OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les petits bras musclés de la CNIL s’ouvrent à la vidéosurveillance http://owni.fr/2011/04/28/les-petits-bras-muscles-de-la-cnil-souvrent-a-la-videosurveillance/ http://owni.fr/2011/04/28/les-petits-bras-muscles-de-la-cnil-souvrent-a-la-videosurveillance/#comments Thu, 28 Apr 2011 06:30:08 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=59455 Toute honte bue, dans un communiqué daté du 26 avril, la CNIL se réjouit de disposer “dorénavant d’un pouvoir de contrôle de tous les dispositifs de vidéoprotection installés sur le territoire national, y compris ceux installés sur la voie publique“. Et même de pouvoir “proposer au préfet d’ordonner des mesures de suspension ou de suppression du système contrôlé“.

La CNIL oublie cela dit de préciser que le nouveau cadre légal encadrant les questions de sécurité intérieure lui a fait perdre son pouvoir de sanction. Il lui interdit aussi de prononcer un avertissement public contre les contrevenants, ce qui, de l’aveu même de l’un des commissaires de la CNIL, “constitue une régression par rapport à la loi « informatique et libertés » de 1978“…

Dans un autre communiqué, où elle annonce son programme des contrôles 2011, la CNIL se félicite de pouvoir enfin “contrôler tous les dispositifs dits « de vidéoprotection »” :

Cette nouvelle compétence était nécessaire afin que le déploiement de ces dispositifs s’effectue sous le contrôle d’une autorité indépendante garante des libertés et du développement homogène de la vidéoprotection sur l’ensemble du territoire.

La Commission a décidé de mobiliser fortement ses ressources puisqu’elle s’est fixé comme objectif la réalisation d’au moins 150 contrôles portant sur ces dispositifs.

Le premier communiqué présente de fait cette “nouvelle compétence” comme une victoire remportée par la CNIL, et la LOPPSI comme une avancée pour les droits informatique et libertés :

La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) a grandement modifié le régime juridique relatif à la vidéoprotection.

Certaines de ces modifications concernent directement la CNIL : en particulier, elle est désormais compétente pour contrôler les systèmes de vidéoprotection, qu’ils soient installés sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, ce qu’elle réclamait depuis de nombreuses années.

Déjà, en septembre dernier, Alex Türk, président de la CNIL et sénateur du Nord, parvenait à convaincre ses collègues sénateurs de la pertinence de substituer le terme honni de “vidéosurveillance” par celui, béni par la LOPPSI, de “vidéoprotection“, au motif que cela rendrait plus facile l’installation de systèmes de vidéosurveillance par les maires… “de gauche”. Ces “nouvelles compétences de contrôle“, présentées comme “l’un des changements majeurs apportés par la LOPPSI“, étaient réclamées depuis 2008 par la CNIL :

Celle-ci dispose dorénavant d’un pouvoir de contrôle de tous les dispositifs de vidéoprotection installés sur le territoire national, y compris ceux installés sur la voie publique, qui relèvent de la loi du 21 janvier 1995.

Elle peut également mettre en demeure les responsables de ces systèmes si elle constate des manquements aux obligations qui s’imposent à eux (information du public, respect de la durée de conservation des enregistrements, limitation des destinataires des images, etc.).

Elle peut enfin proposer au préfet d’ordonner des mesures de suspension ou de suppression du système contrôlé.

Il en allait en effet de “la nécessité du contrôle par un organisme indépendant, des dispositifs de vidéoprotection” :

Le contrôle des surveillants constitue en effet une exigence fondamentale pour asseoir la légitimité de ces systèmes dans le respect des droits et libertés des citoyens.

Une régression par rapport à la loi « informatique et libertés »

Cependant, la lecture du compte-rendu de la commission mixte paritaire du 24 janvier 2011, à l’origine de la LOPPSI, tempère quelque peu cet enthousiasme :

Mme Delphine Batho, députée : Vous ôtez à la CNIL son pouvoir de prononcer un avertissement public contre les contrevenants !

M. Sébastien Huyghe, député : En tant que membre de la CNIL, je regrette qu’on lui fasse perdre son pouvoir de sanction – car un avertissement public est une sanction.

M. Jean-Paul Amoudry, sénateur : Je m’abstiendrai, car en ôtant à la CNIL le droit de prononcer un avertissement public, cet article constitue une régression par rapport à la loi « informatique et libertés » de 1978. J’approuve en revanche les autres modifications proposées par les rapporteurs.

A noter que Jean-Paul Amoudry, lui aussi, commissaire à la CNIL, n’a pas pris part au vote, contrairement à Alex Türk qui, lui, a voté pour la LOPPSI (voir ses explications).

De fait, l’article 18 de la LOPPSI définit clairement les limites de ce “contrôle des surveillants

Lorsque la Commission nationale de l’informatique et des libertés constate un manquement aux dispositions de la présente loi, elle peut, après avoir mis en demeure la personne responsable du système de se mettre en conformité dans un délai qu’elle fixe, demander au représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, au préfet de police, d’ordonner la suspension ou la suppression du système de vidéoprotection. Elle informe le maire de la commune concernée de cette demande.

L’énoncé et l’échelle des sanctions prévues par la LOPPSI montrent bien, par ailleurs, la très ferme volonté du gouvernement de réprimer extrêmement sévèrement les contrevenants de sorte que les peines s’avèrent éminemment dissuasives, conformément à la volonté de sévérité incarnée par la LOPPSI :

A la demande de la commission départementale, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou de sa propre initiative, le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent fermer pour une durée de trois mois, après mise en demeure non suivie d’effets dans le délai qu’elle fixe, un établissement ouvert au public dans lequel est maintenu un système de vidéoprotection sans autorisation.

Lorsque, à l’issue du délai de trois mois, l’établissement n’a pas sollicité la régularisation de son système, l’autorité administrative peut lui enjoindre de démonter ledit système. S’il n’est pas donné suite à cette injonction, une nouvelle mesure de fermeture de trois mois peut être prononcée.

Le préfet “peut” fermer, “peut” lui enjoindre de démonter ledit système, “peut” prononcer une nouvelle mesure de fermeture de trois mois… Dit autrement, le préfet “peut” aussi “ne pas“. On parie qu’il le fera ? Allez “hop boum boum crac crac Gouzigouza“…

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Mise à Jour : voir également la réponse de la CNIL, qui conteste le terme de “régression” qui avait pourtant bien été employé, à l’Assemblée, par l’un des commissaires de cette même CNIL.

Illustrations : pochettes de disques des Musclés extraites de Bide & Musique et d’un site perso consacré aux Musclés.

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Docteur Alex et Mister Türk http://owni.fr/2010/09/30/docteur-alex-et-mister-turk/ http://owni.fr/2010/09/30/docteur-alex-et-mister-turk/#comments Thu, 30 Sep 2010 07:00:27 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=29820 Président de la CNIL, Alex Türk avait critiqué l’Hadopi. Sénateur (non inscrit, mais ex-RPR) du Nord, Alex Türk avait ensuite voté pour l’Hadopi. Puis vint la LOPPSI. Que croyez-vous qu’il fit ? Non… Si ! Mieux : il a aussi défendu la façon, très novlangue orwellienne, qu’a le gouvernement de vouloir remplacer “dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot : « vidéosurveillance » par le mot : « vidéoprotection »“, et voté contre trois amendements de l’opposition visant à sa suppression.

D’après le PS, la LOPPSI serait le 17e projet de loi sécuritaire depuis 2002. Le PC, lui, en a dénombré 23, et le Centre 30. Loi “fourre-tout” visant à améliorer la “performance” en matière de sécurité, la LOPPSI ne prévoit aucune embauche de gendarmes ni policiers. Elle investit par contre énormément dans les nouvelles technologies, considérées comme “l’une des principales priorités” de la LOPPSI (voir La LOPPSI kiffe grave les nouvelles technologies).

Or, et comme le soulignait très justement le Groupement des industries de l’interconnexion des composants et des sous-ensembles électroniques (Gixel) dans un Livre bleu :

La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles, il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles.

Le Gixel invitait ainsi pouvoirs publics et industriels à accompagner les mesures développées “pour faire accepter” la biométrie par “un effort de convivialité (…) et par l’apport de fonctionnalités attrayantes” :

. Éducation dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants.
. Introduction dans des biens de consommation, de confort ou des jeux : téléphone portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo
. Développer les services « cardless » à la banque, au supermarché, dans les transports, pour l’accès Internet, …”

Constatant que la même approche ne pouvait pas vraiment être utilisée “pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle“, le Gixel proposait enfin de “recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gène occasionnée“.

Et c’est exactement ce pour quoi le gouvernement a introduit, par voie d’amendement (il ne figurait pas dans le projet de loi, on se demande bien pourquoi), l’article 17a de la LOPPSI qui vise à remplacer, “dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot : « vidéosurveillance » par le mot : « vidéoprotection »“, au motif que :

Le mot de « vidéosurveillance » est inapproprié car le terme de « surveillance » peut laisser penser à nos concitoyens, à tort, que ces systèmes pourraient porter atteinte à certains aspects de la vie privée.

“Une caméra, ça n’a aucune sensibilité!”

Au Sénat, l’opposition avait déposé pas moins de trois amendements visant à la suppression de cet article, qualifié de “visée mystificatrice” dans la mesure où “le fait de filmer une infraction, n’empêchant pas le délinquant de la commettre, ne protège en rien la victime“.

Rappelant que 75% du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) était alloué au développement de la vidéosurveillance, alors même que son efficacité n’était que de l’ordre de 1%, Eliane Assassi, sénatrice communiste de Seine Saint Denis, souligna que “le marché de la vidéosurveillance a explosé, passant de 473 millions d’euros en 2000 à 750 millions en 2006“, soit +60%, et que ce “marché juteux” reste souvent dans “une grande opacité“, faute d’information sur le coût, l’efficacité et le fonctionnement de ses dispositifs :

Il me semble que l’on assiste à une privatisation rampante du domaine public.

Pour Alima Boumediene-Thiery, sénatrice socialiste de Paris, “il ne s’agit pas d’une « bagarre sémantique ». Les mots ont un sens, et il faut avoir le courage de ses idées !” :

Pourquoi mentir aux citoyens ? Il s’agit non pas de protéger, mais de surveiller ! Appelons un chat un chat !

Entre autres arguments, les représentants de la majorité, et du gouvernement, avancèrent de leur côté que le terme de « vidéoprotection » correspondait mieux à l’évolution des mentalités, qu’elle permettait également d’innocenter les éventuels suspects “qui n’ont rien à se reprocher“, de rassurer les bijoutiers et même, comme l’a rapporté Louis Nègre, sénateur UMP des Alpes Maritimes, de retrouver les malades d’Alzheimer perdus dans la ville “dans les cinq minutes“.

Les journalistes de StreetPress, qui ont testé l’efficacité de la vidéosurveillance à Levallois-Perret, apprécieront : les policiers du PC de vidéosurveillance de Levallois-Perret, où ils étaient en reportage, ont mis 13 minutes à repérer deux autres journalistes, “aisément identifiables par les poms-poms jaunes de cheerleader qu’ils agitent”, placés sur une avenue fréquentée de Levallois…

Autre argument, avancé par Louis Nègre, l’impartialité : contrairement aux policiers, les caméras n’ont pas d’états d’âmes, et ne risquent ni de péter les plombs, permettant ainsi d’éviter toute bavure…:

Certes, d’aucuns réclament des effectifs de police supplémentaires; tout le monde veut voir du “bleu” sur le terrain, et on comprend bien pourquoi. Mais, dans le même temps, lorsqu’une caméra, qui est parfaitement impartiale – une caméra, ça n’a aucune sensibilité !- filme en continu, les braves gens le savent et sont contents.

Ne dites plus fouille corporelle, mais… “guili-guili”

Winston Smith, le héros de 1984, le roman de George Orwell, était chargé par son employeur, le Ministère de la Vérité, de revoir et corriger les archives afin que le passé corresponde à la version officielle du Parti…

Au contraire de Winston Smith, qui essayait de dénoncer Big Brother en écrivant son journal dans un coin de son appartement qui échappait au regard omniprésent du “télécran”, et donc de la Police de la Pensée, Alex Türk, lui, a décidé de la justifier, et il remporte haut la main la palme de la novlangue.

Invité à expliquer ce pour quoi il allait voter contre les amendements, et donc pour le remplacement du terme vidéosurveillance par celui de « vidéoprotection », Alex Türk s’est justifié en avançant que cela rendrait plus facile l’installation de systèmes de vidéosurveillance par les maires… “de gauche” :

J’aborderai l’aspect purement sémantique du débat en vous faisant part d’un constat. Dans le département du Nord, beaucoup plus de communes de gauche que de communes de droite recourent à des systèmes vidéo. Et les maires de gauche que je rencontre – j’en rencontre autant que de maires de droite – reconnaissent que le terme « vidéoprotection » passe mieux auprès de leurs administrés.

J’en conviens, il s’agit avant tout de communication politique. Mais si cette expression permet d’aider les maires qui ont fait le choix, comme c’est leur droit, de recourir à un tel système, je ne vois pas pourquoi on les empêcherait de l’utiliser.

Par conséquent, la querelle sémantique ne me paraît pas avoir beaucoup de sens. Même si certains pensent que la notion de « vidéosurveillance » correspond mieux à la réalité, le terme de « vidéoprotection » s’imposera par la force des choses, puisque les maires y trouveront un avantage.

Comme le note le Canard Enchaîné, qui relève cette incongruité dans son édition de ce mercredi 29 septembre 2010, “si ce n’est que ça, il n’y a qu’à baptiser le Flash-Ball “bubble-gum”, la matraque “bâton de zan”, la fouille corporelle “guili-guili” et offrir à Türk un nez rouge pour amuser les enfants…”.

Le lendemain de sa défense et illustration de la “vidéoprotection“, Alex Türk votait pour la LOPPSI, celle-là même qu’il avait pourtant critiquée dans un avis de la CNIL, signé de son président, Alex Türk.

Certes, le texte adopté au Sénat diffère de celui sur lequel Alex Türk avait été amené à se prononcer. Mais il n’a aucunement fait mention des aspects litigieux sur lesquels la CNIL s’était déclarée “extrêmement réservée” et qui restent gravés dans le projet de loi : absence de traçabilité des mouchards informatiques, extension des fichiers d’analyse sérielle, recours accru aux fichiers policiers à l’occasion des enquêtes administratives…

On ne saurait clôre cet article sans mentionner Jean-Paul Amoudry, sénateur centriste de Haute-Savoie, et commissaire de la CNIL qui, lui, n’est nullement intervenu dans le débat, se contentant de voter oui à la LOPPSI.

Capture d’écran extraite d’un entretien accordé par Alex Türk à Télérama. Dictionnaire de la novlangue : Jet Lambda : L’Echo des savanes, juin 2008.

Photo cc FlickR Tammy Green.

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