OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Du commerce et des licences libres http://owni.fr/2011/09/02/les-autres-modeles-economiques-des-licences-libres/ http://owni.fr/2011/09/02/les-autres-modeles-economiques-des-licences-libres/#comments Fri, 02 Sep 2011 17:19:18 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=77970 La question revient souvent à propos des licences libres de savoir si elles sont réellement capables de s’articuler avec des modèles économiques viables pour la production de biens culturels, autrement que par le système de monopole exclusif du droit d’auteur « classique ».

La semaine dernière, j’ai reçu par la Poste une preuve tangible que de tels modèles économiques peuvent exister, en associant licences libres et crowdfunding (financement participatif), ce système dans lequel le créateur demande en amont au public de contribuer à la réalisation d’un projet en donnant une somme d’argent laissée à son appréciation.

Copying is an act of love. Please copy.

Vous vous souvenez peut-être qu’en mai dernier, j’avais écrit un billet à propos du projet de la dessinatrice et activiste de la Culture libre, Nina Paley, qui avait utilisé le site de crowdfunding américain Kickstarter pour lancer un appel aux dons en vue de publier des minibooks mettant en scène ses deux personnages de BD, Mimi & Eunice, dans des strips en trois cases traitant de la propriété intellectuelle et de ses excès (Intellectal Pooperty).


L’originalité du projet résidait dans la « licence » retenue par Nina Paley pour ses ouvrages : le Copyheart qui se résume à ceci :

♡ Copying is an act of love. Please copy.

Nina Paley demandait 3000 dollars pour imprimer les minibooks et les envoyer sous forme de récompense à ses contributeurs.

Cet objectif a été atteint en… deux jours (!!!), puis très largement dépassé pour permettre d’imprimer 10 000, puis 20 000 minibooks, avec au total plus de 8000 dollars collectés par le biais des dons de 305 personnes.Visiblement le plus difficile fut d’arriver à expédier les BD à tous les contributeurs partout dans le monde, à cause des facéties de la poste américaine. Bravo Nina pour cette réussite !

Ayant fait un don de 25 dollars pour soutenir ce projet, j’ai eu le plaisir de recevoir la semaine dernière non pas 5 minibooks comme promis mais 15, grâce à l’argent supplémentaire récolté.


Mes quinze exemplaires d’Intellectual Pooperty, le minibook de Nina Paley (jeu de mots difficile à traduire : Impropriété Intellectuelle ? Une chose intéressante à présent serait d’ailleurs de traduire ces strips en français. Des candidats ?)

Je dois avouer que c’est avec une certaine émotion que j’ai lu ce petit livre, qui prouve qu’une création peut naître et toucher un public en dehors de tout système de protection de la propriété intellectuelle. Mais les choses ne s’arrêtent pas là, car en creusant un peu, je me suis rendu compte que d’autres projets sur la plateforme Kickstarter associent licences libres et crowdfunding, de manière souvent très inventive.

Une page recense en particulier les projets utilisant les licences Creative Commons et je vous invite vivement à la visiter.

Vous y découvrirez par exemple le projet Smarthistory, qui vise à produire des vidéos pédagogiques sur l’histoire de l’art, placées sous licence CC-BY-NC-SA, et rassemblées sur un site qui constitue un véritable manuel éducatif interactif. Cette initiative associe plusieurs musées dans le monde et a été primée aux Etats-Unis.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Plusieurs projets portent sur l’édition de livres, sous forme imprimée et/ou numérique. J’avais déjà évoqué dans un billet précédent le cas de Robert Sloan, qui a réussi à faire financer l’écriture de son premier roman par une communauté de fans, en contrepartie de le placer sous licence libre, ou celui du projet Gluejar, qui me paraît très prometteur.

D’autres exemples de projet d’édition sont particulièrement intéressants. Avec The Wise Roads, deux éducateurs ont utilisé Kickstarter pour rassembler suffisamment d’argent pour organiser un voyage éducatif le long de la côte ouest des Etat-Unis, en testant de nouvelles méthodes d’apprentissage basées sur les échanges avec l’environnement. A l’issue de cette expérience, ils écriront un manuel racontant leur périple et donnant des indications pour permettre à d’autres de mettre en place de nouveaux voyages éducatifs. Ce livre sera mis gratuitement à disposition sous licence CC-BY en version électronique et vendu en format papier.

OpenUtopia est un autre projet éditorial qui vise à produire une nouvelle traduction de l’Utopie de Thomas More, en Open Source, en Open Access, sous de multiples formats et sous la forme d’un site interactif en ligne. C’est une excellente manière de faire revivre une oeuvre du domaine public, sans l’enfermer sous une nouvelle couche de copyright, comme c’est hélas bien trop souvent le cas et je vous conseille de visiter le site, qui comporte même un WikiTopia pour écrire de manière collaborative une nouvelle utopie.

Un peu dans la même idée, transposée dans le domaine de la musique, on trouve plusieurs projets dont le but est de produire des enregistrements libres de droits de morceaux de musique classique. C’est le cas du projet Musopen, qui avait fait parler de lui en 2010, et qui consistait à rassembler suffisamment d’argent pour faire enregistrer par un orchestre de musique classique des oeuvres de Beethoven, Brahms, Sibelius ou Tchaikovsky. Les musiciens ont accepté de renoncer à leurs droits voisins sur leurs interprétations, ce qui permet de les verser dans le domaine public en utilisant la licence Creative Commons Zéro (CC0). Ce projet a connu un succès retentissant sur Kickstarter avec plus de 60 000 dollars récoltés (6 fois plus que la somme initialement escomptée…). Sur le même principe, une suite a été donnée à ce projet pour libérer les Variations Goldberg de Bach et produire à la fois une partition et un enregistrement libres de droits (23 748 dollars).

De manière peut-être plus inattendue, on trouve également sur Kickstarter des projets citoyens d’Open Data combinant licences libres et crowdfunding. Une initiative propose par exemple de créer une carte libre des transports en commun de Cincinnati pour inciter les citoyens de la ville à utiliser davantage et mieux ces infrastructures (ça ne vous rappelle rien ? ;-). Un autre projet, RDTN.org (Radiation Detection Hardware Network) proposait de rassembler des fonds pour acheter du matériel permettant de procéder à des relevés des taux de radiation au Japon, de manière à pouvoir critiquer les chiffres avancés par le gouvernement, toutes les données collectées étant placées sous licence CC0. Il a rassemblé plus de 36 000 dollars et propose d’évoluer vers une sorte d’Open Street Map de vigilance citoyenne sur la radioactivité.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Encore plus surprenants, ce sont les projets qui proposent de placer des objets physiques sous licences libres, comme des puces électroniques ou des fraiseuses de salon, permettant de réaliser soi-même toutes sortes d’objets dans l’esprit de l’impression 3D ! Dans le projet de fraiseuse Open Source DIYLILCNC 2.0, les contributeurs, à partir d’un certain niveau de dons, peuvent aussi voter pour faire évoluer le projet dans tel ou tel sens, ce qui renforce la dimension collaborative.

On le voit, les possibilités sont vastes pour créer des modèles économiques avec des licences libres. Certains projets placent leurs produits sous des licences très ouvertes, en assurant le financement en amont par le biais du crowdfunding. D’autres conservent la restriction NC (pas d’usage commercial) pour pouvoir mettre en œuvre des formes d’exploitation commerciale des produits créés, tout en garantissant des usages ouverts par le biais des licences Creative Commons.

Cette page ne recense pas tous les projets utilisant les licences Creative Commons sur Kickstater, loin de là et je vous laisse continuer l’exploration des possibles, si ce sujet vous intéresse.

Évidemment, je ne prétends pas que cette combinaison du crowdfunding et des licences libres a pour vocation de remplacer entièrement les formes traditionnelles de financement, mais elle ouvre des pistes intéressantes et présente l’intérêt de mettre directement en relation les créateurs et leurs publics, plutôt que de les dresser les uns contre les autres et de perpétuer la rente de situation d’intermédiaires dont l’utilité devient de moins en moins évidente.

Publié initialement sur Si.Lex sous le titre Licences libres et crowdfunding

Illustration Flickr CC Paternité Aurimas Rimša

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Des licences libres pour concilier innovation sociale et économique http://owni.fr/2010/06/14/des-licences-libres-pour-concilier-innovation-sociale-et-economique/ http://owni.fr/2010/06/14/des-licences-libres-pour-concilier-innovation-sociale-et-economique/#comments Mon, 14 Jun 2010 17:19:52 +0000 Regards Citoyens http://owni.fr/?p=18650 Le mouvement OpenData vit depuis quelques mois un véritable essor avec l’adoption de bonnes pratiques par un nombre croissant d’institutions nationales comme locales. Ainsi, des initiatives fleurissent en Angleterre, au Canada, en Australie et même en Italie. OKFN signalait ce week-end que le hashtag #OpenData fait l’objet d’un tweet toutes les 2 minutes en semaine en moyenne ! Partout ces actions suivent une démarche identique, adoptant les critères bien définis du savoir ouvert, conditions nécessaires au développement d’usages innovants socialement et économiquement : diverses études universitaires ou institutionnelles en préparation l’illustrent bien.

Faire travailler les citoyens, mais encore faut-il qu’ils s’y retrouvent

Poster de l’Open Data CC-nc-by-sa Lifesized

En France, les initiatives commencent à poindre mais sans toujours suivre ces mêmes démarches : nous l’avons vu la semaine dernière avec le cas parisien. L’initiative de Rennes Métropole avec l’ouverture des données de son opérateur des transports en commun offre de meilleures perspectives. Lors d’une intervention au GFII, l’opérateur technique (In-Cité) impliqué dans le projet de libération des données rennaises a expliqué que le projet était né d’une constatation : les collectivités locales ne seront pas capables de financer des applications web ou mobiles pour toutes les plateformes ou tous les usages. De plus, lorsqu’elles les financent, ces applications ne correspondent souvent pas aux usages attendus par les citoyens. Pourquoi donc ne pas laisser ces citoyens technophiles développer ces applications en leur fournissant les données ?

Mais les citoyens sont-ils prêts à travailler sans contrepartie pour leurs collectivités ? Il existe un monde où des développeurs créent sans attendre plus que le respect de leur travail, une certaine reconnaissance ou simplement la satisfaction d’avoir aidé et contribué à un objectif commun : la communauté du Logiciel Libre. Un gros travail de mutualisation des connaissances juridique a été fait afin de trouver des licences qui soient équitables pour le plus grand nombre : les licences GPL ou BSD sont des exemples notables de ce travail de mutualisation. Le succès rencontré par ces licences dans le monde du logiciel a commencé à irradier d’autres sphères : la documentation, la création artistique, l’éducation, la connaissance, la cartographie

Innovation sociale et innovation économique vont de pair

Wikipédia ou OpenStreetMap sont deux projets emblématiques de cet engouement citoyen. Comme dans le Logiciel Libre, ils autorisent l’utilisation commerciale de leurs travaux. Les sceptiques avaient prédit une exploitation commerciale généralisée de ces travaux, mais force est de constater qu’il n’en est rien. Les licences qu’ils ont choisies (CC-By-Sa pour le premier, bientôt ODBL pour le second) garantissent un juste équilibre : si une entreprise cherche à s’enrichir injustement à partir de leur travail, les sources étant accessibles à tous, une alternative économiquement raisonnable apparait.

Le fait que ces licences permettent une utilisation commerciale est au contraire source d’innovation. Des éditeurs peuvent proposer des livres ou des applications mobiles à partir de ces travaux. Le service apporté valorise ainsi le travail réalisé dans ces projets. Souvent, une partie du bénéfice réalisé est même reversé pour contribuer à ces projets et en pérenniser le travail.

Clause Non Commerciale : un risque juridique

Comme nous l’évoquions dans un précédent billet, associer la réutilisation des données à des conditions de non réutilisation commerciale pose des problèmes juridiques importants. Avoir recours à la publicité pour financer les frais d’hébergement d’un service à but non lucratif représente-t-il une activité commerciale ? Utiliser des données publiques pour générer du trafic et ainsi offrir plus de visibilité à ses activités commerciales peut-il être considéré comme une activité non-commerciale ? Pour les plus petits utilisateurs, les clauses NC seront souvent un frein à l’adoption des jeux de données proposés. Ce serait donc instaurer une discrimination aux usages.

C’est conscient de ces risques que des projets comme Wikipédia ou Open Street Map ont fait le choix de ne pas utiliser ce type de restrictions. Lorsque des administrations optent pour des licences interdisant les usages commerciaux, elles font donc le choix de se couper de ces projets emblématiques. Elle ne se donnent pas la chance de profiter de la visibilité offertes par ces sites (150 millions de visiteurs uniques pour Wikipédia). C’est d’autant plus dommageable que le travail effectué par ces communautés pourrait constituer un atout majeur pour les données publiques. En rendant accessible les données cartographiques à tous et sans discrimination, OpenStreetMap propose une alternative plus que crédible face aux services de cartographies publiques. Faire le choix d’être incompatible avec leurs licences pourrait être interprété plus que négativement par ces communautés. Ainsi, alors que l’Open Data vise à rapprocher les citoyens de leurs administrations, le choix de la clause NC aurait plutôt tendance à les éloigner.

Faire payer les usages commerciaux pour financer la gestion de frais de licences ?

Extrait de Open Data Impacts Timeline CC-nc-by-sa PracticalParticipation.co.uk

La volonté de certaines administrations d’imposer cet usage NC part d’un constat erroné : la mise à disposition de données, seule pouvant être soumise à redevance, coûte beaucoup d’argent ; les entreprises en tirant profit doivent donc participer a leur financement.

Gordon Brown, l’ancien premier ministre anglais, l’a affirmé lors d’un discours en mars 2010 : pour mettre à disposition les données publiques, il n’y a nul besoin d’infrastructures informatiques coûteuses. Son successeur partage d’ailleurs ce constat et poursuit la politique engagée. L’une de ses promesses de campagne était de rendre accessibles et réutilisables les données financières de Grande Bretagne. Ayant identifié les frais de bande passante comme un potentiel coût important, le gouvernement à choisi d’utiliser un protocole d’échange peer-to-peer (BitTorrent) pour en limiter les dépenses. Si la mise à disposition était réellement coûteuse, la décision aurait sans doute pris plusieurs années, or 26 jours ont suffit à la nouvelle administration pour mettre en œuvre cette promesse de campagne.

Nous l’avons vu, le coût marginal de la mise à disposition est quasi-nul, dès lors qu’il s’agit de données numériques. Que justifie alors le prix parfois élevé des redevances demandées par certains organismes publics pour des jeux de données déjà constitués ? Dans son discours, Gordon Brown pointait la réticence des administrations à perdre du contrôle sur leurs données. De notre côté nous pensons qu’elles résultent également d’un calcul inexact : le prix des licences est fixé notamment pour financer le coût de leur gestion : gestion de la facturation, juristes, comptabilité, relations clients… Mais en fonction du nombre de licenciés (souvent rebutés par la complexité des méthodes de facturation), les revenus liés peuvent ne pas couvrir ces frais, rendant alors cette gestion contreproductive.

Deux choix de licences s’offrent aux administrations

Il a été démontré par Thomas Saint Aubin que le droit français des données publiques n’est pas incompatible avec les licences libres. L’Open Data peut donc exister en France. Se pose simplement, pour les administrations voulant franchir le pas, la question de savoir sous quel type de licence rendre public leurs données. Deux choix s’offrent à elles :

  • Utiliser des licences offrant le maximum de libertés aux ré-utilisateurs. Dans ce cas, les institutions publiques demandent juste le respect de la loi : citer la source et la date des données sans en altérer le sens. Ce choix est celui qui permettra sans doute le plus de ré-utilisation : les problèmes de compatibilité entre jeux de données sont levés et il est possible de les mélanger avec des données privées non-diffusables. C’est le choix qui a été fait par la majorité des institutions publiques anglo-saxonnes en adoptant des licences proches de la CC-by, CC-zero ou autre PDDC.
  • Utiliser des licences imposant un devoir contributif aux ré-utilisateurs. En utilisant les données publiques, le ré-utilisateurs s’engagent à rediffuser les données modifiées en redonnant à leurs utilisateurs les même libertés dont ils ont bénéficié. C’est le type de licence employé par les projets citoyens comme Wikipédia ou OpenStreetMap : CC-by-sa ou ODBL. Ce choix pourra permettre à tout utilisateur des données modifiées et rediffusées de vérifier la bonne application de l’article 12 de la loi de 1978 imposant la non-altération du sens. Il permettra en plus aux administrations de mieux suivre les usages faits à partir de leurs données, et de pouvoir profiter des éventuelles améliorations effectuées. En revanche, ce type de licence empêche les réutilisateurs de s’accaparer les données ou de les mélanger avec des données non diffusables. Pour ce type d’usages, les administrations publiques pourraient envisager de lever l’obligation contributive contre le paiement d’une redevance.

Pour s’inscrire dans le mouvement de l’Open Data, les administrations françaises doivent faire les bons choix de licence. Comme nous venons de le voir, elles peuvent donner un petit avantage soit à l’innovation économique en permettant à tous d’utiliser les données produites, soit à l’innovation sociale, en demandant aux ré-utilisateurs de participer à l’effort de qualification des données. Le choix des licences libres permettra de marquer une préférence sans pour autant opposer citoyens, moteurs de l’innovation sociale, et entreprises, vecteurs de l’innovation économique. Au sein même du mouvement mondial qui se construit, elles peuvent donc faire preuve d’audace.


> Article initialement publié sur Regards Citoyens

> Illustrations CC Flickr par Lifesized, PracticalParticipation.co.uk, T.R.G.

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Licences libres et informations du secteur public http://owni.fr/2010/06/14/licences-libres-et-informations-du-secteur-public/ http://owni.fr/2010/06/14/licences-libres-et-informations-du-secteur-public/#comments Mon, 14 Jun 2010 10:37:46 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=18570 Texte à paraître dans la rubrique “Zoom sur ….” du site de l’ADBS

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A l’heure où les portails de données publiques prospèrent déjà dans plusieurs pays, et où la France va bientôt présenter le sien [1], les données publiques sont l’objet de toutes les attentions.

Dès 2005 pourtant, une ordonnance [2] qui répondait aux obligations d’une directive européenne [3] organisait déjà les conditions de la réutilisation des informations publiques, en complétant une loi qui aménageait en 1978 la liberté d’accès aux documents administratifs [4] [5].

L’objet de la loi sur la réutilisation des informations publiques

La loi parle d’informations, soit d’un ensemble intelligible de donnée [6]. Ces informations sont dites publiques car contenues dans des documents élaborés ou détenus par des organismes du secteur public : l’État, les collectivités territoriales, les organismes privés et publics chargés d’une mission de service public.

Échappent à ces dispositions, les documents dont la communication ne constitue pas un droit en application de dispositions législatives, ceux pour lesquels des tiers disposent de droits de la propriété intellectuelle, ceux qui sont élaborés et détenus par les administrations dans l’exercice d’une mission de service public à caractère industriel ou commercial (art. 10).

On note aussi une dérogation importante puisque les établissements et institutions d’enseignement et de recherche, les établissements et organismes ou services culturels peuvent « fixer librement » les conditions de la réutilisation des documents qu’ils élaborent ou détiennent (art.11).

La réutilisation des données, finalité de la loi, doit être entendue comme une utilisation qui se fait « à d’autres fins que celles de la mission de service public en vue de laquelle les documents ont été élaborés ou sont détenus » (art. 10) [7].

Les conditions de la réutilisation

La loi accorde à l’administration la possibilité d’ exiger que les sources et la date de dernière mise à jour soient mentionnées et que la réutilisation ne doit pas donner lieu à une altération des informations ou à une dénaturation de leur sens (art. 12).

Lorsque les documents comportent des données personnelles, ils ne peuvent être réutilisés que si la personne intéressée y a consenti, si l’autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou si une disposition législative ou réglementaire le permet. Elle rappelle que lorsque des données personnelles figurent dans des documents, la réutilisation doit répondre aux obligations de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (art.13).

La loi sur les données publiques indique aussi que les administrations peuvent soumettre la réutilisation au paiement d’une redevance et à l’obtention d’une licence (art. 15 et 16), que la cession ne doit pas, sauf cas exceptionnel, être exclusive (art.14) et que lorsque l’administration utilise ses informations à des fins commerciales, les restrictions qu’elle est susceptible d’apporter ne doivent pas avoir pour effet de limiter la concurrence (art. 16).

Les enjeux

L’une des questions majeures tourne autour de la mise à disposition gratuite de ces informations, y compris pour des réutilisations à des fins commerciales [8], et autour du champ des informations proposées par les administrations.

  • La mise à disposition gratuite

La loi n’interdit pas qu’une information puisse être utilisée en échange d’une redevance. C’est le cas notamment lorsque des droits (de propriété intellectuelle, par exemple [9]) doivent être acquittés ou que des traitements spécifiques (l’anonymisation, par exemple) doivent être appliqués à un document. Un établissement public peut choisir d’y inclure les coûts de collecte et de production des données, et même une “rémunération raisonnable » de ses investissements.

Les administrations pourraient ainsi réinvestir les sommes collectées pour concevoir de nouveaux produits et services, et répondre au souci d’augmenter la part de l’autofinancement dans leurs ressources.

Mais plusieurs arguments plaident en faveur d’une mise à disposition gratuite : la constitution de ces informations déjà payée par l’impôt et des licences coûteuses à mettre en œuvre (arrêté de facturation, lourdeur contractuelle, frais de gestion) qui représentent un frein à la réutilisation. On note surtout que la gratuité, en favorisant le nombre et la diversité des applications, s’avère avoir un effet de levier pour l’économie et la société. Contribuant ainsi au développement d’une ville [10], d’une région [11], d’un pays, la gratuité s’avérerait dans plusieurs cas plus rentable à terme que les recettes immédiates provenant des licences.

  • Le champ des données concernées

Les informations du secteur culturel ainsi que celles de l’enseignement et de la recherche présentent un enjeu particulier. Puisque les établissements de ces secteurs sont totalement libres d’organiser la réutilisation de leurs données (art.11), ils peuvent aller en deçà des conditions et imposer des demandes de licence avec des redevances définies selon leurs propres critères, y compris pour des réutilisations non commerciales. Ils peuvent aussi se placer sous le giron de cette loi et en adopter les dispositions applicables aux autres établissements, mais aussi aller au-delà et autoriser gratuitement la réutilisation, y compris lorsqu’il s’agit d’usages commerciaux [12].

Favorisant dans ce dernier cas, la diffusion des œuvres, ils contribueront au rayonnement culturel de la France, comme le préconise Bruno Ory-Lavollée dans un rapport diffusé depuis peu officiellement [13]. Ils répondront aussi aux préconisations du Manifeste du domaine public qui met l’accent sur le rôle joué par le domaine public dans le droit d’auteur [14].

L’apport des licences libres

Elles répondent aux enjeux qui viennent d’être décrits, mais posent notamment la question de leur articulation avec les dispositions de la loi de 1978.

  • Pourquoi utiliser une licence pour des données libres ?

Pour la loi sur la réutilisation des informations publiques, la licence ne s’impose que s’il y a redevance (art.16). Mais selon le décret du 30 décembre 2005 [15], une administration peut utiliser des licences, même pour une réutilisation à titre gracieux, afin de rappeler les conditions de la réutilisation.

Une licence répond ainsi à la nécessité d’informer les utilisateurs et d’encadrer les usages, un besoin que nous avions déjà constaté [16].

  • Pourquoi ne pas adopter une licence Creative Commons (CC) ?

Les licences CC ont été conçues pour encadrer les usages des œuvres protégées par le droit d’auteur. Une administration peut choisir de les utiliser pour organiser les réutilisations des données pour lesquels elle détient des droits de propriété intellectuelle, voire même, avec l’accord des intéressés, pour les documents sur lesquels des tiers disposent de droits de propriété intellectuelle.

Mais s’il s’agit d’informations, de données ou de documents qui ne sont plus protégés par le droit d’auteur, ces licences ne sont pas adaptées. Ainsi, par exemple, l’option CC Paternité-Pas de modification interdit, en interdisant toute œuvre dérivée, toute réutilisation et l’option CC Paternité, tout comme le protocole CC Zéro, qui conduit à mettre une œuvre dans le domaine public, trop larges, ne répondent pas notamment aux obligations de l’article 12 de la loi [17].

En revanche, on peut choisir de recourir à la licence Information Publique (IP) [18], conçue comme une licence libre, pour encadrer les réutilisations de données publiques non protégées par le droit d’auteur [19]. Cette licence s’appuie sur le droit des données publiques et non sur le droit de la propriété intellectuelle, tout en se conformant aux dispositions de celui-ci.

Pourquoi une licence propre aux données publiques ?

La licence IP, choisie par le ministère de la Justice [20] pour être appliquée à certaines de ses données, permet une réutilisation gratuite, y compris à des fins commerciales des données du répertoire d’une administration. Elle ajoute des conditions à la licence Creative Commons Paternité [21], en reprenant celles de loi modifiée de 1978 qui impose que l’on mentionne les sources et la date de mise à jour, que l’on n’altère pas les données et n’en dénature pas le sens.

Elle prévoit aussi que celui qui a utilisé une donnée publique ne puisse autoriser une réutilisation de celle-ci, par une nouvelle licence, que s’il a ajouté de la valeur (documentaire, technique, éditoriale) à la donnée initiale. Cette licence, accordée pour une durée limitée, mais reconductible tacitement [22], donne des garanties supplémentaires à l’administration. Elle donne aussi des garanties à l’utilisateur, assuré d’une utilisation « paisible » des données.

Conclusion

La licence IP est n’est conçue que comme un élément d’une panoplie de contrats [23], puisque toutes les informations publiques n’ont pas vocation à être libérées. Certaines ont donné lieu à des traitements spécifiques, d’autres ont pu faites en co-production, et certaines utilisations commerciales donneront lieu à des redevances [24].

La licence IP est par ailleurs appelée à évoluer. Des travaux se poursuivent pour affiner celle-ci, notamment en regard d’autres licences libres [25].

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> Article initialement publié sur Paralipomènes

Crédit Photo CC Flickr : roboM8


Notes et références

[1] Réutilisation des données publiques : chaque pays, son credo, Virginie Boilles,Archimag, n° 234, mai 2010 – Open Data : leçons des expériences anglo-saxonnes, Caroline Goulard, ActuVisu Blog, 31 mai 2010

[2] Ordonnance n°2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques. Sur le site Legifrance.

[3] Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public. Base de données Eur-Lex (Commission européenne)

[4] Actualités du droit de l’information : La réutilisation des données publiques, Michèle Battisti, n°59, juin 2005 – La transposition de la directive sur les données publiques, M.B., n°53, décembre 2004

[5] Loi n°78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal.Sur le site Légifrance

[6] Document, donnée, information,connaissance, savoir, Didier Frochot, Les infostratèges, 16 décembre 2003

[7] Des exemples sont donnés sur le site de la CADA .

[8] Une question que nous avions abordée en mars 2010. Voir note 15

[9] L’administration peut détenir les droits d’auteur de ses agents, mais la loi Dadvsi prévoit qu’en cas d’exploitation au-delà de la mission de service public, l’agent est rémunéré par cette exploitation.

[10] Rennes donne accès à ses données publiques, @Brest, 3 mars 2010 – Rennes et Kéolis. Ils ont osé, Libertic, 1er mars 2010 – Une information reprise lors de la journée d’étude organisée par le GFII (note 10)

[11] L’accès aux données publiques, un enjeu pour les régions. Initiative de CC France, février 2010, repris sur Paralipomènes. L’ouverture des informations publiques : un enjeu pour le développement numérique, tel était l’objet d’uneconférence organisée par le GFII, le 20 mai 2010

[12] Pour une analyse très complète de la question :.Les données culturelles resteront-elles moins libres que les autres (malgré la licence IP) ? Calimaq, S.I..Lex28 avril 2010.

[13] Partager notre patrimoine culturel. Propositions pour une charte de la diffusion et de la réutilisation des données publiques culturelles numériques, 2009. Sur le site du ministère de la culture

[14] Manifeste du domaine public. Sur le site Brest-Ouvert

[15] Décret 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l’application de la loi 78-753 du 17 juillet 1978. Sur le site du ministère de la culture

[16] La donnée libre, M.B., Actualités du droit de l’information, 4 mars 2010

[17] La mention des sources, le respect de l’intégrité des données et la non-dénaturation de leur sens qui peuvent être exigés par l’administration.

[18] La licence IP, comme nous avions eu l’occasion de le noter [20], n’est pas agréée aujourd’hui par Creative Commons. Mais des travaux sur sa compatibilité avec ces licences sont envisagés.

[19] Ce qui est le cas des œuvres qui ne sont plus protégées par le droit d’auteur et que l’on entendrait numériser. Puisque le droit moral doit toujours être respecté, les licences libres donnent des garanties

[20] Répertoire des informations du ministère de la justice. Savoir plus sur la licence IP : Peut-on diffuser des données publiques sous licences libres et ouvertes ? Thomas Saint-Aubin, Legalbiznext, 6 avril 2010 – Une licence pour réutiliser librement les données publiques ? M.B., Actualités du droit de l’information, 8 avril 2010.

[21] La licence Creative Commons n’impose qu’une seule condition : citer le ou les auteurs de l’œuvre. Elle ne répond pas à toutes les obligations de loi de 1978.

[22] Une faculté accordée par les licences libres de manière générale, mais la licence IP l’indique expressément.

[23] A côté de la licence IP, le ministère de la justice propose une licence PI (propriété intellectuelle). Charte de réutilisation et démarche à suivre

[24] Dans ce cas, voir la licence click proposée par l’Agence du patrimoine immatériel de l’Etat (APIE) .Le site de l’APIE.

[25] Voir, par exemple : Une compatibilité possible entre informations publiques et licences libres ? Benjamin Jean, Veni vidi libri, 8 mai 2010 – Voir aussi : Creative commons licensing for public sector information. Opportunities and pitfalls, Institute for Information Law (IVIR), January 2008.

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