OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La révolution de la télé http://owni.fr/2011/11/24/revolution-tele-connectee-internet/ http://owni.fr/2011/11/24/revolution-tele-connectee-internet/#comments Thu, 24 Nov 2011 07:18:59 +0000 Eric Scherer http://owni.fr/?p=88025 La série continue. Avec Internet et la révolution numérique, la destruction créatrice, qui a bouleversé de fond en comble les industries de la musique, de la presse et du livre, s’abat aujourd’hui sur le monde de la télévision. Elle risque d’y être plus rapide et plus rude. Et comme pour les autres vieux médias, la création de valeur risque de se faire ailleurs, mais la destruction chez elle. Avec, de toute façon, un grand gagnant : le téléspectateur, qui deviendra télénaute !

Révolution télévisée

Les signes révélateurs, et puissamment déstabilisateurs pour toutes ces institutions qui se croyaient solidement en place, sont bien les mêmes :

1. Explosion de l’offre. Fin des monopoles de la production et de la diffusion, effondrement des barrières à l’entrée, abondance de nouvelles offres meilleur marché qui séduisent, désintermédiation et nouveaux intermédiaires, recul des revenus traditionnels, nouveaux rapports de force.

2. Nouveaux usages. Rapides et profonds changements générationnels dans le mode d’accès à l’information, la culture et le divertissement, consommés à la demande.

3. Primat de la technologie, de l’expérience sur le contenu — qui n’est plus roi–, et de l’accès sur la possession. Le message, c’est de plus en plus le médium.

4. Démocratisation et prise de pouvoir du public, qui contribue, interagit, programme, coproduit, assemble, commente, recommande, partage.

5. Atomisation des contenus, fragmentation des audiences.

6. Dématérialisation et disparition progressive des supports physiques, piratage facilité par l’usage généralisé du réseau.

7. Déflation. Désintégration des modèles économiques non transposables, modèles de rechange introuvables alors que la demande croît, course à l’attention et au temps de cerveau disponible, migration et éparpillement de la publicité captée par d’autres –souvent à l’étranger–, inquiétudes sur le financement de la création.

8.Bataille pour le contact direct avec l’utilisateur, dont les données sont commercialisées.

9. Certitude et rapidité du changement, de la propagation et de l’appropriation de nouvelles technologies en rupture, instabilité des processus, internationalisation des marchés, marques globales.

10. Conservatisme, défiance, rejet. Sidération et crispation des dirigeants face à la complexité du nouveau paysage, inquiétude des personnels mal armés, résistance corporative et culturelle au changement, impuissance des politiques dépassés, — souvent tous digital tardifs !

Ces dix indicateurs mondiaux de chambardements sont d’autant plus similaires que les frontières entre médias s’estompent au fur et à mesure de l’évolution des technologies et de l’adaptation de différents contenus, qui se chevauchent et convergent sur l’Internet, plate-forme dominante.

D’où ces interrogations :

Les leçons de quinze années de chamboulements douloureux dans la musique et la presse seront-elles tirées ?
La télévision traditionnelle du 20ème siècle résistera-t-elle mieux à la mondialisation numérique et à l’Internet ouvert ?
Saura-t-elle tirer parti de l’appétit croissant du public pour l’image dans une culture de l’écran qui s’installe ? Ou va-t-elle se raidir, s’arc-bouter en cherchant à protéger coûte que coûte – et assez vainement – ses sources traditionnelles de revenus ?
Adoptera-t-elle assez rapidement les nouvelles manières du public de consommer facilement des contenus partout ? Laissera-t-elle le télénaute frustré s’en aller ailleurs regarder plus de contenus sur plus d’écrans ? L’empêchera-t-elle de retransmettre et de partager ?
Pourra-t-elle s’enrichir des nouvelles contributions, des nouvelles formes d’écriture ? Trouvera-t-elle de nouveaux modèles d’affaires ? Saura-t-elle lâcher prise pour se réinventer ?

En schématisant, deux scénarios se dessinent:

Scénario pessimiste :

Au milieu de la déferlante de terminaux connectés, le téléviseur devient un écran parmi d’autres, qui donne accès aux vieux contenus TV, perdus dans des millions d’autres au sein du réseau.

Scénario optimiste :

Internet enchante la télévision qui garde une place centrale. C’est l’âge d’or de la télévision.

A court terme, le second scénario est possible à condition d’accepter que la télévision ne sera plus la télévision telle que nous l’avons connue.

Car si malgré bientôt vingt ans d’Internet, la télévision est en mesure de rester au centre de nos vies au foyer, c’est avant tout parce qu’elle ne répond plus du tout à la même définition qu’avant, et qu’elle va se consommer très différemment.

La télé décloisonnée

D’un écran d’affichage doté de quelques chaînes qu’on parcourt (presque de la vente forcée !), elle est en passe de devenir le cœur de la maison connectée, de se transformer en réservoir d’une multitude de contenus et services logés dans le “cloud”, consommés à la carte et disponibles sur d’autres terminaux. C’est-à-dire, sous peu, la porte d’entrée principale du web et la fenêtre sur tous les contenus. Des contenus d’information, de culture et de divertissement, mais aussi de santé, d’éducation ; des services de communication (visio-conférence) etc…

Mais la technologie est en train de modifier le divertissement. Avec leur ADN très technologique, de très nombreux nouveaux acteurs innovants, dynamiques et surpuissants – souvent déjà des empires mondiaux — travaillent à briser rapidement l’ordre audiovisuel établi pour organiser au mieux cette nouvelle expérience enrichie. Ils inventent de nouvelles interfaces vidéo, agrègent et vendent des contenus créés par d’autres, proposent de nouveaux formats et modèles d’affaires, court-circuitant au passage les tenants de l’ancien système. Même les fabricants de téléviseurs, travestis en agents immobiliers d’écrans, veulent devenir éditeurs !

Tous sont en train de forcer le décloisonnement entre le monde audiovisuel fermé et celui ouvert du web.

Les nouvelles règles de la télévision, dernier écran à ne pas être complètement connecté, sont réécrites sous nos yeux pendant que bascule l’équilibre entre médias et sociétés technologiques au profit des nouveaux redistributeurs, qui ont devant eux un boulevard permis par l’appétit insatiable du public.

Déjà Hollywood, qui espérait en vain que le public achète – même en ligne – et conserve ses productions, se convertit au streaming.

Les accords se multiplient en cette fin d’année entre, d’une part les studios d’Hollywood et les grands networks beaucoup moins dominants, et d’autre part les nouvelles plateformes des géants du web, pleins de cash. Il s’agit d’offrir au public et en streaming films, séries et grands shows TV sur le Web via tous les terminaux possibles. Cette nouvelle diversification des revenus, en plus de la publicité et des opérateurs, permet aussi d’éviter le piège de la concentration de l’offre cinéma et l’apparition d’un acteur central (comme iTunes pour la musique).

Au passage et contrairement à un positionnement technologique initial, Google, YouTube, Facebook deviennent devant nos yeux des médias producteurs et financeurs de contenus propres. Google a d’ailleurs assez d’argent pour racheter tout Hollywood, Apple vaut plus que les 32 banques de la zone euro réunies et Netflix fait des chèques en centaines de millions de dollars.

En sens inverse, pour survivre, les médias et leur ADN fait de contenus, sont forcés avec grande difficulté de se transformer en sociétés technologiques, remplies de logiciels intelligents, sans pour autant comprendre et mesurer l’impact de cette transformation au cœur de leur organisation. Car il ne s’agit plus seulement de publier ou de diffuser, puis d’attendre le lecteur ou le téléspectateur, mais d’offrir le bon contenu, au bon moment, et au bon endroit à un public qui jouit désormais d’une multitude d’offres concurrentes. C’est à dire d’avoir une connaissance presque intime de son audience, de son public, de chaque utilisateur pour créer une expérience pertinente. Tout le contraire d’un mass media ! Le défi est bien désormais de parvenir à offrir du “sur-mesure de masse” !

La réception des contenus à la maison est devenue totalement numérique. Et les chaînes de télévision ne vont plus être les seuls acteurs à pouvoir contrôler les points de contacts entre contenus vidéo de qualité et audiences. Perdant le contrôle de la diffusion, elles ne pourront plus, comme pour la musique, jouer de la confusion commode entre mode de distribution et contenus eux-mêmes. Elles ne pourront plus imposer leurs grilles de programmes, et sans doute, assez vite, leurs chaînes.

Le prime time, c’est tout le temps et partout !

L’accès ubiquitaire aux contenus audiovisuels va vite devenir une réalité pour le public où qu’il soit dans le monde. Comme le disait l’un des pères de l’Internet, Vint Cerf, la TV approche de sa phase iPod. La distribution numérique et multi-écrans de programmes TV via Internet se généralise. Le cloud arrive à la maison. Et comme le télénaute souhaite désormais ses contenus TV aussi bien sur son PC que sur sa tablette, son smartphone ou sa console de jeux, il faudra l’aider à les trouver. D’où l’importance cruciale des métadonnées pour faciliter distribution et placement judicieux des contenus.

Les fabricants de téléviseurs étant plutôt lents à réagir, tous les géants du web travaillent aujourd’hui à un “relooking” de la télévision facilitant les passerelles avec l’Internet et tous les terminaux : Google et la V2 de sa Google TV, Microsoft et bien sûr Apple. Mais aussi les opérateurs de télécommunications, notamment en France, leader mondial de l’IPTV.

Chacun tente d’organiser le mieux possible la nouvelle expérience télévisuelle, la “lean back experience” (usage d’un écran en position relax).

Les modes d’accès de la découverte des contenus TV – imposés jusqu’ici par des chaînes— se multiplient et laissent la place aux nouvelles pratiques culturelles de la génération Internet : recherche, recommandation et jeu. Comme ailleurs, la consommation à la carte remplacera le menu, les conseils des amis prendront le pas sur les magistères, l’interaction ludique sur la consommation passive. Les ” watchlists” vont s’ajouter aux “playlists”.

Certains chercheront la martingale avec un media hybride parfait, d’autres se contenteront de faire ce qu’ils savent le mieux, sans vouloir tout accomplir. Mais le triptyque mobile / social / vidéo sera désormais au cœur des stratégies.

L’accompagnement actif des flux et du direct TV par une partie de l’audience et sur un second écran se met en place massivement sous l’appellation “Social TV”. Rapidement, il met le télénaute – devenu acteur – au centre du dispositif et des programmes. Facebook et Twitter enrichissent l’expérience TV par une nouvelle conversation en temps réel autour des émissions. Et la communion n’a pas nécessairement lieu au même moment. Dans une culture de retransmission, c’est le partage qui devient fédérateur, et le public qui devient auteur, éditeur, coproducteur et bien sûr, commentateur. Aux créateurs et producteurs traditionnels désormais d’y penser en amont. Comme à l’enrichissement contextuel, consommé sur un second écran, et qui permet aussi d’en savoir plus.

La télévision, c’est avant tout du divertissement fédérateur, tandis que l’ensemble ordinateur/smartphone/tablette permet d’abord l’accès à la connaissance et à la communication. Le mariage des deux univers suscitera probablement l’émergence de nouvelles écritures par de nouveaux acteurs dans un paysage recomposé … En tous cas moins de contenus prétendus « légitimes ». Et c’est tant mieux !

A la recherche de modèles économiques de rechange

De nouveaux modèles d’affaires peinent à émerger. Mais les nouveaux agrégateurs / redistributeurs s’appuient sur leurs avantages compétitifs habituels : facilité à répliquer à grande échelle et capacité à rendre leurs utilisateurs captifs.

Dans le même temps, l’audiovisuel défend bec et ongles ses revenus traditionnels. Tout le monde court donc après la manne publicitaire de la télévision, toujours énorme par rapport aux autres médias. Mais la gestion des droits, notamment en streaming, augmente les incertitudes, et surtout, les perspectives de retour dans la récession inquiètent. Chacun sent que la migration vers la publicité en ligne – qui n’en est qu’à ses débuts — en sera favorisée. Le marché des applications aussi.

Le modèle “sur-mesure de masse” provoque une rude bataille pour obtenir le contact final avec le télénaute (facturation) et sa connaissance intime (pub ciblée) : HBO a bien plus de 25 millions de téléspectateurs mais ne les connaît pas, contrairement à Netflix, à Canal+, ou aux opérateurs de “triple play”en France. Gare aussi à la bataille annoncée pour la première page des magasins d’applications.

Mais la télévision semble éviter deux écueils majeurs payés cash par la musique et la presse : elle apparaît moins lente à proposer une offre légale en ligne (qui enrayera le piratage) et elle est en mesure de faire payer des contenus numériques, même si la vidéo en ligne rapporte peu pour l’instant. Et puis, les gens capables de produire des films et des séries sont quand même moins nombreux que les créateurs de musique ou de texte en ligne ! Le public passe plus de temps à retransmettre qu’à créer des contenus. C’est une chance pour les professionnels. N’oublions pas l’époque où dans la musique, pirater voulait dire enregistrer un disque vinyl sur une cassette vierge !

Les atouts de la télé

Après un web de publication (années 90), puis le web social contributif (2.0), arrive aujourd’hui le web audiovisuel et de divertissement (“lean back”) où la vidéo joue un rôle central et où tout le monde participe. Mais la valeur a migré des créateurs aux agrégateurs de contenus. Sans différentiation et valeur ajoutée, le prix des contenus tend vers leur coût marginal. C’est-à-dire, dans le numérique, proche de… zéro.

La télévision tente de donc déplacer et réinventer sa valeur autour de quelques axes :

1 – La qualité, le soin et la rigueur de l’écriture des séries de fiction : nouvel âge d’or de la TV. L’air du temps culturel (Zeitgeist) est aujourd’hui aux grandes séries de qualité (Mad Men, The Wire, Les Borgia …) devenues, à l’époque Internet, des phénomènes sociologiques de reconnaissance plus fédérateurs que le livre ou la musique. Nous nous retrouvons sur Facebook et partageons volontiers un frisson commun pour une série. Correspondant bien à notre temps d’attention disponible, elles offrent des performances artistiques de très haut niveau : scénario, mise en scène, grands acteurs, dialogues, réalisations, montage, etc… Mais la France y est en retard.

HBO, avec ses séries originales, populaires et innovantes de très grande qualité, constitue une des forces actuelles de la création audiovisuelle américaine et a largement contribué à redéfinir l’offre culturelle tout en forçant les autres chaînes à hausser leur niveau de jeu. Même tendance au Royaume Uni ou en Espagne.

Les créateurs et détenteurs de droits n’ont donc pas dit leur dernier mot. Car s’il est désormais crucial de s’allier avec les nouveaux distributeurs, ceux-ci ne peuvent rien sans des contenus de qualité. Mais le monde traditionnel de la création, qui vit en circuit fermé, a encore du mal à parler avec le monde de l’Internet. Les rapports de force seront cruciaux, y compris avec le législateur et le régulateur.

L’offre de contenus exclusifs et de haute qualité, où le paiement n’est pas tabou, éloigne les risques de nivellement par le bas. Mais il faudra éviter de croire que la qualité est propre aux chaînes et gare au “good enough is perfect” : des offres meilleur marché très acceptables (iPod, iTunes, Netflix …) ont prouvé qu’elles pouvaient s’imposer !

Quand on se bat pour l’attention des gens, sollicitée par des millions d’autres possibilités, vous avez intérêt à vous assurer qu’ils continueront de venir chez vous !

2 – Les grands directs et les grands événements fédérateurs, en sport, politique, talk-shows, spectacles vivants, sont encore des valeurs sûres du savoir faire des grands acteurs traditionnels de la télévision, notamment en raison de la détention des droits. La fraîcheur des contenus peut aussi être valorisée. La téléréalité de qualité également. Elle a permis la première vague d’arrivée massive du public dans les émissions et les programmes.

3 – La TV partout ou le multi-écrans. C’est la stratégie de Time Warner qui constitue à systématiser l’offre sur absolument tous les supports et en toutes conditions (Web, mobilités, réseaux sociaux, applications, câble, satellite, IPTV, etc…). La facilité d’accès est le premier service. La multiplication des points de contact favorisera les possibilités de monétisation. La prolifération de magasins de vidéos en ligne est une opportunité pour les riches catalogues des chaînes de télévisions et des producteurs de contenus vidéo. Cette tendance encouragera la fragmentation des contenus, le “cord cutting” du câble et des telcos, et accélérera le déchaînement … des chaînes.

4 – La TV traditionnelle, éditeur repère. Submergé par l’hyper-offre déferlante de contenus de qualité diverse, et donc confronté à l’hyper-choix, le télénaute sera en quête de repères, de tiers de confiance, qui l’aideront à remettre de l’ordre, à faire des choix, thématiser, réduire le bruit, s’éloigner du piratage. La certification et le sérieux apportés par des marques –encore familières– sauront l’accompagner et répondre à un nouveau besoin de médiation avec l’assurance d’une expertise reconnue. Cette dernière devrait être mise à profit pour organiser aussi l’offre des tiers, aider à trouver les contenus, leur donner du sens. Dans un nouvel univers inédit d’abondance, la qualité des contenus alliée à la clarté et la simplicité d’usage deviendront aussi, rapidement, de nouvelles valeurs ajoutées gagnantes.

5 –Favoriser la recherche et développement. Pour les programmes, les émissions, la publicité. Mettre le public en amont dans la conception et la production. Préparer à la source des expériences médias qui s’adaptent à la nouvelle vie des gens. Accepter de coproduire et de perdre un peu de contrôle. Partager et se familiariser à la grammaire des nouveaux médias, à la littératie numérique. Dire contenu à la place de programme, c’est aussi transformer la télévision.

Parallèlement, et c’est leur caractéristique, la disruption numérique et la révolution Internet se déroulent extrêmement rapidement, plus vite, souvent, que notre capacité d’adaptation. Sous nos yeux se créé une nouvelle culture digitale d’individus connectés entre eux, qui sont aussi dépendants du réseau que nous le sommes de l’électricité.

Aux Etats-Unis, les emplois dans les médias numériques sont désormais plus nombreux que dans le secteur de la télévision du câble. Facebook et son écosystème d’applications aurait déjà généré plus de 200.000 emplois et contribué pour plus de 15 milliards de dollars à l’économie américaine. Google, qui tire plus de 95% de ses revenus de la pub, réalise deux fois le chiffre d’affaires de toute l’industrie mondiale de la musique, Kodak a fait faillite, tweet et Twitter sont entrés dans le Petit Robert, le “hashtag” devient un code du langage.

Quelques raisons de rallumer

Arrivée de l’ubimédia. Le “cloud” nous offre de larges capacités de stockage et de bande passante en supprimant la nécessité d’installer et de maintenir des logiciels ; les smartphones et tablettes facilitent l’accès ubiquitaire aux contenus et services; les réseaux sociaux multiplient les connexions horizontales professionnelles, personnelles et les collaborations au delà des frontières.

Les géants Google, Microsoft, Apple, Amazon, Facebook… sont de plus en plus mondiaux, de moins en moins américains. Les internautes des grands pays émergents (Chine, Inde, Russie, Iran, Nigéria, Brésil) de plus en plus nombreux. Il y a aujourd’hui plus d’utilisateurs de réseaux sociaux qu’il n’y avait d’internautes en 2006 ! Ils sont 800 millions (dont un Français sur trois) sur Facebook, qui, au centre du web est devenu l’OS de nos vies connectées ! Le temps passé sur les médias sociaux dépasse désormais celui des grands portails.

Et comme les autres, les Français passent de plus en plus de temps, sur de plus en plus d’écrans.

Grâce au design, Steve Jobs a fortement contribué à transformer l’informatique en industrie culturelle, à la faire sortir du bureau pour irriguer et enrichir nos vies, à la maison, en déplacement, à changer le vocabulaire média. Les chansons deviennent des listes, les abonnements des applications. Il a privilégié la forme sur le fond, l’esthétique et l’accès sur les contenus. Après les interfaces textes, puis graphiques, le regard, le toucher, la voix, les gestes, sont mis à contribution. Déjà, la réalité augmentée enrichit des expériences médias.

Le boom de la mobilité. L’Internet sur soi défie la récession : la progression des utilisateurs de 3G a fait un bond de 35% en un an dans le monde. Dans les pays riches, 40% de la population possède un smartphone, dont les ventes dépassent désormais celles de portables classiques.

Les tablettes et les smartphones sont plus vendus que les ordinateurs. Les iPads plus demandés que les iPhones ou iPods. Les claviers physiques disparaissent. Le monde applicatif gagne du terrain. La publicité et les grands annonceurs s’y mettent. Les objets mobiles de plus en plus connectés et intelligents renforcent l’autonomie des individus. L’informatique est de plus en plus personnalisée, souvent malgré soi.

Médias sociaux en temps réel. A chaque seconde nous racontons aux autres nos vies et nos rêves. Les médias traditionnels comprennent qu’il ne suffit plus que les gens viennent à eux : il faut aller aussi à leur rencontre. Et aujourd’hui, les gens sont sur Facebook, lieu de consommation et de partage privilégié de contenus, qui a quasiment annexé le reste du web et risque bien de devenir rapidement le distributeur incontournable de médias. L’immédiateté est la nouvelle unité de temps, l’attention la nouvelle monnaie et les données le nouveau pétrole.

“Big data”, data farming. Les données sont désormais vitales pour chaque entreprise. Leur collecte et leur analyse vont déterminer les nouveaux modèles d’affaires, notamment pour le ciblage comportemental. Les métadonnées accolées aux contenus vidéo vont devenir le nouveau lubrifiant indispensable du nouvel écosystème. Mais l’utilisation croissante des données personnelles par les grands, Google, Facebook, Amazon, suscite des craintes croissantes. La protection des données personnelles devient un enjeu crucial, notamment à l’heure de l’essor des technologies de reconnaissance faciale.

Mais rien n’est garanti. La bataille entre Internet ouvert et univers contrôlés fait rage : ni Facebook, ni l’iPad, ni la Xbox ne sont des espaces ouverts. L’accès de tous aux contenus et au réseau est aussi menacé, alors qu’Internet est un bien stratégique d’intérêt public. L’égalité de traitement de tous les flux de données, qui exclut toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise sur le réseau, devrait être garantie par les pouvoirs publics.

La télé mute avec nous

Les supports physiques de l’information et des médias semblent arrivés au bout du chemin. Les téléviseurs, eux-mêmes, risquent de disparaître pour se fondre dans notre environnement. Des interfaces existent déjà pour intégrer les images animées et sonorisées dans un miroir, une table en verre. Demain, avec un nouveau design, elles seront partout (sur nos murs, vitres, mains…) pour des expériences médias qui se dissoudront tout au long de la journée dans nos vies, sans rester confinées à un objet ou liées à un moment précis. Grâce à la reconnaissance vocale, elles se commanderont à la voix.

C’est le pronostic d’arrivée de l’information dématérialisée et ubiquitaire : nous serons immergés en permanence dans un univers informationnel où l’information sera disponible partout, tout le temps. Un univers qui s’inscrit bien sûr dans un monde de plus en plus connecté, où l’intégration off et online, notamment en mobilité, va s’accélérer, tout comme la fusion des usages entre nos vies privées et professionnelles.

Nous sommes tous des télés !

Internet a fait du texte, de la photo, de la vidéo des objets banals, peu coûteux à produire et faciles à transmettre. Nous sommes tous devenus des médias, et nous serons bientôt tous des télés ! Chaque entreprise, ministère, club sportif, acteur de cinéma, petit commerçant ou quotidien régional aura son application sur le téléviseur, comme ils ont tous leur site web et leurs applis smartphone ou tablette.

C’est donc dès maintenant – pendant l’installation de coutumes nouvelles – que les acteurs traditionnels doivent privilégier une stratégie offensive et embrasser ces usages en accompagnant le public avec leurs marques fortes. Si elles sont absentes, le télénaute ira voir ailleurs. Rappelez-vous, il n’y a déjà plus de chaîne hifi au salon, mais il y a encore de la musique !

Gare au danger de voir encore s’accroître le fossé déjà important entre la société et une offre TV dépassée, où le public ne se retrouve déjà plus. Attention donc au manque criant de pertinence d’intermédiaires obsolètes continuant à proposer des pains de glace à l’époque des réfrigérateurs. Et il y a danger de croire que l’ordre établi pourra continuer, seul, de contrôler un paysage si changeant et si complexe. La télévision est furieusement contemporaine si elle est enrichie et “smart” !

Ce n’est donc pas la fin de la télévision, mais la naissance d’une toute nouvelle TV, qui n’a rien à voir avec celle des années 80. La convergence actuelle de la télévision et d’Internet est une chance pour rapprocher les citoyens, les accompagner, les mettre en contact avec des services jusqu’ici isolés, partager les connaissances, leur permettre de prendre davantage part au monde de demain qui se met en place aujourd’hui.

Il s’agit bien d’une révolution culturelle.


Article initialement publié sur Meta-media


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Jose Luis Sampedro: “un autre monde est certain” http://owni.fr/2011/05/22/jose-luis-sampedro-la-vie-ne-s-arrete-pas-revolution-espagne/ http://owni.fr/2011/05/22/jose-luis-sampedro-la-vie-ne-s-arrete-pas-revolution-espagne/#comments Sun, 22 May 2011 17:56:33 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=63927 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les sous-titres sont disponibles en cliquant sur “CC”, en anglais, et pour le français en version béta.

José Luis Sampedro, écrivain espagnol et économiste de 94 ans, a accordé un entretien à Movimiento Visual le 14 mai, la veille des manifestations organisées par le mouvement ¡Democracia Real Ya! et auxquelles il a apporté tout son soutien. La vidéo de dix minutes, alterne intelligemment les propos de Sampedro avec les paroles de gens de la rue qui lui font parfaitement écho, enregistrées le lendemain, pendant les manifestations du 15 mai.

Sampedro a connu la guerre d’Espagne, vécu sous le franquisme et enseigné l’économie pendant plusieurs années à l’université Complutense de Madrid et à l’étranger. Nommé à l’Académie royale espagnole en 1990, il connait le succès avec son roman Le sourire étrusque, chroniqué en 1994 dans Le Monde Diplomatique.

Avec une lucidité et une énergie incroyable, il expose les raisons qui ont mené les Espagnols à se révolter et descendre dans la rue, contre la classe politique actuelle et sa manière de gouverner, contre les mesures d’austérité économiques imposées pour “sortir de la crise”.

La crise des valeurs :

Notre culture occidentale vit une crise des valeurs brutale. Parce qu’elle a substitué les valeurs pour les intérêts économiques. Comme dirait Marx, ce qui prime c’est la marchandise. Ils le disent également dans le manifeste du mouvement ¡Democracia real ya!

L’humanisme :

Il existe d’autres formes de développement : développement de la personnalité, de son être intérieur. Être chaque fois meilleur, humain, plus positif, et non pas conditionné par la productivité.
Bien sûr qu’il existe des alternatives. Ne vous inquiétez pas, quand le système aura coulé, et il coule – ce que nous vivons actuellement est la barbarie que provoque son effondrement – autre chose viendra. La vie ne s’arrête jamais. Ou les banquiers pensent-ils qu’ils sont immortels ?

L’attitude à avoir est de prendre conscience de la réalité. Ne pas accepter, sans faire une auto-critique ou sans discussion intérieure avec soi même, tout ce qu’on nous dit.

Le paysage politique :

Les deux gouvernements possibles (PP ou PSOE) sont capitalistes (…). Les deux sont les esclaves des financiers. Et la preuve en est leur sortie de crise stupéfiante : ils gagnent à nouveau les salaires qu’ils veulent, ils vivent comme avant, se partagent l’argent comme ils veulent, font ce qu’ils veulent et pendant ce temps nous continuons à en payer les conséquences. Il me semble qu’il faut chercher un autre équilibre avec d’autres partis si c’est possible.

L’opinion publique :

Est ce que les gens sont fous ? Non, ils sont manipulés. L’opinion publique n’est pas l’opinion publique. Ce n’est pas le résultat de la pensées réflexive des gens. Ce qu’on appelle l’opinion publique est une opinion médiatique, créé par l’éducation et les médias. Les deux partagent les intérêts du pouvoir, parce que le pouvoir exerce un contrôle sur eux. Et c’est tout. En faisant de l’opinion publique l’opinion médiatique, vous tuez l’opinion des gens.

Les manifestations :

Bien sûr que s’il y a une manifestation et même si d’autres suivent et que les jeunes s’unissent, par dessus tout, parce que ce sont eux qui vont payer le prix fort, alors vous pourrez redresser les choses. Mais penser qu’une seule manifestation va changer les choses, c’est difficile. [...] Le système s’est dégradé. Il existe des alternatives. Et elles viendront quoiqu’il arrive. C’est certain. Dimanche 22 mai ? Je vais voter. Bien sûr que je vais voter.

“Un autre monde est possible”, et je dis, non, un autre monde n’est pas possible, il est certain ! Ce qui est sûr, c’est le changement. Jusqu’à quel point ? Cela dépendra de ce que nous ferons.


Retrouvez tous les articles de notre Une Espagne sur OWNI (illustration de Une CC Flickr Le Camaleon)
- Comprendre la révolution espagnole
- Manifeste ¡ Democracia real ya !

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Deezer enfin rentable ? http://owni.fr/2011/04/12/deezer-enfin-rentable/ http://owni.fr/2011/04/12/deezer-enfin-rentable/#comments Tue, 12 Apr 2011 08:59:05 +0000 Pascal Rozat http://owni.fr/?p=31530 Deezer, premier service de streaming français, fait actuellement l’objet d’un débat dans la presse, suite à une tribune de son PDG Axel Dauchez dans le Monde à laquelle a répondu le président du SNEP David El Sayegh. Enfin le co-fondateur et ex-PDG de Deezer Jonathan Benassaya a lui aussi pris part au débat en répondant aux questions de Philippe Astor.

Pascal Rozat est chargé de mission à l’INA et écrit également pour des revues et sites web dédiés au jazz.

Le 9 mars 2011, à l’occasion de la rencontre “Mobile 2.0” à Paris, le PDG de Deezer annonçait avoir atteint en seulement huit mois le seuil de 800 000 abonnés payants à son service d’écoute musicale, dépassant ainsi les pronostics les plus optimistes. À l’origine de ce bond en avant : un nouveau partenariat avec Orange, qui intègre depuis août 2010 les services payants de Deezer en option dans ses offres mobiles et ADSL. En se rapprochant d’un acteur majeur des télécommunications, le leader français de la musique en streaming aurait-il enfin trouvé le moyen de monétiser sa plateforme et de faire face aux lourdes sommes qu’il s’est engagé à verser aux ayants droit ? Si tel était le cas, cette alliance stratégique mettrait un terme à plusieurs années de tâtonnements, qui ont vu le site passer d’un modèle économique fondé sur la gratuité totale à une stratégie freemium qui a d’abord peiné à convaincre.

UN CHOIX FONDATEUR : LA MUSIQUE GRATUITE ET LÉGALE

« Deezer.com libère enfin toutes les musiques » claironnait le communiqué de presse du 22 août 2007 annonçant le lancement du nouveau site. Créé par deux jeunes entrepreneurs de moins de trente ans, Daniel Marhely et Jonathan Benassaya, Deezer fait partie de ces start-up qui ont d’abord tout misé sur un service gratuit particulièrement bien adapté à la demande des internautes, conquérant ainsi une large audience sans pour autant disposer d’un modèle économique clair pour la rentabiliser. Dès l’origine, la plateforme d’écoute musicale suscite pourtant l’intérêt de Xavier Niel, fondateur de Free, qui investit 250 000 euros en juin 2007 pour une part de 20% dans la jeune société. À l’occasion d’une augmentation de capital en janvier 2008, il est rejoint par le fonds Dot Corp des frères Rosenblum (fondateurs du site Pixmania), qui acquièrt 24% des parts pour 4,8 millions d’euros, témoignant ainsi de la valorisation exponentielle de l’entreprise en l’espace de seulement six mois.

L’originalité de Deezer est de proposer une vaste offre musicale à la fois gratuite et légale, se posant ainsi comme une alternative novatrice au piratage. Ce choix ne s’imposa pourtant pas d’emblée : Blogmusik.net, ancêtre de Deezer lancé en juin 2006, opère d’abord sans aucune autorisation des ayants droit, ce qui lui vaut d’être fermé en avril 2007 suite à une mise en demeure adressée par les sociétés d’auteur et la SPPF. C’est alors que les deux associés décident d’entrer en négociation avec la SACEM. En seulement quelques mois, un accord est conclu, permettant au site de rouvrir sous le nom de Deezer en août 2007. Reste encore à régler la question des détenteurs de catalogues. Près de deux ans sont nécessaires à la plateforme pour convaincre les quatre majors (1), tout en concluant en parallèle des accords avec plusieurs labels indépendants tels que Believe ou Naïve.

Ces négociations permettent à Deezer d’élargir progressivement son catalogue, qui passe ainsi de 770 000 titres en octobre 2008 à 8 millions aujourd’hui. Avec un choix aussi vaste, Deezer peut revendiquer un accès quasi-universel à la musique, le tout en streaming gratuit. On notera toutefois la persistance de certaines lacunes, notamment dans le domaine des indépendants et de la musique classique. Plus ennuyeux : certains poids-lourds de l’industrie musicale comme les Beatles, Bob Dylan, Led Zeppelin ou Metallica manquent toujours à l’appel, de même que quelques pointures de la variété française, à l’instar de Francis Cabrel ou Jean-Jacques Goldman (2). Enfin, en raison des clauses de territorialité imposées par les maisons de disques, l’intégralité du catalogue de Deezer n’est pas nécessairement accessible dans tous les pays : il peut ainsi arriver que tel titre ne soit pas accessible en Belgique, tel autre uniquement au Royaume-Uni, etc.

LE MIRAGE D’UN FINANCEMENT PAR LA PUBLICITÉ

Si ce nouveau modèle fondé sur la négociation permet à Deezer d’offrir un vaste choix de musique sans craindre de représailles judiciaires, il a aussi un coût, qui se traduit par les reversements dus aux ayants droit. Bien que les différents acteurs se montrent plutôt discrets sur la question, on sait que les majors exigent des avances conséquentes pour la seule mise à disposition de leur catalogue. Selon Le Figaro du 9 mars 2010, le montant total avoisinerait ainsi les 3 millions d’euros, le site devant ensuite payer une somme de l’ordre d’un centime pour chaque écoute d’un titre. Quant à la SACEM, l’accord signé en 2007 lui assure de capter 8% des recettes publicitaires de la plateforme. Au bout du compte, Jonathan Benassaya admettait en octobre 2009 reverser la moitié de son chiffre d’affaires (environ 6 millions d’euros annuels à l’époque) aux ayants droit. Un lourd tribut pour une entreprise aux revenus modestes, dont le modèle initial fondé sur la seule publicité n’a pas fait ses preuves.

Deezer s’affirme d’emblée comme un succès d’audience, avec 773 000 visiteurs uniques recensés en France pour son premier mois d’exploitation en août 2007, chiffre qui atteindra bientôt 2,75 millions en mai 2008, puis 7 millions en décembre 2009. Comme pour nombre de start-up, le défi est posé : comment rentabiliser ce trafic en hausse constante ?

Dès sa création, Deezer propose un système d’affiliation avec iTunes, permettant aux utilisateurs de télécharger sur la plateforme d’Apple un titre qu’ils ont écouté sur Deezer[+]. Mais les commissions versées à cette occasion par la firme à la pomme ne jouent qu’un rôle marginal. Pour monétiser son audience, Deezer compte d’abord quasi exclusivement sur la publicité, présente notamment sous forme de bandeaux. Avec un profil d’utilisateurs plutôt jeune et orienté CSP+, il est vrai que la start-up a des arguments pour convaincre les annonceurs. Mais comme dans le cas des sites de presse, cette source de revenus se révèle néanmoins très vite insuffisante, malgré d’assez bonnes performances : avec 875 000 euros de recettes sur le premier semestre 2008, l’entreprise est loin de pouvoir faire face aux reversement dus aux ayants droit, sans même parler de dégager des bénéfices.

La plateforme persiste pourtant et crée en juillet 2008 sa propre régie publicitaire, Deezer Media, avant d’adopter progressivement une stratégie plus agressive. À partir de février 2009, l’inscription devient obligatoire pour profiter pleinement du service d’écoute à la demande, ce qui permet au site de mieux rentabiliser son fichier clients en ciblant les campagnes publicitaires selon des critères de sexe, d’âge et de zone géographique (moyennant une majoration des tarifs pour l’annonceur, si l’on en croit l’article 6.1.2. des conditions générales de vente 2010 de la régie). Un peu plus tard, au risque d’irriter les utilisateurs, la publicité sonore est introduite en novembre 2009, sous la forme de spots intercalés entre les chansons toutes les 15 minutes environ.

Mais ces innovations ne suffisent pas à rendre le site rentable et certains représentants des ayants droit commencent à s’alarmer de la faiblesse des reversements. En avril 2009, Laurent Petitgirard, alors président du Conseil d’administration de la SACEM, fait grand bruit en déclarant au Monde que le tube de l’année sur Deezer, un titre de rap écouté 240 000 fois, n’a donné lieu qu’à 147 euros de reversements aux artistes…

LE DIFFICILE TOURNANT DU FREEMIUM

C’est donc dans un contexte plutôt tendu que Deezer procède en octobre 2009 à une nouvelle levée de fonds : CM-CIC Capital privé (filiale du Crédit mutuel) et AGF Private Equity entrent au capital de l’entreprise, apportant au total 6,5 millions d’euros. Mais si ces investisseurs acceptent de se lancer dans l’aventure Deezer, c’est qu’un revirement stratégique est déjà amorcé.

Alors même que Jonathan Benassaya avait déclaré lors du lancement du site qu’il ne croyait pas au principe de la musique payante, Deezer abandonne finalement le dogme du tout-gratuit. En effet, le 9 novembre 2009, la société annonce le lancement de ses premières offres payantes. Proposée à 4,99 euros par mois, la formule « Deezer HQ » permet d’utiliser la plateforme depuis son ordinateur sans publicité et avec une meilleure qualité d’écoute (jusqu’à 320kb/s, contre 128 kb/s pour le

gratuit). Mais la véritable innovation réside dans l’offre « Deezer Premium » qui, pour 9,99 euros par mois, propose en plus un accès en mobilité. Depuis octobre 2008 et le lancement de la première application pour iPhone et iPod Touch, Deezer est en effet déjà disponible sur la plupart des smartphones (BlackBerry, Sony Ericsson, téléphones fonctionnant sous Android…), mais avec des services limités : ces applications gratuites permettent ainsi d’utiliser les webradios et les smartradios[+] de Deezer, mais pas d’écouter les titres à la demande, ce qui constitue pourtant la marque de fabrique de la plateforme. Deezer Premium propose donc de « déverrouiller » ces applications (peut-être conçues dès le départ comme des teasers pour la future offre payante ?), en donnant pleinement accès aux services Deezer en mobilité. Autre avantage : l’abonnement permet également l’écoute des titres de son choix en mode « hors connexion », grâce à un système de téléchargement temporaire.

Comme souvent dans le monde de la musique en ligne, il s’avère pourtant bien difficile de convaincre l’utilisateur de sortir sa carte bleue. Alors que l’objectif affiché était de recruter 100 000 abonnés payants avant la fin 2009, seuls 14 000 s’étaient laissé séduire sur les trois premiers mois. Cet échec au démarrage déçoit les actionnaires et plonge Deezer dans une profonde crise de management. Le départ de Jonathan Benassaya, annoncé dans la presse, est finalement démenti, mais le cofondateur du site se trouve bientôt marginalisé suite à la nomination d’un nouveau directeur général en la personne d’Axel Dauchez. Réduit à la fonction de président non exécutif, Jonathan Benassaya quitte finalement Deezer en novembre 2010, en justifiant son départ par la volonté de se consacrer à de nouveaux projets, notamment son fonds d’investissement et incubateur Milestone Factory.

L’ALLIANCE AVEC ORANGE : UNE SOLUTION MIRACLE ?

Venu du marketing et de l’audiovisuel, Axel Dauchez (qui, à 41 ans, fait figure de « sénior » au sein de la start-up) trace une feuille de route visant à renforcer le développement de Deezer sur le territoire français avant de s’attaquer dans un second temps au développement international. Cette stratégie se traduit bientôt par un rapprochement avec Orange, annoncé en juillet 2010 : à partir de la rentrée suivante, l’opérateur télécoms proposera des forfaits intégrant le service Deezer Premium en option, avec ou sans supplément à payer selon les formules.

L’intérêt des deux parties est évident. Pour Orange, cette alliance s’inscrit dans le cadre d’un revirement stratégique : après avoir investi tous azimuts dans des contenus exclusifs pour attirer de nouveaux abonnés, l’opérateur a annoncé en juin 2010 vouloir sortir de cette logique pour privilégier des « partenariats ouverts » avec les producteurs et éditeurs de contenus. Dans cette optique, il paraît naturel pour Orange d’abandonner sa propre plateforme d’écoute lancée en 2009, WorMee, au profit d’une alliance avec Deezer. Quant à ce dernier, il bénéficie désormais de la force de frappe commerciale d’Orange pour gagner enfin les abonnés qui lui font défaut. Scellant ce nouveau partenariat, Orange entre au capital de Deezer à hauteur de 11%, en échange des actifs de WorMee, valorisant Deezer à hauteur de 80 millions d’euros environ selon L’Express. Un rapprochement capitalistique qui ne manque pas de sel quand on songe que l’actionnaire historique de Deezer n’est autre que Xavier Niel, fondateur de Free, l’un des principaux concurrents d’Orange…

Très vite, les premiers résultats semblent indiquer que l’opération est gagnante. Grâce à Orange, le rythme des recrutements passe ainsi de 6 000 à 100 000 abonnés par mois. Alors que Deezer espérait en gagner un million avant la fin 2011, la barre des 500 000 était franchie dès le mois de janvier, et le million est à présent annoncé pour l’été. Prise isolément, l’offre payante de la plateforme ne semblait pas séduire les consommateurs, mais son inclusion dans un bundle (« pack » ou « offre groupée ») Orange a finalement permis de vaincre leurs réticences. Après une année 2010 encore déficitaire, Deezer est donc bien parti pour sortir du rouge, tout en augmentant sensiblement ses reversements aux ayants droit. Lors du Midem de janvier 2011, Axel Dauchez a ainsi pronostiqué que le site paierait environ 20 millions d’euros à l’industrie musicale en 2011. Une inconnue demeure : combien la plateforme touche-t-elle pour chaque abonné Orange ? Axel Dauchez se contente d’indiquer que c’est « un peu moins (…) que les 9,99 euros par mois que paient ceux qui s’abonnent directement à Deezer. »

UN DÉBUT DE DIVERSIFICATION

En parallèle, Deezer s’est engagé discrètement dans une stratégie de diversification. Comme le soulignait Jonathan Benassaya dès mars 2008, Deezer n’est pas seulement un site, mais aussi « une plateforme avec beaucoup de contenus (…) que rien ne nous empêche de mettre à disposition sur d’autres canaux de diffusion ou via d’autres modèles économiques. »

Illustration de cette théorie : le lancement en avril 2010 de SoundDeezer, service B2B proposant la sonorisation de lieux publics et commerces. Fonctionnant à l’aide d’un boîtier spécifique fourni par Deezer, la « D-Box », le service permet de paramétrer la programmation à partir d’un ordinateur en alternant entre cinq ambiances musicales (« moods ») pouvant être diffusées à différents moments de la journée. Pour les entreprises d’une certaine taille, SoundDeezer propose des fonctionnalités plus avancées, telles que le déploiement sur un réseau entier de points de vente, ainsi que la réalisation de « moods » sur mesure fondés sur des techniques de marketing sonore. En s’appuyant sur les statistiques d’écoute dont dispose Deezer grâce aux utilisateurs de son site grand-public, il s’agit alors de cerner au plus près les goûts d’une cible donnée. Le service est proposé sans publicité, mais le client a néanmoins la possibilité d’intercaler les spots promotionnels de son choix au fil de la programmation. Il est également à noter qu’un abonnement au service ne dispense naturellement pas de payer des droits à la SACEM au titre de la diffusion publique d’œuvres protégées. Parmi les premiers clients de SoundDeezer : les restaurants McDonald’s, le Palais omnisport de Bercy et les magasins Micromania. Si les tarifs ne sont pas publiés, on peut toutefois déduire des déclarations d’Axel Dauchez que cette activité récente aurait déjà généré environ 2 à 3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010, ce qui est loin d’être négligeable pour un service tout juste lancé.

En décembre 2010, la plateforme a également ouvert un « Deezer shop » en ligne. Outre un casque audio estampillé « Deezer », on y trouve une multitude de produits dérivés (t-shirts, casquettes, mugs, stylos, tongs…) classés par artistes et aussi – plus étonnant pour une entreprise spécialisée dans la musique dématérialisée – une sélection restreinte de disques et de DVD revêtant généralement un caractère « collector » (rééditions « de luxe », coffrets intégraux, rééditions vinyles…). En se lançant ainsi dans le merchandising, Deezer semble prendre acte du mouvement de diversification des revenus qui touche l’ensemble de l’industrie musicale. La société pourrait-elle être tentée à l’avenir de se développer également dans le très lucratif secteur de la musique live, lui aussi en pleine expansion ? Si Deezer ne deviendra sans doute jamais un grand entrepreneur de spectacle, des synergies peuvent certainement être exploitées, notamment en termes de promotion d’événements.

Enfin, l’annonce le 3 mars 2011 de la prise en régie du site Slate.fr signe les nouvelles ambitions de Deezer media, qui élargit son champ d’action au-delà de Deezer pour se positionner comme un nouvel acteur dans le domaine des régies publicitaires en ligne.

CONCLUSION

L’année 2011 semble donc s’annoncer sous de bons auspices pour Deezer, qui devrait améliorer substantiellement ses résultats financiers et pérenniser son modèle économique grâce aux nouveaux abonnés gagnés via Orange. Le site semble avoir réussi son basculement vers le payant, au moment précis où le streaming gratuit commence à être remis en question par les maisons de disques, comme en témoignent les déclarations du PDG d’Universal Music France Pascal Nègre sur Radio Campus, suggérant de restreindre à quatre le nombre d’écoutes gratuites possibles pour un titre donné (proposition vivement contestée par Axel Dauchez dans une tribune parue dans Le Monde où il défend la gratuité comme porte d’entrée vers l’abonnement payant).

La stabilisation du business model de Deezer s’inscrit dans un contexte de forte structuration du secteur en France : outre la création d’un syndicat des Éditeurs de services de musique en ligne (ESML), qui regroupe Deezer, Orange, le GESTE (Groupement des éditeurs de services en ligne) et les plateformes de téléchargement Beezik et Starzik, le mois de janvier 2011 a été marqué par l’annonce des « 13 engagements pour la musique en ligne » conclus dans le sillage de la mission de médiation confiée à Emmanuel Hoog. Cet accord, dont le suivi a été confié à la Hadopi, promet notamment de rendre plus transparentes les relations entre producteurs et plateformes. Une évolution positive pour Deezer, qui pourrait toutefois avoir un effet pervers en facilitant l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché, notamment si les maisons de disques étaient amenées à baisser de manière significative le montant des avances exigées.

Sur le marché français, Deezer a assurément atteint une taille critique, avec environ 7 millions de visiteurs par mois, qui le rend incontournable. Le contexte dans lequel la société évolue n’en reste pas moins fortement concurrentiel. Outre la toute récente résurrection de Jiwa – un concurrent français lancé en mars 2008 et placé en liquidation judiciaire deux ans plus tard – et l’arrivée en France de Qriocity, la plateforme de streaming de Sony, Deezer doit notamment faire face aux appétits du Suédois Spotify, qui semble vouloir se rapprocher de SFR pour contrer l’offensive menée avec Orange. Mais à n’en pas douter, c’est avant tout au plan international que la bataille se joue désormais. Traduit en cinq langues, Deezer réalisait environ deux tiers de son audience à l’étranger au printemps 2010, mais ses abonnés demeurent dans leur grande majorité français. La bataille sera rude, car outre Spotify, qui revendique 1 million d’abonnés dans sept pays, la plateforme devra sans doute aussi composer avec les nouveaux projets des mastodontes Google et Apple, qui n’entendent pas rester les bras croisés devant le développement du streaming musical. Avec l’appui d’Orange, Deezer peut espérer gagner des parts de marché dans plusieurs pays européens où l’opérateur français est bien implanté (Royaume-Uni, Espagne, Pologne…). Le grand enjeu reste toutefois la conquête de l’Amérique du Nord, restée jusque là quasi impénétrable au streaming « à la carte »[+] en raison des réticences des grandes maisons de disques. À quand, par exemple, un partenariat de Deezer avec Verizon Wireless ou AT&T Mobility, leaders de la téléphonie mobile sur ce marché ?

(1) Des accords sont conclus successivement avec Sony BMG (octobre 2007), Universal Music (mai 2008), Warner (septembre 2008) et EMI (avril 2009).

(2) Ces artistes, qui refusent de diffuser leur musique sur Internet autrement qu’en téléchargement payant, sont de ce fait généralement absents aussi des plateformes de streaming concurrentes, notamment Spotify.

Article initialement publié sur INA Global.

Crédits photos : CC FlickR

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http://owni.fr/2011/04/12/deezer-enfin-rentable/feed/ 2
Retour sur la startup australienne Guvera http://owni.fr/2011/03/23/retour-sur-la-startup-australienne-guvera/ http://owni.fr/2011/03/23/retour-sur-la-startup-australienne-guvera/#comments Wed, 23 Mar 2011 17:00:31 +0000 Guillaume Vialet http://owni.fr/?p=31320 Il y a un an la startup Guvera se lançait aux États-Unis, après une brève bêta sur son marché natif, l’Australie.  Dernière venue dans l’univers du téléchargement financé par la publicité, cette société a développé un modèle publicitaire non intrusif en prenant le contre-pied de ses concurrent (comme le format vidéo « pre-roll » de Beezik) et en intégrant le musique au cœur de la marque.

Guvera, acteur du « tout-gratuit » financé par la pub

Guvera est un nom qui ne doit probablement rien vous évoquer. C’est pourtant avec Beezik et Echolize une des rares offres de téléchargement gratuit (et immédiat) de musique sur le Web, sans DRM évidemment.

Cette société australienne s’est lancée sur son marché en décembre 2009 afin de roder son service tout en capitalisant sur les artistes locaux. Après deux levées de fonds totalisant 30 millions de dollars, elle a très vite mis le cap sur les États-Unis fin mars 2010 avec de grosses ambitions : y détrôner tous les acteurs du marché.

Pour ceux qui ne connaissent pas les principes de fonctionnement du « Ché » de la musique numérique, un billet publié sur le blog de l’auteur vous présentera en détail le service qui se veut une alternative au téléchargement pirate.

Le magazine Billboard a d’ailleurs classé Guvera en 8ème position des meilleures startups musicales de l’année 2010.

Vers une troisième levée de fonds de $9 millions

Malgré les sommes déjà levées il y a à peine un an, la société a lancé fin octobre 2010 une augmentation de capital afin de récolter au mieux 9 millions de dollars auprès de ses investisseurs initiaux (via AMMA Private Investment) ainsi que de nouveaux entrants.

Le dossier financier nous en apprend plus sur la situation actuelle de Guvera, ses freins ainsi que ses ambitions. Le premier objectif est de sécuriser les contrats passés entre Guvera et les majors EMI et Universal Music aux États-Unis et en Australie (pas moins de $700,000 seraient ainsi consacrés à ces contrats signés dans l’hypothèse d’une levée de fond minimale d’un million de dollars).

Les fonds levés, s’ils devaient atteindre les objectifs les plus optimistes, serviraient également à convaincre Sony-BMG d’ouvrir son catalogue dans ces deux pays et Warner en Australie seulement (la major étant particulièrement frileuse face aux sites « gratuits »). Du point de vue musique justement, le document fait état d’un tout petit million de morceaux MP3 encodés en 256 kbps, mais la société a annoncé disposer de 3 millions de titres sur Twitter en février dernier.

Guvera révèle aussi ses intentions d’explorer d’autres produits que la musique (films et séries TV) et de développer des applications mobiles afin d’y permettre le streaming de titres (le streaming sera à mon sens le cheval de bataille de l’année 2011 pour bien des startups). Guvera a aussi ouvert une antenne en Angleterre où elle négocierait les droits d’accès aux catalogues de musique.

Côté utilisateurs, bien que la startup se félicite de recruter 10 000 nouveaux utilisateurs par mois, elle ne comptait que 160 000 membres en janvier 2011 tous pays confondus (cf. annonce sur Twitter). Ils étaient 120 000 en octobre. C’est extrêmement peu sur un créneau aussi porteur que le gratuit, comparé aux 1,2 millions de membres de Beezik lancé quelques mois plus tôt mais sur un marché français considérablement plus petit et sans réel effort de communication.

Des taux de clics de 10% et plus

Les études de cas qui illustrent le dossier financier nous révèlent que le taux de clic s’échelonne entre 7% (pour American Express qui est aussi client de Free All Music) jusqu’à un remarquable 40% ; la moyenne des cas repris correspond plutôt à un taux de clic de 10~12%. Mais est-ce cependant l’exception ou la règle du système Guvera ?

L’entreprise, qui espère être profitable fin 2011-début 2012, fait état d’un chiffre d’affaire très modeste : 17 000 dollars de ventes réalisées en 2010 (chiffre à prendre avec beaucoup de précautions). Ce chiffre peut s’expliquer par la nécessité pour un annonceur d’une part de maîtriser le concept particulier des chanels développé par la startup, et d’autre part la difficulté d’évaluer le ROI d’une opération relativement coûteuse (plusieurs milliers de dollars, chaque titre téléchargé étant évidemment payé par l’annonceur).

Il est d’ailleurs intéressant de jeter un œil à leur documentation commerciale qui met l’accent sur la fidélisation client quitte à faire une entorse à son modèle publicitaire original, diversification probablement imposée par le marché. Une démarche B2B – sans passer par le recrutement coûteux et la qualification de membres – aurait sans doute été plus judicieuse.

C’est d’ailleurs sur ce créneau que la société française MyFanGroup s’est tout de suite positionnée. Mais sur ce marché, Guvera a devant elle d’autres concurrents aux États-Unis : Music Interactive et Free All Music

Quelques enseignements tirés de cette année d’exploitation

  • La musique représente 3/4 des besoins en trésorerie de la société, c’est un poids considérable et un frein au développement de toute startup officiant dans le monde de la musique numérique.
  • Le tout-gratuit n’est pas synonyme d’inscriptions spontanées et en nombre. Il aura fallu sponsoriser un roadshow pour que Guvera voit enfin son taux d’inscription grimper, malgré une couverture médiatique supérieure ou égale à celle de Beezik. Le processus d’accès à la musique est donc capital (téléchargement immédiat et illimité sur Beezik, limité et au final différé sur Guvera) en matière d’acquisition d’utilisateurs.
  • Convaincre les annonceurs d’utiliser un nouveau support publicitaire en ligne prend nécessairement beaucoup de temps. Le point mort ne sera atteint qu’après deux années d’activité selon les prévisions optimistes de Guvera. Les moyens humains et financiers liés à la commercialisation de ses produits représentent (après le développement de la plateforme en 2008-2010) le principal poste de dépenses de la société, derrière la musique.

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Cet article a été initialement publié sur vialet.org

Voir l’article sur Beezik publié sur OWNImusic

Crédits photos : Guvera press

Il y a un an se lançait aux États-Unis la startup Guvera, après une bêta de quelques mois en Australie.

Guvera est un nom qui ne doit probablement rien vous évoquer. C’est pourtant avec Beezik et Echolize une des rares offres de téléchargement gratuit (et immédiat) de musique sur le Web, sans DRM évidemment.

Guvera, acteur du « tout-gratuit » financé par la pub

Cette société australienne s’est lancée sur son marché en décembre 2009 afin de roder son service tout en capitalisant sur les artistes locaux. Après deux levées de fonds totalisant 30 millions de dollars, elle a très vite mis le cap sur les États-Unis fin mars 2010 avec de grosses ambitions : y détrôner tous les acteurs du marché.

Pour ceux qui ne connaissent pas les principes de fonctionnement du « Ché » de la musique numérique, un précédent billet vous présentera le service qui se veut une alternative au téléchargement pirate.

Le magazine Billboard a d’ailleurs classé Guvera en 8ème position des meilleures startups musicales de l’année 2010.

Vers une troisième levée de fonds de $9 millions

Malgré les sommes déjà levées il y a à peine un an, la société a lancé fin octobre 2010 une augmentation de capital afin de récolter au mieux 9 millions de dollars auprès de ses investisseurs initiaux (via AMMA Private Investment) ainsi que de nouveaux entrants.

Le dossier financier nous en apprend plus sur la situation actuelle de Guvera, ses freins ainsi que ses ambitions. Le premier objectif est de sécuriser les contrats passés entre Guvera et les majors EMI et Universal Music aux États-Unis et en Australie (pas moins de $700,000 seraient ainsi consacrés à ces contrats signés dans l’hypothèse d’une levée de fond minimale d’un million de dollars).

Les fonds levés, s’ils devaient atteindre les objectifs les plus optimistes, serviraient également à convaincre Sony-BMG d’ouvrir son catalogue dans ces deux pays et Warner en Australie seulement (la major étant particulièrement frileuse face aux sites « gratuits »). Du point de vue musique justement, le document fait état d’un tout petit million de morceaux MP3 encodés en 256 kbps, mais la société a annoncé disposer de 3 millions de titres sur Twitter en février dernier.

Guvera révèle aussi ses intentions d’explorer d’autres produits que la musique (films et séries TV) et de développer des applications mobiles afin d’y permettre le streaming de titres (le streaming sera à mon sens le cheval de bataille de l’année 2011 pour bien des startups). Guvera a aussi ouvert une antenne en Angleterre où elle négocierait les droits d’accès aux catalogues de musique.

Côté utilisateurs, bien que la startup se félicite de recruter 10 000 nouveaux utilisateurs par mois, elle ne comptait que 160 000 membres en janvier 2011 tous pays confondus (cf. annonce sur Twitter). Ils étaient 120 000 en octobre. C’est extrêmement peu sur un créneau aussi porteur que le gratuit, comparé aux 1,2 millions de membres de Beezik lancé quelques mois plus tôt mais sur un marché français considérablement plus petit et sans réel effort de communication.

Des taux de clics de 10% et plus

Les études de cas qui illustrent le dossier financier nous révèlent que le taux de clic s’échelonne entre 7% (pour American Express qui est aussi client de Free All Music) jusqu’à un remarquable 40% ; la moyenne des cas repris correspond plutôt à un taux de clic de 10~12%. Mais est-ce cependant l’exception ou la règle du système Guvera ?

L’entreprise, qui espère être profitable fin 2011-début 2012, fait état d’un chiffre d’affaire très modeste : 17 000 dollars de ventes réalisées en 2010 (chiffre à prendre avec beaucoup de précautions). Ce chiffre peut s’expliquer par la nécessité pour un annonceur d’une part de maîtriser le concept particulier des chanels développé par la startup, et d’autre part la difficulté d’évaluer le ROI d’une opération relativement coûteuse (plusieurs milliers de dollars, chaque titre téléchargé étant évidemment payé par l’annonceur).

Extrait de la brochure commerciale de Guvera

Il est d’ailleurs intéressant de jeter un œil à leur documentation commerciale qui met l’accent sur la fidélisation client quitte à faire une entorse à son modèle publicitaire original, diversification probablement imposée par le marché. Une démarche B2B – sans passer par le recrutement coûteux et la qualification de membres – aurait sans doute été plus judicieuse.

C’est d’ailleurs sur ce créneau que la société française MyFanGroup s’est tout de suite positionnée. Mais sur ce marché, Guvera a devant elle d’autres concurrents aux États-Unis : Music Interactive et Free All Music

Quelques enseignements tirés de cette année d’exploitation

  • La musique représente 3/4 des besoins en trésorerie de la société, c’est un poids considérable et un frein au développement de toute startup officiant dans le monde de la musique numérique.
  • Le tout-gratuit n’est pas synonyme d’inscriptions spontanées et en nombre. Il aura fallu sponsoriser un roadshow pour que Guvera voit enfin son taux d’inscription grimper, malgré une couverture médiatique supérieure ou égale à celle de Beezik. Le processus d’accès à la musique est donc capital (téléchargement immédiat et illimité sur Beezik, limité et au final différé sur Guvera) en matière d’acquisition d’utilisateurs.
  • Convaincre les annonceurs d’utiliser un nouveau support publicitaire en ligne prend nécessairement beaucoup de temps. Le point mort ne sera atteint qu’après deux années d’activité selon les prévisions optimistes de Guvera. Les moyens humains et financiers liés à la commercialisation de ses produits représentent (après le développement de la plateforme en 2008-2010) le principal poste de dépenses de la société, derrière la musique.
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http://owni.fr/2011/03/23/retour-sur-la-startup-australienne-guvera/feed/ 0
C’est quoi l’équation idéale pour vendre sa musique? http://owni.fr/2011/03/03/cest-quoi-lequation-ideale-pour-vendre-sa-musique/ http://owni.fr/2011/03/03/cest-quoi-lequation-ideale-pour-vendre-sa-musique/#comments Thu, 03 Mar 2011 12:11:42 +0000 Anastasia Levy http://owni.fr/?p=30627 Anastasia Levy, peut-être plus connue pour certains sous le pseudo de @jokerwoman, est diplômée de l’école de journalisme de Strasbourg. Elle est l’auteur de plusieurs articles sur OWNImusic dont les très bonnes interview de Christian Scott et Nina Kinert. Elle prête notamment sa plume au magazine Usbek & Rica et tant d’autres. Elle nous offre aujourd’hui un petit bilan de ses observations sur l’industrie musicale. Comment font-ils pour s’en sortir, ces artistes? A chacun sa formule.

L’expérience de Radiohead

En 2007, Radiohead avait eu l’air de proposer le meilleur modèle possible pour vendre son album, In Rainbows. Le pay-what-you-want, un système avec lequel tout le monde était gagnant, sauf les maisons de disques, pointées comme des exploiteurs d’art, faisant leur beurre sur le dos des artistes et du public. Alors que tout le monde avait salué cette démarche, à part quelques commentateurs n’y voyant que le côté commercial, Radiohead remet tout en cause en ce début d’année et propose son nouvel album à un prix fixe. Ou à des prix fixes plutôt. Les internautes doivent dépenser au moins 7 € pour télécharger huit titres en mp3, jusqu’à 39 € pour un mystérieux futur « newspaper album » et dès à présent les titres en .wav. Thom Yorke avait prévenu dès 2008 (interview dans The Hollywood Reporter) que la distribution d’In Rainbows était une réponse unique à une situation particulière (après leur bataille pour se séparer d’EMI), mais tout le monde autour martelait (par ici ou par là) que ça avait été particulièrement bénéfique pour eux, au moins par les retombées externes à l’album (concerts, réputation, impact même de l’album sur l’industrie de la musique). Radiohead revient aujourd’hui dessus, expliquant que c’est une « progression logique ».

Mais de logique, personne ne peut parler aujourd’hui, dans l’industrie de la musique. Chacun y va de son innovation plus ou moins intéressée/intéressante, mais aucun modèle ne s’impose finalement. Alors que se développent difficilement des lieux de rencontre et de dialogue pour les acteurs qui veulent se poser la question de l’évolution de ce marché (voir, par exemple, le bilan de MusicNet.works) la tendance est encore à l’opposition, du simple mépris aux procès qui durent des années (majors contre plateformes de téléchargement, majors contre artistes, artistes contre plateformes, et même pire, artistes contre public).

Ce n’est évidemment pas parce que Radiohead l’a abandonné que le pay-what-you-want est mort. Si le groupe d’Oxford est le poil à gratter des majors, Nine Inch Nails est leur cauchemar. Pas question pour le groupe de repasser à une autre formule que le pay-what-you-want pour le groupe de Trent Reznor qui avait, à l’époque où ils étaient chez Universal, appelé leurs fans à voler leurs albums, et fait l’apologie du site de « piratage » Oink.

Le DIY et le crowdfunding

Ce système ne marche pas, comme on pourrait le croire, qu’avec des groupes déjà bien installés. Il a récemment permis à de petits groupes de faire le buzz autour de leur premier album, comme les excellents Yellow Ostrich, qui proposent de « name your price » pour télécharger l’album en numérique : « Download it for free, or pay-what-you-want, its your choice ». Forts de leur démarche, qui prend plutôt bien, ils placent sur leur bandcamp un lien vers Kickstarter, site de financement par les internautes sur lequel ils proposent d’investir dans… la production de leur album en vinyl. Le groupe n’a donc rien déboursé pour leur album physique : pour qu’il soit produit, il fallait que les internautes investissent (sans retour sur investissement possible, à part un cadeau déterminé à l’avance) au moins 2500 $, objectif atteint en quelques semaines. Ca fait rêver, tant la simplicité de la démarche a propulsé sa réussite.

Le côté pratique des majors

Et pourtant, même pour les jeunes groupes, la signature sur un gros label reste un des premiers objectifs. Frida Hyvonen nous confiait récemment que sa signature chez Universal Publishing, après trois albums en production et distribution indépendantes, était un soulagement : plus d’argent et donc plus de temps pour créer et pour enregistrer. C’est effectivement encore là que les moyens de production sont concentrés, et que les artistes sont chouchoutés. On comprend ainsi que les gros, type Daft Punk ou Dr Dre ne cherchent pas à se séparer de ceux qui leur offrent sécurité et visibilité (voire matraquage médiatique).
Et le rapport de force s’inverse : les maisons de disques signent aujourd’hui des contrats qui bénéficient plus aux artistes qu’avant. Les labels sont devenus les employés des artistes.

Par ailleurs, les majors ont développé ou racheté des labels spécialisés ou indie, comme Blue note (label jazz d’Herbie Hancock ou John Coltrane) chez EMI, ou Nonesuch chez Warner, qu’ils tiennent à bout de bras. Besoin d’une caution artistique ? Peut-être, mais personne ne peut nier que c’est bénéfique pour les artistes. Mais…aussi pour les majors, qui évitent ainsi de prendre les risques nécessaires à la vitalité du monde musical. Au lieu de produire des artistes non calibrés pour le marché, elles exploitent les catalogues de ceux qui ont pris ces risques.

Des labels qui pèsent

De trop rares exemples prouvent que la signature sur un label indé n’empêche pas un tel succès : Arcade Fire, sur Merge records, connaît un succès phénoménal, tandis que récemment Vampire Weekend, sur XL’s recordings, voyait son album Contra devenir n°1 des charts albums aux Etats-Unis. XL ne sort pourtant que…six albums par an, et signe un nouvel artiste par an : le choix de l’hyper-spécialisation. Richard Russell, le PDG du label confiait au Guardian : « On refuse 200 000 démos par an. En gros, on dit non à tout, et même à plein de grands artistes. Il faut une dose de courage pour faire ça. C’est une philosophie anti-commerciale ». Russell évite les dépenses inutiles (des clips ? pour quoi faire…) et ne dépense jamais plus que ce qu’il a… Un modèle simple et payant.

Certains musiciens refusent encore de traiter les questions bassement matérielles de distribution et de se poser même la question de l’avenir de l’industrie dans laquelle ils vivent. Est-ce déshonorant de parler d’autre chose que d’art ? Ceux qui le font sont en général attaqués là-dessus (voyez les dizaines de critiques de Radiohead…), alors que ça ne suppose absolument pas de mettre de côté l’aspect musical.
Toute l’industrie de la musique s’agite depuis une dizaine d’années déjà pour savoir quel modèle ressortira vainqueur du séisme de la gratuité. Mais la réponse sera peut-être dans l’hétérogénéité, chaque groupe définissant son modèle personnel comme une partie de sa personnalité.

Crédits photos CC flickr : dunechaser, dullhunk, superde1uxe

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David Hyman (MOG) : “YouTube ne m’empêche pas de dormir” http://owni.fr/2011/02/28/david-hyman-mog-youtube-ne-mempeche-pas-de-dormir/ http://owni.fr/2011/02/28/david-hyman-mog-youtube-ne-mempeche-pas-de-dormir/#comments Mon, 28 Feb 2011 16:23:26 +0000 Kyle Bylin http://owni.fr/?p=30576 Kyle Bylin est à l’origine du site américain Hypebot.com, qui se fait l’écho des évolutions de l’industre de la musique. Vous pouvez le retrouver sur Twitter (@hypebot, @kbylin)

Cet article est une réponse à l’article : “Youtube : la musique gratuite rapporte autant que la musique payante

J’ai eu l’occasion d’échanger avec David Hyman, le fondateur et PDG de MOG, un service musical basé sur le “cloud”. Au cours de cet entretien, David et moi-même abordons l’impact de YouTube sur la musique et pourquoi les périodes d’essai gratuites sur les services de musique par abonnement doivent être allongées.

Ce qui suit est une version éditée de notre conversation.

Hypebot : Bonjour Dave, merci de m’accorder un peu de votre temps.

David Hyman : Bonjour !

Commençons doucement, nous passerons progressivement à d’autres sujets. Eliot Van Buskirk, du site Evolver.fm, a récemment publié un article à lire absolument. Il y disait des choses intéressantes sur YouTube. Globalement, ce service a beaucoup apporté à la musique, mais paradoxalement, il lui fait sans doute aussi du tort. Pensez-vous que YouTube, avec toute sa musique en accès libre et le fait que chacun puisse y partager ce qu’il veut, soit néfaste pour MOG ?

Je ne pense pas que nous perdions des abonnés au profit de YouTube. Cette expérience (YT) concerne plutôt les tubes. On ne peut pas y écouter une succession de chansons. Il n’y a pas de programmation passive. Pas de playlists. Pas d’albums. Le principe est plutôt : “un titre à la fois”. Avant 1985 on ne faisait pas de clips vidéo, et pourtant il y a eu beaucoup de BONNE MUSIQUE avant 1985 ! Après cette date, la video a été cantonnée à quelques chansons par album au mieux. Si vous voulez entendre les tubes, écoutez la radio ou allez sur YouTube. Je ne crois pas que nos abonnés soient ce type de consommateurs.

D’accord. L’autre point soulevé par Buskirk dans son papier concerne le fait que la plateforme pousse de nombreux développeurs à intégrer l’API de YouTube, au lieu d’essayer de monter des partenariats avec des services existants comme MOG. Le fait que l’API de YouTube soit disponible porte-t-il préjudice à MOG du point de vue de l’innovation et de l’intégration ?

Je n’ai aucun site séduisant utilisant l’API YouTube pour offrir une expérience d’écoute satisfaisante qui me vienne à l’esprit. Nommez-en un ! Vous voyez, YouTube ne nous rend pas service. Mais il ne nous fait pas vraiment de mal, voire pas du tout. Ca me fait juste un peu mal au coeur. Mais je n’en suis pas non plus à perdre le sommeil en m’inquiétant des projections de MOG par rapport à YouTube !

Et SoundHound alors ? Plutôt que de recommender des streams de 30 secondes depuis MOG, leur app envoit les gens vers Youtube.

C’est vrai. Mais Soundhound veut aussi inclure MOG ! Ce sera bientôt le cas. On peut payer à Soundhound des frais d’affiliation. Qu’est ce que Youtube paie à Soundhound ?

Bien vu. Passons ! Un des sujets qui m’interpellent le plus concerne les périodes d’essais gratuits. Pensez vous qu’elles soient trop courtes ?

Bonne question ! Je ne pense pas qu’on ait suffisamment de données pour le moment. Je dirais que Netflix se débrouille très bien pour ce qui est de proposer des prestations satisfaisantes dans le cadre d’une période d’essai de durée comparable.

Et pour les films, est-ce différent ?

Peut être ! Je crois qu’on va en arriver là. Pour fournir davantage que ce que l’on fournit déjà, cela coûterait davantage aux labels. Et quand bien même, ils restreindront toujours la quantité de contenu gratuit que l’on peut proposer. Les frais associés à la mise à disposition de contenu gratuit au delà de la période d’essai gratuit que nous proposons sont prohibitifs. Les labels exigent des taux plutôt élevés sur la base du “par titre/par stream”. La modélisation qu’on a faite nous apprend qu’on ne pourrait pas compenser les coûts par la conversion et la publicité. Est-il possible qu’on ait tort ? Oui. Les taux sont très élevés, croyez-moi. Si je pouvais donner davantage et faire fonctionner le modèle, je le ferais. Nous passons une bonne partie de notre temps chaque jour à plancher sur ce sujet.

C’est aussi comme ça que je vois les choses. Les coûts sont beaucoup trop élevés, quoi qu’on en dise.

Nous essayons de trouver des solutions pour donner gratuitement de manière restreinte et ce de mieux en mieux et avec succès ! Ma seule inquiétude, c’est qu’une fois qu’on passe de “gratuit” à “gratuit restreint”, cela devient un “essai gratuit” et donc on perd l’intérêt de la vraie gratuité. Avec les coûts auxquels on fait face, on ne peut pas fournir du vrai gratuit.

J’imagine que le “gratuit restreint” au final ce serait une fonction “radio” ou du streaming limité. Pour moi, le bon côté d’un tel arrangement est que cela donne aux amateurs de musique le temps de se construire leur bibliothèque musicale. Plus ils aiment de chansons (chacune étant stockée dans leur bibliothèque), plus il est facile pour eux de devenir “propriétaires” de ces titres et de voir la valeur qu’a le fait de payer pour y accéder.

Je suis d’accord.

De mon point de vue, le cas des films est bien différent de celui de la musique. Je dirais que les gens ne se considèrent pas propriétaires des films qu’ils regardent en streaming sur Netflix parce qu’ils ne sont pas sensés l’être. La musique, ce n’est pas comme le cinéma. C’est plus comme le canapé que vous louez. Une fois qu’il est chez vous, vous avez du mal à voir comment vous allez en faire “votre” canapé. Une fois la période d’essai passée, vous n’aurez plus envie de vous en séparer. En vrai, vous pensiez que vous l’aviez loué, mais en fait, vous l’avez dors et déjà acheté.

Bien vu. Je dirai ceci : ne prenez pas ce qui suit pour argent comptant, ce n’est qu’une question de données… On a testé deux options : barrière de péage contre accès gratuit. Demander aux gens de payer avant d’utiliser l’essai gratuit s’est révélé meilleur en termes de conversion, au même niveau que le revenu net. On a tendance à penser que les choses dépendent davantage de comment le visiteur est arrivé sur site. Dans certains cas, ce serait mieux sans paywall. Et cela dépend aussi de la plateforme utilisée : smartphone, web etc…

Je crois que vous avez raison. Là tout de suite je ne me souviens pas des études faites à ce sujet. Mais globalement, nous échouons à prendre en compte la variable “origine” dans la prise de décision. Alors, comment se séparer du fardeau de la “propriété” sans pour autant enlever les avantages cognitifs ?

Les gens doivent pouvoir accéder à la musique de partout : depuis leur voiture, leur télé, leur téléphone, et leur console de jeu. Partout. Je pense que les bénéfices de la propriété sont déjà morts. Le problème, c’est principalement un manque d’éducation.

Tout à fait. Autre chose : quand on dit (et par “on” je veux dire “je” !) qu’il faut que les utilisateurs assument la propriété de leur musique, ça ne veut pas dire grand chose. Une génération entière de fans n’a absolument aucune idée de ce que signifie “posséder de la musique”, sous quelque forme que ce soit. Cette génération n’a d’ailleurs jamais eu à faire d’effort non plus pour la trouver.

Oui, comme ma fille de 7 ans. Elle a MOG sur un iPod dans une station d’accueil Altec Lansing dans sa chambre. Elle est accro. Elle ne sait pas faire la différence entre le téléchargement et le streaming. Allez, je dois me sauver !

Pas de problème, merci d’avoir pris le temps de discuter !

Article initialement publié sur Hypebot.com et traduit par Loïc Dumoulin-Richet

Illustrations CC FlickR: william couch, orange_beard, samantha celera

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Google vs. music http://owni.fr/2011/02/02/google-vs-music/ http://owni.fr/2011/02/02/google-vs-music/#comments Wed, 02 Feb 2011 09:38:03 +0000 Music Ally http://owni.fr/?p=30064 Cet article fait partie d’une série publié sur le site Music Ally, et disponible ici.

La relation de Google avec l’industrie musicale est la définition même de “meilleur ennemi”. Avec YouTube et Vevo, la firme de Mountain View est devenu un partenaire incontournable des labels, mais a chuté particulièrement brutalement avec GEMA (société de gestion collective en allemagne). Son attitude à l’égard du copyright a été le principal point d’achoppement, du moins jusqu’à l’annonce surprise de décembre.

La situation de Google est un peu particulière : l’entreprise possède la plus grosse plateforme de consommation de musique au monde (YouTube), mais c’est aussi le plus gros répertoire de musique illégalement téléchargeable au monde. L’entreprise a lancé en Chine un service de téléchargement anti-piratage financé par la pub, alors que son service AdSense affiche régulièrement de la publicité pour des sites pirates. Oh, est-ce que nous avons mentionné le fait qu’ils voulaient lancer un service de stockage de fichiers ‘dans les nuages’.

YouTube reste en désaccord avec GEMA et plusieurs artistes en Allemagne, même si il a résolu son différend avec PRS Music en Grande-Bretagne. Son procès pour violation de copyright contre Viacom était un rappel salutaire du chemin parcouru depuis son rachat par Google : son système ContentID a aidé avec succès les labels à gagner de l’argent avec les contenus uploadés par des utilisateurs tiers, même si les éditeurs se sont plaints de la manière dont Google reconnaissait les ayant-droits dans ce domaine.

D’une certaine manière, beaucoup des problèmes historiques entre Google et l’industrie de la musique se résument à un choc des cultures, incarné cette année par un tweet de Nikesh Arora, cadre de Google : “Je vais discuter avec l’industrie musicale britannique cette semaine. Des idées sur des choses à propos desquelles je dois les éclairer ?” Cela n’a pas aidé Google à changer la manière dont il est perçu : arrogant et pas assez inquiet des problèmes des ayant-droits.

C’est pourquoi l’annonce récente sur les infractions au copyright est si importante, sans parler du fait que certains corps de l’industrie musicale – notamment le BPI – s’inquiètent que Google n’aille pas assez loin.

L’entreprise s’est efforcée de simplifier son formulaire de retrait de contenu, d’améliorer sa fonction ‘Suggestion’ afin que les utilisateurs ne soient pas incités à rajouter ‘torrent’ ou d’autres termes associés au piratage à leurs recherches et de travailler avec des services de musique légaux pour offrir des extraits gratuit au sein des résultats de recherche.

Ce que Google ne fait pas, c’est de retirer automatiquement les sites contrevenants de ses résultats de recherche, en tout cas pas sans une demande de retrait. C’est ce qui a provoqué la colère de BPI, faisant dire à son patron Geoff Taylor que Google “ignorait le coeur du problème – et que sa recherche dirigeait une écrasante majorité de consommateurs à la recherche de musique ou d’autres divertissements numériques vers des sites illégaux”.

Cependant, d’autres actionnaires ont confié à Music Ally que les progrès de Google correspondaient à leurs attentes en matière de changement dans ses services. Le point important, c’est que Google a écouté l’industrie et a évolué sur la plupart de ses sujets d’inquiétude. De manière assez peu surprenante, étant donné que Google est simultanément en négociation avec des ayant-droits en vue de lancer son propre service musical, ce qui requiert autant de bonne volonté que possible, étant donné également ses propositions de stockage ‘dans les nuages’.

Si 2010 était l’année du “processus d’écoute”, 2011 sera celle où Google Music pourra peut-être prouver qu’il peut faire une différence pour l’industrie de la musique – comme l’espère Edgar Bronfman Jr de WMG, à en juger des commentaires sur ses derniers résultats trimestriels. Le lancement en décembre de Google eBooks fournit une preuve limpide de l’ambition de l’entreprise : un service qui permet aux gens d’acheter des e-books et de les lire sur différentes plateformes, appareils ou navigateurs.

L’histoire de iTunes a rendu les ayant-droits méfiants vis-à-vis des entreprises hi-tech qui leur promettent de révolutionner leur business, mais cela les pousse également à encourager la concurrence d’iTunes dans l’écosystème de la musique. Google pourrait faire l’affaire : c’est pourquoi 2011 pourrait voir l’industrie musicale surveiller de très près son meilleur ennemi.

Article initialement publié sur Music Ally et traduit par Martin Untersinger.

Crédits photos CC FlickR Lars Plougman, Sonicbloom, dullhunk

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Allomusic, le pari du streaming editorialisé ? http://owni.fr/2010/12/07/allomusic-le-pari-du-streaming-editorialise/ http://owni.fr/2010/12/07/allomusic-le-pari-du-streaming-editorialise/#comments Tue, 07 Dec 2010 16:11:41 +0000 Guillaume Vialet http://owni.fr/?p=28632 Un mois après le lancement d’Allomusic, Guillaume Vialet nous offre un premier aperçu du virage engagé par ce nouveau concurrent de Deezer.

Allomusic est un portail d’information musical lancé en décembre 2009. Il se définit alors comme « le portail français de toutes les musiques ». Allomusic espérait alors atteindre 1,5 millions de visiteurs uniques d’ici mai/juin 2010, et 3 millions d’ici la fin de cette même année. Objectifs remplis ?
Lancé par Philippe Abitbol, Patrick Bruel, Gérard Darmon et Manu Katché, le site se voulait un Deezer associé à une richesse éditoriale et de contenus que le site d’écoute ne proposait pas (et ne propose toujours pas). Le site revendiquait alors une pléthore de services : écoute en streaming, téléchargement de titres, location de places de concerts, vente et échange de matériels neufs ou d’occasion, radios thématiques, forums, blogs, quiz, etc.

Allomusic nouvelle version : « on gagne à écouter »

Un an plus tard, force est de constater que le grand fourre-tout qu’était Allomusic (très décrié au lancement) a laissé sa place à un modèle beaucoup plus sobre calqué sur son compétiteur désigné, Deezer.

On retrouve toujours la dimension contenu de l’ancienne mouture, mais ils ne sont plus mis en avant comme l’étaient la WebTV, l’actualité ou le contenu produit par la communauté des internautes.
Le comparateur de prix répond lui aussi à l’appel, mais ne propose plus que le téléchargement MP3 auprès d’Amazon MP3, iTunes Store, VirginMega et Qobuz via de classiques liens en affiliation. Fnac.com brille ici par son absence.
Le site est dorénavant structuré par grands styles de musique :

  • Variété
  • Pop/Rock
  • Folk
  • Indé
  • etc.

Le site se présente maintenant lui-même comme « [le] plus grand catalogue de musique du monde » sans bien sûr avancer de chiffres A ma connaissance le plus grand catalogue de musique du monde est celui que propose l’iTunes Store d’Apple avec 14 millions de titres.
Orienté streaming à la demande, le site propose trois abonnements : le premier appelé Gratuit, est… gratuit (!) comme son nom l’indique. Il vous permettra d’écouter à la demande les titres proposés par le (très grand) catalogue d’Allomusic, l’écoute étant entrecoupée de spots publicitaires.

A l’heure où j’écris ce billet, l’écoute n’est pas disponible, le player semblant en effet souffrir de problèmes de jeunesse. Bêta oblige…

Deux autres formules payantes respectivement 4,99 € pour l’offre Argent et 9,99 € pour l’Or, font sauter la publicité et améliorent l’écoute qui est alors qualifiée de « qualité CD » pour un taux de compression de 320 kbps.
L’offre Or propose d’une part une application (Allogiciel) permettant d’écouter sa musique sans connexion et d’autre part une version mobile du site avec écoute (mais qui ne propose pas la lecture hors connexion). L’application mobile, disponible sur iPhone et Android a été lancée il y a quelques jours seulement.

Du point de vue ergonomique, le site est plus agréable à utiliser que son prédécesseur mais nous sommes encore bien loin des canons de Deezer ou Spotify, notamment au niveau de la recherche.

Une touche de Beezik

Allomusic a conservé du premier site le concept des points. Appelé AlloCrédits dans la v1, ils sont devenus des Zeeks.

Un « zeek » vaut aussi 0,001 €. Ces points permettent ainsi de récompenser des actions effectuées par les membres, comme par exemple l’inscription qui est créditée de 100 zeeks, soit 10 centimes d’euros, ou l’écoute d’une nouveauté gratifiée de 10 zeeks (1 centime).

Ces points peuvent être échangés contre des bons cadeaux d’une valeur de 1 à 50 € auprès d’Amazon et de la Fnac. Allomusic promet sur son site des gains pouvant s’élever jusqu’à 30 € par mois ! Tant sur le fond que sur la forme, nous sommes proches de Beezik.

Les zeeks se gagnent par exemple :

  • en devenant membre,
  • en écoutant les nouveautés de la semaine,
  • en envoyant des informations sur les artistes,
  • quand un autre membre écoute trois chansons de sa playlist,
  • en parrainant ses amis.

Afin d’encourager les abonnements, les gains sont doublés si vous êtes membre Argent ou Or.

Un compétiteur de taille pour Deezer et Spotify ?

Difficile de juger de la qualité de cette offre tant le site est encore grévé de bugs empêchant d’utiliser l’écoute de morceaux en streaming. La politique tarifaire est identique à Deezer (offres Premium et Premium+) ou Spotify (Unlimited et Premium), mais Allomusic ne communique pas sur la profondeur de son catalogue. Les majors sont-ils tous là (EMI et Universal Music sont citées comme partenaires) ? Quid des nombreux catalogues d’indépendants ?
Le contenu, encore présent mais remisé à un rôle secondaire, et la gratification de points feront-ils vraiment la différence ? Le modèle initial n’ayant semble-t-il pas trouvé son public, ce repositionnement opportun laisse malgré tout planer quelques doutes sur les chances de réussite de la start-up.

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Cet article a été initialement publié sur vialet.org

CC Flickr : sickmouthy

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http://owni.fr/2010/12/07/allomusic-le-pari-du-streaming-editorialise/feed/ 1
Redéfinir les modèles économiques de la musique ? http://owni.fr/2010/11/04/redefinir-les-modeles-economiques-de-la-musique/ http://owni.fr/2010/11/04/redefinir-les-modeles-economiques-de-la-musique/#comments Thu, 04 Nov 2010 10:02:05 +0000 Philippe Astor http://owni.fr/?p=27668 Le journaliste Philippe Astor couvre l’actualité de l’industrie musicale plus vite que son ombre et nous le suivons de près. Il s’est spécialisé dans l’impact des nouvelles technologies sur l’économie de la musique et des médias. Se reposant sur les discours des visionnaires américains Seth Godin et Terry McBride, il nous livre ici un bilan de ce qui avait était prédit et nous éclaire sur les étapes à venir.

Quelle que soit l’efficacité de la loi Création et internet pour endiguer le téléchargement illégal, ou la légitimité du message adressé par les ayants droit aux internautes par l’intermédiaire de cette nouvelle législation – tout créateur doit pouvoir prétendre à une rémunération équitable dès lors que ses œuvres sont mises à la disposition du public ou exploitées, la question d’une redéfinition radicale des modèles économiques de l’industrie musicale à l’heure d’internet reste entière.

Les conséquences de la rupture technologique liée à la révolution numérique et au développement d’Internet, John Perry Barlow, fondateur de l’Electronic Frontier Foundation et ancien parolier des légendaires Grateful Dead, les résumait déjà en des termes on ne peut plus clairs en 2003 :

L’énigme à résoudre est la suivante : si nos biens peuvent être reproduits à l’infini et distribués instantanément dans le monde entier sans le moindre coût, sans que nous en ayons connaissance, et sans même que nous en soyons dépossédés, comment pouvons-nous les protéger ? Comment allons-nous être rémunérés pour le travail de notre esprit? Et si nous ne pouvons être rémunérés, qu’est-ce qui va permettre de poursuivre la création et la distribution de ces biens ?

Le dispositif de riposte graduée mis en place par la loi Création et Internet tente d’apporter une réponse à ce dilemme, en essayant de limiter la manière dont les œuvres peuvent être reproduites et distribuées à l’infini sur Internet, sans l’autorisation de leurs auteurs. Mais ce dispositif souffre déjà de nombreuses failles avant même d’avoir été activé, et tout le monde en est bien conscient, y compris ses défenseurs les plus ardus.

Aux générations successives de réseaux peer-to-peer (P2P), de Napster à BitTorrent, succèdent désormais des systèmes d’échange plus privatifs – d’amis à amis ou friend-to-friend (F2F) -, comme le logiciel open source OneSwarm, qui fait appel à la cryptographie et préserve l’anonymat de ses utilisateurs.. « OneSwarm est capable de résister au monitoring systématique qui est devenu chose courante aujourd’hui sur les réseaux P2P publics », confirment ses créateurs, dont les travaux de recherche sont officiellement supportés par la National Science Foundation et l’Université de Washington aux États-Unis.

Les limites de la riposte graduée

Les canaux empruntés par les échanges de biens numériques entre particuliers se sont en outre largement diversifiés au cours des dernières années : des newsgroups ou forums de discussion du réseau Usenet aux Direct-to-download links (liens de téléchargement directs) vers des plateformes d’hébergement comme Rapidshare, en passant par les logiciels de messagerie instantanée. La liste des protocoles de communication qu’il serait nécessaire de surveiller pour exercer un contrôle efficace sur la circulation des œuvres sur Internet s’allonge de jour en jour.

La surenchère de moyens de surveillance à mettre en œuvre, outre le fait qu’elle est susceptible de soulever de manière récurrente de nombreuses questions relatives à la protection de la vie privée et au respect des libertés publiques, risque d’engendrer des coûts bien plus rédhibitoires à terme que le manque à gagner des ayant droit lié au piratage en ligne. Le seul coût de mise en œuvre de la riposte graduée française, évalué entre 70 M€ et 100 M€, est déjà nettement supérieur à toutes les aides dont bénéficie la filière musicale, qui n’est certes pas la seule concernée.

Pourtant, elle n’en attend pas un renversement miraculeux de la tendance qui a vu ses retours sur investissement se réduire comme peau de chagrin au cours de la décennie passée. « Ce serait irréaliste de penser que cette loi va nous permettre de réaliser + 20 % l’an prochain », nous confiait il y a quelques mois Vincent Frérebeau, président de l’Upfi (Union des producteurs français indépendants) et p-dg du label tôt Ou tard. Tout comme il serait illusoire d’imaginer qu’un retour au statu quo ante, à la situation qui prévalait à la fin des années 90, lorsque l’industrie du disque était florissante, soit encore possible. Car le ressort de cet âge d’or est définitivement cassé.

« Le business du disque était parfait. C’était une industrie parfaite », explique le gourou du marketing en ligne américain Seth Godin dans la transcription, publiée sur le web, d’une conférence donné à l’occasion de la parution de son dernier essai, Tribes, sur les nouvelles tribus du Web. Et d’énoncer tous les ingrédients qui contribuaient à cette perfection : entre autres, un nombre limité de médias, dont toute une partie du spectre était consacrée à la promotion de ce que l’industrie du disque produisait ; quelques puissantes compagnies en situation d’oligopole, incontournables pour produire et distribuer un disque au niveau national comme international ; des chaînes de détaillants qu’elles ne possédaient pas entièrement dévouées à la vente et à la promotion de leurs produits…

Sans parler du florilège de magazines spécialisés dédiés à leur prescription ; d’un système de mise en avant du classement des meilleures ventes favorisant essentiellement le haut de la pyramide ; ou d’un support physique qui ne pouvait pas être copié et avait tous les attributs d’un bien rival, que l’on ne pouvait pas échanger sans en être dépossédé.

Les nouveaux rouages du marketing tribal

Mais la technologie du CD, dont le coût de reproduction était relativement marginal, portait en elle-même ce qui allait précipiter son déclin : le ver du numérique était dans son fruit. “Désormais, si je donne un enregistrement, je le détiens toujours, poursuit Seth Godin. Et ça change tout. Je ne dis pas que c’est mieux, je ne dis pas que c’est pire. Je ne dis pas que c’est moral ou immoral. Je dis seulement que ça change tout et que nous devons l’accepter.”

Pour Seth Godin:

la musique n’est pas en crise. De plus en plus de gens écoutent de plus en plus de musique, comme cela n’a jamais été le cas auparavant dans l’histoire de l’humanité. Probablement cinq fois plus que vingt ans en arrière. [...] Mais l’industrie de la musique est en difficulté. Parce qu’elle se trouve face à un nouveau paradigme.

Les nouveaux médias, comme les détaillants en ligne, prolifèrent sans aucune limite. Le marketing de masse cède le pas à un mode de communication de pair à pair beaucoup plus social. L’accent est mis de plus en plus sur les marchés de niche et de moins en moins sur les hits. Les frontières entre ceux qui produisent la musique et ceux qui la consomment sont de plus en plus perméables. Le cycle de vie des produits de cette industrie est beaucoup plus court. Ses lignes de produits elles-mêmes éclatent et ne sont plus limitées par des contraintes de fabrication mais par l’imagination. Et l’essentiel des investissements porte aujourd’hui sur l’innovation, plutôt que sur la promotion.

« Il n’y aucun moyen de passer de l’ancienne économie de la musique à la nouvelle avec un retour sur investissement garanti et des assurances écrites, ça n’existe pas », explique l’essayiste américain, qui invite les industriels à s’investir dans l’animation de « tribus » de fans, un mode d’organisation sociale hérité d’un lointain passé qui retrouve des lettres de noblesse sur Internet.

« J’ai tous les disques de Rickie Lee Jones, confie-t-il, y compris les bootlegs qu’elle vend. Je les ai presque tous achetés sur son site. Rickie Lee Jones devrait savoir qui je suis ! Ses agents, son équipe, devraient me connaître ! J’attends désespérément qu’elle m’envoie un message pour me dire qu’elle se produit en ville. Je veux qu’elle me demande : ‘Dois-je faire un album de duos avec Willie Nelson ou avec Bruce Springsteen ?’ Je veux avoir cette interaction avec elle. Et je veux qu’elle me dise : ‘J’envisage de sortir un autre bootleg, mais pas avant que 10 000 personnes l’aient acheté’. Parce que je signerais. J’en achèterais même cinq s’il le fallait. Mais elle ne sait pas qui je suis. Elle ne me parle jamais. Et quand son label essaie de me crier quelque chose, je n’écoute pas, parce qu’il pousse son cri dans un lieu [sur MTV, sur les radios du top 40, ndr] auquel je ne prête plus guère d’attention. »

Rupture psychologique

Pour Seth Godin, l’essentiel n’est plus de vendre un disque à un consommateur – « Il peut l’acheter pour 10 balles sur Amazon ou se le procurer gratuitement » -, mais de le connecter à l’artiste et à sa tribu de fans : « Il y a un très grand nombre de gens qui veulent se connecter à cette tribu, et de là où vous vous trouvez, vous avez la possibilité de faire en sorte que cette connexion ait lieu. [...] C’est très important pour les gens de sentir qu’ils appartiennent à une tribu, d’en ressentir l’adrénaline. Nous sommes prêts à payer, à franchir de nombreux obstacles, à être piétinés par la foule, si nécessaire, pour nous retrouver à l’endroit où nous avons le sentiment que les choses se passent. [...] Le prochain modèle, c’est de gagner votre vie en gérant une tribu… des tribus… des silos entiers de tribus ».

Ce changement de paradigme, Terry McBride, le charismatique patron de Nettwerk Records, label indépendant canadien (The Barenaked Ladies, The Weepies, The Old Crow Medicine show, The Submarines…), qui réalise 80 % de son chiffre d’affaires dans le numérique et dans la synchro, avec une croissance annuelle de ses revenus de 25 % dans le numérique, l’a anticipé dès 2002.

« Ce fut quelque chose d’intuitif pour moi, explique-t-il dans une interview accordée au blog américain Rollo & Grady. De toute évidence, le numérique envahissait notre univers depuis trois ans et l’effet Napster se faisait sentir. Étant une petite compagnie, qui travaillait directement avec les artistes, nous avons pu sentir ce qui commençait à se passer. Essayer de l’empêcher n’aurait mené à rien ; il fallait le comprendre et être en mesure de l’accompagner. C’était une véritable rupture psychologique pour nous. Il a fallu plusieurs années pour que le reste de la compagnie et les analystes finissent par se concentrer là-dessus. »

Pour Terry McBride, c’est toujours la pénurie qui crée de la valeur, mais Internet est un photocopieur géant, et « dès qu’une chanson est sortie, elle perd de sa rareté et n’a plus beaucoup de valeur marchande ». Au sein même de l’industrie musicale, il existe cependant de nombreuses autres formes de rareté ou de pénurie à même de créer de la valeur.

L’accès à l’artiste est unique. Et tout ce que vous pouvez organiser autour de cet accès peut créer de nouvelles formes de rareté. Lorsqu’une chanson est sur le point de sortir, elle ne conserve sa rareté que pendant cinq minutes. Mais nous en contrôlons le premier point d’entrée sur le marché, nous pouvons l’introduire de la manière que nous souhaitons, [...] créer une expérience unique à l’occasion de sa sortie, qui peut attirer 10 millions de personnes dans un endroit unique – et essayer de monétiser cette attention. (T. McBride)

Laisser les gens partager

Le patron de Nettwerk, dont le label fêtera ses 25 ans d’existence cette année, rejoint Seth Godin et sa théorie des tribus : « Nous appartenons tous à des tribus, écrit-il sur son blog. Et les membres de votre tribu sont ceux qui vous influencent le plus. Grâce à Internet et à la téléphonie mobile, ces tribus sont plus importantes que jamais et permettent de partager ses passions. Ma conviction est la suivante : laissez les gens partager. Créez un site où il peuvent échanger entre eux, mettez de la pub autour – et désormais, vous pouvez monétiser leur comportement, plutôt que la musique elle-même. Même si c’est sur Youtube. [...] Si je peux amener Avril Lavigne à faire quelque chose sur Youtube qui va la faire passer de 200 millions de connexions à 500 millions, c’est comme vendre un million de disques. »

Un de ses crédos, largement argumenté dans un livre blanc qu’il a co-écrit pour le club de réflexion anglais Musictank (Meet The Millenials ; Fans, Brands and Cultural Communities) est le suivant : « Alors que les infrastructures des labels se rétrécissent, un nouveau paradigme est en train d’émerger, dans lequel ce sont les fans qui constituent leurs nouvelles équipes de marketing, de promotion et de vente ».

Terrry Mc Bride n’en élude pas pour autant le problème posé par les échanges sauvages entre particuliers sur les réseaux peer-to-peer :

Ma conviction est qu’on ne peut pas légiférer pour aller à l’encontre de comportements sociaux, écrit-il dans un autre de ses billets. Le seul endroit où l’on puisse exercer une pression légale ou législative, c’est dans les relations business-to-business. Je pense que les câblo-opérateurs et les fournisseurs d’accès devraient payer une taxe pour rémunérer les contenus qui circulent dans leurs tuyaux. Je ne pense pas que l’on doive couper l’accès à Internet des jeunes, ils ne devraient pas être poursuivis parce qu’ils partagent leur passion pour la musique, même si je considère qu’ils devraient payer pour consommer le contenu produit par d’autres.

Payer sous quelle forme ? Celle d’un montant mensuel forfaitaire, estime-t-il, d’un abonnement aux plateformes des opérateurs ouvrant l’accès à un catalogue étendu. Un modèle auquel se rangent de plus en plus d’industriels de la musique, observe-t-il. « A l’heure où l’industrie se concentre sur 5 % du marché (la part légale du gâteau numérique), l’opportunité de monétiser les 95 % restant se présente. » Mais dans son esprit, fournir un accès étendu aux catalogues pour un montant forfaitaire n’est qu’un premier pas vers l’avenir du business de la musique.

Car une autre rupture technologique est à l’œuvre, qui deviendra selon lui réalité dans les 18 à 24 mois qui viennent. Dès demain, les AppStores d’Apple, de Nokia, de Blakberry, de Google, vont regorger d’agents musicaux intelligents conçus par des développeurs tiers, qui connaîtront les goûts musicaux de chacun et que l’on pourra installer sur les nouvelles générations de smartphones ou de baladeurs wi-fi. Nous pourrons utiliser leurs services d’accès personnalisé aux catalogues pour quelques euros par mois, et ils vont transformer en profondeur le comportement des consommateurs de musique.

Le contexte devient roi

« Il ne sera plus nécessaire de télécharger la musique, ce sera devenu une contrainte, explique Terry Mc Bride. Quantité d’applications vont vous permettre, pour quelques dollars par mois, d’accéder à toute la musique que vous voulez, comme vous voulez, quand vous voulez, à partir de n’importe quel périphérique. Dès lors, pourquoi voudriez-vous télécharger ? Pourquoi iriez-vous sur Internet pour chercher à télécharger cette musique gratuitement ? D’autant que ce que vous allez télécharger gratuitement ne fonctionnera pas nécessairement avec les applications que vous aurez sur votre smartphone. Quelques dollars, ce n’est pas cher payé pour un accès illimité. C’est dans cette direction que vont les choses. »

Pour que toutes ces applications puissent fonctionner correctement, il faudra qu’elles disposent de bonnes métadonnées, avertit le fondateur de Nettwerk Records, à la production desquelles il invite les industriels de la musique à se consacrer.

La valeur ajoutée d’un service de musique, celle que le consommateur sera disposé à payer, résidera dans sa capacité à délivrer un contenu en parfaite adéquation avec un contexte, qui pourra être une émotion ou une circonstance particulière.

Et plus les métadonnées qui accompagneront une chanson ou un morceau de musique seront riches et pertinentes, plus ils auront d’opportunités de ressortir dans un contexte particulier et d’être écoutés.

« A l’heure qu’il est, l’industrie de la musique n’est payée que pour 5 % de la consommation de musique dans l’environnement numérique. Il y a là une formidable opportunité d’augmenter ce pourcentage de manière significative, avance Terry Mc Bride. Ce n’est pas une opportunité d’augmenter le prix de la musique, mais d’augmenter sa valeur. » Un nouveau paradigme dans lequel ce n’est plus le contenu qui est roi, mais le contexte dans lequel il est délivré.

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Cet article a été initialement publié sur Musique Info.

Crédits photo CC flickr : Pieter Baert, virtualmusictv, mathias poujol rost, roberto

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Webjournalisme: tentative de typologie http://owni.fr/2010/09/23/webjournalisme-tentative-de-typologie/ http://owni.fr/2010/09/23/webjournalisme-tentative-de-typologie/#comments Thu, 23 Sep 2010 09:42:26 +0000 Louis Haushalter http://owni.fr/?p=29074 L’information sur Internet est désormais solidement installée dans nos sociétés. Son influence va grandissante. Un récent sondage Fleishman-Hillard / Harris Interactive réalisé dans sept pays montre ainsi que le web et les conseils de son entourage sont les deux sources d’informations les plus importantes pour les consommateurs, loin devant les mails, la télévision, la presse, la radio…

Le public plébiscite donc cette nouvelle manière de consommer l’information. Les journalistes en prennent acte, et cherchent par conséquent à rendre toujours plus innovante leur production de contenus en ligne.  Le temps des tâtonnements, celui qui voyait la presse imiter sur le web ce qu’elle faisait sur papier (en commettant au passage l’erreur de la gratuité), est révolu. Chacun sait maintenant que le webjournalisme est une forme de journalisme à part entière, avec ses outils, ses codes et ses supports propres.

Les différentes formes de webjournalisme

Mieux: grâce au potentiel multimédia inouï que permet l’Internet, le webjournalisme se décline sous plusieurs formes très variées qui ont progressivement émergé et se trouvent aujourd’hui à des stades de développement différents. Nous distinguerons ici six catégories, dont les dénominations et les caractéristiques ne demandent qu’à être discutées et complétées :

  • Le “flash journalism” reste la forme la plus classique. Il s’agit de l’information brute, à la limite du copié-collé de dépêche AFP, dont les sites d’information traditionnels sont champions. Il prend la forme de courts articles publiés à chaud, rarement accompagnés de contenu multimédia, et illustre le mimétisme de l’information qui fait rage sur Internet. Un exemple pioché au hasard dans Google News : l’annonce de la libération de Dany Leprince a donné lieu à des dizaines d’articles qui se démarquent rarement les uns des autres.
  • Le “live journalism” a été inventé par la radio et la télévision mais trouve un prolongement sur le web. Comme son nom l’indique, il consiste à faire vivre les évènements au public en direct. L’exemple du suivi en live des procès illustre de mieux en mieux le développement de cette forme de journalisme.
  • Le “narrative journalism” est ce qu’on appellerait en français le journalisme de terrain ou d’enquête. C’est le mythe du journaliste infiltré faisant éclater au grand jour des scandales politico-financiers ou du grand reporter parti à la rencontre des habitants des townships d’Afrique du Sud. C’est le type de journalisme dans lequel la forme impersonnelle de la troisième personne laisse parfois la place au “je” et à la subjectivité revendiquée. Si l’on regroupe ici sous la même appellation le journalisme d’enquête et le reportage au long cours, c’est (au-delà d’une certaine ressemblance dans la forme) parce que ces catégories de journalisme sont en crise, car elles n’ont pas trouvé le moyen de s’adapter à la transition numérique. Pourtant, le web pourrait offrir de multiples possibilités de rebond aux nostalgiques d’Albert Londres…
  • Le “blog journalism” est la pratique du blog appliquée au journalisme : de courts billets assez subjectifs, mêlant de préférence texte et contenus multimédias, permettant d’apporter rapidement un éclairage ou un commentaire personnel sur l’évènement, mais aussi de dialoguer avec les internautes qui ont la possibilité de laisser leurs commentaires. Les blogs de journalistes sont aujourd’hui très nombreux, notamment dans le cas des journalistes spécialisés (politique, médias, automobile, religion…). On peut aussi retenir l’exemple de Christophe Barbier, qui présente l’originalité de pratiquer le blogging à la fois en texte et en vidéo.
  • Le “talk journalism”, enfin, est le journalisme d’interaction. Il rassemble le traitement des réactions et témoignages des internautes, les interviews en t’chat, les sondages et débats entre journalistes, experts et grand public… Le Web 2.0 a progressivement consacré ces nouvelles manières d’associer M. et Mme Tout-le-monde au traitement de l’information.

Précisons que ces formes de journalisme ne constituent que des modèles purs, des “idéaux-types”, qui ne sauraient être des catégories rigides dans lesquelles classer les différents contenus d’information. Par exemple, les publications de pure players type Rue89 sont souvent au croisement du narrative journalism, du talk journalism et – parfois – du data journalism.

Une question de support

Il n’en reste pas moins que le webjournalisme s’est démultiplié en plusieurs types de journalisme. Voilà pour le fond. En ce qui concerne la forme, on a également assisté à une démultiplicatio : celle des supports. Il est loin le temps où Internet était seulement disponible depuis un ordinateur de bureau. Aujourd’hui, l’information est accessible depuis différents supports numériques, chacun permettant de privilégier tel ou tel usage :

  • L’ordinateur classique, fixe ou portable, reste un outil central. Polyvalent, il présente toutefois des handicaps en terme de mobilité et parfois de confort.
  • Le téléphone mobile, qui est de plus en plus en souvent un smartphone, ne permet qu’une consommation limitée et souvent rapide de contenus, mais présente l’avantage évident de la mobilité. C’est l’avènement de l’information partout et tout le temps. Il convient de souligner le rôle croissant des applications, essentielles au développement de l’information sur mobile.
  • Les tablettes, qui devraient progressivement trouver leur public sous l’impulsion du lancement de l‘iPad, permettent également une certaine mobilité mais surtout un meilleur confort et une forte plasticité multimédia (liée en grande partie à l’écran tactile). Cependant, elles valorisent surtout la consommation de contenus, et non la production : il est par exemple bien moins confortable de rédiger un billet de blog avec un iPad qu’avec un ordinateur…
  • Enfin, les outils du web social (Facebook, Twitter…) sont également à classer parmi les supports. Non pas au sens physique, mais au sens où ils permettent de publier et de valoriser du contenu d’information ailleurs que sur les sites et applications créés par les médias. A la différence de ceux-ci, les réseaux sociaux permettent d’aller chercher l’internaute là où il est et de valoriser l’aspect participatif de l’information. Notons enfin qu’ils sont accessibles depuis l’ensemble des supports  physiques évoqués ci-dessus.

Des modèles économiques variés

Faisons enfin un bref tour d’horizon des modèles économiques utilisés pour tenter de monétiser l’information sur le web, en se plaçant du point de vue de l’internaute, donc en reprenant l’opposition basique gratuit-payant :

  • Le modèle gratuit, ultra-répandu dans le monde de l’information sur Internet, se finance (ou plutôt essaie de se financer) principalement par la publicité (bannières display, liens sponsorisés…). Dans cette optique, certains modèles publicitaires spécifiques peuvent être utilisés, comme le sponsoring professionnel (exemple : Slate.fr a fait sponsoriser son site dédié à la Coupe du monde par un unique partenaire, Geodis, qui bénéficie ainsi de tout l’espace publicitaire de ces pages) ou grand public (exemple : le “Mur” de Rue89). Pour compléter ces (trop faibles) revenus, une piste supplémentaire consiste en le développement d’activités parallèles, comme la formation ou la conception de sites (Rue89) ou encore l’organisation de conférences (Les Echos). Nous écartons ici les solutions plus taboues mais (hélas) bien réelles que sont les subventions publiques et le mécénat.
  • Le modèle payant, d’abord écarté par les éditeurs, a été remis au goût du jour par la non rentabilité du modèle publicitaire. Certains sites privilégient désormais une approche “freemium” : une partie gratuite accessible à tous et une partie payante réservée aux abonnés. Pour les internautes refusant de payer un abonnement, il est également souvent possible de payer à l’acte certains contenus (par exemple les archives du Monde). Unique en son genre, Mediapart a choisi le modèle du tout payant (sauf pour sa partie participative), en proposant toutefois un contenu d’exclusivité et de qualité. S’il n’est pas en vogue dans l’Internet traditionnel, le payant a cependant un peu plus la cote sur les smartphones (applications payantes) et surtout sur les tablettes : les journaux ont ainsi juré de ne pas réitérer l’erreur de la gratuité totale sur l’iPad.

Types de webjournalisme, supports de l’information, modèles économiques : nous avons passé en revue chacun des éléments de cette triplette. Il est maintenant possible de bâtir une typologie associant à chaque forme de journalisme les supports et modèle(s) économique(s) qui seraient les plus appropriés :

Quelques explications :

  • Le flash journalism est l’info brute, prête à être consommée rapidement et partout (pardon de parler en des termes aussi alimentaires mais c’est ainsi, il s’agit bel et bien de l’info fast food). Le smartphone est donc son support de prédilection. Elle ne présente aucune originalité puisqu’on la trouve partout, d’où son accès gratuit et son financement par la publicité.
  • Le développement du live journalism est inextricablement lié à celui des outils de microblogging type Twitter. Il doit investir ces plate-formes pour aller recruter sur place l’internaute cherchant l’information en direct. Là aussi, le smartphone permet de faire vivre l’information partout, mais les tablettes et sites web offrent plus de possibilités en termes de contenu live et d’interaction à chaud. Les journalistes n’étant pas les seuls à “liver” les évènements, un modèle gratuit sera là aussi privilégié.
  • Avec le narrative journalism, on change complètement d’optique. Ce journalisme qui prend son temps est aussi un journalisme qui coûte cher, d’où un modèle payant (abonnement), justifié par l’exclusivité et la qualité du contenu. (On peut aussi penser à un modèle original qui émerge aux USA :  le crowdfunding (mécénat populaire), qui consiste à faire financer à l’avance par le public les sujets qu’il veut découvrir.) Côté supports, les tablettes sont sûrement le plus indiqué car leur confort favorise la lecture longue et leur possibilités techniques permettent de valoriser les contenus multimédias, par exemple dans le cas des webdocumentaires.
  • Le data journalism reste globalement dans les mêmes problématiques : un travail d’ampleur et une nécessité de valoriser le contenu de façon intuitive (animations flash, tableurs, graphiques…), d’où une préférence pour les tablettes et un modèle payant. Cependant, concernant ce dernier, le paiement à l’acte serait peut-être plus indiqué que l’abonnement pour une raison simple : la différenciation des attentes quant au fond. En effet, l’internaute qui veut consulter le classement complet des hôpitaux français aujourd’hui ne voudra pas peut-être découvrir la carte interactive de la chasse à la baleine dans le monde demain…
  • Le blog journalism doit s’épanouir en utilisant les outils innovants de blogging et microblogging type Tumblr, qui permettent de varier les types de contenus (images, vidéos, liens…) et de partager les billets de blogs pour créer l’interaction avec les internautes. Le modèle est évidemment gratuit (on voit mal faire payer la consultation d’un blog…) mais on peut éventuellement privilégier le sponsoring, en associant un blog ou un groupe de blogs à une marque (en faisant toutefois attention aux conflits d’intérêts).
  • Le talk journalism doit jouer à fond la carte des réseaux sociaux, et notamment s’installer sur Facebook (400 millions d’utilisateurs actifs, ça fait réfléchir). Son modèle est gratuit mais son apport “en nature” n’est pas négligeable en termes de visiteurs redirigés, de notoriété, d’informations signalées par les internautes… Par ailleurs, on peut imaginer un accès réservé aux abonnés pour certains éléments, comme par exemple l’interview en t’chat d’une personnalité ou la possibilité de poser des questions aux journalistes spécialisés (comme le fait lefigaro.fr).

Il n’existe donc pas une recette miracle, les solutions sont multiples. Ces pistes ne demandent qu’à être discutées mais elles montrent bien que le webjournalisme est un journalisme qui se décline, à la fois en termes de supports et de modes de monétisation. Il n’est pas voué à n’être qu’une forme précaire et dévalorisée du journalisme, mais est au contraire promis à un grand avenir, pour peu que journalistes et éditeurs sachent comprendre les attentes du public et agencer fond, forme et modèle économique de façon à trouver les combinaisons gagnantes. C’est à cette condition qu’est soumise la pérennité du journalisme sur Internet.

Article initialement publié sur FuturJournalisme

Illustrations CC FlickR par Thomas Hawk et MoMoNWI

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