OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [Décryptage] Les arguments des industriels contre Gasland http://owni.fr/2011/04/06/gaz-de-schiste-decryptage-arguments-industriels-gasland-josh-fox/ http://owni.fr/2011/04/06/gaz-de-schiste-decryptage-arguments-industriels-gasland-josh-fox/#comments Wed, 06 Apr 2011 17:21:20 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=55461 Le documentaire Gasland ne prend pas aux tripes que les spectateurs, il remue aussi de l’intérieur les gaziers et pétroliers. Certes, pas de la même manière : là où les simples citoyens sont effrayés par les flammes qui sortent de robinets dont l’eau est chargée de gaz et de produits chimiques, les grandes compagnies tremblent. Les citoyens pourraient exiger des lois qui les empêcheraient de creuser leurs mines d’or gris. Heureusement, les lobbies sont là.

Parmi eux, la commission de conservation Pétrole et Gaz de l’état du Colorado est parvenue à se faire une certaine réputation dans le petit milieu des gaziers américains. Comment ? Pas seulement grâce à son nom angélique qui maquille habilement une réunion des transporteurs, foreurs, opérateurs et exploitants de gaz de schiste de Garfield County et alentours, mais aussi par son argumentaire à succès contre le film de Josh Fox :

Le documentaire Gasland a largement attiré l’attention. Entre autres choses, il affirme que la fracturation hydraulique des puits de pétrole et de gaz a contaminé au méthane les sources d’eau alentour, dans certains États parmi lesquels le Colorado. Parce que la tenue d’un débat public sur la fracturation hydraulique dépend d’informations exactes, la Commission de la protection du gaz et du pétrole du Colorado souhaite corriger plusieurs erreurs présentes dans la description faite par le film des incidents.

Le document que nous publions ici a presque fait le tour des États-Unis : transmis au département des ressources naturelles du Colorado, il a servi de base argumentaire à de nombreux exploitants d’autres « bassins » (Marcellus Shale, Texas, etc.). Notamment par l’introduction d’un génial argument-massue : le gaz qui s’échappe des robinets n’est pas celui que vous croyez !

Les habitants du Colorado n’ont vraiment pas de bol

Laborieuse et technique au possible, l’introduction de ce petit document remplit parfaitement son office : brouiller les pistes ! Vous croyiez qu’il y avait un seul type de gaz naturel ? Erreur fatal, il y en a deux, le méthane biogénique et le méthane thermogénique. En gros, le premier est issue de la décomposition naturelle de micro-organismes, le second de la décomposition de ces mêmes micro-organismes mais sous l’effet de pressions et de température précises. En gros car, sous la plume de la « COGCC », l’explication devient bien plus obscure :

Le méthane est un hydrocarbure naturel inflammable et explosif dans certaines concentrations. Il est produit soit par des bactéries soit par des processus géologiques impliquant la chaleur et la pression. Le méthane biogénique résulte de la décomposition de matière organique par fermentation, comme c’est le cas en zone humide ou lors de la réduction chimique du dioxyde de carbone. On le trouve dans des formations géologiques aquifères peu profondes, qui servent à alimenter les sources d’eau.

Le méthane thermogénique résulte de la décomposition thermale de matière organique ensevelie. On le trouve dans des gisements plus profonds et il est extrait grâce au forage d’un puits de pétrole et de gaz et la fracturation hydraulique de la roche contenant le gaz. Dans le Colorado, le méthane thermogénique est généralement associé à l’exploitation pétrolière et gazière. Pas le méthane biogénique.

Voilà la faute de débutant dont les industriels accusent Josh Fox : croire que leur gaz naturel sort des tuyaux serait le même que celui que les industriels extraient des couches de schiste. Sur les trois personnes qui ont croisé la caméra de Josh Fox, le lobby décrypte le cas de deux d’entre elles. La troisième, Mlle Ellsworth, est laissée dans l’ombre, étant « parvenue à un accord avec l’opérateur ». Façon élégante de dire qu’un gazier a convenu d’une compensation financière face aux préjudices causés par l’exploitation d’hydrocarbures.

Dans ces deux cas, les robinets enflammés seraient alimentés, non pas par des fuites des puits de gaz de schiste qui émaillent le paysage du Colorado… mais pas les couches de charbon !

Le rapport concernant la source d’eau de Mr. Markham montre qu’elle traverse au moins quatre couches de charbon. La présence de méthane dans le charbon de la formation Laramie a été bien documentée dans de nombreuses publications par l’Enquête Géologique du Colorado, l’Enquête Géologique des Etats-Unis, et l’Association des Géologues de Rocky Mountain, qui date de plus de trente ans.

[...]

Les analyses de laboratoire ont confirmé que les poches d’eau de Markham et McClure contenaient du méthane biogénique, typique du gaz trouvé naturellement dans les charbons de l’Aquifère de Laramie-Fox Hills. Cela a été établi grâce à l’analyse d’un isotope stable qui a permis le « traçage » et l’identification de ce gaz comme gaz biogénique, ainsi qu’à l’analyse de la composition du gaz, qui a indiqué que les hydrocarbures les plus lourds associés au gaz thermogénique étaient absents.

Autrement dit, les familles Markham et McClure n’ont vraiment pas de bol : avant d’arriver à leur robinet, les sources qui les alimentent traversent des couches de charbon d’où elles ressortent chargées en gaz, le fameux « gaz de houille », plus connu sous le nom de « grisou ».

Un argumentaire un brin falacieux : sur toute la longueur du film des dizaines de robinets flambent, dans un effet de répétition qui confine presque au comique… Or, dans cet argumentaire, les gaziers isolent deux cas (sur trois) dans un État (sur les onze qu’explore le réalisateur) et un seul phénomène : les robinets qui flambent. Or, pas un mot des liquides de fracturation qui rend imbuvable l’eau de ces familles avant même qu’elle ne prenne feu.

Sur ces gaz biogéniques eux-mêmes, le doute est permis, selon Violaine Sauter, géologue au Muséum d’histoire naturelle :

Dans certaines zones, l’eau se charge également en gaz : les eaux naturellement gazeuses captent du C02 dans les couches qu’elles traversent. Or, il n’y a pas que dans le Colorado que les eaux traversent des nappes de charbon.

La France elle-même est persillée d’anciennes mines de charbon et de filons à travers lesquelles les eaux profondes passent. Dans les Vosges, le « gaz de houille » est de nouveau objet de convoitise. Rares sont pourtant les histoires de robinets qui flambent en banlieue d’Épinal. Mais tout est dans cette image, la plus marquante du film. Et dans la manière habile et (prétendument) savante dont les gaziers la déchirent.

Quand la ministre de l’Écologie reprend les mots des lobbyistes

Mais l’efficacité apparente de l’argument a fait sa popularité : le même genre d’approximations se retrouvent désormais comme un condiment indispensable de tout discours pro-gaz de schiste, que ce soit du côté des industriels ou du côté des politiques. Et la popularité de ce petit texte ne s’est pas arrêté aux États-Unis !

29 mars 2011 : à la demande d’élus de gauche, un débat est organisé à l’Assemblée nationale française sur les conséquences environnementales de l’exploitation des gaz et huiles de schiste. A la tribune, se succèdent écologistes et élus locaux, de gauche comme de droite, pour la plupart très remontés contre l’attribution des permis : Anny Poursinoff du côté d’Europe écologie-Les Verts, Martine Billard pour le Parti de Gauche, Serge Grouard à l’UMP… Une avalanche de critiques auxquelles la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet a répliqué par une réponse étrangement familière :

Le documentaire Gasland, nominé aux Oscars, nous a tous impressionnés, notamment le passage où l’on voit une boule de feu sortir du robinet d’eau dans une maison américaine. Je suis surprise que vous n’ayez pas été plus nombreux à l’évoquer, mais je suis sûre que vous l’avez tous en mémoire.[...] Mais qu’en est-il exactement ? Le gaz qui, dans le film Gasland, se retrouve dans les nappes phréatiques venait-il de la fracturation hydraulique ou d’un forage conventionnel de mauvaise qualité ? S’agissait-il d’une production biogénique indépendante de tout forage ?

Là, le novice et le parlementaire non avertis sont décontenancés : et si ce documentaire à scandale, ce brûlot sensationnaliste était une mystification ? Troublante similitude entre les deux démonstrations. Mais pourquoi réinventer l’eau douce quand il s’agit, à l’instar de la Colorado Oil and Gas Conservation Commission de jeter le doute sur Gasland : on ne change pas un argumentaire qui marche.


Merci à Hélène David pour la traduction

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Crédits photos CC FlickR par johnia, skytruth

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Josh Fox, réalisateur anti-gaz de schiste classé “terroriste” http://owni.fr/2011/02/27/josh-fox-realisateur-anti-gaz-de-schiste-classe-terroriste/ http://owni.fr/2011/02/27/josh-fox-realisateur-anti-gaz-de-schiste-classe-terroriste/#comments Sun, 27 Feb 2011 16:30:42 +0000 Sylvain Lapoix et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=48481
Billet initalement publié sur OWNIpolitics.

fff

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Metteur en scène de théâtre et réalisateur de fiction, Josh Fox n’avait rien d’autre que sa caméra qui le prédestinait au documentaire. D’une simple lettre d’une compagnie gazière reçue dans sa maison familiale de Pennsylvanie, havre de paix au bord de la rivière Delaware, il s’est immergé tout entier dans le cauchemar des gaz de schistes pendant un an et demi afin de comprendre ce qui arrivait à son pays. Avec un ami monteur, il a produit Gasland, documentaire politique, écologique et expressionniste sur une Amérique prête à sacrifier air pur, eau douce et santé humaine pour quelques mètres cubes de gaz de plus… Devenu hérault de la lutte contre une industrie énergétique sans scrupules, il a présenté pour la première fois son film en Europe, en janvier dernier à Londres. En attendant l’arrivée de son film en France, Josh Fox a accepté de livrer à OWNIpolitics quelques détails sur sa mission d’intérêt général.

Comment a commencé le tournage de Gasland ?

Ca s’est passé exactement comme je le raconte dans le film : mon père a reçu une lettre qui nous proposait d’exploiter du gaz sur notre terrain. Il m’a demandé de “jeter un oeil à cette histoire” : la zone du haut Delaware n’est pas une zone d’exploitation d’hydrocarbure, c’est une magnifique région d’étangs où nous n’avions jamais rien vu de tel. Bien sûr, les compagnies de gaz nous ont promis que nous ne les remarquerions même pas, que nous allions gagner énormément d’argent… et c’est ce qu’ils nous ont offert.

La rivière Delaware, qui coule à côté de la maison de famille de Josh Fox.

Mais mes voisins sont venus m’expliquer qu’ils avaient jeté un œil au procédé, qui consistait à injecter des produits chimiques dans le sol… Bref, tout ça ressemblait à un énorme projet industriel et j’ai voulu savoir de quoi il en retournait. Je suis donc allé à Dimmick, où ce genre de forage avait déjà eu lieu. Quand je suis revenu, je savais qu’il fallait empêcher que ça se produise chez moi et enquêter là-dessus parce que ça relevait du scandale national.  Alors qu’au départ c’était juste un film pour informer mes voisins !

D’où est venu l’idée de ce titre, Gasland ?

Le titre ne nous est venu qu’à la toute fin de la réalisation : nous regardions une campagne de pub cinéma des années 1950 pour le gaz naturel en Pennsylvanie et il y avait une réplique qui nous a frappé à propos des pipelines et des puits : “et ce genre de sites et de sons, vous pouvez les voir partout dans le Gasland !” Et là, ça a été le déclic : nous nous sommes regardés avec mon coéquipier : nous avions notre titre !

Comment s’est déroulé la production du film elle-même avant sa projection en salle ?

Nous projetions le film au fur et à mesure que nous le produisions pour informer les habitants de la région du haut Delaware : nous montrions des bouts de 10 minutes, 30 minutes… Nous étions déjà en contact avec notre public, ce qui nous aidait à sélectionner les séquences, et ça nous permettait de voir un peu mieux ce que nous pourrions faire comme film.

Mais le film Gasland lui-même est né d’un travail à deux, avec le monteur, enfermés pendant un an dans une pièce où nous choisissions ce qui nous plaisait le plus en nous inspirant du cinéma expérimental et notamment d’une de nos grandes références : Jean-Luc Godard ! Plutôt que “Que ferait Jésus à notre place ?” pour nous guider, nous avions un WWGD sur notre frigidaire pour “What would Godard do ?” (“que ferait Godard à notre place ?”). Même si nous voulions en faire un projet mainstream, ça nous paraissait essentiel d’y ajouter notre fibre artistique.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Quand avez-vous commencé à sentir de la pression de la part des entreprises exploitantes ?

L’industrie gazière a surfé sur le débat lancé par notre film : ils ont lancé une énorme campagne de publicité, qui à mon avis nous a beaucoup profité car elle a fait monter le buzz. Ils ont été jusqu’à produire leur propre film, en copiant le style “caméra à l’épaule” du nôtre, ce qui est assez flatteur quand on y pense ! Mais leurs efforts se sont retournés contre eux au final : plus ils en faisaient, plus les gens se posaient des questions sur ce qui ne tournait pas rond… Plus ils attaquaient notre film et plus ils attiraient l’attention sur notre initiative, aidant les gens à réaliser que leur défense ne tenait pas debout !

Vous avez tout de même été ajouté sur la Terror Watch List du Department of Homeland Security (ministère de l’Intérieur américain) !

Tout ce truc à propos de la Terror Watch, c’est le genre de chose auquel vous finissez par vous attendre : ces sociétés ont tellement d’argent et de pouvoir, c’est effrayant ! Mais c’est bien plus effrayant de perdre le travail d’une vie : cette maison en Pennsylvanie, mon père l’a construite de ses propres mains. Alors, au pied du mur, vous n’avez pas d’autre choix que de vous battre.

Avez-vous trouvé du soutien en dehors de vos voisins et de vos amis ?

Pour commencer, des centaines de milliers de personnes se sont impliquées à travers les États-Unis, tout le monde se sent concerné, et, pour faire circuler l’information et alerter les gens, l’aide des fondations que nous avons rencontré pendant notre tournée a été cruciale. Nous avons projeté notre film au Congrès, dans tout l’État de New York à l’Environemental Protection Administration (agence de protection de l’environnement) et au ministère de la Justice. Nous avons également reçu un soutien considérable de la communauté du film documentaire qui nous a notamment fourni une aide juridictionnelle quand l’industrie gazière nous a attaqué.

Une ligne est tracée au milieu des États-Unis ceux qui acceptent d’être à la merci des sociétés exploitantes d’hydrocarbures, qui sont dans une mentalité où l’humain n’a pas d’importance, et une armée de personne qui s’inquiète de la “vraie” Amérique et qui défend l’égalité, la liberté, la justice et l’éducation. Et nous, nous sommes entre les deux.

Pouvez-vous nous dire où en est la bataille dans votre région de Pennsylvanie ?

Nous venons de remporter une grande victoire : l’État de New York a voté un moratoire sur la fracturation hydraulique du fait des preuves qui sont sorties, c’est une première ! Pour en arriver là, il a fallu que nous donnions un exemplaire de Gasland à chacun des membres de l’Assemblée de l’État, ce qui fait quelques centaines, plus une à chacun des 70 sénateurs de l’État.

Tom Corbett, nouveau gouverneur de Pennsylvanie, a reçu un million de dollars de l'industrie gazière pour mener sa campagne.

En Pennsylvanie, là où coule la Delaware River, c’est une autre affaire : l’État vient d’élire un gouverneur extrêmement favorable à l’exploitation des gaz de schistes, Tom Corbett, qui a reçu un million de dollars de l’industrie gazière pour financer sa campagne. La commission du bassin du Delaware a approuvé plusieurs puits d’exploration, trois ont été forés et nous avons déjà constaté des signes de contamination de l’eau, l’un d’eux à quelques kilomètres de chez moi. Cela ne fait que plus nous motiver pour nous battre.

Comment expliquez-vous le retard des médias dans la couverture de cette affaire ?

Aux États-Unis, l’information est restée sous la côte d’alerte pendant pas mal de temps. Les premières explosions ont eu lieu au Texas, au Colorado, au Wyoming, qui sont des États peu denses où la production de gaz et de pétrole est déjà bien installée… Pas de quoi faire la Une des médias nationaux. Mais quand l’affaire est remontée jusqu’à New York et à la Pennsylvanie, des zones hyper peuplées, avec une grosse exploitation des nappes phréatiques et sans passif d’exploitation d’hydrocarbures, l’affaire a très vite fait parler.

Vous revenez d’Australie : y alliez-vous également pour enquêter sur les gaz de schistes ?

Nous avons fait des séquences à propos de l’exploitation des couches de charbon méthanier (coalbed methane) en Australie, qui sont très proches de la problématique des schistes : la  technique est proche de la fracturation hydraulique et le gouvernement s’est aligné sur les entreprises pour littéralement exproprier les gens. Il y a les mêmes problèmes de contamination de l’eau douce, pollution aérienne, vols des terres agricoles… Comme aux États-Unis, les gens sont poussés au dehors pour faire place à de vastes projets d’exploitation de gaz. Nous avons été là-bas pour soutenir les gens et parler de la situation en Australie.

Avez-vous le projet de réaliser un Gasland 2 ?

Nous ne savons pas encore quelle suite donner à Gasland mais nous en ferons probablement une : tout bouge tellement vite en ce moment que nous n’avons pas encore eu le temps de prendre un pas de recul. Nous réalisons également un film sur les énergies renouvelables.

Vous avez obtenu du soutien de la chaîne câblée HBO : pensez-vous que la télévision soit un medium indispensable pour faire passer votre message ?

Nous avons choisi de faire les deux : une distribution cinéma à notre manière et un partenariat avec HBO. Ils nous ont autorisé à partir en tournée avec notre film avant la diffusion télé et de le passer en salle ensuite. Mais nous savions que le sujet était très grave et nous voulions que ça se sache. Or, quoiqu’on dise, diffuser le film dans 40 millions de foyers, c’est une force de frappe inégalable ! Avoir accès à la télévision, c’est rentrer directement chez les gens et ça nous a énormément aidé. Nous avons bénéficié de leur machine de relation presse qui est fantastique mais nous voulions rester en contact avec les gens, montrer le film à travers le pays et répondre aux questions qu’ils se posaient. Prendre contact avec les organisations locales était un point clé de notre mission.

Comment les gaz de schistes ont-ils changé votre vie ?

En tant que directeur de théâtre, j’ai l’habitude de donner ma vie pour mes projets. Mais ce projet est différent car il a pris une ampleur nationale et que ce que nous faisons fait évoluer le débat. C’est très excitant et ça prend un temps fou mais nous nous battons pour l’État de New York, pour la Pennsylvanie…. Nous nous battons pour tellement de personnes : tous ces gens qui nous livrent leurs histoires, c’est une expérience extraordinaire, mais ça me donne aussi une obligation morale de me battre pour eux.

Pensez-vous être plutôt un réalisateur ou un activiste ?

Je suis un trouveur, je cherche la vérité, et je considère que le fait d’avoir une éducation vous donne des responsabilité. Je suis directeur de théâtre mais j’ai du tout mettre de côté pour ce projet, à la grande déception de ma compagnie. Mais ils comprennent : je n’ai pas choisi cette bataille, c’est elle qui m’a choisi, en arrivant dans ma boîte aux lettres !

Actuellement, je fais tout ce qui est en mon pouvoir : des gens nous contactent du monde entier, chaque jour, pour nous demander de l’aide ou des conseils, de diffuser le film… C’est le genre d’aventure qui ne vous arrive qu’une fois dans une vie, j’y investis donc tout ce que j’ai car c’est un danger mortel. Ce que je veux, c’est qu’on me rende ma maison, ma vie, ce sentiment de paix et de sécurité… Et s’il faut deux ans de campagne acharnée pour que ça s’arrête, alors je la mènerai et je sais que nous gagnerons.

Illustrations CC FlickR : Nicholas T ; Pennstatelive.

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http://owni.fr/2011/02/27/josh-fox-realisateur-anti-gaz-de-schiste-classe-terroriste/feed/ 19
Josh Fox, réalisateur anti-gaz de schiste classé “terroriste” http://owni.fr/2010/12/09/josh-fox-un-realisateur-anti-gaz-de-schistes-classe-%e2%80%9cterroriste%e2%80%9d-gasland/ http://owni.fr/2010/12/09/josh-fox-un-realisateur-anti-gaz-de-schistes-classe-%e2%80%9cterroriste%e2%80%9d-gasland/#comments Thu, 09 Dec 2010 17:02:54 +0000 Sylvain Lapoix et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=37398 Metteur en scène de théâtre et réalisateur de fiction, Josh Fox n’avait rien d’autre que sa caméra qui le prédestinait au documentaire. D’une simple lettre d’une compagnie gazière reçue dans sa maison familiale de Pennsylvanie, havre de paix au bord de la rivière Delaware, il s’est immergé tout entier dans le cauchemar des gaz de schistes pendant un an et demi afin de comprendre ce qui arrivait à son pays. Avec un ami monteur, il a produit Gasland, documentaire politique, écologique et expressionniste sur une Amérique prête à sacrifier air pur, eau douce et santé humaine pour quelques mètres cubes de gaz de plus… Devenu hérault de la lutte contre une industrie énergétique sans scrupules, il présentera pour la première fois son film en Europe du 16 au 21 janvier à Londres. En attendant l’arrivée de son film en France, Josh Fox a accepté de livrer à OWNIpolitics quelques détails sur sa mission d’intérêt général.

Comment a commencé le tournage de Gasland ?

Ca s’est passé exactement comme je le raconte dans le film : mon père a reçu une lettre qui nous proposait d’exploiter du gaz sur notre terrain. Il m’a demandé de “jeter un oeil à cette histoire” : la zone du haut Delaware n’est pas une zone d’exploitation d’hydrocarbure, c’est une magnifique région d’étangs où nous n’avions jamais rien vu de tel. Bien sûr, les compagnies de gaz nous ont promis que nous ne les remarquerions même pas, que nous allions gagner énormément d’argent… et c’est ce qu’ils nous ont offert.

La rivière Delaware, qui coule à côté de la maison de famille de Josh Fox.

Mais mes voisins sont venus m’expliquer qu’ils avaient jeté un œil au procédé, qui consistait à injecter des produits chimiques dans le sol… Bref, tout ça ressemblait à un énorme projet industriel et j’ai voulu savoir de quoi il en retournait. Je suis donc allé à Dimmick, où ce genre de forage avait déjà eu lieu. Quand je suis revenu, je savais qu’il fallait empêcher que ça se produise chez moi et enquêter là-dessus parce que ça relevait du scandale national.  Alors qu’au départ c’était juste un film pour informer mes voisins !

D’où est venu l’idée de ce titre, Gasland ?

Le titre ne nous est venu qu’à la toute fin de la réalisation : nous regardions une campagne de pub cinéma des années 1950 pour le gaz naturel en Pennsylvanie et il y avait une réplique qui nous a frappé à propos des pipelines et des puits : “et ce genre de sites et de sons, vous pouvez les voir partout dans le Gasland !” Et là, ça a été le déclic : nous nous sommes regardés avec mon coéquipier : nous avions notre titre !

Comment s’est déroulé la production du film elle-même avant sa projection en salle ?

Nous projetions le film au fur et à mesure que nous le produisions pour informer les habitants de la région du haut Delaware : nous montrions des bouts de 10 minutes, 30 minutes… Nous étions déjà en contact avec notre public, ce qui nous aidait à sélectionner les séquences, et ça nous permettait de voir un peu mieux ce que nous pourrions faire comme film.

Mais le film Gasland lui-même est né d’un travail à deux, avec le monteur, enfermés pendant un an dans une pièce où nous choisissions ce qui nous plaisait le plus en nous inspirant du cinéma expérimental et notamment d’une de nos grandes références : Jean-Luc Godard ! Plutôt que “Que ferait Jésus à notre place ?” pour nous guider, nous avions un WWGD sur notre frigidaire pour “What would Godard do ?” (“que ferait Godard à notre place ?”). Même si nous voulions en faire un projet mainstream, ça nous paraissait essentiel d’y ajouter notre fibre artistique.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Quand avez-vous commencé à sentir de la pression de la part des entreprises exploitantes ?

L’industrie gazière a surfé sur le débat lancé par notre film : ils ont lancé une énorme campagne de publicité, qui à mon avis nous a beaucoup profité car elle a fait monter le buzz. Ils ont été jusqu’à produire leur propre film, en copiant le style “caméra à l’épaule” du nôtre, ce qui est assez flatteur quand on y pense ! Mais leurs efforts se sont retournés contre eux au final : plus ils en faisaient, plus les gens se posaient des questions sur ce qui ne tournait pas rond… Plus ils attaquaient notre film et plus ils attiraient l’attention sur notre initiative, aidant les gens à réaliser que leur défense ne tenait pas debout !

Vous avez tout de même été ajouté sur la Terror Watch List du Department of Homeland Security (ministère de l’Intérieur américain) !

Tout ce truc à propos de la Terror Watch, c’est le genre de chose auquel vous finissez par vous attendre : ces sociétés ont tellement d’argent et de pouvoir, c’est effrayant ! Mais c’est bien plus effrayant de perdre le travail d’une vie : cette maison en Pennsylvanie, mon père l’a construite de ses propres mains. Alors, au pied du mur, vous n’avez pas d’autre choix que de vous battre.

Avez-vous trouvé du soutien en dehors de vos voisins et de vos amis ?

Pour commencer, des centaines de milliers de personnes se sont impliquées à travers les États-Unis, tout le monde se sent concerné, et, pour faire circuler l’information et alerter les gens, l’aide des fondations que nous avons rencontré pendant notre tournée a été cruciale. Nous avons projeté notre film au Congrès, dans tout l’État de New York à l’Environemental Protection Administration (agence de protection de l’environnement) et au ministère de la Justice. Nous avons également reçu un soutien considérable de la communauté du film documentaire qui nous a notamment fourni une aide juridictionnelle quand l’industrie gazière nous a attaqué.

Une ligne est tracée au milieu des États-Unis ceux qui acceptent d’être à la merci des sociétés exploitantes d’hydrocarbures, qui sont dans une mentalité où l’humain n’a pas d’importance, et une armée de personne qui s’inquiète de la “vraie” Amérique et qui défend l’égalité, la liberté, la justice et l’éducation. Et nous, nous sommes entre les deux.

Pouvez-vous nous dire où en est la bataille dans votre région de Pennsylvanie ?

Nous venons de remporter une grande victoire : l’État de New York a voté un moratoire sur la fracturation hydraulique du fait des preuves qui sont sorties, c’est une première ! Pour en arriver là, il a fallu que nous donnions un exemplaire de Gasland à chacun des membres de l’Assemblée de l’État, ce qui fait quelques centaines, plus une à chacun des 70 sénateurs de l’État.

Tom Corbett, nouveau gouverneur de Pennsylvanie, a reçu un million de dollars de l'industrie gazière pour mener sa campagne.

En Pennsylvanie, là où coule la Delaware River, c’est une autre affaire : l’État vient d’élire un gouverneur extrêmement favorable à l’exploitation des gaz de schistes, Tom Corbett, qui a reçu un million de dollars de l’industrie gazière pour financer sa campagne. La commission du bassin du Delaware a approuvé plusieurs puits d’exploration, trois ont été forés et nous avons déjà constaté des signes de contamination de l’eau, l’un d’eux à quelques kilomètres de chez moi. Cela ne fait que plus nous motiver pour nous battre.

Comment expliquez-vous le retard des médias dans la couverture de cette affaire ?

Aux États-Unis, l’information est restée sous la côte d’alerte pendant pas mal de temps. Les premières explosions ont eu lieu au Texas, au Colorado, au Wyoming, qui sont des États peu denses où la production de gaz et de pétrole est déjà bien installée… Pas de quoi faire la Une des médias nationaux. Mais quand l’affaire est remontée jusqu’à New York et à la Pennsylvanie, des zones hyper peuplées, avec une grosse exploitation des nappes phréatiques et sans passif d’exploitation d’hydrocarbures, l’affaire a très vite fait parler.

Vous revenez d’Australie : y alliez-vous également pour enquêter sur les gaz de schistes ?

Nous avons fait des séquences à propos de l’exploitation des couches de charbon méthanier (coalbed methane) en Australie, qui sont très proches de la problématique des schistes : la  technique est proche de la fracturation hydraulique et le gouvernement s’est aligné sur les entreprises pour littéralement exproprier les gens. Il y a les mêmes problèmes de contamination de l’eau douce, pollution aérienne, vols des terres agricoles… Comme aux États-Unis, les gens sont poussés au dehors pour faire place à de vastes projets d’exploitation de gaz. Nous avons été là-bas pour soutenir les gens et parler de la situation en Australie.

Avez-vous le projet de réaliser un Gasland 2 ?

Nous ne savons pas encore quelle suite donner à Gasland mais nous en ferons probablement une : tout bouge tellement vite en ce moment que nous n’avons pas encore eu le temps de prendre un pas de recul. Nous réalisons également un film sur les énergies renouvelables.

Vous avez obtenu du soutien de la chaîne câblée HBO : pensez-vous que la télévision soit un medium indispensable pour faire passer votre message ?

Nous avons choisi de faire les deux : une distribution cinéma à notre manière et un partenariat avec HBO. Ils nous ont autorisé à partir en tournée avec notre film avant la diffusion télé et de le passer en salle ensuite. Mais nous savions que le sujet était très grave et nous voulions que ça se sache. Or, quoiqu’on dise, diffuser le film dans 40 millions de foyers, c’est une force de frappe inégalable ! Avoir accès à la télévision, c’est rentrer directement chez les gens et ça nous a énormément aidé. Nous avons bénéficié de leur machine de relation presse qui est fantastique mais nous voulions rester en contact avec les gens, montrer le film à travers le pays et répondre aux questions qu’ils se posaient. Prendre contact avec les organisations locales était un point clé de notre mission.

Comment les gaz de schistes ont-ils changé votre vie ?

En tant que directeur de théâtre, j’ai l’habitude de donner ma vie pour mes projets. Mais ce projet est différent car il a pris une ampleur nationale et que ce que nous faisons fait évoluer le débat. C’est très excitant et ça prend un temps fou mais nous nous battons pour l’État de New York, pour la Pennsylvanie…. Nous nous battons pour tellement de personnes : tous ces gens qui nous livrent leurs histoires, c’est une expérience extraordinaire, mais ça me donne aussi une obligation morale de me battre pour eux.

Pensez-vous être plutôt un réalisateur ou un activiste ?

Je suis un trouveur, je cherche la vérité, et je considère que le fait d’avoir une éducation vous donne des responsabilité. Je suis directeur de théâtre mais j’ai du tout mettre de côté pour ce projet, à la grande déception de ma compagnie. Mais ils comprennent : je n’ai pas choisi cette bataille, c’est elle qui m’a choisi, en arrivant dans ma boîte aux lettres !

Actuellement, je fais tout ce qui est en mon pouvoir : des gens nous contactent du monde entier, chaque jour, pour nous demander de l’aide ou des conseils, de diffuser le film… C’est le genre d’aventure qui ne vous arrive qu’une fois dans une vie, j’y investis donc tout ce que j’ai car c’est un danger mortel. Ce que je veux, c’est qu’on me rende ma maison, ma vie, ce sentiment de paix et de sécurité… Et s’il faut deux ans de campagne acharnée pour que ça s’arrête, alors je la mènerai et je sais que nous gagnerons.

Crédits photo sous licence CC : Nicholas T ; Pennstatelive.

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