OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 ProPublica: journalisme à (très) haut coût, financé par des dons http://owni.fr/2010/11/18/propublica-journalisme-a-tres-haut-cout-finance-par-des-dons/ http://owni.fr/2010/11/18/propublica-journalisme-a-tres-haut-cout-finance-par-des-dons/#comments Thu, 18 Nov 2010 11:00:53 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=36079 Difficile de parler des nouveaux modèles économiques des médias sans parler de ProPublica.

Même s’il parait difficilement applicable en France, il passionne autant qu’il pose de nombreuses questions.

Son fondateur, Paul Steiger (ancien directeur de la rédaction du Wall Street Journal, ci-contre), était invité aux Assises du journalisme de Strasbourg, hier, où j’étais présent, pour brosser devant un parterre de professionnels et d’étudiants fascinés, un modèle unique au monde.

Fascinant, le modèle de ProPublica l’est forcément : ce pure player américain fait du journalisme d’intérêt général, dans la plus pure tradition de l’investigation à l’américaine. Un journalisme que l’on ne connaît pas, ou peu, en France, où ce que l’on appelle “l’enquête”, se résume bien souvent à donner suite à des informations fournies par des sources intéressées à faire sortir telle ou telle affaire.

Le journalisme de ProPublica coûte cher. “Plusieurs de nos investigations ont nécessité jusqu’à deux ans de travail”, précise Paul Steiger.

L’enquête réalisée sur les hôpitaux de la Nouvelle-Orléans au moment du passage de Katrina, qui a reçu le prix Pulitzer cette année, (une première), a demandé un travail de plusieurs mois et publié sur plus de soixante feuillets, a coûté la bagatelle de 400.000 dollars (300.000 euros), rappelle Rue89.

300.000 euros, des sommes que l’on peut retrouver en télé, où les budgets ne sont pas les mêmes, jamais en presse écrite.

ProPublica, c’est une rédaction de trente-deux journalistes, dont huit prix Pulitzer. Depuis 2008, date de la création du site Internet ProPublica, rappelle le quotidien régional Les dernières Nouvelles d’Alsace le média a réalisé “138 enquêtes publiées dans trente-huit médias différents”. Et ces journalistes sont parfois des techniciens. Car ProPublica fait aussi dans le journalisme de données, c’est-à-dire un journalisme qui recoupe des données disponibles pour les mettre en scène et révéler de nouvelles informations. Par exemple ici, ce travail remarquable sur les labos qui paient les docteurs pour promouvoir leurs médicaments. Les données sont publiées par ProPublica et mises à disposition de toutes les rédactions des États-Unis. Chaque média local a la possibilité de récupérer les données de sa région et d’enquêter pour écrire ses propres histoires autour.  Un journalisme qui implique une hybridation du métier. Être technicien ne suffit pas pour croiser les données, il faut savoir passer des coups de fil, recouper les infos et les contextualiser. “Nos codeurs et analystes data ont beau avoir des diplômes d’ingénieurs, ce sont des journalistes”, rappelle Paul Steiger.

Combien ça coûte ? 10 millions de dollars par an. Le modèle économique ? Il n’y en a pas. Enfin, pas exactement. ProPublica est entièrement financé par des dons. 10 millions de dons par an. 70% en provenance d’un seul donateur, la famille Sandler. Ce qui n’est pas sans poser des questions sur l’indépendance à moyen terme. Ainsi, Paul Steiger cherche-t-il à diversifier ses donateurs.

Conséquence inédite de ce modèle d’intérêt public, ces enquêtes très coûteuses sont publiées en Creative Commons, c’est-à-dire qu’elles peuvent être reprises ou ré-exploitées par d’autres médias (sélectionnés par ProPublica).

Aux États-Unis, le système du mécénat par les fondations est très répandu. Difficile à imaginer en France. Chez nous, c’est plutôt le modèle de l’aide de l’État qui prime. Ce qui ne favorise ni le dynamisme, ni ce genre d’initiative.

Selon Paul Steiger, en dehors des dons, “il n’y a pas de modèle économique pour le journalisme d’investigation à (très) haut coût”. Il est pourtant indispensable au fonctionnement d’une démocratie. À méditer.

Billet initialement publié sur La Social NewsRoom

Image CC Flickr BillRhodesPhoto et luca.sartoni

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Les nouveaux nouveaux chiens de garde http://owni.fr/2010/09/24/les-nouveaux-nouveaux-chiens-de-garde/ http://owni.fr/2010/09/24/les-nouveaux-nouveaux-chiens-de-garde/#comments Fri, 24 Sep 2010 13:25:48 +0000 Guillaume Henchoz http://owni.fr/?p=29368 Dans un papier commandé par l’INSEAD, Mark Lee Hunter et Luk Van Wassenhove développent l’émergence d’un nouveau modèle économique propre au journalisme. Le regard original des deux chercheurs  ouvre un chantier important  qui permet de donner à la pratique journalistique un nouveau cadre théorique mais pose cependant un grand nombre de questions. Quel est le nouveau socle éthique de cette forme de journalisme ? A qui s’adressent les médias stakeholders ? A quoi ressembleront les chiens de garde de demain ? Au service de qui travailleront-ils ?

« Disruptive News Technologies : Stakeholder Media and the Future of Watchdog Journalism Business Models ». Avec un titre pareil, on peut comprendre que l’étude n’ait pas trouvé beaucoup de relais en francophonie… L’intitulé est déjà tout un programme. L’étude formée d’une quarantaine de pages  a été écrite par un ancien journaliste d’investigation, Mark Lee Hunter, qui a déjà fait l’objet d’un billet sur Chacaille . Ce reporter américain basé à Paris a commencé à se faire remarquer au cours des années 1990. On lui doit notamment un ouvrage un peu pince sans rire sur Jack Lang ( le titre en anglais : The Ministry of fun), une  enquête sur l’affaire Canson et surtout une longue immersion auprès des militants du Front National (un Américain au Front, 1995). Son compère, Luk Van Wassenhove,  est un pur produit de l‘INSEAD dont il occupe la chaire Henry Ford.

L’objectif de cette recherche est de pointer l’apparition et le développement d’une nouvelle source de financement pour les enquêtes journalistiques au longs cours. Les auteurs partent du constat que les médias traditionnels sont de moins en moins enclins à produire de longues enquêtes : le modèle classique des industries des médias décline. A de rares exceptions près, comme le Canard enchaîné en France, ils ne sont pas rentables (p.3). Si les grands groupes de presse et les médias traditionnels restent un support pour la publication d’une certaine forme de watchdog journalism, ils n’en constituent pas l’apanage exclusif. L’hypothèse qu’ils formulent est que le journalisme d’enquête va se développer en dehors et parallèlement à cette industrie quitte à ce que cette dernière récupère dans un second temps le fruit de l’investigation. Ce sont des stakeholders medias qui seront les principaux commanditaires d’enquête au longs cours.

Mais qu’est ce qu’un stakeholder media, exactement ?

Le terme stakeholder provient du vocabulaire managérial et économique. La théorie de management que l’on appelle Stakeholder view consiste à considérer une corporation non pas à travers ses actionnaires (les shareholders) mais par le biais de celles et ceux qui en produisent la valeur, soit les acteurs qui  en sont les parties prenantes, les stakeholders. La notion a évolué pour désigner un organisme qui défend un intérêt pour une cause ou un projet. Les organisations non gouvernementales par exemple, portent assez bien l’étiquette stakeholder. Appliqué au monde des médias, le terme semble tout de suite désigner la presse d’opinion. Cette perspective est toutefois  réductrice et biaisée. Hunter et Wassenhove  désignent comme stakeholders des médias qui sont articulés autour d’une « communauté d’intérêt concernée par un sujet ou une cause » (p. 8).

La principale critique que les auteurs commencent par esquiver est celle de la crédibilité des informations portées par ce type de médias. On peut en effet se demander ce que valent les infos qui y sont déposées. Même au service d’une « bonne » cause, le travail journalistique serait invalidé par les présupposés et les intérêts du stakeholder qui y serait associé. Tel n’est pas le cas affirment les deux chercheurs. Ce type de médias n’est pas moins crédible que la presse d’opinion. Qui plus est, les médias stakeholders n’avancent pas masqués sous l’étiquette de l’objectivité – un point que je développerai dans le prochain billet- . Hunter et Wassenhove vont même plus loin. Ils constatent que même avant le début de la crise financière qui a touché les médias, ces derniers étaient en perte de crédibilité par rapport à leur public. Les chercheurs mentionnent notamment une intéressant sondage réalisé par la Sofres en janvier 2010. Ce dernier indique que 66% du public ne croit plus à l’indépendance des journalistes. ce pourcentage serait même en augmentation régulière. A partir de ce constat, on peut imaginer que le public ne fera pas moins confiance à un stakeholder qu’à un média traditionnel.

Des enquêtes financées par un tiers intéressé par le sujet

Ce n’est donc pas le positionnement idéologique du média qui en fait un stakeholder, mais plutôt l’intérêt qu’il porte à un sujet. On peut ainsi considérer des sites comme celui d’Amnesty International ou celui de Human Rights Watch comme des stakeholders. Cette dernière association a d’ailleurs produit plusieurs rapports sur des problématiques inhérentes aux droits de l’homme avec le concours de journalistes. De plus, Human Rights Watch vient de décrocher la timbale. Le financier-philanthrope George Soros vient de lui adresser une obole de 100 millions de francs. Nul doute que cet argent pourrait servir à financer des investigations onéreuses. Mais des médias au format plus « classique »  peuvent très bien rentrer dans cette catégorie. La Revue Durable par exemple, que l’on trouve aussi en format magazine, cherche aussi à fonder une communauté d’intérêt autour d’un sujet. Même chose du côté de Océan 71, un site internet qui s’intéresse au grand large et qui vient de lancer une enquête sur la pêche au thon rouge.

Plus généralement,  Les médias stakeholders se déclinent à travers différentes formes, via divers supports. Cela va du site internet à la newsletter en passant par l’imprimé ou la radio. Quoi qu’il en soit, ces médias se sont principalement développés grâce à l’émergence du web. Il faut également différencier ce type de médias des réseaux sociaux : » Twitter, Facebook, LinkedIn, ne constituent pas des médias stakeholders pour l’instant. Ils sont par contre utilisés par les stakeholders pour organiser leurs contacts et diffuser les alertes ». (p. 8 ). Les stakeholders vont donc permettre à de nouveaux nouveaux chiens de garde d’effectuer leur travail de veille et d’enquête.

Dénoncer les dysfonctionnements

Il est intéressant de constater que les auteurs font la différence entre les watchdogs journalists et les investigators. Tous les chiens de garde ne sont pas forcément de bons enquêteurs. L’investigation requiert des compétences, un réseau, et une certaine maîtrise de l’interview que les watchdogs ne maîtrisent pas obligatoirement. Cependant un bon journaliste d’investigation remplit quasi automatiquement la fonction de watchdog, selon Hunter et Wassenhove. Il vaut la peine de s’arrêter également un instant sur ce terme de watchdog. L’expression Chien de garde, en français, est fortement connotée, notamment après la parution de l’ouvrage de Serge Halimi (S. Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Seuil, 1997). Dans cet ouvrage, les chiens de garde sont les journalistes et les représentants d’une sphère médiatique au service du pouvoir et des groupes économiques. En France, Le chien aboie pour les puissants. La sociologue des médias Géraldine Muhlmann s’est déjà étonnée de la connotation beaucoup plus positive que trouve le terme auprès des médias anglo-saxons et plus particulièrement américains. Il y désigne une pratique journalistique qui s’intéresse de près aux rouages du pouvoir et qui n’hésite pas à dénoncer les dysfonctionnements et les abus de ce dernier. Le watchdog journalism se développe au cours des décennies 1960 et 1970 et connait son heure de gloire avec le scandale du Watergate. De l’autre côté de l’Atlantique, le chien aboie pour les citoyens. Peut-être est-il temps de se de réapproprier le terme sur le vieux Continent et de le doter d’une connotation plus positive ?

Le financement d’enquêtes par ce type de médias suscite quelques ruptures par rapport à la pratique journalistique. Les chercheurs en dénombrent au moins trois qu’ils mentionnent dans leur recherche et que je développerai dans des billets à venir en prenant des exemples concrets  :

1. On assiste au au développement d’un nouveau cadre théorique de l’éthique journalistique.

2. Le contenu des investigations ne consiste plus en un « produit » mais en un « service ».

3. La réorientation du marché se concentre non plus sur le « public » mais s’adresse à une « communauté ».

A suivre…

Article initialement publié sur Chacaille

Illustrations CC FlickR : ~BostonBill~

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“Mediapart”: une marque, la consécration du journalisme d’investigation numérique http://owni.fr/2010/07/13/mediapart-une-marque-la-consecration-du-journalisme-dinvestigation-numerique/ http://owni.fr/2010/07/13/mediapart-une-marque-la-consecration-du-journalisme-dinvestigation-numerique/#comments Tue, 13 Jul 2010 13:48:11 +0000 Capucine Cousin http://owni.fr/?p=21841

La consécration. Depuis quelques semaines, dans le cadre de l’affaire Bettencourt, dont il a fait une affaire Woerth-Bettencourt, en publiant le 16 juin des enregistrements de conversations très perso de Liliane Bettencourt, Mediapart marque un nouveau tournant pour la presse en ligne. Et, en égrenant les scoops au fil des jours, se distingue de ses petits camarades “pure players du web”, Rue89, Bakchich

Augmentation des abonnements

Car au fil des jours, il a vu ses abonnements en ligne augmenter, chaque jour, grappillant jusque trois cents nouveaux abonnés par jour. Aux dernières nouvelles, il compterait près de trente mille abonnés à la version payante de son site (cinq mille nouveaux abonnés depuis le début de l’affaire), contre deux mille cinq cents début mai, comme me le précisait alors son rédac’ en chef François Bonnet.

Du coup, le site d’infos créé par Edwy Plenel s’est d’autant plus légitimé comme site de journalisme d’investigation à l’ère du numérique. Et s’est même imposé comme marque média (comme le soulignait Alain Joannès), étant relayé par les médias classiques (radios, télés, presse écrite). Avec des valeurs telles que l’indépendance vis-à-vis du pouvoir, l’enquête. Et du coup, est devenu connu du grand public.

Coup de projecteur sur les pure players du web

Un phénomène inédit, un événement politique, mais aussi un virage positif pour la presse en ligne. Alors que c’est la première “affaire” qui explose à un moment où Internet s’est imposé comme support pour de nouveaux médias, qui n’avait pas la même force de frappe lors des autres grandes affaires. Par définition, c’est un média de l’immédiateté, très réactif, où l’on peut publier l’info en temps réel. Pas besoin d’attendre l’édition du lendemain ou de la semaine, comme ce fut longtemps le cas pour la presse écrite…

Car par extension, au-delà du cas de Mediapart, cela a apporté un coup de projecteur médiatique sur les Bakchich, Arrêt sur images, Slate.fr, et autres Rue89, créés par des journalistes expérimentés venus de la presse papier, qui y ont importé leurs méthodes de travail – et d’investigation – et nourris par le travail de jeunes journalistes, qui prennent donc le relais pour ce travail d’investigation à l’heure du Net. Les relais précédents de telles actus ? C’étaient Le Canard Enchaîné, L’Express, ou Le Monde qui les révélaient.

Un phénomène dont ont aussi profité les sites web de titres de presse comme LePoint.fr, qui a lui aussi dopé ses audiences grâce aux écoutes téléphoniques qu’il a mises en ligne le même jour que Mediapart.

Modèle économique, nouveaux types de récit journalistique

Mediapart a aussi osé miser sur un modèle économique hybride, avec des contenus en bonne partie payants, et une édition papier. Le modèle payant étant rarissime dans la presse en ligne : dans un échange donnant-donnant, ils sollicitent une certaine forme de soutien – et de confiance – de leurs abonnés.

Comme d’autres, ils testent aussi des formats innovants, comme la “carte mentale” de l’affaire Woerth-Bettencourt, un format plutôt anglo-saxon, mais qui demeure rarissime en France. Un format proche du journalisme de données qui fait beaucoup débat en ce moment – OWNI résume aussi, à sa manière, l’affaire en une image – mais qui permet ici de résumer, d’un coup d’œil, un dossier complexe.

Certes, les journaux papier ou JT sont coutumiers de cet exercice journalistique, mais ici ils ne l’ont pas fait. Surtout, Mediapart l’utilise avec des ingrédients propres au web, pour en faire un document infiniment plus riche, plus interactif. Pour aboutir à une forme de carte interactive, un format qu’ont testé déjà il y a quelques années des start-ups visionnaires, comme le RTGI. En un clic, chaque point de la carte nous renvoie à un article, chaque image constitue la porte d’entrée à un article, un document complémentaire, ce qui permet à l’internaute d’avancer dans son enquête perso.

Billet initialement publié sur Miscellanées

Image CC Flickr Stéfan

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