parents utilisent la photo de l’un de leurs enfants pour avatar. Les parents, titulaires de l’autorité parentale, ont-ils un droit absolu de publier l’image de leur enfant mineur?

Le Children Online Privacy Protection Act

S’il n’est pas interdit selon les Conditions Générales d’Utilisation de Facebook d’utiliser comme avatar une image autre que notre propre photographie, il est en revanche interdit d’utiliser Facebook si l’on a moins de 13 ans, et le site ferme systématiquement les pages des bébés créées par leurs parents.

Le choix de l’âge de 13 ans comme âge limite n’est pas anodin pour cette compagnie soumise au droit des États-Unis. En effet une loi fédérale, le Children Online Privacy Protection Act (COPPA) exige que les créateurs de sites Internet collectant les informations personnelles d’enfants âgés de moins de 13 ans aient une politique de confidentialité adaptée, et obtiennent un consentement parental préalable et vérifiable.

En outre, le parent doit pouvoir refuser que ces informations soient divulguées à des tiers, et une option opt-out doit lui être proposée. Le parent peut même effacer les données personnelles de l’enfant ainsi collectées. Un site Internet qui ne respecterait pas les dispositions de cette loi encourt des peines d’amende jusqu’à 400 000 dollars.

L’autorité parentale

Le consentement des parents permet la collecte des données personnelles des enfants de moins de treize ans aux États-Unis. En France, l’article 371-1 du Code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », et elle doit être exercée dans le respect dû à la personne de l’enfant. Décider de publier la photographie de son enfant sur Internet, et d’ouvrir ainsi le traditionnel album de famille aux internautes, respecte-t-il la personne de l’enfant ?

Le droit à l’image

Chacun a droit au respect à sa vie privée selon l’article 9 du Code civil, et chacun a un droit sur sa propre image. Il s’agit d’un droit de la personnalité, c’est-à-dire d’un droit extra-patrimonial qui s’apparente à un droit de l’homme. Les parents sont les gardiens de ce droit de l’enfant, et ils doivent donner leur autorisation expresse pour que l’image de leur enfant soit utilisée par des tiers.

Ils peuvent ainsi s’opposer à la publication sur un site de réseau social d’une photographie de leur enfant mineur, même par une grand-mère, un oncle, ou un ami proche de la famille. De plus, selon la Cour de Cassation, le parent dont l’autorité parentale a été méconnue par la publication de l’image de son enfant mineur éprouve, du fait de l’atteinte à ses prérogatives, un préjudice personnel dont il peut obtenir indemnisation.

L’enfant mineur a-t-il le droit de prendre des décisions concernant son droit à l’image?

L’enfant mineur a-t-il des droits sur son image avant sa majorité ?Seul un parent peut autoriser la publication de son image. En 1972, la Cour de Cassation n’avait pas été convaincu par le moyen invoqué par une maison d’édition, qui avait publié des photographies d’un mineur illustrant sa liaison avec un de ses professeurs, selon lequel « les pouvoirs de l’administrateur légal ne sauraient aller jusqu’à déposséder le mineur de sa propre histoire, sous peine de le priver de toute individualité et de lui ôter la qualité même de personne humaine ».

Selon la Cour de Cassation « la divulgation de faits relatifs à la vie privée d’un mineur [est] soumise à l’autorisation de la personne ayant autorité sur lui ». Le mineur n’a pas le droit de prendre des décisions quant à la divulgation ou non d’informations appartenant à sa vie privée. Cette jurisprudence est toujours en vigueur après près de quarante ans.

Réponses possibles du législateur

Plutôt qu’aux parents, est-ce au législateur de protéger le droit l’image des mineurs? Viviane Reding, alors commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias, avait déclaré il y a un an que

« la protection de la vie privée doit être une priorité pour les fournisseurs et pour les utilisateurs des sites de socialisation. Il me paraît essentiel que les profils des mineurs (…) soient privés par défaut et inaccessibles aux moteurs de recherche ».

Si la France se dotait d’une loi obligeant les sites de réseaux sociaux à rendre inaccessibles par défaut les profils des mineurs, la publication des images des mineurs ne se ferait alors que dans le cadre, non du cercle de famille, mais des « amis » du réseau social, et la décision de permettre ou non à un tiers d’accéder à un profil appartiendrait toujours aux parents, qui contrôleraient ainsi le champ de diffusion des photographies.

Vers une gestion personnelle du mineur de son droit à l’image?

Pourrait-on envisager que le mineur ait bientôt le droit de gérer sa propre image? Dans un avis de février 2010 sur l’actuelle proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, la Sénatrice Catherine Morin-Desailly proposa d’adapter le Children Online Privacy Protection Act en droit français, mais en étendant les droits du mineur de plus de treize ans afin qu’ils puissent faire jouer « directement et personnellement le droit d’opposition ou de rectification des données publiées qui les concernent ».

Il est vrai que cette proposition de loi prévoit que les élèves soient informés des risques liés à l’utilisation d’Internet au regard de la protection des données personnelles et du droit à la vie privée. Mieux informés, les mineurs pourraient gérer efficacement l’utilisation de leur image sur Internet. Ils pourraient alors demander à leurs parents de supprimer leurs photographies publiés sur les réseaux sociaux.

On revient d’ailleurs désormais sur l’idée reçue que « les jeunes ne se soucient pas de leur vie privée », et plusieurs études parues récemment aux États-Unis tendent à prouver le contraire.

La proposition de loi ne sera peut-être jamais adoptée, mais, une fois majeur, l’enfant a plein contrôle sur son image. Mais Internet a beaucoup de mémoire, à tel point que le gouvernement français s’interroge actuellement sur la nécessité d’un droit à l’oubli.

Un droit à l’oubli de nos photographies?

Il n’existe pas actuellement en droit français de droit à l’oubli pour des faits relatifs à la vie privée licitement révélés au public. Il existe néanmoins un droit à l’oubli de nos données à caractère personnel. Si elles sont conservées sous une forme permettant l’identification de la personne, elles ne peuvent être conservées pendant une durée excédant la durée nécessaire à la finalité du traitement de données (article 6 de la loi « Informatique et Libertés »). En outre, l’article 38 de la loi donne à toute personne le droit de s’opposer à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement.

Dès l’âge de 18 ans, l’enfant pourra interdire à ses parents de publier sa photo sur Internet, au risque de se voir, sinon déshérité, du moins banni de leur compte Facebook

Merci à Sabine Blanc qui m’a donné l’idée de ce billet !

> Illustration CC par Leonidas Tsementzis sur Flickr

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Les parents jouent, l’enfant meurt : une nouvelle affaire de panique morale http://owni.fr/2010/03/13/les-parents-jouent-l%e2%80%99enfant-meurt-une-nouvelle-affaire-de-panique-morale/ http://owni.fr/2010/03/13/les-parents-jouent-l%e2%80%99enfant-meurt-une-nouvelle-affaire-de-panique-morale/#comments Sat, 13 Mar 2010 16:47:49 +0000 Yann Leroux http://owni.fr/?p=9954

prius-online-girl

“Un enfant meurt de malnutrition pendant que ses parents nourrissaient un bébé virtuel” Voilà le titre que que l’on a pu lire ici. Encore une histoire d’addiction aux jeux vidéo ? Un exemple du virtuel comme lieu d’évasion d’une réalité trop difficile ? Des parents indignes ? Non. Juste une histoire qui finit mal.

Le père a une quarantaine d’années. La mère est plus jeune, et elle a 25 ans. Elle fait des aller-retour entre la maison et le cyber-café pour nourrir l’enfant qui est âgé de trois mois. Le bébé est né prématuré, les parents utilisaient toute leur énergie à élever une enfant nommée Anima dans le jeu Prius. D’après la police, le couple a élevé ce bébé virtuel afin d’échapper à la réalité, ce qui à conduit à la mort du bébé réel.

La folie maternelle primaire

Mais peut-être est il possible de faire preuve d’un peu plus de psychologie que la locale locale ?

D’abord, on peut penser que les mécanismes d’attachement nécessaires au développement et à la sécurité  de l’enfant n’ont pas pu se mettre en place ou que leur efficience n’a pas été suffisante. Toutes les mères passent par un moment particulier pendant lequel leur seul intérêt est leur bébé. Elles en deviennent folles. Elles ne pensent qu’à lui, et lui attribuent des qualités merveilleuse. Winnicott avait appelé cet état la “préoccupation maternelle primaire”.

Parfois, cet état ne peut être atteint, soit parce que la mère est fragilisée, soit parce que l’état du bébé ne lui permet pas d’entrer dans les interactions nécessaires, soit parce que l’environnement autour de la mère n’est pas suffisamment sécurisé. La prématurité est un des éléments qui peuvent gêner la mise en place de cette préoccupation primaire. Devant la fragilité du nourrisson, l’angoisse du parent peut être si importante que les soins physiques et psychiques à donner au bébé deviennent impossibles. La mère peut par exemple se sentir trop blessée d’avoir donné naissance à un prématuré, c’est à dire de ne pas avoir pu le garder suffisamment. Elle peut alors se vivre comme “mauvaise” mère ayant abimé son bébé. Si elle n’est pas soutenue par un environnement qui la rassure elle pourra être incapable de rassurer et de soigner son bébé… Ou elle le soignera mal, et cette maltraitance peut entrainer la mort du bébé, comme cela a été le cas ici.

Bébé virtuel ou pas ?

Mais comment expliquer que les parents nourrissaient une enfant virtuelle ? Tout simplement par le fait qu’il n’y a pas d’enfant virtuel. Le policier qui a parlé à la presse n’était apparemment pas un gameur. En tous cas, il n’a pas pris le temps de se renseigner un peu sur cet “anima”. Dans Prius, le joueur contrôle son personnage, un colosse et est accompagné d’un PNJ nommé Anima [source : Jeux Online] La presse a insisté sur le “bébé virtuel” en mettant de côté l’immense brute qui accompagne aussi le joueur. Par ailleurs Anima n’est pas un bébé. C’est une femme qui a perdu la mémoire et qui la retrouvera grâce au joueur.Le gameplay de Prius met en scène trois personnages, et il n’est pas possible de savoir lequel des trois était l’objet des investissements préférentiels des parents : on ne sait même pas s’ils jouaient sur le même compte, ni même leur classe de personnage ! Aussi, il n’est pas du tout certain que ces parents “nourrissaient un bébé virtuel” tandis que le leur mourait de faim. Il y a dans la situation de départ : personnage joueur, grand, petit, amnésie suffisamment de choses pour susciter les investissements conscients et inconscients d’un joueur pour qu’on n’en reste pas à la situation parent-enfant et en restreignant celle-ci à la fonction nourricière.

Revoilà la panique morale

L’affaire est l’occasion de ranimer la panique morale autour des jeux vidéo. L’article du Guardian qui rapporte l’affaire rappelle qu’un jeune Coréen de 22 ans a tué sa mère après qu’elle lui a demandé avec insistance de passer moins de temps avec les jeux vidéo. Après l’avoir tué, il a tranquillement pris le chemin du cyber-café. Autre rappel : en 2005, un jeune homme meurt dans un cyber-café après une session de cinquantes heures de Starcraft. Les Coréens, nous dit-on, préparent des lois pour limiter le temps de jeu vidéo. Nous avons ainsi les trois figures de la panique moraleW : le fait divers, le battage médiatique, et la récupération politique.

Je voudrais rappeler qu’en  1933, deux jeunes bonnes ont massacré leurs maitresses après une remarque sur le linge à repasser. Genet en tiré une pièce – Les Bonnes – et l’affaire a fait l’objet de débats parmi les psychiatres. Lacan a donné un texte lumineux : Motif du crime paranoïaque. Comme pour le jeune homme coréen, rien ne laissait prévoir un tel crime. Comme pour le jeune Coréen, les sœurs Papin sont tranquillement retournées à leurs affaires une fois le crime passé. Mais à la différence du jeune Coréen, aucun psychiatre n’a eu comme idée d’incriminer le fer à repasser. Dans les deux cas, l’absence de motif rationnel indique la présence d’un trouble grave de la personnalité qui se traduit par un passage à l’acte meurtrier…

Pour prendre une affaire plus récente, lorsqu’un enfant d’un an meurt de faim parce  que la règle familiale veut que l’on dise Amen avant de manger, on ne parle pas d’addiction à la religion mais de processus sectaire.

Mais peut être qu’un jour regardera-t-on les jeux vidéo comme… des jeux ?

Vivement demain !

Billet initialement publié sur Psy et geek ;-)

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