OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Pantouflage numérique à Bercy http://owni.fr/2011/12/02/conflit-interets-bercy-capgemini-baroin/ http://owni.fr/2011/12/02/conflit-interets-bercy-capgemini-baroin/#comments Fri, 02 Dec 2011 16:59:13 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=89048

Entraîné dans le mouvement de migrations des fonctionnaires vers le privé, l’ex-directeur adjoint du cabinet de l’actuel ministre de l’Économie quittera son poste pour la direction générale d’une branche de CapGemini, société liée par plusieurs contrats avec Bercy. Soumis à l’approbation de la Commission de déontologie, ce recrutement verrait Christophe Bonnard, entré en 2007 au service de Christine Lagarde, prendre la tête de Sogeti France, filiale du géant français des services informatiques.

Un contrat à 120 millions décroché en janvier avec Bercy

Leader européen des services informatiques, CapGemini est depuis 2001, avec l’allemand SAP, l’un des champions des appels d’offre du ministère de l’Économie et des finances et des autres secrétariats d’État et services logés à Bercy. Présent lors de la mise en place des nouveaux systèmes informatiques de l’Économie censés mettre en application la nouvelle Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), l’entreprise a remporté en ce début d’année l’un des plus gros contrats informatiques publics du quinquennat : en duo avec Steria, l’entreprise a été chargée de la maintenance six ans durant du “projet Chorus” pour un total de 120 millions d’euros. Se félicitant de la nouvelle [en], Jean-Philippe Bol, PDG France du groupe, déclarait :

Capgemini’s strategy is to accelerate its commitment to public institutions, by building on its international experience and ability to support the Administration in its large-scale modernization projects.

La stratégie de CapGemini est d’accélérer son engagement auprès des institutions publiques en s’appuyant sur son expérience internationale et ses talents pour accompagner l’administration dans ses projets de modernisation à grande échelle.

Contacté par OWNI, CapGemini a insisté sur le fait que le recrutement était “en cours et soumis à l’avis de la commission de déontologie”. Au ministère de la Fonction publique dont dépend cet organisme, le service de communication nous signale qu’aucune information n’est communiquée aux journalistes sur les examens des différents cas, leur déroulement et la date de rendu des avis. Renvoyé aux rapports annuels de la commission de déontologie, nous n’avons pu consulter que le dernier rapport mis en ligne, portant sur l’année 2009 [pdf]. Pour trouver trace de l’audition et de l’examen du cas de Christophe Bonnard, il faudra attendre l’édition 2011. Laquelle devrait paraître, selon le ministère, à la fin 2012. Contacté par OWNI, le bureau de M. Bonnard n’était pas joignable au moment de la rédaction de cet article.


Illustration via FlickR [cc-by] Alexandre Vialle

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La lettre de Baroin à Areva http://owni.fr/2011/11/14/la-lettre-de-baroin-a-areva/ http://owni.fr/2011/11/14/la-lettre-de-baroin-a-areva/#comments Mon, 14 Nov 2011 12:01:01 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=86559

OWNI s’est procuré une copie (accessible au bas de cet article) d’un courrier de quatre pages du ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie, François Baroin, adressé à Jean-Cyril Spinetta, président du Conseil de surveillance d’Areva. Le ministre y détaille les résultats financiers désastreux du groupe et fixe des objectifs de rentabilité peu compatibles avec les leçons de l’après Fukushima. Avec un flux de trésorerie négatif après cession de plus d’un milliard d’euros pour les années 2009 et 2010, François Baroin impose une accélération “des efforts de redressement de la rentabilité” de l’entreprise. Et demande une marge opérationnelle à deux chiffres.

Rapidité, efficacité et rentabilité

Les annexes détaillées sont claires : priorité aux partenariats avec EDF et aux finances pour améliorer le bien-être des actionnaires. La sécurité n’est plus la première exigence et s’est éloignée des objectifs fixés par l’État. Pour le ministre, il faut garder à l’esprit :

face aux enjeux majeurs qui se présentent après Fukushima, la nécessité de restaurer la rentabilité du groupe pour lui permettre de financer ses projets de développement.

Précisément, cette nécessité économique se présente comme ”une attente forte de l’État”. Le Directoire doit se contenter d’appliquer les recommandations ”dans de brefs délais”. Rapidité et efficacité. On peut comprendre la crainte des salariés et leur attente du plan d’action stratégique, prévu pour mi-décembre.

Concernant les finances du groupe, François Baroin ne laisse pas d’autres alternatives que la transparence de leurs finances et choix stratégiques :

La stratégie industrielle d’Areva aura vocation à être déclinée rapidement en un certain nombre d’objectifs concrets, chiffrés et qualificatifs, pour chaque unité opérationnelle.

Le mot d’ordre : rapidité. Areva est prise dans un étau et a pour seule solution d’obéir aux impératifs ministériels.

Dans ces conditions [...] il apparaît plus essentiel encore d’accélérer les efforts de redressement de la rentabilité. Ces efforts apparaissent d’autant plus nécessaires qu’Areva doit reconstituer ses marges de manœuvres financières pour pouvoir poursuivre une politique d’investissement, certes plus équilibrée, mais tout aussi critique pour son développement sur le long terme. Le Directoire devra s’efforcer d’atteindre les nouveaux objectifs fixés pour 2012 et une marge opérationnelle à deux chiffres le plus rapidement possible, et en tout état de cause à l’horizon 2015 au plus tard. Le groupe devra par ailleurs s’astreindre à la plus grande transparence vis à vis de ses actionnaires.

L’intention de François Baroin est louable. L’État, actionnaire à plus de 90 % est en droit de demander des comptes. Et l’entreprise de s’y plier. Reste que les autres actionnaires, plus petits mais néanmoins importants, exigent des résultats. Total, EDF et KIA pèsent lourd dans les choix stratégiques. En atteste l’exigence suivante :

Ces objectifs visent à créer de la valeur pour les actionnaires du groupe, à la fois du fait de l’amélioration de la valorisation du titre et de la capacité à mieux rémunérer le capital investi, mais aussi pour l’entreprise en lui donnant les moyens d’investir pour l’avenir.

Plus loin encore dans la feuille de mission :

En complément, il devra proposer un plan de financement réaliste et conforme aux intérêts des actionnaires.

Et François Baroin d’enfoncer le clou : impossible pour le Directoire de refuser la cession de ses parts dans ERAMET et l’ouverture du capital de sa filiale minière.

Dans ce travail, le Directoire n’exclura aucune hypothèse, notamment s’agissant des modalités de financement du groupe. La cession de la participation d’Areva dans ERAMET et l’ouverture du capital de la filiale minière (dont la possibilité a été laissée ouverte par le Conseil de Politique Nucléaire) devront être analysées en fonction de leur opportunité stratégique et patrimoniale.

Pour parvenir à redresser la barre, rien de mieux qu’un rapprochement stratégique avec EDF, grand ennemi d’hier. Les objectifs fixés par le Conseil de Politique Nucléaire (CPN) du 21 février 2011 précisent comment Areva doit se situer vis-à-vis d’EDF. Le partenariat stratégique met en avant l’importance du rapprochement et l’entreprise de Proglio n’est plus seulement client mais surtout ”partenaire essentiel”. Étrange façon de forcer la relation des deux géants du nucléaire en dehors d’un consortium.

Et non seulement, Areva est sommé de s’entendre avec EDF mais elle se doit de trouver un accord d’approvisionnement en uranium avec Proglio. Alors même que les mines viennent d’être filialisées et pourraient être ouvertes à des fonds étrangers.

Le Directoire devra par ailleurs veiller à conclure un accord d’approvisionnement de long terme d’EDF en uranium.

Il faut de la rentabilité. Surtout pour les actionnaires. Et tisser des liens jusqu’alors in-tissables avec EDF. Une idée pour les mois à venir.


Illustrations via Flickr par Victor Herz [cc-by]

Illustration de Marion Boucharlat pour Owni.

Retrouver tous nos articles sur le sujet avec le tag nucléaire.

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Les dessous du piratage de Bercy http://owni.fr/2011/03/26/les-dessous-du-piratage-de-bercy-anssi/ http://owni.fr/2011/03/26/les-dessous-du-piratage-de-bercy-anssi/#comments Sat, 26 Mar 2011 14:23:01 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=52590 Nombreux sont ceux qui se sont demandés comment des pirates informatiques avaient réussi à s’infiltrer dans les 150 ordinateurs de la direction du Trésor de Bercy, mais également pourquoi l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) avait attendu trois mois pour mettre un terme à cette opération d’espionnage.

Près de quinze jours après la révélation des faits, les témoignages recueillis par OWNI montrent que l’opération de transparence effectuée par les autorités autour de cette affaire d’espionnage signe un tournant politique dans l’approche de la sécurité informatique. La France n’est plus victime du syndrome de Tchernobyl: les problèmes de sécurité informatique ne s’arrêtent plus à nos frontières, et l’ANSSI, chargée d’y faire face, a décidé de le faire savoir.

Reste à savoir si, comme semblent le penser certains enquêteurs de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), les espions ont bénéficié de la complicité d’une “taupe“, ou si, comme le soulignent d’autres sources, la complexité et l’ampleur de l’infiltration s’expliquent par le savoir-faire professionnel de ceux qui ont mené l’opération.

Un virus créé tout spécialement pour les cerveaux de Bercy

Comme l’explique Jérome Saiz, rédacteur en chef de SecurityVibes France, citant une source proche du dossier, le premier ordinateur à avoir été infecté ne l’a pas été parce qu’un fonctionnaire de Bercy a inconsidérément ouvert une pièce jointe annexée à un spam, mais parce que le ou les pirates avaient envoyé “à un destinataire particulièrement bien choisi” un e-mail accompagné d’un fichier .pdf qui avait été piégé au moyen d’un code malicieux développé tout spécialement pour l’occasion. Explication :

Rien de nouveau ici, c’est une technique courante : un mail légitime est intercepté, sa pièce jointe piégée et le tout est renvoyé au destinataire, en se faisant passer pour l’expéditeur original

Cette technique est d’autant plus sophistiquée qu’il faut d’abord :

soit parvenir à intercepter des e-mails échangés par des fonctionnaires hauts placés
soit effectuer un criblage très précis des cibles visées afin de pouvoir usurper une identité, et créer de toute pièce un “vrai-faux” mail ayant toutes les apparences d’un vrai

Elle n’en serait pas moins “courante” dans les hautes sphères internationales, comme l’expliquait l’an passé à Jérôme Saiz le responsable de la sécurité informatique du Conseil de l’Europe:

Des documents pertinents, émis par le Conseil, sont régulièrement interceptés, piégés dans la journée et renvoyés dans le bon bureau, à la bonne personne qui suit le dossier en question.

Si le code malveillant a pu s’installer dans l’ordinateur, c’est qu’il avait été créé tout spécialement pour échapper aux radars des antivirus, mais également parce que le ministère de l’Economie n’avait pas installé les systèmes de défense en profondeur préconisés par l’ANSSI afin de détecter les signaux faibles révélateurs de telles tentatives d’attaque, sondes dédiées, ou taps, permettant de surveiller un réseau en toute discrétion et sans le perturber.

Un espion au ministère de l’Economie?

De fait, c’est un fonctionnaire de Bercy qui, intrigué de recevoir un e-mail de l’un de ses partenaires alors que ce dernier n’était pas présent à ce moment-là, a alerté les responsables sécurité du ministère. Ceux-là même ont alerté l’ANSSI qui, découvrant l’infection de l’ordinateur, a d’abord mandaté trois, puis, au vu de l’ampleur du problème, 40 personnes au total, dont 20 à 30 mobilisées en permanence, afin de parer l’attaque.

Il a fallu identifier l’ensemble des ordinateurs compromis, mais également étudier le modus operandi et les vecteurs de l’attaque, les heures à laquelle les espions se connectaient, comment, les documents qui avaient fuité… et en référer à l’Élysée puis, comme l’avait déclaré François Baroin sur Europe 1, leur envoyer des “leurres“.

Toutes ces opérations expliquent pourquoi il a fallu attendre trois mois entre la première alerte et la révélation de l’affaire. D’autant qu’il fallait également préparer le nettoyage du réseau et des ordinateurs de Bercy et, comme le souligne Jérome Saiz, l’application des correctifs manquants, “et bien entendu l’installation des sondes et l’audit du trafic“, le week-end du 5 mars.

D’après nos informations, le criblage des personnes dont les ordinateurs ont été infectés aurait commencé six mois au moins avant la détection de l’opération, et sa précision serait telle que certains enquêteurs de la DCRI pencheraient pour la thèse d’une taupe, d’un “tonton” qui, de l’intérieur même de Bercy, aurait aidé les espions à préparer leur infiltration.

Il est en effet courant, en la matière, de procéder à une enquête fouillée concernant les cibles à espionner afin de mieux préparer le lancement, et le déroulé, du piratage de leurs ordinateurs.

Tout en reconnaissant une “opération de renseignement très bien menée“, d’autres sources mettent en doute l’hypothèse d’une taupe infiltrée, avançant que l’organigramme du Trésor est disponible publiquement, tant sur le site du ministère que sur l’annuaire de service-public.fr, numéros de téléphones et adresses e-mail à l’appui.

La fin du “syndrome de Tchernobyl”

On ne saura peut-être jamais, ou pas avant un certain temps, qui est derrière cette affaire d’espionnage, ni ce qui les intéressait dans les préparatifs du G20 ou les autres documents qu’ils ont réussi à exfiltrer… Mais d’après nos sources, la complexité du mode opératoire indique qu’il ne peut s’agir que d’une équipe de professionnels. Nous serions donc en présence d’une affaire d’espionnage, et pas d’un acte perpétré par des Anonymous politiques ou des pirates opportunistes.

En déclarant, sur Europe 1, que “tout a été mis en oeuvre (…) pour envoyer des leurres” et que “la communication de ce matin devrait apporter l’information aux hackers : ils ont été repérés”, François Baroin leur a d’ailleurs tendu une perche. Si d’aventure des documents issus de ce piratage venaient à être exploités, la DCRI aurait beau jeu d’identifier les espions pirates de Bercy. En revanche, leur publication sur un site de type WikiLeaks, ne permettrait probablement pas de remonter à la source.

En expliquant à Paris-Match qu’il s’agissait de “la première attaque contre l’Etat français de cette ampleur et à cette échelle“, Patrick Pailloux, le directeur de l’ANSSI, a contribué à relativiser les failles de Bercy en matière de sécurité informatique. Mais il a également mis en avant le travail ainsi que la montée en puissance et en capacité de ses équipes, dont les compétences, à en croire les profils de poste recherchés, sont particulièrement pointues.

En tout état de cause, cette affaire montre que si Bercy, contrairement à d’autres ministères, n’était visiblement pas préparé pour empêcher une telle attaque, “c’est la preuve que cela n’arrive pas qu’aux autres“, comme nous l’avait expliqué un porte-parole de l’ANSSI:

C’est moins un coup de projecteur sur l’agence qu’un formidable moyen de faire de la prévention dans les institutions. Il n’y a pas de nuage de Tchernobyl qui s’arrête aux frontières dans le domaine de la sécurité informatique.

Quand le contre-espionnage
diabolisait les hackers

Cette approche des questions de sécurité informatique est un véritable tournant dans la façon dont l’État aborde ses sujets. Et nombreux sont les journalistes et blogueurs férus de sécurité informatique qui, de fait, avaient d’abord exprimé des doutes, portant notamment sur le timing de cette annonce, le mode opératoire (vieux comme une antiquité), la “piste chinoise” ou encore le côté “plan com’” de cette révélation.

Pour mieux comprendre ce tournant, il faut revenir sur l’histoire des hackers, et plus particulièrement sur la façon dont ils ont été perçus et gérés par les autorités françaises.

En 1989, le Chaos Computer Club allemand, le plus important des groupes de hackers dans le monde, est impliqué dans la première affaire de cyberespionnage internationale. Plusieurs de ses membres avaient piraté des ordinateurs américains pour le compte du KGB. Le cadavre de l’un d’entre-eux, Karl Koch, a été retrouvé carbonisé dans une forêt, la police concluant au suicide.

Découvrant que des jeunes bidouilleurs pouvaient ainsi mettre en péril la sécurité nationale, la Direction de la surveillance du territoire (DST), en charge du contre-espionnage, décide alors de recruter de jeunes hackers, profitant du service militaire alors obligatoire, pour attirer en son sein un certain nombre de petits génies de l’informatique.

Parallèlement, la DST demande à un musicologue et informaticien, Jean-Bernard Condat, de créer le Chaos Computer Club de France, afin de mieux pouvoir cerner et de surveiller le milieu des hackers français.

L’opération d’infiltration ne fut révélée qu’en 1995, par Jean Guisnel, dans un livre intitulé Guerres dans le cyberespace, services secrets et Internet, mais le mal était fait : en France, depuis, plus personne ne se revendique officiellement de l’étiquette “hacker“, de peur de passer pour une taupe de la DST, ou de se retrouver placé sous sa surveillance rapprochée.

La cécité informatique des autorités

Eric Filiol, lieutenant-colonel de l’armée de Terre, qui se définit lui-même comme un “corsaire“, pour se démarquer des “pirates“, et qui avait créé un laboratoire de cryptologie et de virologie du temps où il était militaire, estimait ainsi l’an dernier que “le problème c’est que la France a pendant longtemps diabolisé les hackers“, contribuant à placer un écran de fumée au-dessus des questions de sécurité informatique.

Lorsque je l’avais interviewé en 2010, il déplorait la “défiance totale vis-à-vis de l’informatique (et la) totale méconnaissance” ayant amené les responsables politiques à voter les lois Hadopi puis Loppsi alors que, pour lui, l’État devrait s’appuyer sur les hackers, plutôt que de les diaboliser. Signe de cette déconnexion des autorités avec la réalité de la sécurité informatique :

En France, la sécurité informatique ressemble aux nuages nucléaires: les problèmes s’arrêtent aux frontières. Pourtant, on a dénombré pas moins de 600 attaques critiques envers l’administration française en 2008 !

Au vu de ce passif, on comprend un peu mieux les doutes exprimés par ce même Eric Filiol qui, réagissant à l’annonce du piratage de Bercy, avait d’emblée mis en doute l’hypothèse chinoise, un péril jaune régulièrement avancé par les responsables politiques en matière d’espionnage informatique. Daniel Ventre, ingénieur chercheur au CNRS et auteur de deux livres sur la guerre de l’information, exprimait les mêmes réserves en notant qu’”il ne sortira probablement pas grand chose de cette affaire” :

La Corée du Sud a elle aussi connu des déboires similaires il y a quelques temps, à l’occasion du G20. Elle a accusé la Corée du Nord, la Chine, et en a profité pour valider son projet de création d’unités de cyberdéfense.

En l’espèce, et comme OWNI s’en était d’ailleurs étonné en évoquant un piratage qui tombe à pic, l’ANSSI venait tout juste d’être dotée, un mois plus tôt, de capacités de “cyberdéfense” la faisant clairement monter en puissance, et alors même que le coordonnateur national du renseignement avait de son côté déclaré, fin janvier, qu’”il s’agit d’un dossier que le Président de la République suit de très près“.

Si tu ne viens pas à Lagardère,
Lagardère ira à toi

De fait, le timing de cette révélation, à 7h du matin, sur ParisMatch.com, puis par le ministre du Budget François Baroin, interrogé par Jean-Pierre Elkabbach à 8h sur Europe 1, avait de quoi susciter quelques interrogations. Ces médias sont en effet les deux vaisseaux amiraux du groupe Lagardère Publishing, propriété du “frère” de Nicolas Sarkozy.

A ceci prêt qu’il ne s’agissait nullement d’une collusion mais bel et bien d’un hasard complet. Contacté par OWNI, David Le Bailly, le journaliste de Paris Match à l’origine du scoop, nous explique qu’il avait eu vent, le lundi précédent et de la part d’une personne qui ne connaît pas grand chose aux questions de sécurité informatique, d’une “attaque informatique sur Bercy“.

Après avoir recoupé l’information, il contacte l’ANSSI. Son directeur, Patrick Pailloux, le rappelle le lendemain et lui fait comprendre qu’il ne répondra à aucune question, mais que si le journaliste peut attendre jusqu’au week-end suivant, il lui raconterait tout, “en exclusivité“.

Vendredi, une opération de maintenance informatique est annoncée à Bercy. L’information remonte jusqu’au journal Libération, qui interroge le ministère de l’Economie et des finances, mais ne parvient pas à recouper l’information.

Dimanche soir, Patrick Pailloux répond aux questions de David Le Bailly, lui demandant de garder l’embargo jusqu’au lundi 9h, de sorte que les fonctionnaires de Bercy découvrent le message qui allait s’afficher sur leurs ordinateurs avant d’entendre parler de cette histoire dans la presse :

Comme cela a été annoncé vendredi, d’importantes maintenances informatiques ont été effectuées afin de renforcer la sécurité. Cette opération a été décidée suite à des attaques informatiques visant le réseau informatique de Bercy.

Mais le journaliste de Paris Match, découvrant le dimanche soir que François Baroin devait être interviewé par Elkabbach sur Europe 1, le lundi à 8h20, craint de se voir griller son scoop, et décide finalement de le publier à 7h.

En tout état de cause, l’information avait commencé à fuiter, les fonctionnaires de Bercy commençaient à en causer, 12 000 postes étaient concernés par l’opération de maintenance, il était impossible de continuer à garder le secret.

Des sources proches du dossier nous ont confirmé que l’ANSSI avait prévu, avant même que David Le Bailly ne les contacte, de nettoyer tous les ordinateurs de Bercy ce week-end là, mais également de communiquer sur le sujet. Par contre, François Baroin n’aurait pas prévu, initialement, d’évoquer l’affaire sur Europe 1.

Contactée, l’ANSSI, qui a été très sollicitée suite à la révélation de l’affaire par Paris Match, et qui avait fait un point presse le lendemain, a décidé de ne plus s’exprimer sur la question au motif qu’elle a répondu à toutes les questions et que tout a été dit. Reste, maintenant, à attendre les conclusions de l’enquête de la DCRI.

Photos CC Vicent-tPierre Numérique, regis frasseto, jfgornet, jfgornet, regis frasseto

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